PRATIQUES Santé publique 1999, Volume 11, no 4, pp. 513-525 Pratique des médecins généralistes en matière de dépistage du virus de l’hépatite C dans la région lyonnaise Practices of general practitioners in screening for the hepatitis C virus in the region of Lyon F. Sahajian (1), E. Caillat-Vallet (1), F. Bailly (2), G. Excler (3), C. Trepo (2), J. Fabry (1), M. Sepetjan (1) Résumé : Une étude sur la pratique du dépistage de l’hépatite C a été réalisée auprès d’un échantillon de 786 médecins généralistes de la circonscription de Lyon, constitué de 3 groupes : 272 médecins ayant participé à une étude sur ce dépistage, 242 médecins n’ayant pas répondu à la demande de participation et 272 médecins ayant refusé d’y participer. Globalement, 88,5 % des médecins interrogés ont prescrit au moins une sérologie VHC dans les 12 derniers mois, 82 % ont au moins un patient VHC positif et 59,3 % d’entre eux les ont dépistés en partie ou en totalité. Les seules différences entre les 3 groupes sont liées soit à l’appartenance à un réseau de soins « VIH ou Toxico », soit à un exercice médical particulier (allergologie, sexologie, nutrition…). En effet, les premiers prescrivent davantage chez les groupes à risque et les seconds prescrivent moins et ont moins de patients VHC positifs. Summary : A study on the screening practices for hepatitis C was carried out among a sample of 786 general practitioners in the Lyon region. The sample comprised three groups: 272 doctors who had participated in a study of this screening, 242 doctors who had not responded to the request for participation, and 272 doctors who had refused to participate. Overall, 88.5% of the doctors surveyed had prescribed at least one HCV (1) ADHEC, Laboratoire d’Epidémiologie et de Santé Publique, Faculté de médecine Domaine Rockefeller, 69008 Lyon, France. (2) Pôle de référence hépatite C, Service d’hépato-gastroentérologie, Hôtel-Dieu, 1, place de l’Hôpital, 69002 Lyon, France. (3) Service Médical, Caisse Primaire Centrale d’Assurance Maladie de Lyon, 102, rue Masséna, 69006 Lyon. Tirés à part : F. Sahajian Réception : 21/06/99 - Acceptation : 12/10/99 514 F. SAHAJIAN, E. CAILLAT-VALLET, F. BAILLY, G. EXCLER, C. TREPO, J. FABRY, M. SEPETJAN serology in the last 12 months, 82% had at least one HCV positive patient and of them, 59.3% had partly or completely screened these patients. The only differences between the three groups are related either to their belonging to an HIV or drug addict care network, or to a particular medical practice (study of allergies, sexology, nutrition, etc.). In fact, the first prescribe more among groups at risk and the second prescribe less and have fewer HCV positive patients. Mots-clés : Virus de l’hépatite C - Pratique de dépistage - Médecins généralistes en cabinet Keys words : Hepatitis C virus, screening practices, general practitioners Introduction En France, on estime à 600 000 le nombre de personnes contaminées par le virus de l’hépatite C [4, 6] : un certain nombre d’entre elles vont développer une maladie grave du foie. On estime que 30 à 40 % des personnes infectées sont dépistées à ce jour. Or, il existe des possibilités thérapeutiques d’autant plus efficaces qu’elles sont mises en route précocement après le contage initial. Quelques études [5, 11] ont été menées en France pour évaluer l’efficacité de diverses méthodes de dépistage, ceci afin d’envisager une campagne nationale, où le médecin généraliste aura, quelle que soit la stratégie retenue, une place très importante [9]. Sur la circonscription de Lyon notamment, l’ADHEC (Association pour l’étude du Dépistage de l’Hépatite C) a réalisé de mai à octobre 1997 une étude sur le dépistage de l’hépatite C en médecine ambulatoire, auprès de 272 médecins généralistes. Après le déroulement de cette étude, il nous a paru intéressant de vérifier si ces 272 médecins participants volontaires avaient une pratique du dépistage du VHC différente de celle des médecins non participants. C’est pourquoi nous avons décidé la réalisation d’une enquête téléphonique sur la pratique des généralistes en matière de dépistage du VHC. L’objectif principal de cette étude était la description de la pratique des médecins généralistes en cabinet, exerçant dans la circonscription de Lyon, en matière de dépistage du virus de l’hépatite C. L’objectif secondaire était de comparer la pratique de 272 médecins généralistes ayant volontairement participé, quelques mois auparavant, à l’étude sur ce thème (étude ADHEC) à celle des médecins généralistes n’ayant pas participé à cette étude, afin de mettre en évidence une éventuelle différence de pratique entre ces deux groupes. Matériel et méthode L’échantillon Un échantillon de 786 médecins (issus de la population des 1415 médecins généralistes en activité de la circonscription de Lyon) a été constitué à partir d’un premier échantillon de 272 médecins qui ont volontairement accepté de participer à l’étude ADHEC. L’échantillon de 786 médecins, nécessaire à la réalisation de la présente étude, est donc constitué de 3 groupes : – groupe 1 constitué des 272 médecins ayant volontairement accepté de participer entre le 5 mai 1997 et le 31 octobre 1997 à une étude sur le dépistage de l’hépatite C organisée par l’association ADHEC, PRATIQUE DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES EN MATIÈRE DE DÉPISTAGE DU VIRUS DE L’HÉPATITE C DANS LA RÉGION LYONNAISE – groupe 2 constitué de 242 médecins tirés au sort dans la population totale des médecins ayant refusé, par écrit, de répondre à cette demande de participation, – groupe 3 constitué de 272 médecins tirés au sort dans la population totale des médecins n’ayant pas répondu à la demande de participation à l’étude ADHEC. Chaque groupe de médecins présentait une répartition par sexe, zone et année d’installation similaire à la répartition de la totalité des médecins : méthode des quotas pour le groupe 1 et tirage au sort par strate pour les groupes 2 et 3. Le groupe 2 comprend moins de médecins car l’effectif total de ce groupe est inférieur à ceux des 2 autres groupes. Le questionnaire Le questionnaire proposé aux médecins interrogés comportait 5 questions sur leur pratique des 12 derniers mois en matière de dépistage du VHC. Ces questions portaient sur le nombre de patients porteurs du VHC et connus du médecin dans sa clientèle, le nombre de patients dépistés par le praticien, la fréquence et les indications de la prescription de sérologie VHC, l’appartenance du médecin à un réseau de soins ou de surveillance épidémiologique. Les médecins interviewés pouvaient faire à l’issue du questionnaire divers commentaires sur leur pratique en matière de dépistage du VHC. Les médecins du groupe 1 étaient interrogés sur leur pratique des 12 derniers mois précédant leur participation à l’étude ADHEC (qui outre le dépistage du VHC proprement dit, comportait une partie formation en particulier sur l’épidémiologie de l’hépatite C), afin d’éliminer le biais de réponse lié à cette participation. 515 Ce questionnaire a préalablement été testé auprès d’un échantillon de 15 médecins généralistes exerçant en cabinet. Ce test a permis d’évaluer le temps de réponse aux 5 questions posées (environ 2 minutes) et de vérifier la clarté de chacune d’elles. Le recueil et l’analyse des données L’enquête téléphonique a été réalisée du 1er janvier au 1er avril 1998, auprès des 786 médecins généralistes de l’échantillon. Elle a été menée par un médecin épidémiologiste qui a noté les réponses obtenues sur le questionnaire. Puis, ces réponses ont été codées et saisies sur informatique à l’aide du logiciel de gestion de bases de données ACCESS : Microsoft Office, Paris, France. Le logiciel de traitement et de gestion des données épidémiologiques EPIINFO nous a permis de décrire les pratiques de la totalité des médecins interrogés et de comparer les différents pourcentages obtenus dans les 3 groupes de médecins, en calculant le test du χ2. L’analyse factorielle des correspondances multiples a été réalisée grâce au programme supplémentaire XLSTAT du logiciel EXCEL : Microsoft Office, Paris, France. Résultats Taux de réponse Le taux de réponse global s’élève à 97,1 %. Le taux de réponse du groupe 2 est le plus faible des 3 groupes (93,3 % contre 98,5 % pour le groupe 1 et 98,9 % pour le groupe 3, p < 0,0001). Patients porteurs du virus de l’hépatite C dans la clientèle des médecins interrogés Globalement, 18 % seulement des médecins interrogés ne comptent 516 F. SAHAJIAN, E. CAILLAT-VALLET, F. BAILLY, G. EXCLER, C. TREPO, J. FABRY, M. SEPETJAN aucun patient porteur du VHC dans leur clientèle (tableau I). Par ailleurs, il n’existe pas de différence significative entre les 3 groupes de médecins quant au nombre de patients VHC positifs (tableau I). Si on rapporte ces pourcentages à la totalité des médecins, 19,7 % des médecins de la circonscription de Lyon n’ont aucun patient VHC positif et 66,8 % en ont entre 1 et 5. Si l’on considère l’ensemble des médecins qui ont un ou plusieurs patient(s) VHC positif(s) dans leur clientèle, 59,3 % en ont dépisté soit la totalité soit une partie (tableau I). La comparaison entre les 3 groupes ne met en évidence aucune différence significative. Prescription de sérologie VHC par les médecins dans les 12 derniers mois Parmi les médecins généralistes interrogés, 11,5 % n’ont prescrit aucune sérologie VHC durant les 12 derniers mois (tableau I). Le caractère particulier de l’exercice médical (54,5 %) (nutrition, homéopathie, sexologie, psychologie, etc) et l’absence d’indication de prescription (53,4 %) sont les 2 raisons majeures de non prescription (tableau II). Les médecins du groupe 1 sont significativement moins nombreux (5,2 %) à ne pas prescrire de sérologie VHC que ceux du groupe 3 (14,1 %) ou du groupe 2 (15,9 %) [p = 0,0003]. Tableau I : Indicateurs de pratique du dépistage. Items Population Echantillon étudié Participation : – à un réseau de soins – à un réseau de surveillance Prescription sérologie VHC non oui dont : – 1 fois par an – 1 fois par trimestre – 1 fois par mois – 1 fois par semaine Patients connus VHC+ : – aucun – 1à5 – 6 à 10 – plus de 10 dont : dépistés par le médecin (2) Participants groupe 1 Refus groupe 2 Non Réponse groupe 3 p (χ2) Echantillon groupes 1+2+3 Estimation Totalité des médecins 272 268 (1) 304 226 839 269 – – – 763 1 145 – 15,7 % 4,9 % 4,5 % 0,0001 8,5 % 6,5 % 5,6 % 1,8 % 2,2 % 0,04 3,3 % 2,5 % 5,2 % 94,8 % 15,9 % 84,1 % 14,1 % 85,9 % 0,0003 11,5 % 12,8 % 12,2 29,9 45,7 12,2 % % % % 16,8 % 31,1 % 46,3 % 5,8 % 13,4 28,6 45,5 12,6 13,9 29,8 45,8 10,5 13,8 29,3 45,7 11,1 13,1 % 71,3 % 11,2 % 4,5 % 18,6 % 67,7 % 11,5 % 2,2 % 22,3 % 65,1 % 8,9 % 3,7 % 63,5 % 56,5 % 56,8 % % % % % 0,27 0,12 0,36 % % % % % % % % 18,0 % 68,0 % 10,5 % 3,5 % 19,7 % 66,8 % 9,9 % 3,5 % 59,3 % 58,2 % (1) 4 médecins n’ont pu être joints (cessation d’activité, décès ou déménagement) (2) Patients dépistés en totalité ou en partie par le médecin PRATIQUE DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES EN MATIÈRE DE DÉPISTAGE DU VIRUS DE L’HÉPATITE C DANS LA RÉGION LYONNAISE Si l’on s’intéresse à la totalité des médecins, on estime que 12,8 % d’entre eux n’ont prescrit aucune sérologie dans les 12 derniers mois. Fréquence et situations de prescriptions de sérologies VHC Seuls, 13,9 % de l’ensemble des médecins généralistes qui ont prescrit des sérologies VHC pendant les 12 derniers mois prescrivent moins d’une fois par trimestre et 45,8 % prescrivent une fois par mois. La comparaison entre les 3 groupes de médecins ne révèle aucune différence significative quant à la fréquence de prescription. Concernant les situations de prescription de sérologie VHC, citées par les généralistes (tableau III), 75,4 % des médecins interrogés ont prescrit des sérologies VHC chez leurs patients à risque : 39,9 % chez les patients toxicomanes, 54,4 % chez les sujets transfusés. Les transaminases élevées constituent la deuxième situation de prescription la plus fréquente avec 65,5 %. Quant au contexte clinique évocateur, il constitue une situation de prescription pour 48,6 % des médecins sondés. D’autres situations de prescription (vagabondage sexuel, bilan d’une hépatite, demande du patient et exis- 517 tence d’un sujet contact dans l’entourage du patient) sont citées par 29,3 % des médecins. Plusieurs différences significatives sont à noter si l’on compare les 3 groupes. Les médecins du groupe 1 ont prescrit davantage chez leurs patients à risque (82,3 %), que ceux des groupes 2 (71,6 %) et 3 (71,0 %) (p < 0,01). Cette tendance s’inverse en ce qui concerne le contexte clinique : 54,1 % des médecins du groupe 3 et 52,1 % des médecins du groupe 2 ont prescrit dans cette situation contre 40,9 % des médecins du groupe 1 (p < 0,01). Si on s’intéresse à la totalité des médecins de la circonscription de Lyon, on estime que 73,5 % d’entre eux ont prescrit dans les groupes à risque, 50,9 % dans un contexte clinique évocateur et 67,3 % en cas de transaminases élevées. Appartenance des médecins à un réseau de soins ou de surveillance épidémiologique Seuls 8,5 % et 3,4 % de la totalité des médecins interrogés font partie respectivement d’un réseau de soins ou d’un réseau de surveillance épidémiologique (tableau I). Dans la comparaison entre groupes, il apparaît de manière significative que les méde- Tableau II : Raisons invoquées par les médecins qui n’ont pas prescrit de sérologies Raisons de non prescription (plusieurs réponses possibles) Participants Groupe 1 Refus Groupe 2 Non réponse Groupe 3 p Echantillon Groupe 1+2+3 Exercice particulier 14,3 % 52,6 % 72,2 % 0,001 54,5 % Pas d’indication 35,7 % 57,9 % 55,6 % 0,34 53,4 % Pas de patients à risque 7,1 % 34,2 % 25,0 % 0,14 26,1 % Non sensibilisé 50,0 % 13,2 % 0,0 % 13,6 % 518 F. SAHAJIAN, E. CAILLAT-VALLET, F. BAILLY, G. EXCLER, C. TREPO, J. FABRY, M. SEPETJAN Tableau III : Situations de prescriptions des sérologies VHC par les médecins. Type de situation Refus plusieurs réponses Participants Groupe 1 Groupe 2 possibles Non réponse Groupe 3 p Echantillon Estimation Groupes Totalité des 1+2+3 médecins Groupe à risque Toxicomanes Transfusés « Polyopérés » « Polyendoscopés » 82,3 % 46,5 % 58,3 % 26,0 % 11,4 % 71,6 % 34,7 % 52,1 % 21,6 % 6,3 % 71,0 % 36,8 % 51,9 % 21,2 % 8,2 % 0,01 0,02 0,29 0,39 0,16 75,4 % 39,9 % 54,4 % 23,1 % 8,9 % 73,5 % 38,3 % 53,2 % 22,2 % 8,4 % Contexte clinique 40,9 % 52,1 % 54,1 % 0,01 48,6 % 50,9 % Transaminases élevées 61,4 % 64,7 % 70,6 % 0,10 65,5 % 67,3 % Autres situations 29,9 % 26,8 % 30,7 % 0,66 29,3 % 29,7 % Dépistage systématique 0,01 % 0,0 % cins du groupe 1 sont 3 fois plus nombreux à appartenir à l’une de ces structures que les médecins des groupes 2 ou 3 (p < 0,0001). L’appartenance des médecins à un réseau de soins explique les différences constatées entre les trois groupes en ce qui concerne les situations de prescription chez les patients toxicomanes et en fonction du contexte clinique. La différence concernant la prescription en cas de toxicomanie n’est plus significative (p = 0,31) lorsqu’on retire des trois groupes les médecins appartenant à un réseau de soins ; il en est de même pour la prescription en fonction du contexte clinique (p = 0,09). Ces médecins « réseau » ont davantage tendance à prescrire des sérologies VHC chez leurs patients toxicomanes et moins tendance à prescrire en fonction du contexte clinique. 0,02 % 0,01 % 0,01 % plus nombreuses que les hommes à n’avoir dépisté aucun de leurs patients VHC positifs, surtout dans les groupes 2 (58,8 % contre 37,6 %, p = 0,02) et 3 (59,6 % contre 37,6 %, p = 0,01). Concernant les prescriptions de sérologies VHC, elles ont moins prescrit, surtout dans les groupes 2 (75,4 % des femmes contre 87,6 % des hommes, p = 0,02) et 3 (77,0 % contre 89,2 %, p = 0,01) et elles ont prescrit moins souvent (22,7 % des femmes ont prescrit 1 fois par an et 40,9 % 1 fois par mois contre 10,8 % et 47,5 % pour les hommes, p < 0,0001). Elles ont aussi moins souvent cité la toxicomanie comme situation de prescription (32,4 % contre 42,5 % des hommes, p = 0,02). Relations entre les variables descriptives et la pratique du dépistage Les médecins installés après 1987 sont plus nombreux à n’avoir dépisté aucun de leurs patients VHC positifs sauf dans le groupe 2 : 45 % contre 29 % des médecins installés avant 1987 dans le groupe 1 (p = 0,03) et 55 % contre 32 % dans le groupe 3 (p = 0,003). Parmi les médecins qui ont des patients VHC positifs, les femmes sont On observe des différences de pratiques selon les 4 zones de l’étude PRATIQUE DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES EN MATIÈRE DE DÉPISTAGE DU VIRUS DE L’HÉPATITE C DANS LA RÉGION LYONNAISE (Lyon, banlieue Est, banlieue Ouest et zone rurale). Dans le groupe 1, les médecins de Lyon (93,5 %) sont les plus nombreux à avoir des patients VHC positifs (p = 0,04). Dans le groupe 3, les médecins de la banlieue Ouest (58,1 %) sont les plus nombreux à n’avoir dépisté aucun de leurs patients VHC positifs (p = 0,02). Globalement, les médecins appartenant à un réseau de soins sont plus nombreux dans la banlieue Est (12,9 %) et à Lyon (9,9 %) que dans la banlieue Ouest (1,9 %) et la zone rurale (0 %) (p = 0,0002). Relation entre la présence de patients VHC positifs et la pratique du dépistage Le tableau IV nous permet de mettre en avant les relations suivantes. On observe une relation entre le nombre de patients VHC positifs et le nombre de patients dépistés par le médecin généraliste (p < 0,0001) : ces 519 deux nombres augmentent ensemble (tableau IV). De même, la présence de patients VHC positifs dans la clientèle et la prescription de sérologies VHC sont liées (p < 0,0001). Parmi ceux qui ont prescrit des sérologies dans les 12 derniers mois, on note une relation entre la présence de patients VHC positifs et un certain nombre de situations de prescription : dans les groupes à risque (p = 0,001), dans un contexte clinique évocateur (p = 0,02) et en cas de transaminases élevées (p = 0,0003). Enfin, la présence de patients VHC positifs dans la clientèle et l’appartenance à un réseau de soins apparaissent liées (p = 0,02). Analyse multivariée Le premier axe de l’analyse factorielle des correspondances multiples (figure 1) traduit l’existence d’une opposition entre les médecins non prescripteurs de sérologies VHC, qui n’ont Tableau IV : Relations entre la présence de patients VHC positifs et la pratique de dépistage des médecins généralistes Patients VHC positifs Total Oui Non p Prescription de sérologies : Oui Non 93,6 % 6,4 % 65,0 % 35,0 % < 0,0001 88,5 % 11,5 % Sérologies pour groupes à risque : Oui Non 77,5 % 22,5 % 61,8 % 38,2 % 0,001 75,4 % 24,6 % Sérologies pour contexte clinique : Oui Non 50,3 % 49,7 % 37,1 % 62,9 % 0,02 49,6 % 51,4 % Sérologies pour transaminases élevées : Oui Non 68,1 % 31,9 % 48,3 % 51,7 % 0,0003 65,5 % 34,5 % Appartenance à réseau de soins : Oui Non 9,6 % 90,4 % 3,6 % 96,4 % 0,02 8,5 % 91,5 % 520 F. SAHAJIAN, E. CAILLAT-VALLET, F. BAILLY, G. EXCLER, C. TREPO, J. FABRY, M. SEPETJAN pas de patient VHC positifs dans leur clientèle et qui n’en ont pas dépisté et les autres médecins, notamment ceux qui ont dépisté une partie de leur patients VHC positifs. Le deuxième axe traduit l’existence d’une opposition entre les médecins qui appartiennent à un réseau de soins, qui ont plutôt 5 à 10 patients VHC positifs dans leur clientèle et qui dépistent en cas de toxicomanie, et les autres médecins, notamment ceux de la banlieue ouest et ceux qui prescrivent une fois par trimestre. Le troisième axe (non représenté) traduit l’existence d’une opposition entre les médecins qui prescrivent chez leurs patients transfusés et « polyopérés » qui appartiennent plutôt au groupe 1 et ceux qui prescrivent selon le contexte clinique. La représentation des modalités des variables sur les axes 1 et 2 nous donne donc les groupes (A à G) de médecins suivants, en allant de ceux qui ne dépistent pas à ceux qui dépistent et qui ont le plus de patients VHC positifs dans leur clientèle. Le groupe A comprend les médecins qui ne prescrivent pas de sérologie VHC et qui n’ont plutôt aucun patient VHC positif. Le groupe B regroupe les médecins qui prescrivent environ une sérologie par an. Ce sont plutôt des médecins qui n’ont pas cité de type de situation de prescription. Le groupe C comprend les médecins de sexe féminin, qui n’ont pas dépisté de patients VHC positifs et qui ne dépistent pas en cas de toxicomanie. Ce sont plutôt des médecins des groupes 2 et 3 installés après 1987. Les médecins du groupe D sont les médecins des zones 3 et 4 qui prescrivent souvent une sérologie par trimestre. Ce sont plutôt des médecins qui ont entre 1 et 5 patients VHC positifs et qui ne font pas partie d’un réseau de soins. Le groupe E regroupe les médecins qui prescrivent chez leurs patients « polyopérés », « polyendoscopés » et transfusés. Ils prescrivent aussi plutôt selon le contexte clinique et en cas de transaminases élevées. Ce sont plutôt des médecins qui ont dépisté tous leurs patients VHC positifs. Les médecins du groupe F sont des médecins qui ont entre 5 et 10 ou plus de 10 patients VHC positifs. Ce sont plutôt des médecins hommes, qui prescrivent une sérologie par semaine, qui dépistent leurs patients toxicomanes, qui ont dépisté une partie de leurs patients VHC positifs et qui font partie du groupe 1. Enfin, les médecins du groupe G sont les médecins appartenant à un réseau de soins qui ont plutôt de 5 à 10 patients VHC positifs dans leur clientèle, qui dépistent plutôt leur patients toxicomanes, qui appartiennent plutôt au groupe 1 et qui sont plutôt installés à Lyon et en banlieue Est. Discussion Cette enquête téléphonique constitue une première estimation de la pratique des médecins généralistes en matière de dépistage du virus de l’hépatite C, par la mise en avant de quelques indicateurs précis, tels que le nombre de patients porteurs du VHC parmi la clientèle et la fréquence de leurs prescriptions de sérologies. De plus, il nous a paru intéressant de questionner les médecins sur leur appartenance éventuelle à un réseau de soins ou de surveillance épidémiologique concernant les maladies infectieuses afin d’observer une possible relation entre cette caractéristique et la pratique en matière de dépistage du VHC. Cette enquête téléphonique a été menée par un seul médecin épidémiologiste afin de limiter les biais dus à la multiplicité des enquêteurs. Figure 1 : Analyse factorielle des correspondances multiples : modalités des variables de pratique de dépistage sur les axes 1 et 2. PRATIQUE DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES EN MATIÈRE DE DÉPISTAGE DU VIRUS DE L’HÉPATITE C DANS LA RÉGION LYONNAISE 521 522 F. SAHAJIAN, E. CAILLAT-VALLET, F. BAILLY, G. EXCLER, C. TREPO, J. FABRY, M. SEPETJAN Le nombre de médecins du groupe 2 (refus de participation à l’étude ADHEC) est inférieur à celui des autres groupes (242 contre 272) car leur effectif était insuffisant pour une répartition selon le sexe, la zone et l’année d’installation. Nous avons cependant vérifié que les résultats étaient identiques en ne considérant qu’un effectif de 242 médecins dans chacun des 3 groupes. Nous retiendrons tout d’abord le taux global de réponse obtenu de 97 %. Ce taux de réponse est d’autant plus remarquable que les interviews téléphoniques se sont très souvent déroulées lors de la consultation des médecins participants qui ont pris le temps de répondre à nos questions. Ceci nous semble refléter tout l’intérêt que les médecins généralistes attachent au dépistage de l’hépatite C. Si l’on pouvait s’attendre à obtenir ce taux de réponse chez les médecins du groupe 1 (participant à l’étude ADHEC sur le dépistage du VHC et donc a priori sensibilisés à la question), il est par contre beaucoup plus surprenant de constater un taux de réponse aussi élevé chez les médecins qui n’ont pas participé à cette étude ADHEC et surtout chez ceux qui ont refusé (groupe 2). Pratique de l’ensemble des médecins interrogés en matière de dépistage du VHC Moins d’un médecin interrogé sur cinq a déclaré n’avoir aucun patient séropositif pour le VHC dans sa clientèle. On peut donc estimer entre 1 190 et 3 670 le nombre de patients séropositifs pour le VHC connus dans la clientèle des 763 médecins interrogés. Si l’on rapporte ce résultat à l’ensemble des 1 415 médecins généralistes exerçant en cabinet dans la circonscription de Lyon, on peut estimer entre 2 200 et 6 800 le nombre de patients VHC positifs connus dans leur clientèle et entre 93 500 et 288 200 le nombre de patients VHC positifs connus par l’ensemble des 60 000 médecins généralistes français. Cette estimation est en partie compatible avec les données disponibles en France [6], faisant état d’environ 550 000 personnes infectées dont 25 % seraient connues et environ 5 à 10 % médicalement prises en charge, suivies et effectivement traitées [8]. En effet, d’après notre estimation, entre 17 % et 52 % des personnes infectées seraient connues par leur médecins généralistes. Si l’on considère la valeur moyenne de notre fourchette, soit 43 %, on peut alors se poser la question suivante : en France, si plus de 4 patients VHC positifs sur 10 sont connus par leur médecin généraliste et moins de 1 sur 10 traités, ne vautil pas mieux assurer une prise en charge médicale efficace et traiter les patients connus, si, bien entendu, il existe une indication thérapeutique, que dépister ceux inconnus qui, d’après ces données, auraient peu de chance d’être traités ? Cette question reste posée et devrait faire l’objet d’études complémentaires ultérieures. Concernant le rôle du généraliste dans le dépistage du VHC, près de 9 médecins sur 10 ont prescrit dans les 12 derniers mois des sérologies VHC chez leurs patients, dont 6 praticiens au moins une fois par mois. La plupart des médecins généralistes semblent donc d’ores-et-déjà prendre une part active au dépistage. Cependant, 13 % des médecins qui ont prescrit des sérologies, n’ont dépisté aucun patient VHC positif dans leur clientèle. Ce qui montre que le dépistage effectué par la plupart des médecins généralistes aboutit assez rarement à la découverte de patients séropositifs. Cette hypothèse est PRATIQUE DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES EN MATIÈRE DE DÉPISTAGE DU VIRUS DE L’HÉPATITE C DANS LA RÉGION LYONNAISE confirmée par les résultats de plusieurs études d’évaluation du dépistage en médecine générale [1, 3] qui montrent que le pourcentage de patients séropositifs dépistés dans la clientèle est relativement faible (1,4 % selon Czernichow et al. [3]) y compris dans les groupes à risque (1,8 % chez les patients transfusés avant 1991 et 3,4 % chez les patients aux antécédents de toxicomanie intraveineuse, selon Altman C et al. [1]) Pour la majorité des médecins généralistes qui n’ont pas dépisté de patient pendant les douze derniers mois, un exercice médical particulier et l’absence d’indication de dépistage au sein de leur clientèle sont responsables de cette pratique. Un autre point de discussion concerne le lieu de dépistage des patients et le rôle du médecin généraliste. En effet, d’après nos résultats, bien que 82 % des médecins interrogés déclarent suivre au moins un patient VHC positif dans leur clientèle, 41 % de ces médecins n’ont dépisté aucun de ces patients. Ces patients ont donc été dépistés ailleurs : à l’hôpital, chez un autre médecin, dans un centre de dépistage anonyme et gratuit, dans un centre de transfusion sanguine, etc. Ainsi, le rôle du médecin généraliste vis-à-vis de l’hépatite C, ne semble pas limité au dépistage, mais s’étend à la prise en charge ambulatoire de la maladie. On peut alors penser que le généraliste est un atout important pour intégrer ou réintégrer dans le circuit de soins, les patients VHC positifs dépistés, donc connus, mais non traités car non suivis (prise en charge médicale et traitement) [2, 12]. La plupart des médecins généralistes interrogés connaissent bien les divers groupes de patients à risque chez qui le dépistage du VHC doit être effectué de manière prioritaire [7]. 523 En effet, 3 médecins prescripteurs sur 4 ont proposé un dépistage à leurs patients toxicomanes et un sur deux à leurs patients transfusés. Par ailleurs, le contexte clinique et l’élévation des transaminases constituent deux situations fréquentes de prescription, puisque 1 médecin sur 2 a prescrit dans le premier cas et 2 sur 3 dans le deuxième. On peut donc dire qu’une large majorité des généralistes dépistent de manière efficace, c’est-à-dire auprès des patients dont les facteurs de risque sont réels et importants. Il existe des différences de pratique du dépistage selon les caractéristiques des médecins interrogés (sexe, année et zone d’installation). Ainsi, les femmes prescrivent et dépistent proportionnellement moins que les hommes sans doute du fait d’un exercice médical particulier (type sexologie, nutrition, homéopathie, etc) plus fréquent, d’une participation moins fréquente au réseau de soins « toxico ou VIH » et d’une clientèle moins à risque, notamment en ce qui concerne les patients toxicomanes. On note également que les médecins installés depuis moins de 10 ans semblent dépister et prescrire moins que ceux installés depuis plus de 10 ans. Ceci peut paraître surprenant car on pourrait penser que les jeunes médecins sont plus sensibilisés à la prévention et au dépistage que leurs aînés. Cependant, ces derniers connaissent peut-être mieux et depuis plus longtemps leurs patients et ont instauré une relation de confiance plus propice à une action de prévention et de dépistage. Enfin, la zone d’installation des médecins interrogés semble avoir un effet sur la pratique du dépistage. En effet, les médecins installés dans les banlieues ouest et les zones rurales ont dépisté moins de patients VHC 524 F. SAHAJIAN, E. CAILLAT-VALLET, F. BAILLY, G. EXCLER, C. TREPO, J. FABRY, M. SEPETJAN positifs et prescrivent moins souvent chez leurs patients toxicomanes que ceux installés à Lyon ou dans les banlieues Est, alors que l’on n’observe pas de différence dans le volume global de prescription de sérologies VHC. Ceci peut s’expliquer par la différence de prévalence et d’incidence de l’hépatite C qui découlent de la prévalence de la toxicomanie dans chaque zone. On peut donc supposer que les médecins généralistes adaptent leur pratique du dépistage en fonction de leur zone d’exercice et surtout des caractéristiques de leur clientèle. Pratique comparée de médecins généralistes ayant (groupe 1) ou n’ayant pas (groupe 2 et 3) participé à une étude de dépistage du virus de l’hépatite C (étude ADHEC) Au vu des données recueillies, certaines différences de pratique apparaissent entre ces trois groupes de médecins généralistes. Mais après une analyse croisée des résultats obtenus, ces différences sont attribuables à deux facteurs que nous avons pu identifier. Si l’on peut supposer a priori que les médecins du groupe 1 sont davantage sensibilisés au dépistage du VHC au vue de leur démarche volontaire de participation à l’étude ADHEC, on peut affirmer cependant que leur pratique n’en est pas pour autant très différente de celle de médecins non participants. On note cependant l’existence de deux profils particuliers de médecins généralistes. Concernant le groupe 1, on observe un pourcentage important de médecins appartenant à un réseau de soins type « toxico ou VIH » (15,7 %). Ces médecins ont davantage de patients VHC positifs dans leur clientèle et prescrivent plus fréquemment des sérologies VHC en cas de toxicomanie. Concernant le groupe 3 et surtout le groupe 2, on constate la présence d’un nombre non négligeable de médecins généralistes avec un exercice médical particulier (type allergologie, sexologie, diététique et nutrition...). Ces médecins ont moins de patients VHC positifs dans leur clientèle et en dépistent peu ou pas du tout. Cette différence de répartition des médecins « réseaux » et « exercice particulier » entre les groupes explique les quelques différences de pratique du dépistage, constatées entre les médecins participants et non participants à l’étude ADHEC. Ainsi, lorsqu’on compare nos trois groupes après en avoir soustrait les médecins possédant l’un de ces deux profils, on ne note plus les différences de pratique existantes concernant la prescription de sérologies VHC, en particulier dans les groupes à risques. Conclusion Le taux de participation tout à fait remarquable obtenu auprès des médecins généralistes interrogés sur leur pratique du dépistage du virus de l’hépatite C, semble traduire tout l’intérêt que ces derniers accordent à ce dépistage et leur rôle actif certain. Globalement, il apparaît dans cette enquête que la pratique actuelle des médecins généralistes accorde une place réelle à ce dépistage, effectué particulièrement chez les groupes à risque ou dans un contexte clinique évocateur. Il ne semble pas y avoir de différence notable dans la pratique de ce dépistage entre les médecins qui ont volontairement accepté quelques mois auparavant de participer à l’étude ADHEC de dépistage du VHC (données non encore publiées) et ceux qui n’y ont pas participé. On peut toutefois constater une pres- PRATIQUE DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES EN MATIÈRE DE DÉPISTAGE DU VIRUS DE L’HÉPATITE C DANS LA RÉGION LYONNAISE cription moins importante chez ces derniers, due à un exercice médical particulier plus fréquent, et une prescription moins importante chez les toxicomanes, due à une participation moindre aux réseaux de soins type « VIH ou Toxico ». De plus, si 44 % des médecins n’ont dépisté aucun patient dans leur clientèle, ce n’est pas par négligence, manque de sensibilisation ou 525 désintérêt pour le VHC (la fréquence et le volume de prescription de sérologies VHC le prouvent), c’est plutôt peut-être parce que, excepté au sein des groupes à risque bien identifiés, ils ne savent pas ou plus dans quelle sous-population les chercher. Mais pour le savoir nous devons tous attendre les résultats des études actuelles sur le « tiers manquant » des étiologies de l’hépatite C. BIBLIOGRAPHIE 1. Altman C, Lesiour A, Dunbavand A, et al. 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