Macroéconomie internationale Sophie Brana Magefi 1ère année Chapitre I Les fondements de l’analyse macroéconomique : le modèle keynésien • La crise de 1929 marque une rupture par rapport aux crises précédentes. • par son ampleur d’abord : elle est marquée par un effondrement de la production et des prix et par un chômage massif, sans précédent. • Par sa durée, ensuite. Elle dure une décennie (1929-1939) et est donc caractérisée par l’absence de reprise spontanée. • Cette crise est une véritable infirmation empirique de la théorie classique et de la croyance à l’automaticité des économies de marché à engendrer le plein emploi et à restaurer l’équilibre. • C’est le point de départ de la théorie keynésienne. Section 1. Les fondements de l’analyse keynésienne A. LES QUATRE HYPOTHÈSES DU MODÈLE KEYNÉSIEN 1. Une économie de décisions en avenir incertain • Les agents doivent s’adapter à un environnement changeant et incertain. • Dans ce cadre, certains comportements vont être conditionnés par des facteurs (ou lois) psychologiques. • La préférence pour la liquidité des ménages : elle dépend de l’existence d’une incertitude par rapport au niveau futur des taux d’intérêt. • La propension à consommer et la « loi psychologique fondamentale ». « Les hommes tendent à accroître leur consommation à mesure que leur revenu croît, mais non d’une quantité aussi grande que l’accroissement du revenu ». • L’incitation psychologique à investir : elle dépend de l’efficacité marginale du capital, qui dépend elle-même des prévisions à long terme sur le rendement futur de l’investissement. • Ces facteurs psychologiques sont encadrés par des variables institutionnelles et conventionnelles. • Cette incertitude a des effets déstabilisants sur l’économie. • Quand l’incertitude est forte, le mimétisme (ou comportement grégaire) est un comportement rationnel : les agents utilisent l’information véhiculée par le marché. Se produit un processus d’imitation : chacun copie l’autre. • Le prix reflète alors la psychologie du marché. Les anticipations s’auto-réalisent et le prix s’auto-confirme, même s’il diffère de l’équilibre général. • La conséquence est qu’à chaque opinion du marché, correspond un équilibre différent, ce que l’on appelle aujourd’hui « équilibres multiples ». Il n’existe pas un équilibre stationnaire unique. • On est loin de l’homo economicus des classiques. 2 : Une économie de la demande effective • Dans l’analyse keynésienne, les entrepreneurs fixent le niveau de production qui maximise leur profit compte tenu de leurs prévisions de vente. C’est le principe de la demande effective. Demande globale C+I Production Emploi Chômage • Analyse classique Salaire réel W/P Production Revenus distribués Y = C + S et S(i) = I(i) • Dans l’analyse keynésienne, le volume d’emploi résulte donc : • du montant de la consommation globale attendue • du montant de l’investissement nouveau attendu • A l’origine de la crise, Keynes voit une propension à consommer trop faible de la part des ménages et une préférence pour la liquidité trop élevée. • Quelle peut être la cause d’un investissement insuffisant ? • L’incitation à investir repose sur la comparaison de deux taux stratégiques : l’efficacité marginale du capital (EMC) et le taux d’intérêt. L’EMC est le taux de rendement anticipé (ou escompté) de l’investissement. Elle dépend de tout ce qui peut affecter l’état des prévisions (climat de confiance des entreprises). Pour Keynes, l’investissement est très instable car il dépend des vagues irrationnelles d’optimisme et de pessimisme des entrepreneurs. Perception instable du futur fluctuations brutales de l’EMC d’investissement qui déplacent le volume de production effet multiplicateur, effet amplifié sur la demande baisse du revenu nouvelle baisse de l’EMC, etc. chocs par 3. Une économie de l’intérêt et de la monnaie • Un agent à deux décisions à prendre vis-à-vis du temps. • La première concerne la décision d’épargne. L’agent doit répartir son revenu entre consommation et épargne. Le montant d’épargne dépend de la propension marginale à consommer, et donc répond à un comportement psychologique particulier, relativement stable. • La seconde décision concerne la manière d’effectuer ce transfert de pouvoir d’achat. Elle détermine la forme que va prendre l’épargne et fait intervenir le taux d’intérêt. • L’agent peut conserver son épargne sous forme liquide, c’est-à-dire thésauriser. Il peut détenir son épargne sous forme d’actif financier, c’est-à-dire la placer sous forme de titres. • Pour les classiques, les titres rapportant un intérêt, il est rationnel pour les agents de détenir l’intégralité de leur épargne sous forme de titres (la monnaie ne rapporte rien). • Dans l’esprit de Keynes, la monnaie, en tant que « liquidité par excellence » a un avantage par rapport aux biens et aux titres : c’est sa totale disponibilité. • Opposition forte entre classiques et keynésiens : • Pour les classiques, comme l’épargne est le préalable indispensable à l’investissement, il convient de la favoriser. Le taux d’intérêt rémunère logiquement la renonciation à la consommation. • Pour Keynes, au contraire, l’épargne est collectivement nuisible car elle réduit la demande globale. Il ne faut donc pas la rémunérer. • En revanche, une fois la décision d’épargne prise, l’équilibre du circuit exige que l’épargne soit prioritairement une épargne financière. Dans ce cadre, le taux d’intérêt récompense la renonciation à la liquidité. • En déplaçant le taux d’intérêt de la première décision visà-vis du temps vers la deuxième, Keynes fait du taux d’intérêt un phénomène purement monétaire. 4. Une économie du chômage involontaire • Le chômage dans l’analyse keynésienne n’est pas lié à un dysfonctionnement du marché du travail, mais à une insuffisance de la demande globale • La propension marginale à consommer et le montant de l’investissement nouveau déterminent conjointement le volume de l’emploi. • Celui-ci détermine ensuite de façon unique le salaire réel. • Le chômage involontaire doit être conçu comme un phénomène d’équilibre, dans un cadre de concurrence pure et parfaite. Il n’est pas lié à un problème d’information, ni à une quelconque rigidité des salaires. • Il ne donne naissance à aucun processus d’ajustement vers l’équilibre. B. LES CONSÉQUENCES DE CES HYPOTHÈSES 1. La possibilité d’un équilibre durable de sous emploi • La décision de production des entreprises dépend, pour les keynésiens, de leurs anticipations de débouchés pour la période à venir. • Le cadre keynésien correspond à un objectif d’analyse de court terme : prix et salaires sont supposés rigides. L’aspect offre de l’économie est ignoré. • L’équilibre sur le marché des biens et services s’obtient par variation de la production, qui s’ajuste passivement à la demande agrégée. • Le revenu YE pour lequel il y a équilibre entre l’offre et la demande sur le marché des produits ne correspond pas nécessairement à un niveau de production qui permet le plein emploi des facteurs de production, et notamment du facteur travail (YPE). • Si le revenu d’équilibre est inférieur au revenu de plein emploi (YE < YPE), l’économie se trouvera en « situation d’équilibre de sous-emploi » • Dans le cas où YE serait supérieur à YPE, il se produira des tensions inflationnistes. • Pour les classiques, il ne peut y avoir qu’un équilibre de plein emploi et un seul type de chômage : le chômage volontaire. • Pour Keynes, il existe autant d’équilibres à court terme qu’il existe de niveaux possibles de la demande effective. • L’incertitude est l’obstacle essentiel, en économie monétaire, à la réalisation du plein emploi. • Dans un monde caractérisé par l’incertitude, les taux d’intérêts sont poussés à la hausse. Au total, il y a une tendance chronique de la propension à épargner à excéder le taux d’investissement, ce qui se traduit par une baisse des revenus et par un sous-emploi à l’équilibre. 2. Le rôle de la politique économique • La politique éco permet d’augmenter la demande globale et de diminuer l’incertitude des anticipations. • Différentes fonctions permettent de modéliser les composantes de la demande globale. • La fonction de consommation : • C = c Y + C0 • avec Y : le RDB (revenu disponible brut) • c, la propension marginale à consommer (rapport ΔC/ΔY de la variation de consommation ΔC à la variation de revenu ΔY), dont la valeur est comprise entre 0 et 1. • La fonction d’investissement : I = - j i + I0 • La fonction d’exportation : X = x (e) + X0 • La demande extérieure dépend du revenu étranger, déterminé hors modèle et non pris en compte ici, des prix et du taux de change (e), X0 étant la composante exogène des exportations. • Les importations : H = h (e) Y + H0 • avec h, la propension marginale à importer (ΔH/ΔY, définie de manière similaire à la propension marginale à consommer) et H0, la composante exogène des importations. • Enfin, les dépenses publiques sont supposées exogènes, car du seul ressort des pouvoirs publics : G = G0 • L’équilibre économique peut alors s’écrire : Y = c Y + C0 + G0 – j i + I0 + x (e) + X0 – h (e) Y – H0 • Si le niveau de production (Y) se révèle insuffisant pour assurer le plein emploi, les pouvoirs publics peuvent utiliser différents instruments de la politique économique pour relancer la demande. • Politique budgétaire : effet direct sur G, indirect sur C et I. • Politique monétaire : effet sur I via i • Politique de change : effet sur le solde extérieur via e. 3. Les effets multiplicateurs • Le principe du multiplicateur est un des concepts essentiels de la théorie générale mais également de la macroéconomie contemporaine. • Il permet de présenter sous forme dynamique l’impact de la dépense sur le processus économique. • Keynes étudie comment une augmentation de l’investissement (public ou privé) entraîne un accroissement plus important de la production et de l’emploi. • Le multiplicateur est le coefficient qui compare l’ampleur de la modification subie (la variation du revenu national) à l’ampleur de la perturbation initiale (la variation de l’investissement). • Dans un premier temps, une variation donnée de la demande entraîne un accroissement équivalent du revenu, car la production répond à l’augmentation de la demande. • Le mécanisme ne s’arrête pourtant pas là : l’augmentation de la production contribue à la distribution de revenus supplémentaires, d’un montant identique. • Ces nouveaux revenus influencent d’autres composantes de la demande globale : la consommation (à travers la propension marginale à consommer), l’investissement (effet d’accélérateur), les importations (via la propension marginale à importer). • L’augmentation induite de la demande provoque à son tour une nouvelle hausse de la production, une nouvelle distribution de revenus, et ainsi de suite. • Parce que la totalité des revenus créés n’est pas intégralement dépensée, les vagues successives de dépenses et de revenus sont décroissantes, et le processus de multiplication n’est pas infini. • À terme, l’augmentation initiale de la demande globale d’une unité aura provoqué une augmentation du revenu bien supérieure à l’impulsion initiale. L’ampleur de la hausse du revenu est égale à la valeur du multiplicateur. • Soit une économie fermée dont la demande globale est composée des dépenses de consommation des ménages (C), des dépenses publiques exogènes (G0) et des dépenses d’investissements (I0), également supposées exogènes. • L’équilibre du marché des biens est égal à : • Y=C+I+G • Y = c Y + C0 + I0 + G0 • • avec A = C0 + I0 + G0, la demande autonome et , valeur du multiplicateur. la • Remarques • L’effet multiplicateur suppose que l’économie se trouve en situation de sous-emplois généralisé • La propension à consommer (c) étant, sauf exception à très court terme, strictement inférieure à un, le multiplicateur est ici strictement supérieur à un. • L'effet multiplicateur mis en évidence ici est identique qu'elle que soit la composante de la demande autonome qui varie. • Notons que (1 – c) représente la propension marginale à épargner (s = ΔS/ΔY) des ménages. Plus celle-ci est élevée, plus l’effet multiplicateur d’une augmentation initiale de la demande sera faible. • Taille des multiplicateurs budgétaires et degré d’ouverture de l’économie Section 2. Le modèle IS-LM en économie fermée • Travaux de : • John Hicks (1937) Mr. Keynes and the ‘Classics’: A Suggested Interpretation • Alvin Hansen (1938), Full recovery or stagnation. (1941) Fiscal Policy and Business Cycles • Modèle statique à prix fixes, où les sphères réelles et financières sont intégrées par un système d’équations simultanées. • Ecole de la synthèse : le modèle part de l’idée que l’on peut retrouver les résultats keynésien ou classique à partir d’hypothèses particulières introduites dans le cadre d’analyse de l’équilibre général. 1. Le modèle IS-LM a) L’équilibre sur le marché des biens et services Y=C+I+G Y = cY + C0 + I0 – j i + G0 Y (1 – c) = – j i + C0 + I0 + G0 Courbe IS : C0 I 0 G0 j Y i 1 c 1 c • Représente l’ensemble des combinaisons (Y, i) qui assurent l’équilibre sur le marché des biens et services. b) L’équilibre sur le marché de la monnaie • La demande de monnaie dépend de trois motifs : de transaction (on a besoin de monnaie pour effectuer ses achats), de précaution (faire face aux dépenses imprévues) et de spéculation (qui dépend du taux d’intérêt). • Md = L1(Y) – L2(i) • L1 regroupe les motifs de transaction/précaution qui sont une fonction croissante du revenu Y ; • L2 représente l’encaisse de spéculation qui dépend négativement du niveau du taux d’intérêt i. Demande de monnaie : Md = l1 Y – l2 i Offre de monnaie : Ms = M0 D’où l’équilibre offre/demande : M0 = l1 Y – l2 i La courbe LM: M0 l2 Y i l1 l1 Représente l’ensemble des combinaisons (Y, i) qui assurent l’équilibre sur le marché de la monnaie. c) L’équilibre IS - LM IS : j C0 I 0 G0 Y i 1 c 1 c LM : M0 l2 Y i l1 l1 On réécrit LM en fonction de i : M0 l1 i Y l2 l2 On remplace i dans l’équation de IS. On obtient le revenu d’équilibre : j l2 Y M0 (C0 I 0 G0 ) (1 c)l2 jl1 (1 c)l2 jl1 2. L’efficacité comparée des politiques économiques • L’efficacité des politiques économiques va dépendre des pentes des courbes IS et LM, notamment de : • j : sensibilité de l’investissement au taux d’intérêt • l2 : préférence pour la liquidité. • a) Le multiplicateur de dépenses publiques 1 l2 kG (1 c)l2 jl1 (1 c) j l1 l2 D+ Demande globale D+ Y l1 D+ L1 D M0=0 l2 j D- I D+ i D- L2 • b) Le multiplicateur monétaire • Le revenu d’équilibre : j l2 Y M0 (C0 I 0 G0 ) (1 c)l2 jl1 (1 c)l2 jl1 • Le multiplicateur monétaire 1 kM l2 (1 c) l1 j D+ M0 l2 j D- i D+ I D+ Y • c) Le policy mix • L’efficacité de la politique budgétaire sera maximale si elle associe une création monétaire qui permet d’accompagner la croissance de l’activité économique • Elle empêche la hausse du taux d’intérêt et donc l’effet d’éviction. i LM1 LM2 B A C IS2 IS1 Y1 Y2 Y