Introduction
Depuis ces trois dernières années, chaque été apporte un nouvel article sur l’effet
délétère du traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause quant au
risque de cancer du sein. Après les travaux de C. Schairer et l’étude WHI, c’est la
publication de l’étude « Million women study » qui enfonce le clou.
Données épidémiologiques antérieures
De nombreuses méta-analyses ont été publiées sur la relation entre le THS et le
risque de cancer du sein (tableau 1).
Tableau 1 - THS et cancer du sein. Méta-analyses.
Auteurs Articles Risque relatif Intervalle de confiance
Armstrong (1) 12 0,96 0,89 -1,05
Dupont 91 (2) 31 1,07 1-1,12
Steinberg (3) 34 1,3 1,2 -1,6
Grady (4) 30 1,01 0,97 -1,05
Sillero (5) 27 1,06 1 -1,12
Colditz (6) 31 1,02 0,93 -1,12
Collaborative (7) 51 1,14 +/- 0,031
Ces méta-analyses, jusqu’à présent, n’avaient pas mis en corrélation évidente,
pour la majorité d’entre elles, le risque de cancer du sein et le THS. Pour un certain
nombre cependant, on notait une élévation du risque, mais extrêmement faible.
Traitement hormonal substitutif
et cancer du sein
M. Espié
C’est la méta-analyse du « Collaborative group de 1997 » qui a cependant été la
plus exhaustive. Cette méta-analyse a repris 51 études effectuées dans 21 pays
regroupant 52 705 femmes atteintes comparées à 108 411 témoins.
Les femmes en pré- ou péri-ménopause ont été exclues de cette étude qui a donc
comparé 17 949 cas à 35 916 témoins. Elle a retrouvé une légère augmentation signi-
ficative du risque de diagnostiquer un cancer du sein sous THS avec un risque relatif
(RR) (1) à 1,14 (7). Ce risque variait avec la durée d’utilisation, mais restait faible
avec un RR à 1,31 pour cinq à neuf ans de traitement qui passait à 1,24 pour dix à
quatorze ans de traitement et qui s’élevait à un peu plus de 1,5 pour quinze ans de
traitement. Cette méta-analyse avait montré que l’élévation du risque disparaissait
à l’arrêt du THS. Les cancers diagnostiqués sous THS l’ont été à un stade plus pré-
coce avec moins d’envahissement ganglionnaire. Les auteurs concluaient donc qu’en
cas de THS, on noterait deux cancers du sein en plus pour cinq ans de prise (0,2 %),
six pour dix ans (0,6 %) et douze pour quinze ans (1,2 %).
D’autres études randomisées avaient été publiées avant l’étude WHI, mais s’in-
téressaient à des catégories particulières de femmes.
Étude HERS (Heart and Estrogen/Progestin replacement study Research Group) (8).
Cette étude a regroupé 2 763 femmes ménopausées avec une maladie corona-
rienne et a randomisé des estrogènes conjugués équins à la dose de 0,625 mg en
association avec de l’acétate de médroxyprogestérone à la dose de 2,5 mg versus pla-
cebo. Cette étude a mis en évidence un RR de cancer du sein de 1,30 non significatif
cependant puisque l’IC (intervalle de confiance) est de 0,77 à 2,19. Cette étude a été
actualisée avec un recul plus important à 6,8 ans de suivi. Concernant le cancer du
sein, on retrouvait un risque légèrement augmenté non statistiquement significatif
à 1,27 (IC : 0,84-1,94). Concernant les autres cancers, on notait un risque légère-
ment diminué de cancer du côlon, là encore non statistiquement significatif [0,81
(IC : 0,46-1,45)], pas d’élévation significative du cancer du poumon [RR : 1,39 (IC :
0,84-2,28)] ni du cancer de l’endomètre [risque relatif 0,25 (IC : 0,05-1,18)] et si
l’on regroupe l’ensemble des cancers, pas d’élévation statistiquement significative
[risque relatif = 1,19 (IC : 0,95-1,50)] (9).
Étude PEPI
L’étude PEPI est une étude randomisée en double aveugle où 875 femmes ont
été randomisées entre placebo, estrogène conjugué équin 0,625 mg, ou estrogène
conjugué équin et acétate de médroxyprogestérone, ou estrogène conjugué équin et
progestérone micronisée. Il n’y a pas eu de différence mise en évidence quant au
risque de survenue du cancer du sein (p = 0,29) (10).
Étude WEST
L’étude West est une étude randomisée comparant les estrogènes seuls
(1 mg de 17-ß estradiol) versus placebo chez 664 patientes ayant eu un accident
vasculaire cérébral. Le suivi était court (2,8 ans), on ne notait pas d’élévation du
risque de cancer du sein sous estrogène [RR : 1 (IC : 0,30-3,50)]. Il faut noter l’ob-
servation de deux cancers de l’endomètre contre aucun sous placebo (11).
2 Cancer du sein
Étude Nachtigall
L’étude Nachtigall est une étude randomisée en double aveugle chez des femmes
en maison de repos, qui n’a cependant porté que sur 176 femmes. Elle a comparé
l’administration d’un placebo à une association séquentielle d’estrogène conjugué
équin et d’acétate de medroxyprogestérone. À dix ans de suivi, aucun cancer du sein
n’est apparu sous THS, 4 sous placebo, et, à vingt-deux ans de suivi, toujours aucun
cancer du sein n’a été noté sous THS contre 11,5 % sous placebo (p < 0,01) (12).
De ces premiers essais randomisés, aucun n’a donc montré une élévation
statistiquement significative du risque de cancer du sein, mais ils concernaient des
populations particulières, souvent des femmes présentant une maladie cardio-vas-
culaire. Ces essais avaient souvent un recul insuffisant et étaient numériquement
pas assez importants pour montrer une différence statistiquement significative.
Étude WHI
Cette étude a donc randomisé 16 608 femmes ménopausées âgées de 50 à 79 ans
(moyenne 63 ans) entre un placebo et une association d’estrogène conjugué à
0,625 mg et d’acétate de médroxyprogestérone à 2,5 mg. Le suivi minimum a été de
3,5 ans, maximum de 8,6 ans avec un moyenne de 5,6 ans (13, 14).
Il faut noter que les patientes traitées l’ont été avec un délai depuis la ménopause
d’environ quinze ans et que 26 % avaient déjà eu un THS antérieurement. 47 % des
femmes sous ECE + AMP ont arrêté le traitement en cours d’étude et 38 % sous
placebo.
Il a donc été observé un hasard ratio (HR) (3) à 1,24 (p < 0,001). En valeur
absolue, cela signifie qu’il y a eu 245 cas de cancer du sein sous THS contre 185 cas
sous placebo parmi les 16 608 femmes de l’étude. Les auteurs ont donc extrapolé
que cela allait amener à diagnostiquer 8 cas de cancer du sein supplémentaires pour
10 000 femmes traitées.
Il s’agissait d’un essai randomisé, et il y a donc eu le même taux de surveillance
par mammographie dans les deux groupes. Il faut cependant noter qu’environ 40 %
des patientes traitées ont eu des saignements, ce qui a bien sûr levé le caractère de
double aveugle de l’étude. Il n’est pas précisé si ces patientes ont eu, de ce fait, une
surveillance gynécologique ou radiologique plus importante. Ceci induit cependant
une possibilité de biais.
Il n’a pas été observé d’excès de cancer du sein in situ, ce qui signifie probable-
ment que ce traitement hormonal n’a pas accéléré la croissance d’états précancéreux
et n’a donc probablement pas d’effet initiateur dans la carcinogenèse.
Il n’a pas été observé de risque accru de cancer du sein en cas d’antécédent
familial de cancer du sein et il n’a pas été observé de différence de mortalité par
cancer du sein entre les deux groupes. Le risque majoré de cancer du sein n’a donc
finalement été observé que chez les patientes qui avaient pris antérieurement un
THS, puisque en l’absence d’utilisation antérieure, le HR était à 1,06 (IC : 0,81-1,38)
pour trois à sept ans d’utilisation dans l’étude. En cas de prise antérieure inférieure
à cinq ans, on observait un HR de 2,13 (IC : 1,15-3,14) pour une durée d’utilisation
comprise donc entre quatre et onze ans de THS. Pour les patientes qui avaient pris
Traitement hormonal substitutif et cancer du sein 3
antérieurement le traitement entre cinq et dix ans, le HR était de 4,61 (1,01-21,02)
pour une durée d’utilisation totale d’environ huit à seize ans. Pour les patientes qui
avaient antérieurement pris le traitement hormonal pour une durée supérieure à
dix ans, le HR était à 1,8 (0,60-5,43) et n’était donc plus statistiquement significatif
pour une durée d’utilisation comprise entre treize à dix-sept ans. Il faut noter
cependant que le nombre de patientes concernées était faible dans chacun de ces
sous-groupes. Il était mis en avant par les auteurs un effet durée du THS lors de la
publication de 2002 (tableau 2) qui n’a pas été confirmé lors de la publication spé-
cifique de 2003 sur le cancer du sein (p = 0,15). Dans cette deuxième analyse, les
auteurs ont retrouvé un HR à 1,09 en l’absence de traitement antérieur, de 1,7 pour
une utilisation de moins de cinq ans et de 2,27 pour plus de cinq ans d’utilisation
antérieure. Ils n’ont malheureusement pas détaillé ce groupe de plus de cinq ans de
traitement.
Tableau 2 - WHI cancer du sein et durée du THS.
ECE + MPA Placebo Ratio
Un an 11 17 0,62
Deux ans 26 30 0,83
Trois ans 28 23 1,16
Quatre ans 40 22 1,73
Cinq ans 34 12 2,64
Six ans et plus 27 20 1,12
En effet, dans la première publication, on notait que s’il commençait à exister
une élévation notable du nombre de cancers du sein pour quatre à cinq ans de prise,
le risque commençait à diminuer pour six ans et plus, ce qui pouvait traduire l’effet
de promotion sur des cancers du sein infra-cliniques préexistants, l’effet s’épuisant
au bout d’un certain temps de traitement.
Il a été mis en avant une taille plus importante des cancers survenus sous THS.
En fait, d’un point de vue cancérologique, cette moyenne de taille n’a pas grand
sens. La taille moyenne a donc été de 1,7 cm sous THS contre 1,5 cm sous placebo
(p = 0,04). Cette différence n’a pas de valeur pronostique, il n’est pas précisé com-
ment les cancers ont été mesurés (taille clinique ? radiologique ? anatomo-patholo-
gique ?) ; une relecture centrale des lames a-t-elle été effectuée ?
En fait, si l’on reprend la taille réelle observée des tumeurs, il n’y a pas de diffé-
rence statistiquement significative entre les deux groupes (tableau 3).
4 Cancer du sein
Tableau 3 - Caractéristiques des cancers du sein observés (taille).
Taille ECE + AMP Placebo P
Pas de T 0 1
Micro-inf. 8 (4,3) 9 (6,4)
< 0,5 18 (9,7 %) 17 (12,1 %)
> 0,5 – 1 45 (24,2 %) 36 (25,5 %) 0,5
> 1-2 73 (39,2 %) 56 (39,7 %)
2-5 37 (19,9 %) 21 (14,9 %)
> 5 5 (2,7 %) 1 (0,7 %)
On peut s’étonner par ailleurs que dans une étude où un examen clinique et une
mammographie étaient pratiqués tous les ans, on ait retrouvé des cancers de plus
de 5 cm…
Il a été retrouvé 45 cas où la tumeur s’accompagnait d’un envahissement
ganglionnaire contre 21 sous placebo. Dans plus de 12 % des cas, le statut ganglion-
naire n’est pas précisé. C’est la seule étude à ce jour qui montre des tumeurs
s’accompagnant d’un plus grand pourcentage de ganglions atteints, y compris dans
la méta-analyse de 1997 qui regroupait 51 études, où les cancers diagnostiqués sous
THS l’étaient à un stade plus précoce.
Il est, en revanche, inexact de dire qu’il y a eu plus de cancers métastasés observés
sous THS, comme on pourrait le supposer à une lecture rapide du résumé de cette
étude. En fait, il y a eu 1 % de survenue de métastases sous THS versus 2 % sous
placebo (tableau 4).
Tableau 4 - Caractéristiques des cancers observés, d’après Chlebowski (14).
Stade ECE + AMP Placebo P
Localisé 76,6 % (144) 82,7 % (124)
Régional 24,4 % (47) 14 % (21) 0,048
Métastasé 1 % (2) 2 % (3)
Inconnu 3 % (6) 1,3 (2) 0,47
R + M 25,4 % (49) 16 % (24) 0,04
Aucune différence n’a été mise en évidence concernant le grade, le statut par
rapport aux récepteurs hormonaux entre les deux bras de l’étude. Il faut noter, là
encore, le fort pourcentage de données manquantes et la contradiction avec toutes
les données antérieures de la littérature qui retrouvaient davantage de tumeurs de
grade I, RE +, davantage de tumeurs moins volumineuses avec moins de cellules en
mitose, moins d’envahissement ganglionnaire et moins aneuploïdes (1, 15, 16).
Dans cette étude, il était pratiqué une mammographie de référence, puis une
mammographie annuelle dans les deux bras, mais, dans 40 % des cas, il y a eu une
levée du double aveugle, les femmes étant réglées sous ECE + AMP. On ne sait pas
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