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La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - n
os
7-8 - septembre-octobre 2001
ÉDITORIAL
UN CONCEPT EN QUÊTE DE DÉFINITION
Iatrogénie est un mot qu’il n’aurait sans doute pas déplu à
Molière de moquer, autant que les iatrogénologues et autres
iatrogénologistes. Sans doute aurait-il été amusé aussi par la
“novlangue” médicale, ses “gestionnaires” du risque et ses
“dysfonctionnements”.
Façon savante de nommer les événements indésirables qui peu-
vent arriver aux usagers de la médecine, la iatrogénie occupe
une place de plus en plus importante dans le débat public. Hors
milieu médical, on en parle un peu comme Monsieur Jourdain
faisait de la prose, les médias lui réservant des articles souvent
dépourvus de nuances et parfois peu amènes. Quant aux pro-
fessionnels de santé, s’ils connaissent le terme, ils ne l’enten-
dent pas tous de la même façon. Les définitions pleuvent, com-
pliquées, ou si partielles qu’elles en appellent perpétuellement
une nouvelle. L’étymologie du mot – au demeurant incorrecte –
qui en ferait supporter la cause au médecin (iatros, médecin et
genon,qui engendre) n’est, il est vrai, pas plus convaincante que
la définition du petit Larousse qui voit dans ce terme “une mala-
die provoquée par le médicament”. Ni le médecin, ni le médi-
cament ne peuvent évidemment revendiquer l’exclusivité de la
iatrogénie. L’événement iatrogène est la conséquence d’un acte
de soin médical, qu’il soit de diagnostic, de dépistage ou de thé-
rapeutique (curative ou préventive) et peut être dû aussi bien à
l’utilisation de produits de santé qu’à des pratiques profession-
nelles inadéquates, à des défauts d’organisation des soins, à un
environnement défavorable, à une mauvaise observance des usa-
gers et, souvent, à la combinaison de plusieurs de ces causes.
UN SUJET D’INQUIÉTUDE
Éviter la iatrogénie a toujours été l’une des préoccupations pre-
mières des praticiens et l’un des principes fondamentaux de la
médecine depuis l’Antiquité. Mais, à présent, le sujet est devenu
plus sensible. Il inquiète à divers titres à la fois les usagers, les
autorités de santé publique, les professionnels et tout particu-
lièrement les médecins cliniciens, qui se voient couramment
cités au banc des accusés (en particulier les anesthésistes, obs-
tétriciens et chirurgiens), sans parler des assureurs et des direc-
teurs des établissements de santé, les uns brandissant devant
les autres les courbes d’évolution du coût des sinistres, les der-
niers s’arrachant les cheveux en regardant monter les primes.
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
Les catastrophes sanitaires de ces dix dernières années ont indis-
cutablement joué un rôle dans la prise de conscience collective des
risques sériels liés à l’acte médical. Traumatisés par les drames suc-
cessifs que chacun garde en mémoire, obsédés, selon le terme d’Ivan
Illich, par la “santé parfaite”[1] et bercés par l’illusion du “droit à la
santé”, les usagers exigent à présent de façon compréhensible, bien
que parfois irréaliste, une sécurité des soins médicaux, tout comme
ils exigent la sécurité dans leur assiette, leur environnement, etc.
Des données épidémiologiques, encore parcellaires, ont par
ailleurs contribué à faire reconnaître la iatrogénie en France et
dans d’autres pays développés comme un problème majeur de
santé publique en raison de sa fréquence, de sa gravité, de sa
partielle évitabilité et de son coût.
Assez paradoxalement, compte tenu des progrès de la médecine
et de l’organisation des soins, les choses ne devraient pas s’ar-
ranger, car la population vieillit, le nombre de sujets fragiles
grandit et davantage de personnes recourent aux soins (mise en
place de la CMU, campagnes de dépistage, etc.). De plus, le
développement et la généralisation très rapides des nouveautés
médicales, dont le risque est par définition mal connu, exposent
à présent très vite des milliers, voire des millions de gens, à un
facteur de risque, ce qui, selon les termes de Lucien Abenhaïm,
ne nous met pas à l’abri de nouvelles catastrophes sanitaires.
COMMENT RÉAGIR ?
Pour répondre à cet enjeu de société, la France s’est déjà dotée
d’un solide dispositif de sécurité des produits de santé au sein
duquel les vigilances réglementaires, suivant l’exemple tracé
depuis longtemps par la pharmacovigilance, assurent une fonc-
tion irremplaçable et très réactive d’alerte. Les infections noso-
comiales, en majeure partie iatrogènes, font aussi l’objet d’une
surveillance active et efficace par le CLIN. Le manque le plus
criant de notre dispositif de sécurité concerne à présent la ges-
tion du risque lié à l’activité médicale qui, d’après la Société
hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), génère pourtant
La iatrogénie : du précepte de prudence hippocratique
à la “gestion” du risque médical
!
J. Massol*
* Professeur de thérapeutique à la faculté de médecine de Besançon, chargé de
mission à la DGS.
[1] Ivan Illich. L'Obsession de la parfaite santé, Le Monde diplomatique,
28 mars 1999.