É D I T O R I A L La iatrogénie : du précepte de prudence hippocratique à la “gestion” du risque médical ! J. Massol* UN CONCEPT EN QUÊTE DE DÉFINITION Iatrogénie est un mot qu’il n’aurait sans doute pas déplu à Molière de moquer, autant que les iatrogénologues et autres iatrogénologistes. Sans doute aurait-il été amusé aussi par la “novlangue” médicale, ses “gestionnaires” du risque et ses “dysfonctionnements”. Façon savante de nommer les événements indésirables qui peuvent arriver aux usagers de la médecine, la iatrogénie occupe une place de plus en plus importante dans le débat public. Hors milieu médical, on en parle un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, les médias lui réservant des articles souvent dépourvus de nuances et parfois peu amènes. Quant aux professionnels de santé, s’ils connaissent le terme, ils ne l’entendent pas tous de la même façon. Les définitions pleuvent, compliquées, ou si partielles qu’elles en appellent perpétuellement une nouvelle. L’étymologie du mot – au demeurant incorrecte – qui en ferait supporter la cause au médecin (iatros, médecin et genon, qui engendre) n’est, il est vrai, pas plus convaincante que la définition du petit Larousse qui voit dans ce terme “une maladie provoquée par le médicament”. Ni le médecin, ni le médicament ne peuvent évidemment revendiquer l’exclusivité de la iatrogénie. L’événement iatrogène est la conséquence d’un acte de soin médical, qu’il soit de diagnostic, de dépistage ou de thérapeutique (curative ou préventive) et peut être dû aussi bien à l’utilisation de produits de santé qu’à des pratiques professionnelles inadéquates, à des défauts d’organisation des soins, à un environnement défavorable, à une mauvaise observance des usagers et, souvent, à la combinaison de plusieurs de ces causes. UN SUJET D’INQUIÉTUDE Éviter la iatrogénie a toujours été l’une des préoccupations premières des praticiens et l’un des principes fondamentaux de la médecine depuis l’Antiquité. Mais, à présent, le sujet est devenu plus sensible. Il inquiète à divers titres à la fois les usagers, les autorités de santé publique, les professionnels et tout particulièrement les médecins cliniciens, qui se voient couramment cités au banc des accusés (en particulier les anesthésistes, obs* Professeur de thérapeutique à la faculté de médecine de Besançon, chargé de mission à la DGS. [1] Ivan Illich. L'Obsession de la parfaite santé, Le Monde diplomatique, 28 mars 1999. 130 tétriciens et chirurgiens), sans parler des assureurs et des directeurs des établissements de santé, les uns brandissant devant les autres les courbes d’évolution du coût des sinistres, les derniers s’arrachant les cheveux en regardant monter les primes. COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ? Les catastrophes sanitaires de ces dix dernières années ont indiscutablement joué un rôle dans la prise de conscience collective des risques sériels liés à l’acte médical. Traumatisés par les drames successifs que chacun garde en mémoire, obsédés, selon le terme d’Ivan Illich, par la “santé parfaite”[1] et bercés par l’illusion du “droit à la santé”, les usagers exigent à présent de façon compréhensible, bien que parfois irréaliste, une sécurité des soins médicaux, tout comme ils exigent la sécurité dans leur assiette, leur environnement, etc. Des données épidémiologiques, encore parcellaires, ont par ailleurs contribué à faire reconnaître la iatrogénie en France et dans d’autres pays développés comme un problème majeur de santé publique en raison de sa fréquence, de sa gravité, de sa partielle évitabilité et de son coût. Assez paradoxalement, compte tenu des progrès de la médecine et de l’organisation des soins, les choses ne devraient pas s’arranger, car la population vieillit, le nombre de sujets fragiles grandit et davantage de personnes recourent aux soins (mise en place de la CMU, campagnes de dépistage, etc.). De plus, le développement et la généralisation très rapides des nouveautés médicales, dont le risque est par définition mal connu, exposent à présent très vite des milliers, voire des millions de gens, à un facteur de risque, ce qui, selon les termes de Lucien Abenhaïm, ne nous met pas à l’abri de nouvelles catastrophes sanitaires. COMMENT RÉAGIR ? Pour répondre à cet enjeu de société, la France s’est déjà dotée d’un solide dispositif de sécurité des produits de santé au sein duquel les vigilances réglementaires, suivant l’exemple tracé depuis longtemps par la pharmacovigilance, assurent une fonction irremplaçable et très réactive d’alerte. Les infections nosocomiales, en majeure partie iatrogènes, font aussi l’objet d’une surveillance active et efficace par le CLIN. Le manque le plus criant de notre dispositif de sécurité concerne à présent la gestion du risque lié à l’activité médicale qui, d’après la Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), génère pourtant La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - nos 7-8 - septembre-octobre 2001 É D I T O R I A L POUR UNE FORMATION À LA GESTION DU RISQUE IATROGÈNE plus de 60 % des sinistres en milieu hospitalier. Sur ce point, où sécurité sanitaire rejoint amélioration de la qualité des soins, il est probablement moins nécessaire de mettre en place un nouveau système réactif réglementé qu’une démarche volontaire de type “retour d’expérience”, à organiser avec les cliniciens et leurs équipes, au plus près du terrain. La gestion du risque ne fait pas partie de la culture et de la formation médicales. L’enseignement initial se limite encore la plupart du temps dans nos facultés aux principes de prudence et de précaution qui doivent accompagner toute décision médicale en prenant en compte les bénéfices et les risques de l’acte envisagé. Les méthodes de recueil, d’analyse et de prévention des événements iatrogènes et le sens de l’erreur utile restent méconnus de nos étudiants et des professionnels de santé. De même, l’intérêt de la notification au profit du plus grand nombre semble encore insuffisamment ancré dans les mœurs médicales. Or, aucune action, aucun dispositif, aucune réglementation ne sauraient se montrer efficaces sans changement des comportements. QUEL RÔLE POUR LES PHARMACOLOGUES ? Professionnels des médicaments, les pharmacologues ont un rôle indiscutable à jouer pour améliorer la sécurité de ceux-ci. Renforcer la pharmacovigilance du fait du nombre et de la rapidité de diffusion de nouveaux produits, améliorer leur évaluation autant avant qu’après leur mise sur le marché, sont les actions utiles qui viennent en premier à l’esprit et entrent dans leur champ habituel de compétence. Mais les pharmacologues ont probablement aussi, en tant qu’experts de l’analyse des effets indésirables des médicaments, un nouveau rôle à partager au sein des démarches de gestion des risques liés à l’activité clinique déjà décrites. Loin des luttes de pouvoir qui s’éloignent trop souvent de l’intérêt des malades, on voit là se dessiner un nouvel enjeu enthousiasmant et une occasion donnée à tous les partenaires de la “gestion” du risque médical de décloisonner leur exercice au profit du patient. Sur proposition de la Direction générale de la santé, la réforme de l’enseignement des études médicales a opportunément inscrit le thème de la iatrogénie au programme du deuxième cycle sous forme d’un séminaire obligatoire. Souhaitons que les enseignants de pharmacologie et de thérapeutique y prennent une part active et, montrant l’exemple du décloisonnement et de la complémentarité, aident nos futurs collègues à devenir non seulement des praticiens compétents, habiles, prudents, consciencieux et ouverts, mais aussi de véritables “gestionnaires” du risque médical. " % À découper ou à photocopier Tarif 2001 Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules $ Collectivité ................................................................................. à l’attention de .............................................................................. # 580 F collectivités (88,42 €) $ Particulier ou étudiant Dr, M., Mme, Mlle ........................................................................... Prénom .......................................................................................... Pratique : $ hospitalière FRANCE / DOM-TOM / Europe $ libérale ÉTRANGER (autre qu’Europe) # 700 F collectivités (127 $) (105 $) # 460 F particuliers (70,12 €) # 580 F particuliers # 290 F étudiants (44,21 €) # 410 F étudiants (75 $) joindre la photocopie de la carte $ autre.......................... 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