A la recherche du self : théorie et pratique de la mémoire

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L’Encéphale (2008) 34 Supplément 2, S77–S88
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
2ème SESSION
A la recherche du self : théorie et pratique de
la mémoire autobiographique dans la maladie
d’Alzheimer
P. Piolino
CNRS FRE 2987, Laboratoire de Psychologie et Neurosciences Cognitives, groupe de recherche Mémoire et Apprentissage,
Université Paris Descartes,
Inserm-EPHE-Université de Caen-Basse Normandie, Unité E0218, Laboratoire de Neuropsychologie, CHU Côte de Nacre,
Caen, France.
Philosophes et psychologues ont longtemps débattu la nature de la conscience de soi (self) et souligné sa relation
avec la mémoire. Parmi eux, William James fut l’un des
premiers à définir la conscience de soi par ses liens avec la
mémoire autobiographique : aussi loin que cette conscience peut remonter vers le passé, aussi loin s’étend l’identité
personnelle. C’est le souvenir des expériences vécues, enveloppé de « chaleur » et d’ « intimité », qui fonde l’identité du sujet. Depuis une vingtaine d’années plusieurs modèles théoriques en psychologie cognitive se sont intéressés
à définir les liens entre Self et mémoire autobiographique.
Plus récemment, les études en neuropsychologie se sont
penchées sur les troubles du self et de la mémoire autobiographique dans diverses étiologies et lésions cérébrales,
tant sur le plan de la séméiologie que sur celui des substrats neuronaux [31]. La maladie d’Alzheimer, qui est la
plus fréquente des démences, pose de manière exemplaire
la question du lien entre l’atteinte du self et de la mémoire autobiographique. L’objet de cette présentation est
d’évoquer dans un premier temps des notions théoriques et
pratiques sur la mémoire autobiographique, un des aspects
essentiel du self, puis dans un second temps de présenter
les résultats des recherches en neuropsychologie sur la mémoire autobiographique dans le vieillissement normal et la
maladie d’Alzheimer.
Adresse e-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêts
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
Définition et modèles structuro-fonctionnels
de la mémoire autobiographique
La mémoire autobiographique est souvent considérée
comme la mémoire du self. Elle nous permet de répondre
à la vaste question, « qui suis-je » ? Toutefois, le self présente un aspect multidimensionnel qui dépasse les aspects
purement mnésiques. Beaucoup de types de processus
sont englobés dans le terme « self ». De fait, suivant les
auteurs, les définitions en sont très diverses [12]. Certaines
conceptions du self soulignent les diverses connaissances
que le sujet a de lui-même sur différents aspects de son
identité (physique, social, comportemental, ou émotionnel…), d’autres la notion de conscience phénoménologique
de soi ou de métacognition. Certains chercheurs comme
Northoff et Bermpohl [24] utilisent le terme self pour désigner un ensemble de processus cognitifs de référence à
soi mis en jeu dans diverses activités cérébrales comme la
conscience, la perception ou encore la mémoire autobiographique. Ces processus, de façon globale, sous-tendraient
l’implication commune d’un réseau cérébral médian impliquant à la fois le cortex préfrontal, le cortex cingulaire
et le précunéus. Ainsi, la mémoire autobiographique n’est
qu’un des aspects du self, quoique son aspect essentiel
d’après Conway et Pleydell-Pearce [8]. Qu’est-ce que la
S78
mémoire autobiographique ? Nous en avons tous une idée.
Souvent, dans les esprits, la mémoire autobiographique,
c’est la « mémoire » par excellence. Celle qui nous permet
de conserver du passé des images chargées d’émotion, des
souvenirs de fêtes et de vacances en famille, et de chaque
moment clé de notre vie. Parmi les fonctions attribuées
à la mémoire autobiographique, la construction de l’identité personnelle et la poursuite des buts du sujet occupent
une place prépondérante. De plus, la mémoire autobiographique cimente les interactions familiales et sociales
[3]. Ainsi, les patients atteints de difficultés importantes
de mémoire autobiographique ont dans la vie quotidienne
des troubles d’identité et des troubles du comportement.
Les modèles cognitifs proposent des définitions beaucoup
plus strictes de la mémoire autobiographique en resituant
cette dernière dans les modèles de la mémoire humaine.
La mémoire autobiographique est alors définie comme un
système mnésique servant à encoder, stocker et récupérer
un ensemble de représentations dont le « self » est le sujet
central. C’est une mémoire à très long terme qui possède
un rôle majeur dans la construction et le maintien de notre
identité.
Au sein des modèles contemporains de la mémoire humaine, on a souvent associé la mémoire autobiographique
à la mémoire épisodique. La mémoire épisodique est une
mémoire à long terme, déclarative, qui permet l’acquisition et la rétention des événements personnellement vécus
et situés dans un contexte spatio-temporel précis ; et surtout – c’est un point majeur dans la définition actualisée
- dont la récupération s’accompagne d’un rappel conscient
du contexte d’encodage [39]. Ainsi pour répondre au caractère d’épisodicité, la récupération de l’événement doit impliquer un voyage mental temporel au cours duquel l’événement est revécu avec les détails phénoménologiques qui
ont participé à l’étape de l’encodage. Elle est principalement sous-tendue par le cortex préfrontal et le lobe temporal médian. A cette mémoire s’oppose la mémoire sémantique qui est une mémoire des mots, des concepts, des
idées, et plus largement de toute information, pourrait-on
dire, dès lors que la récupération de celle-ci s’effectue de
manière indépendante au contexte d’encodage. Tulving
[39] a proposé d’opposer deux états de conscience en lien
avec ces deux types de mémoire : la conscience autonoétique qui s’accompagne d’un sentiment de reviviscence ; la
conscience noétique qui autorise uniquement un sentiment
de familiarité. Le self est l’une des trois caractéristiques,
avec le temps subjectif et la conscience autonoétique, qui
définit la mémoire épisodique comme mémoire des souvenirs autobiographiques inscrits dans un contexte spatiotemporel précis. Le self reflète l’implication du sujet dans
l’événement et sert de base à la prise de conscience de sa
propre identité. Les processus de stockage et de récupération liés au self sont considérés indépendants de la mémoire sémantique qui stocke des connaissances générales
ou personnelles décontextualisées. En somme, la notion de
self chez Tulving est celle d’un self phénoménologique lié
à la capacité de reviviscence des souvenirs autobiographiques émaillés de détails phénoménologiques et spatiotemporels. Toutefois, la mémoire autobiographique comprend
P. Piolino
aussi une part importante de mémoire sémantique. Celle-ci
peut être préservée chez les patients cérébrolésés tandis
que la part épisodique est souvent atteinte. Tulving luimême, à partir de l’étude de la mémoire autobiographique
d’un patient ayant un syndrome amnésique [40], remarque
que ce dernier demeure capable d’accéder à certains types
de connaissances sémantiques personnelles (les noms de
personnes de l’entourage, les adresses, les événements habituels…) alors qu’il se montre dans l’incapacité d’accéder
au souvenir du moindre événement particulier de son existence qui possède une quelconque spécificité spatiotemporelle et intensité émotionnelle. Ceci donnait à la mémoire
autobiographique de ce patient une teinte assez particulière, comme si la mémoire de son passé était impersonnelle.
L’observation de Tulving est une observation importante.
En effet, que nous suggère-t-elle ? Cette observation nous
suggère qu’avoir une mémoire autobiographique fonctionnelle, nous conférant un sentiment d’identité et de cohérence satisfaisants impose à la fois une préservation des
aspects sémantiques (en leur absence, il existe une perte
totale de l’identité à la manière de certains patients qui
ont perdu toute la mémoire de leur passé) mais aussi la capacité à revivre certains épisodes du passé qui ont pu être
importants pour nous, qui possèdent une coloration émotionnelle, et enfin à voyager mentalement vers le temps
subjectif.
Certains modèles de mémoire reprennent cette idée
d’une coexistence au sein de la mémoire autobiographique d’aspects épisodiques et d’aspects sémantiques [8].
Notamment, le modèle de la mémoire du self de Conway
[7] est un modèle de reconstruction du souvenir autobiographique s’appuyant sur l’interaction entre trois systèmes :
le self de travail (« working self »), le self à long terme,
et le système de mémoire épisodique, qui permet de rendre compte d’une organisation structurale hiérarchique de
la mémoire autobiographique et de son fonctionnement
(Fig. 1). Le self de Conway répond à une définition structuro
fonctionnelle assez différente de celle de Tulving puisque
les aspects conceptuels du self sont mis en avant et moins
les aspects phénoménologiques. Conway définit en effet le
self à long terme comme une véritable représentation sémantique de nous-mêmes, une structure de connaissances
servant à organiser les souvenirs que nous avons de nos expériences personnelles, un modèle d’intégrité et de cohérence de notre propre soi. Le self de travail est constitué
par un ensemble complexe de processus de contrôle dirigés
par les buts actuels du sujet, ses désirs, et ses croyances.
Le self de travail peut être considéré comme un ensemble de processus exécutifs liés aux lobes frontaux et au
Système Attentionnel Superviseur du modèle de Normann
et Shallice ou à l’administrateur central de la mémoire de
travail de Baddeley. Il contraint à la fois l’encodage et la
construction des souvenirs sur la base de deux principes : la
correspondance et la cohérence [6]. D’une part, il permet
d’encoder les expériences vécues correspondant aux buts
activés et, d’autre part, il maintient une représentation
stable et cohérente de l’interaction du self avec le monde,
permettant ainsi un sentiment continu d’identité. En vertu
de ces principes, les buts du self de travail influencent la
A la recherche du self : théorie et pratique
S79
Souvenirs autobiographiques
Le Self à Long terme
Système
de Mémoire
Episodique
Connaissances
Autobiographiques
Shéma
Historique
Personnel
Le Self
Conceptuel
Self de travail
Script personnel
Image
sensorielle
Périodes
de vie
Evénements
Généraux
Self possible
Fonctions
exécutives
La croyance
Figure 1 Schéma du modèle de la mémoire du self (adapté de 7).
construction des souvenirs en modulant l’accessibilité de
certaines représentations.
Le self à long terme est une structure de connaissances
sémantiques personnelles à différents niveaux d’abstraction qui comprend le self conceptuel et la base des connaissances autobiographiques. Le self conceptuel regroupe les
connaissances sémantiques personnelles les plus abstraites
qui spécifient les scripts personnels, les catégories d’appartenance et les schémas socialement établis, les images
de soi possibles ou désirées, et génèrent ainsi les attitudes,
les valeurs, les croyances. Il peut être décrit sous forme
de règles orientant les contenus de la base de connaissances autobiographiques. Celle-ci abrite des connaissances
générales organisées de façon hiérarchiques en trois niveaux d’abstraction emboîtés (schémas de vie, périodes de
vie, évènements généraux) et constitue la principale voie
d’accès aux souvenirs épisodiques autobiographiques. Les
schémas de vie renvoient à des informations très générales sur l’histoire globale de l’individu (e.g. le travail, la
famille…). Ils s’appuient notamment sur des conventions
sociocognitives à propos de l’ordre et des thèmes dominants du schéma de vie classique de la culture d’appartenance de l’individu. Les périodes de vie sont associées
à des connaissances sur des buts et des activités liées à
de longues durées (e.g. lieux et personnes liés la période
scolaire). Enfin, les événements généraux correspondent à
des connaissances liés temporellement ou organisés autour
d’un thème commun sur des événements répétés (e.g.
« les cours de sport ») ou étendus d’une durée supérieure
à 24 heures (e.g. « le voyage linguistique à Nuremberg »)
et se mesurent en jours, semaines ou mois. Le système de
mémoire épisodique sous-tend le niveau de spécificité le
plus élevé (e.g. « la cueillette des cèpes avec Gunther et
Jeannette dans la forêt noire ») et stocke des informations
de brève durée (quelques secondes, minutes ou quelques
heures au maximum). Il permet de retenir des informations
sur les activités reliées aux buts actuels (présent psychologique) et contient donc des détails sensoriels, perceptifs,
cognitifs et affectifs liés à l’évènement et organisés selon
un ordre chronologique. Il implique l’imagerie mentale et
une expérience de reviviscence du passé qui s’apparente à
la conscience autonoétique de Tulving. La nature épisodique d’un souvenir dépend de l’accès à ce niveau de détails,
sans quoi les souvenirs restent génériques (sous-spécifiés).
Un accès direct au souvenir spécifique est possible dans
certains cas où l’existence d’indices perceptivo-sensoriels
très proches de la situation d’encodage conduit immédiatement à la reviviscence de l’événement autobiographique
en dispensant des différentes étapes de la recontextualisation. Tout le monde connaît l’épisode de la « madeleine
de Proust ». Dans la majorité des cas cependant, les souvenirs autobiographiques épisodiques sont des constructions
mentales transitoires établies par le self de travail défini
par l’installation d’un but, sa valence, et l’allocation de
ressources exécutives. Ces processus favorisent préférentiellement l’accès indirect aux souvenirs épisodiques par
l’intermédiaire de l’activation de connaissances sémantiques pertinentes à l’action en cours (présent psychologique) afin de permettre la résolution de l’activité pour
atteindre des buts actuels et actifs. Ainsi, le système de
mémoire du self facilite l’accès aux représentations supportant le soi et les buts actuels ou distord, voire inhibe,
les représentations en désaccord avec le soi et ses buts afin
d’éviter un état de dissonance et les affects négatifs qui en
résulteraient. Il existe un phénomène de rétroaction entre
le type de souvenir auquel on accède et le self : autrement
dit, les souvenirs auxquels on accède confortent notre modèle de soi. Lorsque des patients, en situation pathologique, accèdent à des souvenirs de mauvaise qualité, ou privilégient des souvenirs avec une valence négative comme
cela est le cas dans la dépression, ils confortent une image
négative d’eux-mêmes. Le cycle de récupération de souvenirs négatifs se voit renforcé alors que l’accès aux souvenirs à valence positive se fait de plus en plus rare et à un
niveau plus générique [19]. La mémoire autobiographique
est donc une mémoire mouvante se reconstruisant en permanence, tout à fait différente d’une mémoire cristallisée.
Ainsi, lorsqu’un sujet âgé ou un patient va rapporter inlassablement le même souvenir, il ne s’agit pas à proprement
parler d’un souvenir autobiographique, mais plutôt d’un
schéma, d’un script qui caractérise son passé mais n’a pas
le caractère d’une reviviscence épisodique.
S80
P. Piolino
La distribution temporelle est un autre des aspects intéressants de la mémoire autobiographique. Plusieurs souvenirs épisodiques seraient formés chaque jour, mais tous
ne résisteraient pas au passage du temps, seuls les plus
pertinents (en fonction des buts actuels de l’individu) étant
retenus. Dès lors qu’ils sont sans importance et sans caractère émotionnel particulier, la plupart de nos expériences
vécues sont oubliées au même titre qu’une liste d’items
apprise en situation de test. De plus, dans la vie quotidienne, la fréquence de répétition des événements similaires
détermine une transition de la mémoire épisodique vers
la mémoire sémantique par un processus de sémantisation
[5] : la capacité de rappel des circonstances épisodiques
de chaque événement s’efface au profit du rappel des caractéristiques communes. Ainsi pour une grande part, la
mémoire sémantique personnelle est issue d’un processus
d’abstraction à partir de souvenirs épisodiques et de ce
fait, les processus de stockage (comme les processus de
récupération) des représentations mnésiques épisodique ou
sémantique sont nettement moins indépendants que ne le
suggère le modèle de Tulving. Certains événements spécifiques vont être conservés dans les détails tout au long de
la vie car ils sont marquants dans la constitution de notre
self et représentent un changement de but. Ces souvenirs
épisodiques définissant le soi (Self-Defining Memories, [6])
sont caractérisés par la densité des images mentales et des
affects, le haut niveau de répétition du souvenir, le lien
avec des souvenirs qui partagent le même thème central
pour l’individu, et l’accessibilité. Concernant les souvenirs
autobiographiques épisodiques, la distribution temporelle
observée avec la méthode des mots-indices (voir infra)
comporte trois phases distinctes [35] : la fonction de rétention, l’amnésie infantile et, à partir de la quarantaine,
le pic de réminiscence (Fig. 2). La fonction de rétention
concerne les souvenirs des vingt dernières années et correspond à une courbe d’oubli classique au cours du temps
avec un effet de récence marqué. L’amnésie infantile
caractérise la pauvreté du rappel des événements vécus
avant l’âge de 4-5 ans, avec une absence presque totale de
souvenirs des trois premières années de vie [33]. Le pic de
réminiscence correspond à la supériorité du rappel des souvenirs encodés à l’adolescence et à l’âge de jeune adulte
(entre 10 et 30 ans) par rapport aux autres périodes du
passé. Ce phénomène observé dans les souvenirs anciens
a beaucoup intrigué les chercheurs. Quelle explication en
donner ? L’explication du phénomène n’est pas consensuelle. Certains auteurs invoquent un mécanisme d’encodage
spécifique et, d’autres, un mécanisme particulier de récupération puisque cette période de vie fournit des indices de
rappel particulièrement efficaces (« le jour du mariage »).
Mais l’explication la plus probable est celle liée au Self.
Cette période de vie déterminante pour la construction
et le maintien du sentiment d’identité dépendrait de l’influence des intérêts et des buts personnels les plus stables
qui continueraient d’exercer une influence tout au long de
la vie [6]. En revanche, si la distribution temporelle des
connaissances sémantiques personnelles est marquée par
la même courbe d’oubli, il existe ensuite l’installation d’un
plateau, ce qui signifie qu’à partir d’un certain moment
(5 à 10 ans après l’encodage), dès lors qu’une information
est conservée, elle le sera toujours.
Certaines recherches se sont intéressées à déterminer
le substratum neuronal de la mémoire autobiographique.
Les activations cérébrales sont enregistrées en tomographie par émission de positons (TEP) ou en imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) lorsque des sujets sains évoquent mentalement des souvenirs personnels
à partir d’indices (des mots, phrases ou photographies) ou
bien les reconnaissent. Ces études de neuroimagerie fonctionnelle mettent en évidence l’implication d’un vaste
réseau cérébral frontal, temporal, et postérieur. Les régions frontotemporales notamment gauches semblent
impliquées dans les processus contrôlés de reconstruction du souvenir et les régions plus postérieures dans la
production des images mentales associées aux souvenirs
(pour revue, 27). Les études en électrophysiologie (EEG)
fournissent des données complémentaires en précisant le
décours temporel des réponses cérébrales dans ce vaste
réseau. Les travaux de Conway et al. [7] ont montré que
les changements de potentiels corticaux ont lieu dans le
réseau frontal gauche lors de la phase d’initiation d’accès au souvenir, puis dans les réseaux plus postérieurs lors
de la phase de reconstruction par les connaissances générales (lobe temporal gauche) et la phase de reviviscence
%
(1) La fonction de rétention:
déclin du nombre de souvenirs au cours du temps
1
2
·
(2) Le pic de réminiscence:
grand nombre des souvenirs encodés entre l'âge de 10 et 30 ans
·
·
·
3
(3) L'amnésie infantile:
quasi absence de souvenirs encodés avant l'âge de 3 - 4 ans
·
0
10
20
30
40
Durée de rétention (ans)
50
Figure 2 Distribution temporelle des souvenirs autobiographiques épisodiques chez un sujet âgé de 50 ans (d’après 36).
S81
A la recherche du self : théorie et pratique
des détails spécifiques (régions bilatérales temporales et
postérieures). Plus spécialement, le rôle de l’hippocampe
dans le travail de reconstruction de souvenirs anciens fait
actuellement débat. Certains auteurs postulent que l’hippocampe interviendrait dans l’encodage et la récupération
des souvenirs récents (durant quelques années) mais ne
serait plus sollicité dans la récupération des souvenirs anciens [2]. D’autres pensent que l’intervention de l’hippocampe est indispensable dans la récupération de souvenirs
autobiographiques, peu important leur ancienneté, pourvu
qu’ils soient épisodiques [22]. Dans l’ensemble, les résultats des études confortent ce dernier modèle. Cependant,
ces recherches présentent souvent des limites méthodologiques puisque les sujets rappellent ou reconnaissent des
événements personnels anciens qu’ils ont évoqués peu de
temps avant l’enregistrement en TEP ou IRMf, ce qui génère une réactivation des traces mnésiques anciennes dans
le système hippocampique. Pour pallier ce biais méthodologique, nous avons réalisé dans le laboratoire de neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle de l’Inserm à Caen
des études où les sujets devaient évoquer des souvenirs
autobiographiques récents et anciens, non réactualisés, à
partir d’indices personnalisés [28, 41]. Par ailleurs, la nature épisodique de chaque souvenir était strictement contrôlée. Chez des femmes âgés de 60 à 75 ans, nous avons pu
tester les souvenirs de cinq périodes d’encodage recouvrant l’ensemble de leur vie (0/17 ans, 18/30 ans, plus de
30 ans, cinq dernières années, 12 derniers mois) à partir
d’indices (« la visite de la tour de Pise ») recueillis à l’aide
de leur conjoint. Toutes périodes confondues (analyse de
conjonction), les résultats ont montré l’activation en IRMf
d’un réseau cérébral commun impliquant principalement
des régions frontales gauches, et d’autres régions jouant
un rôle dans l’imagerie mentale comme le précunéus et
dans la récupération en mémoire épisodique comme le cingulaire postérieur. Donnée plus intéressante, quelle que
soit la période de vie explorée, nous avons démontré une
activation hippocampique (d’autant plus bilatérale que les
périodes de vies étaient plus riches au niveau de la reviviscence des détails phénoménologiques et contextuels)
en accord avec l’hypothèse du rôle permanent de l’hippocampe dans les souvenirs autobiographiques. L’implication
de ce large réseau rend compte des différentes origines
cérébrales possibles des troubles de la mémoire autobiographique : hypométabolismes fonctionnels et lésions cérébrales de topographie variable voire dysconnexions cérébrales, notamment fronto-temporales. D’après le modèle
de Conway, le travail de reconstruction du souvenir dans sa
pleine spécificité peut s’arrêter au cours d’une étape intermédiaire, pour différentes raisons. Les sujets ne vont alors
évoquer que des souvenirs très généraux sans pouvoir accéder aux détails spécifiques et phénoménologiques. C’est
le cas dans de nombreuses pathologies neurologiques ou
psychiatriques comme la maladie d’Alzheimer ou la dépression. Différentes causes peuvent rendre compte de cette
incapacité à effectuer un travail de reconstruction parmi
lesquelles un trouble de la mémoire de travail (altération
de la fonctionnalité liée à un dysfonctionnement frontal),
un déficit de la mémoire sémantique (liée à un dysfonction-
nement temporal entravant l’accès aux détails spécifiques)
et un déficit de la mémoire épisodique (liés à un dysfonctionnement hippocampique ou des régions impliquées dans
l’émotion et l’imagerie mentale entravant la reviviscence
des détails phénoménologiques et contextuels). Un même
déficit constaté lors d’épreuves psychométriques (accès à
des souvenirs généraux et non spécifiques) peut alors répondre à une grande variété de mécanismes neurocognitifs
(eg . « la démence frontotemporale, [21, 25] »).
Méthodes d’évaluation de la mémoire
autobiographique
Évoquons maintenant les méthodes d’évaluation de la mémoire autobiographique. Les tests dont dispose le clinicien
sont relativement assez nombreux, de ceux portant sur
des mots indices aux fluences verbales autobiographiques
ou aux questionnaires (pour revue, [31]). La méthode des
mots-indices élaborée par Crovitz et Schiffman [9], à partir
de la méthode développée par Galton en 1883, consiste à
présenter successivement des mots (bébé, chat…) et à demander au sujet d’évoquer le premier souvenir personnel
qui lui vient à l’esprit, puis de le dater (pour une version
récente de ce test, voir [16]). L’épreuve de fluence verbale
autobiographique proposée à l’origine par Dritschel et al.
[11] consiste à énumérer en un temps donné (par exemple
60 secondes) deux catégories d’informations autobiographiques, l’une sémantique (noms de personnes de l’entourage)
et l’autre épisodique (événements personnels) provenant
de plusieurs périodes (pour une version de fluences autobiographiques en 2 minutes avec des normes françaises,
voir [31]). Dans la catégorie des questionnaires, le questionnaire AMI de Kopelman et al. [18] est le plus utilisé. Il
porte d’une part sur le rappel d’informations sémantiques
personnelles (noms de personnes, adresses…) et d’autre
part sur le rappel de souvenirs d’événements autobiographiques spécifiques provenant de trois périodes distinctes :
l’enfance et l’adolescence, l’âge de jeune adulte, le passé
récent. Le Test Épisodique de Mémoire du Passé autobiographique (TEMPau, [26, 27, 31, 32]) est un autre questionnaire qui propose des critères particulièrement stricts pour
évaluer la nature épisodique des souvenirs autobiographiques. Il permet de distinguer les aspects sémantiques des
aspects épisodiques qui sont les seuls caractérisés par la
capacité à revivre mentalement des événements spécifiques avec des détails phénoménologiques et contextuels.
Pour cinq périodes de vie (0/17 ans, 18/30 ans, plus de
30 ans, cinq dernières années, 12 derniers mois), le sujet
doit évoquer un événement spécifique (unique, inférieur à
24 heures, situé dans le temps et l’espace et détaillé) pour
chacun des 4 thèmes de rappel proposés (une rencontre,
un événement professionnel, familial et un déplacement).
Pour la période récente, 8 thèmes sont proposés au lieu
de 4 permettant de tester la restitution des événements
vécus en fonction de l’intervalle de rétention. L’organisation
générale du test (périodes testées, thèmes explorés, exemples d’indices) et des normes sont présentées Tableaux 1
et 2. Chaque souvenir évoqué est contrôlé lors d’un retest
S82
P. Piolino
Tableau 1 Organisation générale du Test Episodique de la Mémoire du Passé autobiographique (TEMPau) : périodes
testées, thèmes explorés et exemples d’indice et grille de cotation
PÉRIODES
D’ENCODAGE
THÈMES
Une rencontre
ENFANCE et
ADOLESCENCE
(0-17 ans)
« Quand vous
étiez petit,
adolescent. »
JEUNE ADULTE
(18-30 ans)
« Lorsque vous
étiez jeune marié,
jeune adulte. »
ADULTE PLUS AGÉ
(au delà de 30 ans)
« Quand vos
enfants sont
devenus grands. »
LES 5 DERNIÈRES
ANNÉES
« Depuis ces
dernières années. »
Un jour avec
un camarade
Un jour avec
votre conjoint
Un jour avec
un ami
Le jour d’une
nouvelle rencontre
PÉRIODE RÉCENTE
(les 12 derniers
mois)
« Depuis ces
derniers mois. »
Liste des 8 thèmes
Le jour de votre
départ à la retraite 1. L’été dernier
2. Noël
ou jour de l’An
Un jour pendant Un jour lors du
Un jour lors
Un jour lors d’un
Un déplacement
3. Le mois dernier
les vacances
voyage de noce
d’un voyage
voyage
4. La semaine
Un événement
Le jour d’une
Le jour d’une
Le jour d’un
Le jour d’une
dernière
familial
fête en famille
naissance
mariage
visite
5. Le dernier
week-end
4. Evénement spécifique situé dans un contexte spatiotemporel détaillé
6. Avant-hier
3. Evénement spécifique situé dans un contexte spatiotemporel non détaillé
7. Hier
Grille de cotation
2. Evénement générique ou spécifique sans contexte spatiotemporel
8. Aujourd’hui
du souvenir
1. Description vague sans contexte spatiotemporel
0. Absence de réponse ou information générale
Un événement
scolaire ou
professionnel
Un jour avec
un professeur
Un jour sur le
premier lieu de
travail
Un jour avec
un collègue
Tableau 2 Résultats -m (σ) - au Test Episodique de la Mémoire du Passé autobiographique (TEMPau) chez 224 sujets
(48% d’hommes) ayant effectué au minimum 8 années d’étude
20-35 ans
n=77
40-49 ans
n=22
50-59 ans
n=34
60-69 ans
n=56
70-79 ans
n=35
Score global
14.17 (1.41)
14.36 (1.46)
13.18 (2.41)
13.00 (2.37)
12.91 (1.99)
Score épisodique
10.02 (4.23)
10.91 (3.94)
8.71 (5.25)
8.21 (5.36)
7.66 (3.41)
Score global
13.94 (1.84)*
14.09 (1.97)
14.00 (1.87)
13.42 (2.61)
12.23 (2.82)
Score épisodique
10.58 (3.66)*
10.91 (4.64)
10.35 (4.19)
9.31 (4.62)
7.63 (4.33)
Score global
13.18 (2.82)
13.63 (2.38)
12.73 (2.70)
12.06 (2.94)
Score épisodique
9.82 (4.51)
9 .41 (4.39)
8.43 (5.02)
7.31 (4.49)
Période 0-17 ans
Période 18-30 ans ( * n = 34)
Période > 30 ans
Période 5 dernières années
Score global
14.45 (1.29)
13.36 (2.36)
13.35 (2.38)
12.09 (3.03)
8.48 (3.96)
Score épisodique
10.39 (4.60)
10.18 (5.01)
9.41 (4.39)
7.71 (4.56)
4.57 (3.64)
Score global
14.71 (1.39)
14.45 (1.45)
14.21 (1.73)
13.36 (2.11)
11.23 (2.55)
Score épisodique
11.97 (2.91)
11.09 (4.56)
10.59 (4.28)
9.07 (4.11)
6.43 (4.28)
Période récente, 12 derniers mois
S83
A la recherche du self : théorie et pratique
proposé au sujet 15 jours après le test et auprès de la famille, puis coté sur une grille d’épisodicité en 5 points (de 0
à 4 points). Pour chaque période, un score global de mémoire autobiographique qui comptabilise les points attribués
à chaque souvenir quelle que soit sa nature plus ou moins
sémantique (score maximum sur 16 points) et un score strictement épisodique (score maximum sur 16 points) qui ne
comptabilise que les points attribués aux souvenirs présentant tous les critères d’épisodicité (cotés 4 points). Les scores de la période « 12 derniers mois » sont divisés par deux.
Le test ainsi décrit correspond à sa version clinique et dure
une heure lorsque les 5 périodes sont testées. Toutefois, ce
test est le premier test standardisé de mémoire autobiographique qui permet aussi d’évaluer l’état de conscience
(paradigme « je me souviens/je sais », Tulving, [38]) et la
perspective du self (paradigme « acteur/spectateur », Nigro
et Neisser, [23]) pour chaque souvenir évoqué par le sujet.
Le paradigme « je me souviens/je sais » (i.e., remember/
know) consiste à demander au sujet de préciser s’il sait seulement ou s’il se souvient aussi avoir vécu l’événement autobiographique rappelé. Les réponses « je me souviens » sont
l’expression directe de la mémoire épisodique lorsqu’elles
sont associées à la reconstruction consciente de la scène
dans laquelle les événements ont été vécus, et par conséquent, à la reviviscence qui implique le self subjectif et le
situe dans un contexte spatio-temporel. Les réponses « je
sais » sont l’expression d’un processus plus automatique, un
sentiment de familiarité, qui n’implique que la mémoire sémantique et pas le self subjectif. Pour plus de sensibilité, ce
paradigme est proposé distinctement pour le factuel, le spatial et le temporel, au lieu d’être proposé globalement pour
l’événement. Le paradigme « acteur/spectateur » (i.e.,
field/observer) permet d’évaluer la perspective du Self dans
le rappel de souvenirs en caractérisant le point de vue associé à la représentation mentale correspondante. Lors de
l’évocation d’un souvenir, le sujet doit préciser s’il voit la
scène de ses propres yeux, comme s’il revivait l’événement
en tant que sujet/acteur, ou s’il se voit lui-même dans la
scène et joue alors le rôle de spectateur. Ce paradigme ne
recouvre pas strictement les notions de mémoire épisodique
et de mémoire sémantique car d’autres facteurs peuvent
influer sur le point de vue comme l’émotion. Par exemple, la
perspective d’acteur accompagne plus souvent le souvenir
lorsqu’il est associé au self actuel et à une valence positive
et lorsque le sujet revit le contenu émotionnel au lieu des
circonstances de l’événement. Toutefois, la reviviscence qui
implique le self subjectif s’accompagne le plus souvent de
réponses « je me souviens » et d’une perspective d’acteur.
A partir de ce test original, de nombreuses versions ont été
adaptées en fonction de l’âge des sujets, de l’enfant au sujet âgé, et à différentes pathologies neurologiques ou psychiatriques (ictus amnésique, dépression, schizophrénie…).
Enfin, certains auto-questionnaires sont utilisés en neuropsychologie pour permettre d’obtenir des mesures standardisées quantitatives et qualitatives de la représentation de
soi [1] tels que des échelles d’estime de soi (e.g. Twenty
Statement Test) ou des échelles de self multidimensionnel
(e.g. Tennessee Self Concept Scale) évaluant la consistance
et la valence des représentations de soi.
Vieillissement normal et mémoire
autobiographique
Les sujets âgés ont souvent l’impression que leur mémoire
autobiographique ancienne est nettement meilleure que
leur mémoire récente. Or, des études récentes montrent
qu’il s’agit le plus souvent d’une erreur d’appréciation. Peu
de recherches ont examiné les effets de l’âge sur les deux
composantes, épisodique et sémantique, de la mémoire
autobiographique. Cependant les études réalisées avec un
matériel classique (liste d’items) de laboratoire suggèrent
que la mémoire épisodique, qui est l’une des mémoires
les plus affectées dans le vieillissement, serait également
atteinte avec du matériel autobiographique. En administrant un questionnaire autobiographique semi-structuré
à 52 sujets âgés de 40 à 79 ans testant 6 à 9 décennies
de vie en fonction de l’âge des sujets, nous avons montré
que les capacités de rappel d’événements spécifiques et
détaillés (composante épisodique) diminuaient avec l’âge
tandis que les connaissances sémantiques personnelles
étaient préservées [30]. Toutefois, quel que soit l’âge des
sujets, les souvenirs récents (« effet de récence ») étaient
plus épisodiques que les souvenirs anciens à l’exception des
souvenirs du pic de réminiscence (voir supra). Ainsi, dans le
vieillissement normal, l’effet de récence semble conservé
et le pic de réminiscence devient de plus en plus ancien,
mais il coïncide toujours aux événements encodés entre 10
et 30 ans. Ces résultats confortés par les données collectées par Levine et al. [20] ont été récemment précisés en
utilisant le TEMPau administré à 180 sujets âgés de 21 à 80
ans répartis en 3 groupes d’âge (jeunes, âgés, très âgés).
Cette étude [27] a montré que le sentiment de reviviscence
(« se souvenir ») du passé autobiographique diminue avec
l’âge alors que le sentiment de familiarité (« savoir ») augmente. Les sujets âgés sont aussi davantage spectateurs de
leurs souvenirs qu’acteurs. Toutefois, les capacités de reviviscence sont relativement mieux préservées concernant
les périodes les plus anciennes qui recouvrent en partie le
pic de réminiscence (e.g. la période 18-30 ans). Chez les
sujets âgés, le nombre plus élevé de réponses « je sais »
ou de perspectives « spectateurs » pourrait témoigner non
seulement de la sémantisation de leurs souvenirs, mais
aussi d’une difficulté à utiliser les structures du self actuel. Néanmoins, même chez les sujets très âgés quelques
souvenirs épisodiques persistent. Leurs caractéristiques
sont semblables aux souvenirs des autres groupes d’âge et
correspondent aux souvenirs définissant le self (i.e., densité des images mentales et des affects et accessibilité).
L’ensemble de ces résultats indique un changement délétère lié à l’âge sur la mémoire autobiographique épisodique
et le self subjectif (conscience autonoétique). Ces difficultés sont en partie dues à des dysfonctionnements exécutifs
présents dans le vieillissement normal. Les modifications
de la spécificité des souvenirs ainsi que de la conscience
autonoétique et de la perspective du self pourraient suggérer qu’il existe un affaiblissement du sentiment d’identité
chez les sujets âgés. Or, ces déficits liés à l’âge n’entament
généralement pas la représentation identitaire des sujets
S84
âgés sains [12] contrairement à la maladie d’Alzheimer [1].
De plus, les sujets âgés ont tendance à évaluer les événements de leur vie plus positivement que les sujets jeunes
(biais de positivité), même lorsqu’ils évoquent des événements négatifs (e.g. un accident, un événement stressant)
[37] et à en tirer une signification personnelle ou morale.
Cette capacité d’élaboration des souvenirs permettrait
d’influencer le self, et donc de renforcer ou transformer
les buts de vie, et de se construire une identité cohérente,
notamment par l’assimilation de nouvelles connaissances
et d’expériences négatives [45]. Au total, il semble que la
préservation des connaissances sémantiques personnelles,
du sentiment subjectif de reviviscence du passé lointain et
de quelques souvenirs épisodiques définissant le self, permettent aux sujets âgés de voyager dans leur passé, leur
assurant ainsi un sentiment de continuité [44]. Le sujet âgé
sain ne serait pas atteint dans son identité personnelle tant
que son self attesterait de sa continuité malgré les décalages qui peuvent exister entre les représentations du self et
les expériences vécus.
Maladie d’Alzheimer et mémoire
autobiographique : évaluation et prise en
charge en neuropsychologie
Chez les patients cérébrolésés, il est classique d’évaluer
de façon formelle l’amnésie antérograde (amnésie des informations acquises depuis la survenue de la lésion cérébrale) mais beaucoup plus rarement l’amnésie rétrograde
(amnésie des informations acquises avant la survenue de
la lésion cérébrale). Pourtant, certaines maladies neurologiques perturbent tout particulièrement la composante
autobiographique de l’amnésie rétrograde et endommagent ainsi les connaissances et/ou les souvenirs liés au self
qui contribuent à notre identité. Dans la maladie d’Alzheimer notamment (pour revue, [34]), les patients présentent des troubles de la conscience de soi puisqu’ils sont
anosognosiques et une amnésie rétrograde qui s’étend en
fonction des stades de la démence. Au fur et à mesure de
la progression de la maladie, les souvenirs du passé semblent s’effacer en commençant par les plus récents pour
remonter vers le passé le plus lointain selon le fameux
gradient temporel décrit par Ribot (1881). Le profil de
l’amnésie rétrograde peut prendre également des formes
très différentes selon la nature des souvenirs testés et les
méthodes d’évaluations utilisées. L’étendue de l’amnésie
rétrograde autobiographique a été étudiée dans la maladie
d’Alzheimer à partir de la méthode des mots indices. Les
patients présentent une distribution temporelle des souvenirs semblable aux sujets âgés avec un effet de récence
et un pic de réminiscence bien qu’ils produisent globalement un moins grand nombre de souvenirs spécifiques. Avec
l’avancée de la maladie, un pic de réminiscence subsiste
mais concerne une période de vie plus ancienne que chez
les sujets âgés. Récemment, Fromholt et al. [14] ont comparé des récits de souvenirs autobiographiques de patients
atteints de la maladie d’Alzheimer à ceux de sujets sains
octogénaires et centenaires et de patients dépressifs. Les
P. Piolino
résultats montrent que les souvenirs autobiographiques
des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, comme
ceux des sujets dépressifs et des centenaires, sont significativement moins nombreux, moins détaillés, moins bien
datés et moins positifs que les souvenirs des sujets âgés.
D’autres recherches ont comparé les déficits de mémoire
autobiographique sémantique et épisodique dans la maladie d’Alzheimer débutante et modérée avec des tâches de
fluences verbales autobiographiques. Les résultats obtenus
sont contrastés. Certaines études montrent des performances nettement perturbées, quelles que soient l’information
et la période testées, même chez les patients les moins
atteints, et d’autres études trouvent une relative préservation des performances aux tâches de fluences verbales
sémantiques et épisodiques testant les périodes anciennes
selon un gradient temporel de Ribot. Avec le questionnaire
AMI de Kopelman, les études retrouvent généralement une
meilleure préservation de la période de l’enfance et de
l’adolescence au détriment des périodes plus récentes,
qu’il s’agisse de la sémantique personnelle ou des événements autobiographiques. D’autres questionnaires autobiographiques ont permis de montrer des performances fortement altérées sans gradient temporel ou bien avec gradient
temporel selon la sévérité de la maladie [36]. En fonction
de cette évolution, on assisterait à une « hiérarchie de
dégradation » : au stade débutant (MMS>20), le déficit atteindrait la mémoire autobiographique récente, au stade
modéré (MMS 15-20), seules persisteraient les connaissances relativement anciennes et au stade sévère (MMS<15),
seules les connaissances de l’enfance résisteraient à l’amnésie. Cependant, ces études n’appliquent pas de critères
stricts d’épisodicité. Pour répondre à cette critique, nous
avons proposé le questionnaire TEMPau, dans une version
courte, à un groupe de 17 patients atteints de maladie
d’Alzheimer à un stade débutant de la démence [13] et,
dans sa version longue, à un groupe de 13 patients [26]. Les
résultats de l’étude portant sur 17 patients montrent que
les performances des patients Alzheimer sont inférieures à
celles d’un groupe de 18 sujets âgés contrôles pour le score
global de rappel autobiographique selon un gradient temporel de Ribot. En revanche, l’atteinte est massive et sans
gradient pour les rappels strictement épisodiques. Ainsi,
80 % des souvenirs produits par les patients sont de nature
générique (cotés inférieurs à 4) contre 20 % de souvenirs
épisodiques. Des analyses complémentaires indiquent clairement que la relative préservation du passé lointain dans
la maladie d’Alzheimer concerne majoritairement des souvenirs sémantisés et non strictement épisodiques. Ainsi,
le gradient de Ribot qui est fréquemment décrit dans la
littérature semble refléter le gradient de sémantisation
des souvenirs [15] et également la relative préservation
de la mémoire sémantique comparée au déficit massif de
mémoire épisodique chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer au stade débutant. Les résultats de corrélations cognitivo-métaboliques réalisées dans ce même
groupe de patients entre le score global de mémoire autobiographique du TEMPau et le métabolisme de glucose au
repos recueilli par tomographie par émission de positons
(TEP) corroborent cette interprétation. En effet, pour les
A la recherche du self : théorie et pratique
S85
souvenirs correspondant aux cinq années les plus récentes,
les corrélations sont principalement localisées dans la région hippocampique droite et dans le cortex préfrontal droit
impliqués dans la récupération des souvenirs épisodiques.
En revanche, pour la période correspondant à l’enfance et
l’adolescence, les corrélations sont localisées uniquement
dans le cortex préfrontal gauche impliqués dans la récupération en mémoire sémantique ou autobiographique mais
pas dans la reviviscence des souvenirs épisodiques (voir supra). Le désengagement des corrélations avec l’hippocampe avec l’augmentation de l’intervalle de rétention est en
conformité avec les différentes théories de la consolidation
puisque les souvenirs anciens des patients sont sémantisés
et non épisodiques. La spécificité de ces résultats a été
confirmée récemment. En effet, nous avons démontré dans
la démence frontotemporale que l’atteinte de la mémoire
autobiographique dépendait de déficits exécutifs sous-tendus par les régions préfrontales gauches, notamment orbitofrontales, pour toutes les périodes de vie testées [25].
Les résultats de notre seconde étude dans la maladie
d’Alzheimer ont indiqué en plus que les réponses « je me
souviens » sont inférieures aux sujets âgés tandis que, les
réponses « je sais » sont supérieures quelle que soit la
période explorée. Les patients considèrent moins que les
témoins se souvenir d’un événement passé en voyageant
mentalement dans le temps et revivre l’événement vécu.
Leurs capacités d’évocation de détails phénoménologiques
(pensées, perceptions, émotions) et spatio-temporels (localisation, déroulement, heure) du contexte d’encodage
des événements vécus sont très déficitaires (Fig. 3). Ces
résultats confortent chez les patients Alzheimer débutant
la présence de troubles de mémoire autobiographique épisodique et de conscience autonoétique et suggèrent qu’ils
peuvent néanmoins recourir à leur mémoire sémantique
personnelle et à leur conscience noétique pour restituer
des souvenirs autobiographiques anciens et récents comme
les patients atteints d’un syndrome amnésique [40].
Au total, les résultats de la littérature suggèrent que
le profil de l’amnésie autobiographique chez les patients
Alzheimer dépend en partie du type de connaissances testées (épisodiques ou sémantisées) et du stade d’évolution
de la maladie. L’étendue massive de l’amnésie autobio-
4
Quoi
graphique épisodique dès le stade débutant de la maladie
d’Alzheimer serait compatible avec le modèle de consolidation qui assigne un rôle permanent au lobe temporal
interne dans la récupération des souvenirs épisodiques.
Toutefois, certains souvenirs épisodiques anciens peuvent
persister en début de maladie d’Alzheimer. Cette persistance semble liée à la valeur émotionnelle du souvenir,
à son importance dans la construction de l’identité et sa
concordance avec le self actuel du patient [7, 8] bien plus
qu’à un intervalle de rétention particulier.
En somme l’étendue et la nature du déficit de mémoire
autobiographique (épisodique et sémantique) affectent la
qualité des représentations du self. Addis et Tipett [1] ont
mis en évidence chez des patients Alzheimer débutants une
corrélation entre les performances à des tests de mémoire
autobiographique et à des échelles mesurant la représentation du self. Comme de nombreux patients amnésiques,
les patients en début de maladie d’Alzheimer sont plus ou
moins incapables d’évoquer le moindre événement épisodique important de leur vie, pourtant ils connaissent encore
des connaissances générales sur eux-mêmes. Ainsi, ces patients ne sont pas privés de toute leur mémoire autobiographique, ils peuvent encore répondre à leur manière à
la question « qui suis-je ? ». Pourtant, il semble que la part
défaillante les prive du sentiment de reviviscence et de
continuité, le passé devenant de ce fait de plus en plus
discontinu, désincarné et impersonnel au fur et à mesure
de la progression de la maladie : les patients gardent encore des connaissances générales sur leur self mais ils sont
incapables de donner le moindre exemple pour illustrer ce
qu’ils savent d’eux-mêmes. C’est l’étroite interaction entre le self conceptuel (conscience noétique et mémoire sémantique) et le self phénoménologique (conscience autonoétique et mémoire épisodique) qui fonde le sentiment
de cohérence du soi dans le temps en maintenant un lien
entre les connaissances de soi et la reviviscence d’expériences vécues. A partir du moment où le déficit atteint
de façon très importante aussi bien le versant épisodique
que sémantique de la mémoire autobiographique, la perte
d’identité devient massive. Quelques îlots de connaissances persistent encore parfois pour nourrir le présent psychologique des patients en fonction des informations de la
Ou
Quand
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Figure 3 Capacité de reviviscence des détails épisodiques associés aux trois contenus - factuel, spatial, temporel - de la mémoire des
événements autobiographiques en fonction de 5 périodes de vie chez des patients atteints de maladie d’Alzheimer (MA) au stade léger à
modéré comparés à des sujets témoins
S86
période de vie accessible. Ils déterminent alors leur sentiment d’identité actuel comme l’illustre cette observation
décrite par Delay [10] : « Noémie, âgée de 64 ans […] ne
peut évoquer aucun souvenir relatif à son passé […]. Si l’on
demande à Noémie son âge, elle répond je suis une petite
fille, j’ai 8 ans ». Contrairement au vieillissement normal,
le patient Alzheimer subit une « sénescence » de son self
car il devient incapable d’intégrer de nouvelles connaissances ou expériences et perd progressivement son stocke
de connaissances sémantiques personnelles. Cependant, il
existe une atteinte hétérogène des différentes dimensions
du self dans la maladie d’Alzheimer [15].
L’évaluation des troubles de mémoire autobiographique
fournit des données cliniques qui peuvent contribuer au diagnostic, le profil du gradient et la nature des troubles étant
différents selon les pathologies. Elle peut aussi orienter vers
le type de prise en charge proposé au patient. La prise en
charge de ces troubles est importante car l’amnésie autobiographique s’accompagne d’une perte d’identité et de
nombreux troubles du comportement qui représentent une
difficulté majeure dans la vie quotidienne (familiale, institutionnelle) [1]. Néanmoins, jusqu’à très récemment, seule
la psychologie clinique s’est intéressée au passé autobiographique à des fin thérapeutiques. La mémoire autobiographique constitue en effet la cible naturelle des thérapies
de la réminiscence. L’activité de réminiscence ou revue de
vie (« life review », Butler [4]) consiste au rappel conscient
des expériences passées et à un retour aux conflits non résolus ; l’introspection sur son propre passé aurait une fonction adaptative dans le présent en renforçant l’identité et
l’estime de soi ou en favorisant l’intégration dans un nouvel
environnement. La relation réciproque entre mémoire autobiographique et self a été utilisée par les cliniciens comme
moyen d’intervention thérapeutique auprès des personnes
âgées, dans la dépression des sujets âgés, et la maladie
d’Alzheimer (pour revue [17]). Certains sujets âgés en fonction de leur vécu et de leur personnalité privilégient un type
d’introspection délétère pour le self [42]. Ils ruminent négativement des événements passés au lieu de pratiquer une
activité de réminiscence intégrative qui permet à l’individu
de s’accepter et d’intégrer le présent et le passé afin de
trouver un sens et une cohérence à sa vie. En ce qui concerne plus particulièrement la maladie d’Alzheimer, la réminiscence semble avoir un effet visible à la fois sur la sphère
comportementale et cognitive agissant sur la dépression, sur
les interactions sociales, sur les troubles du comportement
(agitation, agressivité, nervosité, exigence), sur la désorientation spatio-temporelle et la capacité à rester engagé
dans une activité présente et à planifier une activité future
[43]. De nombreuses études ont examiné les bénéfices des
thérapies de la réminiscence mais une analyse plus précise
telle que celle proposée par la revue Cochrane [46] montre
les limitations méthodologiques de la plupart de ces études.
Les méthodes d’évaluation standardisées de la mémoire
autobiographique utilisées en neuropsychologie pourraient
constituer un support contrôlé au travail de reconstruction
de l’histoire personnelle afin d’améliorer l’orientation dans
le temps, la chronologie des événements, et optimiser les
stratégies d’accès aux souvenirs spécifiques.
P. Piolino
Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer cependant, la
prise en charge des troubles autobiographiques a principalement pour objectif d’optimiser la sémantique personnelle mieux préservée que la mémoire autobiographique
épisodique. Nous avons élaboré un programme de réminiscence avec le soutien de la Fondation Médéric Alzheimer
inspiré des thérapies de la réminiscence avec une visée
plus cognitive puisque l’activité de réminiscence est narrative ciblant une simple description du passé sans but interprétatif. Ce programme vise la reconstruction du sentiment
d’identité et de continuité en réinstaurant une temporalité
par le renforcement des connaissances sémantiques personnelles et des capacités de reviviscence des souvenirs anciens. En référence au modèle de Conway précédemment
décrit, le programme cible tout d’abord, les connaissances
sémantiques personnelles afin de reconstituer les principales informations générales (en fonctions des thèmes : noms
de personnes de l’entourage, dates importantes, adresses…) recouvrant cinq différentes périodes de vie (celles du
TEMPau) et, dans un second temps, l’accès à des souvenirs
plus spécifiques à partir de ces connaissances personnelles.
Le programme (REMau, [29]) s’appuie sur une procédure
d’indiçage multi-sensoriel (photos, chansons, objets, indices verbaux), la plupart des indices provenant de l’entourage familial qui remplit un questionnaire détaillé sur la
vie du patient (informations et événements marquants). Le
type de prise en charge proposé se fonde principalement
sur une méthode de facilitation d’accès aux informations
par des effets d’amorçage dus à la répétition de l’indiçage
[40] et par le biais de stratégies de récupération. L’impact
cognitif et comportemental de ce programme réalisé sur 8
séances d’une heure (deux fois par semaine pendant quatre
semaines) a été testé à terme et à plus long terme chez
des patients atteints de maladie d’Alzheimer modérée
(MMSE > 18) sans histoire personnelle particulièrement douloureuse et sans troubles du comportement majeurs. Dans
une étude préliminaire, neuf patients bénéficiant du programme ont été comparés à neuf autres patients appariés
en niveau de sévérité de la maladie et vivant dans le même
cadre institutionnel auxquels étaient proposées des activités occupationnelles (travail sur l’actualité) à la place du
programme. Les deux groupes de patients (Réminiscence
et Témoins) ont été testés avant et après la passation du
programme (sessions 1 et 2) et à distance (session 3, 15
jours après) à l’aide du test TEMPau et d’une version sémantique personnelle de ce test (inspirée de Piolino et al.,
[30]), et de l’échelle de dépression gériatrique, GDS [47].
En résumé, les résultats obtenus à la deuxième évaluation
du TEMPau et du test de sémantique personnelle indiquent que les patients du groupe Réminiscence ont bénéficié du programme. En effet, les performances du groupe
Réminiscence étaient significativement supérieures à celles du groupe Témoins aux sessions 2 et 3. Leurs performances étaient améliorées à la session 2 et 3 par rapport
à la session 1 contrairement au groupe Témoins qui gardait
des performances globalement inchangées (Fig. 4). Ces effets dépendaient cependant de la période de vie explorée
puisque l’amélioration observée au TEMPau dans le groupe
Réminiscence concernait la période 18-30 ans mais aussi la
A la recherche du self : théorie et pratique
période la plus récente. Pour le test de sémantique personnelle, l’amélioration observée concernait les trois périodes
les plus anciennes (0-17 ans, 18-30 ans et plus de 30 ans).
Sur le plan comportemental, la réminiscence a eu un effet
positif sur les scores de dépression évalués avec la GDS aux
sessions 2 et 3.Ces premiers résultats sont encourageants
du point de vue cognitif et comportemental. Globalement,
même s’ils sont encore préliminaires, ils semblent montrer
que les patients à un stade modéré peuvent bénéficier favorablement de ce type de programme pour reconstruire
des aspects de la mémoire autobiographique qui contribuent au sentiment d’identité. En effet, l’impact significatif du programme concerne la sémantique personnelle
et la capacité d’évocation de souvenirs de la période de
S87
vie 18-30 ans qui recouvre en partie le pic de réminiscence
(voir supra). Nous confirmons l’impact positif de la réminiscence décrit dans la littérature, mais l’intérêt de cette
étude est d’une part de le contrôler expérimentalement
et de préciser sur quel type de représentation mnésique il
intervient et, d’autre part, de fournir un cadre standardisé
aux neuropsychologues pour appliquer une prise en charge
des troubles de mémoire rétrograde. Un autre résultat particulièrement intéressant à approfondir est que la reconstruction des connaissances du self opère positivement dans
la vie quotidienne des patients, ce qui semble améliorer
l’encodage. Toutefois, bien que les résultats montrent un
maintien relatif de l’impact positif 15 jours après la fin du
programme, ils indiquent aussi une diminution des effets
ce qui suggère qu’il faut certainement prévoir de répéter
régulièrement ce type de programme chez un même patient et de l’ajuster avec la progression de la démence.
Il serait également important de vérifier l’impact d’un tel
programme de réminiscence chez les patients atteints de
troubles de mémoire autobiographique d’origine frontale/
exécutive comme chez des patients traumatisés crâniens et
des patients atteints de démences frontotemporales. Dans
de tels cas, le programme pourrait permettre d’accéder
de nouveau à des souvenirs épisodiques et d’intervenir de
façon plus efficace sur les liens réciproques unissant la mémoire autobiographique et le self.
Conclusion
L’objectif de cette présentation était de souligner l’importance de la mémoire autobiographique dans la construction
et le maintien du sentiment d’identité et de montrer que
les troubles de mémoire autobiographique sont importants
dans la maladie d’Alzheimer dès un stade débutant de la
démence. Ils affaiblissent graduellement la cohérence de
soi et le sentiment d’identité, mais les connaissances sémantiques personnelles mieux préservées que les souvenirs
épisodiques en début de maladie peuvent servir de support
à une prise en charge des troubles. Ce domaine de la neuropsychologie clinique peut favorablement bénéficier de
techniques standardisées basées sur l’organisation structuro
fonctionnelle de la mémoire autobiographique et du self.
Références
Figure 4 Effet du programme REMau dans la maladie d’Alzheimer
sur les rappels épisodique et sémantique autobiographiques en
fonction des sessions testées : comparaison d’un groupe de patients pris en charge (Réminiscence) et d’un groupe de patients
avec de activités occupationnelles (Témoins) avant (Session 1)
et après le programme (Session 2) et à 15 jours (Session 3).
**, p<.01, ***, p<.001
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