MISE AU POINT
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005
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perturbation peuvent néanmoins être très différents selon les patho-
logies. Ils peuvent correspondre à un trouble d’accès et/ou de
stockage sous-tendu par différentes localisations lésionnelles. Les
patients atteints d’une lésion principalement limitée à la partie
interne du lobe temporal (syndrome amnésique ou maladie
d’Alzheimer débutante) présentent une amnésie antérograde et
une amnésie rétrograde autobiographique qui obéit à la loi de
Ribot (meilleure préservation des souvenirs anciens). Lorsque la
lésion cérébrale concerne le néocortex, notamment la partie
externe du lobe temporal (comme dans la démence sémantique),
épargnant la partie interne du lobe temporal, l’acquisition de nou-
veaux souvenirs est relativement préservée, et l’amnésie rétro-
grade présente un gradient temporel inverse à celui de Ribot.
Enfin, lorsque la lésion touche à la fois la partie interne du lobe
temporal et les régions néocorticales où sont stockés les souve-
nirs ou qui sont nécessaires à leur récupération (comme dans
l’encéphalite herpétique et la maladie d’Alzheimer à un stade
plus sévère), l’amnésie rétrograde s’étend et peut devenir globale,
touchant l’ensemble des périodes de vie, même les plus anciennes.
Ce type de profil peut également s’observer dans certains cas où
les lésions concernent le lobe frontal (traumatisés crâniens ou
démence fronto-temporale), traduisant une perturbation massive
des processus de récupération des détails autobiographiques spé-
cifiques, notamment du contexte temporel.
Les formes d’amnésie rétrograde caractérisées par un gradient
temporel de Ribot en faveur du passé lointain constituent des
données essentielles pour le modèle dit standard de la consoli-
dation du souvenir, qui assigne au lobe temporal interne (LTI)
un rôle temporaire (2 à 10 ans) dans la récupération des souve-
nirs épisodiques et des connaissances sémantiques. Toutefois,
certains résultats dans le syndrome amnésique et dans la maladie
d’Alzheimer suggèrent que l’amnésie rétrograde est plus étendue
pour les souvenirs épisodiques que pour les informations séman-
tiques personnelles et les connaissances générales, voire qu’elle
est globale sans gradient temporel (5, 6). Un modèle concurrent
incorpore ces différences en proposant de distinguer les proces-
sus de la consolidation en fonction de la nature épisodique ou
sémantique de l’information. Ce modèle, appelé “trace multiple”,
s’accorde avec le modèle standard pour ce qui est des connais-
sances sémantiques, mais suggère que le rôle du LTI est perma-
nent dans la récupération des souvenirs épisodiques. À ce jour, la
question du rôle du LTI dans la mémoire à très long terme n’est
pas encore tranchée.
L’amnésie rétrograde isolée sans gradient, en l’absence d’amnésie
antérograde, est l’un des phénomènes les plus fascinants d’atteinte
de la mémoire humaine chez les patients cérébrolésés – souvent
des traumatisés crâniens. Curieusement, ces patients présentent
une perte soudaine d’identité après une lésion cérébrale touchant le
plus souvent les régions fronto-temporales externes ou les régions
postérieures, notamment occipitales. La région fronto-temporale
droite serait préférentiellement impliquée dans l’atteinte des
informations anciennes de nature épisodique, tandis que son
homologue gauche serait impliqué dans celle des informations
anciennes de nature sémantique. Une perte totale d’identité serait
compatible avec une atteinte bilatérale. Ces données ont élargi
nos connaissances sur les substrats neuro-anatomiques de la
mémoire autobiographique en soulignant le rôle crucial de cer-
taines régions néocorticales dans l’accès (régions fronto-tempo-
rales) aux détails perceptivo-sensoriels stockés dans les régions
postérieures.
Toutefois, la mise en évidence d’un dysfonctionnement cérébral
observé en neuro-imagerie fonctionnelle (TEP, SPECT, IRMf) ne
résout pas forcément la question de l’origine organique ou psycho-
gène de ce type d’amnésie (7). En effet, les études portant sur des
patients dont l’amnésie d’identité est manifestement psychogène
montrent également l’existence d’un dysfonctionnement cérébral
lié à des facteurs environnementaux ou psychologiques, dys-
fonctionnement dont les localisations sont assez proches de celles
des amnésies rétrogrades isolées organiques avec lésions objecti-
vées. Finalement, dans toute amnésie rétrograde autobiographique
massive il ne faut pas sous-estimer l’intrication constante des
facteurs organiques et psychosociaux.
NEURO-ANATOMIE FONCTIONNELLE
DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE
Les études en imagerie cérébrale fonctionnelle de la mémoire
autobiographique sont en pleine expansion depuis 5 ans. Les
protocoles d’activation en mémoire autobiographique proposés
à des sujets sains portent sur des tâches de reconnaissance ou
d’évocation mentale de souvenirs personnels spécifiques à partir
d’indices (mots, phrases ou photographies). Dans l’ensemble, les
études mettent en évidence une activation étendue du néocortex,
incluant les régions frontales et temporales ainsi que les régions
postérieures. Les études qui se sont intéressées aux différences
d’activation selon la nature épisodique ou sémantique des pro-
ductions des sujets ont mis en évidence l’existence d’activations
spécifiques à la mémoire épisodique autobiographique, impli-
quant l’hippocampe, le cortex préfrontal médian et le pôle du
lobe temporal. Quelle que soit la nature des informations auto-
biographiques testées, les activations cérébrales sont essentielle-
ment latéralisées à gauche. Cette latéralisation contraste avec les
résultats des études anatomocliniques, qui tendent à montrer que
l’hémisphère gauche sous-tend la récupération des seuls aspects
Encadré.
Lorsque l’on essaye de se souvenir d’un événement particulier, le processus de récupération est le plus
souvent contrôlé (administrateur central de la mémoire de travail et self) et indirect, passant
par des connaissances générales (périodes de vie et événements généraux) pour accéder aux connais-
sances plus spécifiques (détails perceptivo-sensoriels). Cette construction du souvenir implique
un vaste réseau cérébral largement distribué. Les perturbations de la mémoire autobiographique
observées avec les méthodes d’évaluation standardisées peuvent survenir dès l’atteinte de l’une de
ces régions ou de leurs connexions, empêchant la reconstruction du souvenir à différents niveaux :
l’initiation et la vérification, la recontextualisation par les connaissances générales, la reviviscence
des détails spécifiques.
L’accès aux détails spécifiques peut aussi être automatique et direct, le souvenir semblant alors
surgir dans la conscience (“la madeleine de Proust”). Cet aspect pourrait être mieux préservé chez
les patients, mais il est difficile à mesurer avec des méthodes d’évaluation standardisées.