Neuropsychologie de la mémoire autobiographique

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Neuropsychologie de la mémoire autobiographique
Neuropsychology of autobiographical memory
● P. Piolino*
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SUMMARY
SUMMARY
■ La mémoire autobiographique est à la base du sentiment
d’identité et de continuité dans le temps.
■ Elle comprend des connaissances sémantiques personnelles et des souvenirs épisodiques.
■ Nombre de souvenirs se sémantisent au fil du temps.
■ L’accès au souvenir est le plus souvent contrôlé, parfois
automatique.
■ L’accès contrôlé met en jeu la mémoire de travail et le
modèle d’intégrité personnel du sujet (le self).
■ L’accès aux détails épisodiques passe par l’accès à des
connaissances personnelles plus générales.
■ Le caractère épisodique d’un souvenir dépend de la spécificité du contexte spatiotemporel et de la richesse des détails
phénoménologiques de l’épisode d’encodage (perception,
pensées, émotion).
■ La mémoire autobiographique est sous-tendue par un
vaste réseau cérébral qui implique le lobe frontal, le lobe
temporal et les régions postérieures.
■ Le rôle du lobe temporal interne dans l’accès aux souvenirs
épisodiques serait permanent quelle que soit leur ancienneté.
■ Plusieurs méthodes d’évaluation standardisées permettent
d’évaluer la mémoire autobiographique.
Autobiographical memory is a multifaceted concept
which concerns information and experiences of one’s
personal life that gives a sense of self-continuity. Cognitive models proposed distinguishing between an episodic
component, containing personal specific events situated
in time and space, and a personal semantic component,
storing general knowledge of one's past. Neuropsychological studies have showed different profiles of autobiographical amnesia depending on the locus of the
lesion and the kind of personal information tested
(i.e. personal semantic or episodic). These neuropsychological data have largely contributed to the elaboration
of the theories of long-term memory consolidation and
retrieval. In recent years, a growing number of functional neuroimaging studies have described the neural
substrates of autobiographical memory. New methods of
investigation have been elaborated in order to control the
nature of memory retrieved and better characterized
autobiographical amnesia. This latter should be taken
into account when prescribing rehabilitation and memory
remediation.
Mots-clés : Mémoire autobiographique – Amnésie rétrograde – Neuropsychologie.
Keywords: Autobiographical memory – Retrograde amnesia –
Remote memory – Neuropsychology.
epuis une quinzaine d’années, la mémoire autobiographique est l’objet d’un regain d’intérêt en
neuropsychologie cognitive et en neuro-imagerie
fonctionnelle, après les travaux de quelques pionniers de la fin
du XIXe siècle, tel Théodule Ribot (1881). La progression des
recherches est liée à la nature même de la mémoire autobiographique, qui est essentielle à la construction de l’identité personnelle, mais aussi à des questions plus théoriques portant sur
l’amnésie rétrograde (qui concerne la mémoire des connaissances
acquises avant la survenue de la lésion cérébrale), opposée à
l’amnésie antérograde (qui touche la mémoire des connaissances
acquises depuis la survenue de la lésion cérébrale), et sur les
modèles neurocognitifs de la consolidation à long terme. Après
avoir présenté les conceptions cognitives actuelles de la mémoire
autobiographique, nous décrirons les différents profils d’amnésie
autobiographique observés chez des patients cérébrolésés en
fonction de la localisation lésionnelle, avant de nous intéresser
aux données de la neuro-imagerie fonctionnelle chez des sujets
sains, données qui permettent d’entrevoir les bases biologiques
de l’identité. Enfin, nous insisterons sur l’intérêt clinique et les
perspectives de la prise en charge de ces troubles.
D
* Laboratoire de psychologie expérimentale (EPHE, CNRS, UMR 8581), université
René-Descartes, Paris et INSERM-université de Caen E0218, France.
222
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005
DÉFINITION ET ORGANISATION
DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE
La mémoire autobiographique est la mémoire par excellence : elle
emmagasine les souvenirs personnels d’un individu, accumulés
depuis son plus jeune âge et qui sont à l’origine du sentiment
d’identité et de continuité. C’est elle qui nous permet de voyager
dans le temps subjectif, si vivement parfois que l’on peut revivre
mentalement les détails phénoménologiques des événements du
passé (le jour de son mariage, par exemple). En plus des images
mentales qui jalonnent notre vie, l’émotion est le médiateur privilégié de notre mémoire autobiographique. Cette capacité mnésique correspond à la mémoire à long terme épisodique. Cette
dernière permet l’encodage, le stockage et la récupération des
événements personnellement vécus situés dans le temps et l’espace (1). Elle est néanmoins le plus souvent étudiée dans la pratique clinique au moyen de tests d’apprentissage et de rappel de
listes de mots qui dénaturent l’essence de la mémoire épisodique,
mieux appréhendée par l’étude des souvenirs autobiographiques.
Toutefois, la mémoire autobiographique est difficile à évaluer de
façon contrôlée. De plus, elle n’est pas uniquement épisodique,
mais contient également une part sémantique composée de
connaissances générales sur soi (les noms de personnes de son
entourage, les adresses personnelles, etc.) et de souvenirs d’événements généraux (par exemple, les week-ends à la campagne ou
le voyage à Athènes effectué quand j’étais à l’école primaire)
sans accès à un contexte d’apprentissage particulier. Cette part
sémantique de la mémoire autobiographique est principalement
le fruit d’un processus de sémantisation dû à la répétition d’événements similaires qui façonne la représentation d’un événement
générique comportant les caractéristiques communes des événements. Toutefois, dans certaines conditions liées à l’importance
personnelle et émotionnelle, les souvenirs sont conservés durablement et dans le détail. Un souvenir épisodique implique la
contextualisation de l’événement vécu dans ses aspects tant spatio-temporels que phénoménologiques. Dans le vieillissement
normal (2, 3), l’âge a un effet délétère sur les aspects épisodiques
(revivre un événement particulier), mais pas sur les aspects
sémantiques (rappeler les noms de personnes de son entourage,
se souvenir d’événements génériques). Cependant, les souvenirs
très récents restent les plus détaillés chez les sujets âgés, ainsi que
les souvenirs encodés entre l’âge de 15 et 30 ans. Ces deux phénomènes sont connus respectivement sous le nom d’“effet de
récence” et de “pic de réminiscence”. Plusieurs modèles d’organisation de la mémoire autobiographique sont fondés sur l’idée
que le souvenir est une reconstruction dynamique et transitoire à
partir de plusieurs types de représentations mnésiques. Conway
(4) propose un modèle qui implique un processus de construction
dynamique à partir de trois types de matériaux autobiographiques
appartenant à trois niveaux de spécificité croissante : les connaissances associées à une période de vie (“quand j’étais étudiant”),
à un événement général (“les réunions de travail du lundi”) et aux
détails spécifiques d’un événement (“une réunion de travail particulièrement importante”) et incluant les images, les sentiments,
les odeurs… présents lors de l’encodage. Ce modèle propose que
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005
la reconstruction d’un souvenir autobiographique épisodique fait
appel à un cycle de récupération sous la dépendance d’un système exécutif central permettant de récupérer et de maintenir
en mémoire de travail une représentation transitoire de l’événement au prix d’un effort cognitif. Dans d’autres cas, plus rares,
l’exposition (dans l’environnement extérieur ou interne) à des
détails perceptivo-sensoriels présents lors d’un épisode d’encodage déclenche un accès automatique au souvenir, dégagé dans
ce cas des ressources exécutives du sujet. Le modèle d’intégrité
du sujet (le “self”), qui contient ses buts, ses croyances et ses
désirs actuels mais également son état émotionnel, détermine
quels événements vont être encodés et conservés durablement et
quels événements vont être reconstruits dans les souvenirs. Selon
cette conception, la mémoire autobiographique épisodique est
bien davantage une compétence du self qu’un réservoir contenant
des souvenirs particuliers.
TROUBLES DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE
Certaines maladies perturbent tout particulièrement la mémoire
autobiographique, et endommagent ainsi le maintien de l’identité et
le sentiment de continuité. Les données anatomo-cliniques montrent
que le profil de l’amnésie rétrograde autobiographique varie en
fonction de l’atteinte lésionnelle (figure 1). Les mécanismes de
Détails
Événements
généraux
Périodes de vie
Administrateur central
Self
Régions postérieures
Lobes temporaux externes
Lobes frontaux
Liens avec les lobes frontaux
(récupération active/accès indirect)
Récupération directe automatique
Figure 1. Modèle d’organisation de la mémoire autobiographique. Modes
d’accès au souvenir et zones cérébrales impliquées (d’après Conway, 2001).
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Encadré.
Lorsque l’on essaye de se souvenir d’un événement particulier, le processus de récupération est le plus
souvent contrôlé (administrateur central de la mémoire de travail et self) et indirect, passant
par des connaissances générales (périodes de vie et événements généraux) pour accéder aux connaissances plus spécifiques (détails perceptivo-sensoriels). Cette construction du souvenir implique
un vaste réseau cérébral largement distribué. Les perturbations de la mémoire autobiographique
observées avec les méthodes d’évaluation standardisées peuvent survenir dès l’atteinte de l’une de
ces régions ou de leurs connexions, empêchant la reconstruction du souvenir à différents niveaux :
l’initiation et la vérification, la recontextualisation par les connaissances générales, la reviviscence
des détails spécifiques.
L’accès aux détails spécifiques peut aussi être automatique et direct, le souvenir semblant alors
surgir dans la conscience (“la madeleine de Proust”). Cet aspect pourrait être mieux préservé chez
les patients, mais il est difficile à mesurer avec des méthodes d’évaluation standardisées.
perturbation peuvent néanmoins être très différents selon les pathologies. Ils peuvent correspondre à un trouble d’accès et/ou de
stockage sous-tendu par différentes localisations lésionnelles. Les
patients atteints d’une lésion principalement limitée à la partie
interne du lobe temporal (syndrome amnésique ou maladie
d’Alzheimer débutante) présentent une amnésie antérograde et
une amnésie rétrograde autobiographique qui obéit à la loi de
Ribot (meilleure préservation des souvenirs anciens). Lorsque la
lésion cérébrale concerne le néocortex, notamment la partie
externe du lobe temporal (comme dans la démence sémantique),
épargnant la partie interne du lobe temporal, l’acquisition de nouveaux souvenirs est relativement préservée, et l’amnésie rétrograde présente un gradient temporel inverse à celui de Ribot.
Enfin, lorsque la lésion touche à la fois la partie interne du lobe
temporal et les régions néocorticales où sont stockés les souvenirs ou qui sont nécessaires à leur récupération (comme dans
l’encéphalite herpétique et la maladie d’Alzheimer à un stade
plus sévère), l’amnésie rétrograde s’étend et peut devenir globale,
touchant l’ensemble des périodes de vie, même les plus anciennes.
Ce type de profil peut également s’observer dans certains cas où
les lésions concernent le lobe frontal (traumatisés crâniens ou
démence fronto-temporale), traduisant une perturbation massive
des processus de récupération des détails autobiographiques spécifiques, notamment du contexte temporel.
Les formes d’amnésie rétrograde caractérisées par un gradient
temporel de Ribot en faveur du passé lointain constituent des
données essentielles pour le modèle dit standard de la consolidation du souvenir, qui assigne au lobe temporal interne (LTI)
un rôle temporaire (2 à 10 ans) dans la récupération des souvenirs épisodiques et des connaissances sémantiques. Toutefois,
certains résultats dans le syndrome amnésique et dans la maladie
d’Alzheimer suggèrent que l’amnésie rétrograde est plus étendue
pour les souvenirs épisodiques que pour les informations sémantiques personnelles et les connaissances générales, voire qu’elle
est globale sans gradient temporel (5, 6). Un modèle concurrent
incorpore ces différences en proposant de distinguer les processus de la consolidation en fonction de la nature épisodique ou
sémantique de l’information. Ce modèle, appelé “trace multiple”,
s’accorde avec le modèle standard pour ce qui est des connaissances sémantiques, mais suggère que le rôle du LTI est perma224
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nent dans la récupération des souvenirs épisodiques. À ce jour, la
question du rôle du LTI dans la mémoire à très long terme n’est
pas encore tranchée.
L’amnésie rétrograde isolée sans gradient, en l’absence d’amnésie
antérograde, est l’un des phénomènes les plus fascinants d’atteinte
de la mémoire humaine chez les patients cérébrolésés – souvent
des traumatisés crâniens. Curieusement, ces patients présentent
une perte soudaine d’identité après une lésion cérébrale touchant le
plus souvent les régions fronto-temporales externes ou les régions
postérieures, notamment occipitales. La région fronto-temporale
droite serait préférentiellement impliquée dans l’atteinte des
informations anciennes de nature épisodique, tandis que son
homologue gauche serait impliqué dans celle des informations
anciennes de nature sémantique. Une perte totale d’identité serait
compatible avec une atteinte bilatérale. Ces données ont élargi
nos connaissances sur les substrats neuro-anatomiques de la
mémoire autobiographique en soulignant le rôle crucial de certaines régions néocorticales dans l’accès (régions fronto-temporales) aux détails perceptivo-sensoriels stockés dans les régions
postérieures.
Toutefois, la mise en évidence d’un dysfonctionnement cérébral
observé en neuro-imagerie fonctionnelle (TEP, SPECT, IRMf) ne
résout pas forcément la question de l’origine organique ou psychogène de ce type d’amnésie (7). En effet, les études portant sur des
patients dont l’amnésie d’identité est manifestement psychogène
montrent également l’existence d’un dysfonctionnement cérébral
lié à des facteurs environnementaux ou psychologiques, dysfonctionnement dont les localisations sont assez proches de celles
des amnésies rétrogrades isolées organiques avec lésions objectivées. Finalement, dans toute amnésie rétrograde autobiographique
massive il ne faut pas sous-estimer l’intrication constante des
facteurs organiques et psychosociaux.
NEURO-ANATOMIE FONCTIONNELLE
DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE
Les études en imagerie cérébrale fonctionnelle de la mémoire
autobiographique sont en pleine expansion depuis 5 ans. Les
protocoles d’activation en mémoire autobiographique proposés
à des sujets sains portent sur des tâches de reconnaissance ou
d’évocation mentale de souvenirs personnels spécifiques à partir
d’indices (mots, phrases ou photographies). Dans l’ensemble, les
études mettent en évidence une activation étendue du néocortex,
incluant les régions frontales et temporales ainsi que les régions
postérieures. Les études qui se sont intéressées aux différences
d’activation selon la nature épisodique ou sémantique des productions des sujets ont mis en évidence l’existence d’activations
spécifiques à la mémoire épisodique autobiographique, impliquant l’hippocampe, le cortex préfrontal médian et le pôle du
lobe temporal. Quelle que soit la nature des informations autobiographiques testées, les activations cérébrales sont essentiellement latéralisées à gauche. Cette latéralisation contraste avec les
résultats des études anatomocliniques, qui tendent à montrer que
l’hémisphère gauche sous-tend la récupération des seuls aspects
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005
MÉTHODES D’ÉVALUATION ET PRISE EN CHARGE
DES TROUBLES DE LA MÉMOIRE AUTOBIOGRAPHIQUE
CHEZ LES PATIENTS CÉRÉBROLÉSÉS
En neuropsychologie, l’amnésie rétrograde est encore fréquemment considérée comme secondaire dans le diagnostic clinique
et la prise en charge des patients. Elle est estimée le plus souvent
de façon informelle lors du premier entretien clinique. Il existe
pourtant des méthodes d’évaluation standardisées, mais elles sont
coûteuses en temps. Trois grandes catégories de tests autobiographiques ont été développées : les questionnaires autobiographiques, la méthode des mots-indices et l’épreuve de
fluence verbale. Le questionnaire de Kopelman est le plus utilisé
en France. Il porte d’une part sur le rappel d’informations sémantiques personnelles (noms de personnes de l’entourage, adresses
et dates), et d’autre part sur le rappel de souvenirs d’événements
autobiographiques spécifiques provenant de trois périodes de vie
distinctes : l’enfance et l’adolescence, le jeune adulte, le passé
récent. Le test épisodique de mémoire du passé autobiographique
[TEMPau (9-10)] est un autre questionnaire, utilisé surtout à
des fins de recherche, qui évalue spécifiquement la capacité à se
projeter dans le temps subjectif et à revivre mentalement les
détails phénoménologiques et contextuels des événements autobiographiques épisodiques en fonction de cinq périodes de vie :
l’enfance et l’adolescence (0-17 ans), le jeune adulte (18-30 ans),
l’adulte plus âgé (plus de 30 ans), les 5 dernières années (hormis
les 12 derniers mois) et les 12 derniers mois (figure 2). Les souvenirs évoqués sont contrôlés lors d’un nouveau test proposé au
sujet et auprès de la famille. La méthode des mots-indices
consiste à présenter successivement des mots (“avenue”, “bébé”,
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Scores moyens
sémantiques de la mémoire du passé lointain (voir supra). Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce résultat, qui témoignerait :
– de biais méthodologiques dans la façon de tester les souvenirs
épisodiques ;
– de l’importance de la mémoire sémantique personnelle dans
l’accès aux souvenirs anciens (voir le modèle de Conway) ;
– de la mise en jeu de processus exécutifs spécifiques lors de la
construction du souvenir.
Par ailleurs, les souvenirs strictement épisodiques semblent
impliquer la partie interne du lobe temporal quel que soit l’intervalle de rétention testé (8), contrairement aux souvenirs sémantisés (6). Ces différents résultats sont davantage compatibles avec
le modèle de la consolidation, qui assigne un rôle permanent au
LTI dans la récupération des souvenirs épisodiques autobiographiques, même très anciens, plutôt qu’un rôle temporaire.
Néanmoins, certains résultats nuancent cette hypothèse en
suggérant une spécialisation fonctionnelle de régions hippocampiques dans la consolidation, en fonction notamment de la
latéralisation, et en montrant que, outre la durée de rétention,
d’autres facteurs tels que la valeur émotionnelle ou l’importance
personnelle influencent le degré d’implication du LTI dans la
mémoire autobiographique, par l’intermédiaire, par exemple, du
degré de réactivation des souvenirs.
MA
DS
Témoins
16
14
12
10
8
6
4
2
0
0-17 ans
18-30 ans
> 30 ans
5 dernières
années
12 derniers
mois
Périodes d’encodage
Témoins (n = 18) ; maladie Alzheimer débutante (MA, n = 13) ; démence sémantique (DS, n = 10).
Figure 2. Profils de l’amnésie autobiographique recueillis avec le TEMPau
en fonction des périodes d’encodage dans la maladie d’Alzheimer (gradient
de Ribot) et dans la démence sémantique (gradient inversé).
“chat”, etc.) et à demander au sujet d’évoquer le premier souvenir personnel qui lui vient à l’esprit, puis de le dater. Enfin,
l’épreuve de fluence verbale autobiographique consiste à énumérer en un temps donné (60, 90 ou 120 secondes selon les
auteurs) deux catégories d’informations autobiographiques, l’une
sémantique (noms de personnes de l’entourage, amis et professeurs) et l’autre épisodique (événements personnels), provenant
de plusieurs périodes de vie distinctes (enfance et adolescence,
âge adulte et période récente, par exemple). Enfin, dans la pratique clinique, des épreuves de rappel à partir d’indices personnalisés (photographies ou anecdotes familiales, par exemple)
peuvent être spécialement élaborées pour un patient en fonction
de différentes périodes de sa vie. Néanmoins, l’élaboration d’un
tel matériel s’avère très coûteuse en temps, pour des résultats
finalement peu différents de ceux mis en évidence avec des outils
d’évaluation standardisés.
L’évaluation des troubles autobiographiques fournit des données
cliniques qui peuvent contribuer au diagnostic, la forme du gradient étant différente selon les pathologies, et au type de prise en
charge proposé au patient. La prise en charge des troubles est
essentielle, car l’amnésie autobiographique est à l’origine de
nombreux troubles du comportement adaptatif qui représentent
une difficulté majeure dans la vie quotidienne (familiale, institutionnelle) des patients et qui contribuent aux difficultés de
réinsertion sociale des traumatisés crâniens. En effet, parmi les
fonctions attribuées à la mémoire autobiographique, la poursuite
des buts du sujet et la cimentation des interactions familiales et
sociales occupent une place prépondérante. Ainsi, les patients
privés d’une mémoire autobiographique fonctionnelle perdent
leur passé et en même temps leur futur, ils vivent dans un présent
perpétuel, sans but. L’objectif des programmes de réhabilitation
de la mémoire du passé autobiographique doit viser la reconstruction du sentiment d’identité et de continuité en réinstaurant
225
une temporalité, en renforçant les connaissances sémantiques
personnelles et les capacités de reviviscence des souvenirs épisodiques anciens. Il existe des techniques provenant des thérapies
de la réminiscence utilisées en clinique comme moyen d’intervention thérapeutique auprès des personnes âgées, dans la
dépression et la maladie d’Alzheimer (11). Ces thérapies, effectuées en groupe ou individuellement, retiennent l’idée qu’une
introspection sur son propre passé aurait une fonction adaptative
dans le présent en renforçant l’identité et l’estime de soi ou en
favorisant l’intégration dans un nouvel environnement. En ce qui
concerne plus particulièrement la maladie d’Alzheimer, la réminiscence semble avoir un effet visible sur la sphère comportementale et cognitive agissant sur la dépression, sur les interactions sociales, sur les troubles du comportement, sur la
désorientation spatiotemporelle et la capacité à rester engagé
dans une activité et à planifier les actions futures. Aucune étude
n’a cependant véritablement testé l’impact de la réminiscence sur
le plan cognitif ; par ailleurs, ce champ d’étude manque le plus
souvent d’une méthodologie rigoureuse. Toutefois, les résultats
préliminaires d’un protocole de recherche visant à comparer, à
l’aide d’outils standardisés, les troubles comportementaux et
l’amnésie autobiographique présents avant et après le suivi d’un
programme de réhabilitation cognitive de la mémoire autobiographique sont encourageants. Ils semblent en effet indiquer
que les patients traumatisés crâniens ou atteints d’une maladie
d’Alzheimer débutante pourraient bénéficier favorablement de ce
type de programme de revalidation du point de vue cognitif
(accès facilité au passé lointain) et comportemental (désorientation spatiotemporelle et anosognosie diminuées).
la mémoire autobiographique, laissant les patients, dans les cas
les plus extrêmes, comme étrangers à eux-mêmes. Il est important, dans la pratique clinique, de disposer d’outils valides et sensibles permettant de détecter le plus précocement possible ces
troubles et de les prendre en charge pour améliorer la qualité de
vie des patients.
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Raconter et faire partager nos expériences passées sont des
phénomènes universels qui participent à la construction de notre
identité. Certaines pathologies cérébrales atteignent massivement
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I. La mémoire autobiographique est une mémoire
de nature :
a. sémantique
b. épisodique
c. épisodique et sémantique
II. Le profil de l’amnésie autobiographique dans la
maladie d’Alzheimer débutante est :
a. gradué dans le temps dans le sens d’une meilleure préservation des souvenirs anciens
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CONCLUSION
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b. gradué dans le temps dans le sens d’une meilleure préservation des souvenirs récents
c. non gradué dans le temps
III. Selon le modèle standard de la consolidation
à long terme, l’évocation des souvenirs anciens
implique seulement :
a. l’hippocampe
b. le néocortex
c. l’hippocampe et le néocortex
Résultats : I : c ; II : a ; III : b.
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 7 - septembre 2005
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