nisateur dans lequel les personnels hospitaliers
seraient d’abord les victimes, souvent consentantes,
de la bureaucratie hospitalière. Les rigidités « bureau-
cratiques », voilà la cause véritable des problèmes ren-
contrés par les soignants. L’insuffisance de moyens
humains, matériels et financiers, les rémunérations
peu attractives, la dérégulation, en amont, de la
médecine de ville qui engorge l’hôpital en aval,
l’empilement des réformes, source d’injonctions
contradictoires et d’attentisme, la « politique » (si
tant est que ce mot ait un sens en France) désastreuse
de régulation de la démographie des soignants ne
rentrent finalement que très peu en ligne de compte
et des enjeux réels de politiques publiques 3», celles
qui circulent dans des cénacles de plus en plus
internationalisés.
Moins de statuts (protecteurs), moins de règles,
moins de promotions à l’ancienneté, moins de hié-
rarchie et plus de contrats, plus d’évaluations, plus
de « souplesse » dans l’affectation des agents qui se
doivent de cultiver leur « polyvalence » et leur
« flexibilité », plus de rémunération au mérite, plus
de management par objectif : telle est la nouvelle pana-
cée. On comprend le désarroi de ces grands réfor-
mateurs lorsqu’ils voient celles et ceux qu’ils veulent
« libérer », « dynamiser », « récompenser », « épa-
nouir », « motiver », « mobiliser »… se mobiliser, en
effet, mais contre leurs préconisations pourtant
censées vouloir leur bien. Serait-ce là pur maso-
chisme ? Ou alors une énième manifestation de ces
fameuses « résistances au changement » qui servent
d’explication passe-partout lorsqu’on est confronté
à l’échec ? Ou, bien plutôt, ces refus répétés sont-ils
motivés par de vraies raisons, des raisons non
« rationnelles » du point de vue gestionnaire, mais
pourtant « raisonnables » au sens de justifiées et jus-
tifiables ? C’est ici que le sociologue est sociale-
ment utile : loin de se satisfaire du discours de la
hiérarchie des porte-parole autorisés du changement
nécessairement positif, nécessaire car positif, il va voir
de quoi il en retourne vraiment dans le monde
social et tente de donner un sens à ces refus, à ces
résistances, à ces mobilisations. Or, en l’espèce, du
côté de l’AP-HP, qu’observe-t-il ?
Vers la déshumanisation de l’hôpital
par la gestion ?
Ne nous attardons pas sur l’augmentation des
cadences, liée à l’effet ciseaux entre, d’un côté,
des services hospitaliers (et surtout les plus généra-
listes d’entre eux) qui font figure d’ultimes recours
pour des catégories modestes « chassées » de la méde-
cine de ville où les soins sont de moins en moins bien
pris en charge par l’Assurance maladie (dépassements
d’honoraires, franchises, etc.) et, de l’autre, des pénu-
ries locales de personnels ainsi que des ressources
insuffisantes. Les personnels soignants sont confron-
tés, comme les salariés des entreprises, au renfor-
cement des contraintes organisationnelles, sur les
délais et les rythmes, rendant le travail moins pré-
visible et moins maîtrisable, donc potentiellement
source de souffrances psychosociales. Tant que ces
cadences accrues leur donnaient le sentiment de pou-
voir préserver la qualité des soins dispensés aux
patients, elles demeuraient supportables. Mais le ren-
forcement continu des contraintes budgétaires
met à mal cet arbitrage : nombreux sont les soignants
qui estiment aujourd’hui ne plus avoir les moyens
de respecter a minima leurs normes professionnelles,
bref de pouvoir faire du « bon boulot ». Pire, l’im-
mixtion, au cœur de la relation soignante, de critères
de « rentabilité », avec la T2A, est perçue comme
35 OCTOBRE 2009 47 PRATIQUES
DOSSIER
UN ASSERVISSEMENT PATHOGÈNE
2
…/…
Les rigidités bureaucratiques,
voilà la cause véritable des
problèmes rencontrés par les
soignants.
pour expliquer la « crise » de l’hôpital. Aussi, point
n’est besoin d’augmenter les moyens financiers,
comme l’a rappelé le président de la République au
début de l’année 2009, qu’il juge suffisants. La
solution est à rechercher plutôt dans une meil-
leure organisation de l’hôpital, qui lui permettrait
d’entrer dans l’ère de la modernité des organisations
« flexibles », « responsables », « autonomes », « dyna-
miques », « gérées » de façon « optimale ». Bref, il
faut faire de l’hôpital une entreprise, libre de s’or-
ganiser, libre de recruter, libre d’affecter ses moyens
humains et matériels en fonction du « marché » local
de soins, avec à sa tête un vrai « patron » et un vrai
« conseil d’administration ». Il peut paraître étrange
que les réformateurs prennent comme modèle,
pour moderniser les services publics, les entreprises
alors même que les enquêtes des économistes, des
sociologues, des ergonomes aboutissent à la même
conclusion : la réorganisation des entreprises au cours
des années 1980 et 1990 a été synonyme, pour les sala-
riés, de pressions accrues en matière de productivité
et de performance, d’individualisation du rapport
au travail, d’insécurités grandissantes, d’injonctions
contradictoires, de stress, etc. qui, in fine, ont par-
ticipé de la montée des souffrances au travail,
notamment de nature psychosociale. Le fait est
que ceux qui pensent ces réorganisations, dans le privé
comme dans le public, connaissent de moins en moins
la réalité du travail des salariés. Les rapports qui ins-
pirent les réformes de l’hôpital sont ainsi rédigés par
de grands architectes de plus en plus ignorants du
vécu des agents opérationnels et qui, ainsi libérés du
principe de réalité, peuvent donner libre cours à leurs
« visions hyper-rationnelles et idéales de la réorga-
nisation, mais largement coupées des réalités admi-
nistratives, des cultures des administrations fusionnées