CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE VAUDOIS DIRECTION MEDICALE Commission Permanente des Médicaments Secrétariat BH 04 1011 Lausanne - CHUV BULLETIN D'INFORMATION CPM N° 1 - 2005 Statines : quelles doses, pour quels risques ? De plus en plus de patients se retrouvent sous traitement de statines à doses élevées, introduites généralement dans le cadre d’un syndrome coronarien aigu. Cette approche est soutenue par deux études 1,2. D’autres études n’ont pas trouvés d’effets favorables de l’introduction précoce de statines dans cette pathologie 3,4. L’étude « MIRACL » montre une réduction d’événements coronariens de 17.4% à 14.8% à 4 mois quand de l’atorvastatine est introduite à 80 mg 1 à 3 jours après un infarctus myocardique. Dans cette étude, la posologie élevée utilisée a été la seule étudiée et il ne saurait être retenu dès lors que seule cette posologie est efficace. De plus, l’efficacité de cette approche est limitée. L’effet est modéré (NNT5 de 38), et obtenue avec une perte de patients (drop-out) dans le groupe atorvastatine trop importante pour autoriser une adhésion sans réserve aux résultats publiés. Cela d’autant plus que le bénéfice observé équivaut essentiellement à une diminution des cas d’angor instable (critère composite : décès, infarctus non fatal, arrêt cardiaque, ischémie myocardique avec hospitalisation). L’absence de différence dans les événements cardiovasculaires totaux rend ces résultats peu probants par comparaison aux critères utilisés dans la majorité des autres études avec statines. Sur le plan sécurité, il faut relever que les critères d’exclusion comprenaient, entre autres : hépatopathie (ALAT > 2x LN), insuffisance cardiaque, (NYHA IIIb ou IV), tout médicament associé à une rhabdomyolyse lors d’association avec les statines, insuffisance rénale, anémie, diabète insulino-requérant. Malgré toutes ces précautions, les résultats ont montré une élévation des transaminases > 3x la limite supérieure chez 2.5% des patients sous atorvastatine vs 0.6% sous placebo (NNH6 de 53). L’étude PROVE-IT montre que de l' atorvastatine donnée à 80 mg/j plutôt que de la pravastatine à 40 mg/j réduit les événements vasculaires de 26.3% à 22.4% à 2 ans et amène une plus forte baisse du cholestérol. La supériorité de la stratégie agressive sur la stratégie conventionnelle 7 montre un effet favorable sur le critère primaire combiné 8 (3.9% de 1 Schwartz GG et al. Effects of Atorvastatin on Early Recurrent Ischemic Events in Acute Coronary Syndromes. The MIRACL Study: A Randomized Controlled Trial. JAMA. 2001;285:1711-1718 2 Cannon CP et al. Comparison of Intensive and Moderate Lipid Lowering with Statins after Acute Coronary Syndromes. N Engl J Med 2004;350. 3 Newby KL et al. Early statin initiation and outcomes in patients with acute coronary syndromes. JAMA 2002; 287:30873095 4 De Lemos JA et al.. Early intensive vs. a delayed conservative simvastatin strategy in patients with acute coronary syndromes : phase A of the A to Z trial. JAMA 2004; 292:1307-1316 5 NNT : number needed to treat : nombre de patients à traiter pour observer l’effet bénéfique chez l’un d’entre eux 6 NNH : number needed to harm : nombre de patients à traiter pour observer l’effet indésirable chez l’un d’entre eux 7 le rapport de puissance atorvastatine : pravastatine est de 6 : 1 ; une dose équipotente de pravastatine serait de 240 mg ! CHUV-CPM / 02-2005 1/3 différence d’efficacité ; NNT 15), essentiellement chez les patients à haut risque. Ce résultat est cependant à mettre en relation avec le « mismatch » des patients (incidence accrue de pathologies CV dans groupe pravastatine [artériopathie périphérique +1.6% ; p=0.03 ; infarctus du myocarde préalable +1.3%]). Il faut rappeler que l’erreur de type I continue d’exister, même si le nombre de patients enrôlés est suffisant pour limiter l’erreur de type II 9! Sur le plan de la sécurité, les critères d’exclusion comprenaient, entre autres : traitement avec des inhibiteurs du CYP 3A4 ; facteurs pouvant prolonger l’intervalle QT ; maladie hépatobiliaire obstructive ou autre affection hépatique sévère; élévation des CK > 3x LN ; créatinine sérique > 176.8 micromoles/L. Les résultats suivants ont été obtenus, faut-il le préciser, dans une population fortement sélectionnée et contrôlée, ne recevant aucun inhibiteur du CYP3A4 (atorvastatine): Arrêt de traitement : pravastatine dose standard atorvastatine 80 mg A 1 an 21.4 % 22.8 % Arrêt de ttt pour myalgies, CK pravastatine dose standard atorvastatine 80 mg 2.7 % 3.3% ALAT > 3x valeur supérieure de la norme pravastatine dose standard atorvastatine 80 mg 1.1 % 3.3 % A 2 ans 33.0 % 30.4 % NNH 45 Ces données récentes ont fourni des arguments largement répercutés par les fabricants de statines pour inciter les prescripteurs à augmenter les posologies, et par ce biais-là multiplier les ventes. L’argument « the more is the best » envahit la lipidologie, sans égard suffisant aux risques entraînés par une maximisation à tout prix du traitement. Or il est connu que les risques des statines, principalement des myopathies pouvant occasionner une rhabdomyolyse grave, mais aussi des neuropathies etc., sont dose-dépendants. Une statine commercialisée à posologie trop élevée a été retirée du marché en 2001 suite à une surmortalité. 8 9 temps depuis la randomisation jusqu’à la première apparition d’un événement faisant partie du critère primaire combiné : mort (toute cause), infarctus du myocarde, angor instable documenté nécessitant une hospitalisation, revascularisation (CABG, PTCA) intervenant plus de 30 jours après la randomisation, AVC Erreur de type I : conclure à la présence d’un effet positif alors qu’il n’existe pas Erreur de type II : conclure à l’absence d’effet alors que cet effet existe CHUV-CPM / 02-2005 2/3 Plusieurs cas de myopathies et de rhabdomyolyse récemment observés au CHUV sous posologie élevée de statines incitent la CPM a rappeler ce qui suit. • La posologie des statines doit être individualisée selon l’objectif thérapeutique (cholestérolémie) et en fonction de la tolérance (CK, symptômes). • La plus grande prudence est de rigueur lors de co-médication pouvant soit augmenter les concentrations de statines (inhibiteurs du CYP3A4 : macrolides, anticalciques, antifongiques ; inhibiteurs de la PGP), soit exercer une toxicité musculaire additionnelle (fibrates, ciclosporine, colchicine). • L’utilisation des statines dans le syndrome coronarien aigu ne représente pas encore une indication officielle reconnue. Elle se fait donc sous la seule responsabilité du prescripteur (cf. directive institutionnelle : Règles concernant l’utilisation des procédures diagnostiques et/ou thérapeutiques) • Les éléments de risque pour le développement d’effets indésirables sont le sexe féminin, le faible poids, l’âge avancé, l’insuffisance rénale, les interactions médicamenteuses (inhibiteurs du CYP 3A4 et de la PGP ; substances myotoxiques). Ce document a été approuvé par Prs/Drs M. Burnier, J. Cornu, R. Darioli, E. Eeckhout, R. Gaillard, D. Hayoz, L. Kappenberger, L. Liaudet, MD Schaller et G. Waeber. Février 2005 Le Bureau de la CPM Va à: Ensemble du corps médical du CHUV ICS, ICUS et ICD du CHUV CHUV-CPM / 02-2005 3/3