Il y a banque et banque de données…

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19.3.2009
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doutes et certitudes
Il y a banque et banque de données…
S
ous la pression des structures publiques ou privées qui assurent le
financement des soins, les banques de données sont devenues un outil
largement utilisé pour évaluer la qualité de
la prise en charge des patients. A partir
de toute une série d’informations, tant administratives que médicales, des scores
ont été développés et validés, qui définissent des catégories de risque, un pronostic. Les diverses modalités de traitement de la maladie coronarienne après
coronarographie n’ont pas échappé à cette
tendance, j’oserais presque parler de mode. Suivant l’âge du patient, le nombre
de lésions coronariennes, son passé médical, ses comorbidités, etc., il est ainsi
possible de lui attribuer un risque d’issue
mortelle bas, moyen ou élevé. Des chiffres
de mortalité trop élevée pour la catégorie
de bas risque devraient attirer l’attention
des responsables médicaux sur un possible problème de qualité, d’où l’utilisation
de ces scores comme un outil de contrôle de cette dernière. Ces index de risque ont toutefois des faiblesses, la plus
importante d’entre elles étant une relative
imprécision pour un patient individuel. Leur
utilisation comme critère de qualité devrait
donc être réservée à des groupes numériquement suffisamment importants de
patients. Mais, même dans ce cas, les
banques de données peuvent se méprendre ou induire des conclusions fallacieuses, c’est ce que nous apprend un
récent article dans les Archives of Internal
Medicine.
Les meilleures conditions de succès
étaient apparemment réunies dans cette
étude qui va vous être relatée : elle vient
d’Alberta (Canada), elle est récente (patients enregistrés entre 2004 et 2005), elle
porte sur plus de 3800 sujets soumis à une
coronarographie montrant une sténose d’au
moins 50% d’au moins un vaisseau, elle
répond au doux acronyme APPROACH
laissant entrevoir des dispositions d’esprit plutôt favorables.1 Utilisant le bien connu Duke Coronary Index score, elle sépara ses patients en trois groupes : celui
à bas risque (3% de mortalité à un an),
alors que les moyens et hauts risques
présentaient une mortalité de 7 et 11%.
Pour approfondir ses connaissances sur
ses patients, elle les soumit à d’autres
questionnaires, dont le non moins connu
Seattle Angina Questionnaire qui donne
des indications sur la performance physique fonctionnelle, l’inamovible EuroQol
5D qui porte sur la qualité de vie et l’inévitable CES-D qui mesure sur une échelle
appropriée l’intensité d’un état dépressif.
Nos auteurs firent tout d’abord la constatation surprenante que le taux d’admi-
00
nistration de statines et d’inhibiteurs de
analyses plus fines, portant sur d’autres
l’enzyme de conversion, deux types de
éléments jusqu’alors négligés, telles la
médicaments dont l’effet préventif favotendance dépressive et la capacité phyrable sur le pronostic de la maladie corosique fonctionnelle, permettent un diagnarienne ne fait guère de doute, était
nostic plus fin qui relativise, voire infirme
d’autant plus bas que le risque d’issue
le jugement initial. Et il est permis de
mortelle était élevé : c’est le paradoxe
penser que d’autres composantes de la
risque-traitement dont fait état le titre
situation médicale du patient non encore
de l’article. Pour le quidam moyen, en efexplorées peuvent aussi affecter la prise
fet, il paraîtrait logique
en charge. A un mo«… le taux d’adminisd’adapter la prescripment où, dans la boution de médicaments
che des responsables
tration de statines et
au risque. Or c’est le
d’inhibiteurs de l’enzyme administratifs et des
contraire qui fut relecaisses-maladie, l’exde conversion était
vé ! Ce paradoxe conpression «contrôle de
d’autant plus bas que le
cernait surtout ces méqualité» est synonyme
risque d’issue mortelle
dications préventives,
de parole d’évangile,
était élevé …»
ainsi que l’aspirine à
l’utilisation systématiun moindre degré, mais
que de banques de
non les nitrates, anticalciques et bêtablodonnées inappropriées ou insuffisamment
quants qui agissent sur les symptômes.
nuancées devrait être considérée avec un
Deuxième constatation : lorsque cette
esprit sainement critique et susciter un
prescription apparemment insuffisante de
doute raisonnable sur la validité de leurs
statines et d’inhibiteurs de l’enzyme de
conclusions. Il en est sans doute de mêconversion était corrigée pour la présence
me des «Diagnosis Related Groups (DRG)»
d’un état dépressif et/ou d’une diminution
sur la base desquels le remboursement
de la performance fonctionnelle, elle se
des séjours hospitaliers va s’effectuer,
normalisait et le paradoxe disparaissait.
DRG dont sont absentes les dimensions
Ce qui aurait pu être pris pour un simple
psychologiques des patients. A ce titre,
et indiscutable manque de qualité de la
il est rassurant et encourageant pour les
part des médecins traitants devenait quelmédecins, trop souvent considérés comque chose de plus complexe, que les
me des fauteurs de trouble par ces orgainformations généralement disponibles
nismes si gourmands en données, de
dans les banques de données ne persavoir que l’analyse de la prise en charge
mettaient pas de décoder. Deux explicades malades ne peut se résumer à la
tions furent proposées : le corps médical
prise en compte de seuls éléments prépourrait, face à des patients dépressifs,
tendument objectifs parce que colligés
renoncer à faire prévaloir l’intérêt d’un
dans de gigantesques fichiers, mais qu’elle
traitement à visée préventive ou ne le faire
dépend également des infinies variations
qu’avec une molle insistance. Il est en
de la personnalité des sujets et de leurs
effet connu qu’une imprégnation psychiaréactions. Une lapalissade pour beaucoup
trique des patients altère substantiellede praticiens sans doute, mais une vérité
ment le comportement de leurs médecins
que devraient méditer nos gestionnaires
et aboutit parfois à une prise en charge
de santé.
inadéquate. Il y aurait aussi, en ce cas,
Pr Alain F. Junod
déficit de prise en charge, mais autre en
10B, chemin Rojoux
serait la raison. L’autre hypothèse, et les
1231 Conches
chercheurs canadiens semblent lui accorder leur préférence, serait une absence
d’adhésion des patients et leur non-observance pour ce type de thérapie, qui contrasterait avec leur attitude plus docile
vis-à-vis des médicaments qui agissent
sur les symptômes. Il paraît logique en
effet d’attribuer aux patients la cause de
ce comportement différentiel vis-à-vis de
ces deux classes de médicaments.
Quelle que soit la cause de ce phénomène, une conclusion demeure : les banBibliographie
ques de données socio-démographiques
et médicales conventionnelles permettent
1 McAlister FA, et al. Exploring the treatmentpeut-être d’identifier des situations anorrisk paradox in coronary disease. Arch Intern
males, mais ne sont pas toujours capaMed 2007;167:1019.
bles de les expliquer correctement. Des
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 mars 2009
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