34022_693.qxp 19.3.2009 8:57 Page 1 doutes et certitudes Il y a banque et banque de données… S ous la pression des structures publiques ou privées qui assurent le financement des soins, les banques de données sont devenues un outil largement utilisé pour évaluer la qualité de la prise en charge des patients. A partir de toute une série d’informations, tant administratives que médicales, des scores ont été développés et validés, qui définissent des catégories de risque, un pronostic. Les diverses modalités de traitement de la maladie coronarienne après coronarographie n’ont pas échappé à cette tendance, j’oserais presque parler de mode. Suivant l’âge du patient, le nombre de lésions coronariennes, son passé médical, ses comorbidités, etc., il est ainsi possible de lui attribuer un risque d’issue mortelle bas, moyen ou élevé. Des chiffres de mortalité trop élevée pour la catégorie de bas risque devraient attirer l’attention des responsables médicaux sur un possible problème de qualité, d’où l’utilisation de ces scores comme un outil de contrôle de cette dernière. Ces index de risque ont toutefois des faiblesses, la plus importante d’entre elles étant une relative imprécision pour un patient individuel. Leur utilisation comme critère de qualité devrait donc être réservée à des groupes numériquement suffisamment importants de patients. Mais, même dans ce cas, les banques de données peuvent se méprendre ou induire des conclusions fallacieuses, c’est ce que nous apprend un récent article dans les Archives of Internal Medicine. Les meilleures conditions de succès étaient apparemment réunies dans cette étude qui va vous être relatée : elle vient d’Alberta (Canada), elle est récente (patients enregistrés entre 2004 et 2005), elle porte sur plus de 3800 sujets soumis à une coronarographie montrant une sténose d’au moins 50% d’au moins un vaisseau, elle répond au doux acronyme APPROACH laissant entrevoir des dispositions d’esprit plutôt favorables.1 Utilisant le bien connu Duke Coronary Index score, elle sépara ses patients en trois groupes : celui à bas risque (3% de mortalité à un an), alors que les moyens et hauts risques présentaient une mortalité de 7 et 11%. Pour approfondir ses connaissances sur ses patients, elle les soumit à d’autres questionnaires, dont le non moins connu Seattle Angina Questionnaire qui donne des indications sur la performance physique fonctionnelle, l’inamovible EuroQol 5D qui porte sur la qualité de vie et l’inévitable CES-D qui mesure sur une échelle appropriée l’intensité d’un état dépressif. Nos auteurs firent tout d’abord la constatation surprenante que le taux d’admi- 00 nistration de statines et d’inhibiteurs de analyses plus fines, portant sur d’autres l’enzyme de conversion, deux types de éléments jusqu’alors négligés, telles la médicaments dont l’effet préventif favotendance dépressive et la capacité phyrable sur le pronostic de la maladie corosique fonctionnelle, permettent un diagnarienne ne fait guère de doute, était nostic plus fin qui relativise, voire infirme d’autant plus bas que le risque d’issue le jugement initial. Et il est permis de mortelle était élevé : c’est le paradoxe penser que d’autres composantes de la risque-traitement dont fait état le titre situation médicale du patient non encore de l’article. Pour le quidam moyen, en efexplorées peuvent aussi affecter la prise fet, il paraîtrait logique en charge. A un mo«… le taux d’adminisd’adapter la prescripment où, dans la boution de médicaments che des responsables tration de statines et au risque. Or c’est le d’inhibiteurs de l’enzyme administratifs et des contraire qui fut relecaisses-maladie, l’exde conversion était vé ! Ce paradoxe conpression «contrôle de d’autant plus bas que le cernait surtout ces méqualité» est synonyme risque d’issue mortelle dications préventives, de parole d’évangile, était élevé …» ainsi que l’aspirine à l’utilisation systématiun moindre degré, mais que de banques de non les nitrates, anticalciques et bêtablodonnées inappropriées ou insuffisamment quants qui agissent sur les symptômes. nuancées devrait être considérée avec un Deuxième constatation : lorsque cette esprit sainement critique et susciter un prescription apparemment insuffisante de doute raisonnable sur la validité de leurs statines et d’inhibiteurs de l’enzyme de conclusions. Il en est sans doute de mêconversion était corrigée pour la présence me des «Diagnosis Related Groups (DRG)» d’un état dépressif et/ou d’une diminution sur la base desquels le remboursement de la performance fonctionnelle, elle se des séjours hospitaliers va s’effectuer, normalisait et le paradoxe disparaissait. DRG dont sont absentes les dimensions Ce qui aurait pu être pris pour un simple psychologiques des patients. A ce titre, et indiscutable manque de qualité de la il est rassurant et encourageant pour les part des médecins traitants devenait quelmédecins, trop souvent considérés comque chose de plus complexe, que les me des fauteurs de trouble par ces orgainformations généralement disponibles nismes si gourmands en données, de dans les banques de données ne persavoir que l’analyse de la prise en charge mettaient pas de décoder. Deux explicades malades ne peut se résumer à la tions furent proposées : le corps médical prise en compte de seuls éléments prépourrait, face à des patients dépressifs, tendument objectifs parce que colligés renoncer à faire prévaloir l’intérêt d’un dans de gigantesques fichiers, mais qu’elle traitement à visée préventive ou ne le faire dépend également des infinies variations qu’avec une molle insistance. Il est en de la personnalité des sujets et de leurs effet connu qu’une imprégnation psychiaréactions. Une lapalissade pour beaucoup trique des patients altère substantiellede praticiens sans doute, mais une vérité ment le comportement de leurs médecins que devraient méditer nos gestionnaires et aboutit parfois à une prise en charge de santé. inadéquate. Il y aurait aussi, en ce cas, Pr Alain F. Junod déficit de prise en charge, mais autre en 10B, chemin Rojoux serait la raison. L’autre hypothèse, et les 1231 Conches chercheurs canadiens semblent lui accorder leur préférence, serait une absence d’adhésion des patients et leur non-observance pour ce type de thérapie, qui contrasterait avec leur attitude plus docile vis-à-vis des médicaments qui agissent sur les symptômes. Il paraît logique en effet d’attribuer aux patients la cause de ce comportement différentiel vis-à-vis de ces deux classes de médicaments. Quelle que soit la cause de ce phénomène, une conclusion demeure : les banBibliographie ques de données socio-démographiques et médicales conventionnelles permettent 1 McAlister FA, et al. Exploring the treatmentpeut-être d’identifier des situations anorrisk paradox in coronary disease. Arch Intern males, mais ne sont pas toujours capaMed 2007;167:1019. bles de les expliquer correctement. Des Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 mars 2009 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 mars 2009 693