22 Médicalisation Troponines hypersensibles Un diagnostic plus précoce des syndromes coronariens aigus Les marqueurs cardiaques comme la troponine jouent un rôle majeur dans le diagnostic et le pronostic des syndromes coronariens aigus (SCA). Les dosages actuels permettent d’atteindre des niveaux de sensibilité inégalés, et de gagner du temps dans la prise en charge des patients. Un témoignage de Jean-Philippe Collet, cardiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. En présence d’une douleur thoracique, savoir différencier un syndrome coronarien aigu (SCA) d’une cause plus bénigne est crucial pour éviter de passer à côté d’un diagnostic aux conséquences lourdes. À l’inverse, de nombreux patients sont hospitalisés pour des douleurs thoraciques se révélant d’origine non cardiaque. D’où l’importance du dosage des troponines, aujourd’hui 10 000 BIO N° 83 - novembre 2010 considéré comme le dosage biologique de référence dans les SCA, et réalisé par la plupart des laboratoires, hospitaliers ou privés. L’isoforme cardiaque de la troponine T est libérée dans le sang lors d’un épisode de nécrose en des quantités variables, détectées par immunodosage en ECL. Une nouvelle méthode de dosage dit "hypersensible" (T Hs) a été développée, et permet de déceler des concentrations dix fois plus faibles de troponine T. Commercialisé par Roche en mai 2010, le kit de dosage hypersensible de troponine utilise des anticorps monoclonaux chimériques souris/homme, minimisant les interférences avec les anticorps circulants, et augmentant la sensibilité analytique. L’arrivée de ce nouveau dosage entraîne une évolution des habitudes hospitalières, comme en témoigne le professeur Jean-Philippe Collet, cardiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Professeur Jean-Philippe Collet, cardiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière : "Une amélioration du pronostic des patients et un gain économique significatif." 23 Troponine T Hs (TnT Hs) Reco ESC et ACC : interprétation sur 99e percentile et évolution du taux Exclusion IDM 87 % < VPN < 99 % Zone d’observation Cinétique H0/H3 14 Quelles sont les recommandations internationales sur les seuils de détection de troponine ? Jean-Philippe Collet : Le seuil au-delà duquel un patient est considéré comme atteint d’un SCA a été placé au niveau du 99e percentile, c’est-à-dire la valeur pour laquelle 99 % d’une population de référence est négative. Les recommandations analytiques redéfinies en 2007 réclament pour les résultats de troponine une imprécision maximale tolérable de 10 %, au niveau de ce seuil décisionnel. Il est aujourd’hui possible d’atteindre cette exigence analytique, grâce aux dosages de troponines dites hypersensibles, comme la troponine T Hs. Détecter des SCA pour lesquels les dosages de troponine étaient négatifs avec les anciens tests Quels sont les bénéfices attendus de ces nouveaux tests ? J.-P. C. : La sensibilité accrue des troponines hypersensibles permet de mettre en évidence des micronécroses cardiaques dans un contexte où les signes cliniques/ ECG sont peu évocateurs, et de porter plus précocement le diagnostic de syndrome coronarien aigu (SCA). L’évaluation de la cinétique de la troponine sera également plus rapide, puisqu’on va vraisemblablement passer de six à neuf heures actuellement, à trois heures. Même en présence de modifications typiques de l’électrocardiogramme, la troponine permet de renforcer la suspicion diagnostique, de stratifier le risque et de gagner du temps dans la prise en charge des patients. Redoser si patient à haut risque CV Inclusion Haut Risque 50 100 % d’élévation VPP IDM = 100 % SCA Prise en charge Troponine T Hs (en pg/ml) 99e percentile = 14 pg/ml – cv 10 % = 13 pg/ml Enfin, l’utilisation du seuil du 99e percentile apporte une excellente valeur prédictive négative (VPN) de l’ordre de 100 % pour l’infarctus du myocarde (IDM) aigu ou l’angor instable, dès l’admission. Au final, nous pouvons espérer une amélioration de la prise en charge des patients avec un gain économique significatif en réduisant notamment la durée d’hospitalisation et la rapidité du triage dans les services d’urgence, avec également un meilleur ciblage des examens complémentaires. Que doit-on conclure des patients pour lesquels les dosages de T Hs sont faiblement positifs ? J.-P. C. : L’augmentation de la sensibilité diagnostique peut entraîner une baisse de la spécificité du dosage. Ceci peut être compensé par une approche cinétique. En effet, l’élévation de la troponine n’est pas synonyme de coronaropathie, mais témoigne d’une souffrance myocardique sans préjuger de son étiologie. Elle ne peut donc s’interpréter qu’en fonction du contexte clinique et en particulier de la probabilité d’avoir une maladie coronaire avant la réalisation du dosage (la fameuse probabilité prétest). Par ailleurs, ces nouveaux dosages vont repousser les limites du diagnostic des SCA : on peut aujourd’hui détecter des SCA pour lesquels, avec les anciens tests, les dosages de troponine étaient négatifs, ce qui change totalement la stratégie thérapeutique. Il faudra donc redéfinir l’IDM en fonction des nouveaux seuils de troponine Hs et déterminer si cela a des conséquences en termes d’amélioration du pronostic clinique, ce qui n’est pas forcément clinique. Pour le dosage de troponine T Hs, il est proposé à ce jour de distinguer trois "zones" : en dessous de 14 pg/ml, une troponine négative avec une très forte VPN particulièrement intéressante pour les urgences ; entre 14 et 50 pg/ml, une zone d’observation nécessitant un nouveau dosage dans les trois heures (la cinétique à H3 permettra d’évaluer l’acuité, avec une élévation > 100 % confirmant d’IDM) ; au-dessus de 50 pg/ml, un SCA à haut risque nécessitant une prise en charge. Quel rôle le biologiste doit-il jouer dans l’interprétation de ces nouveaux tests ? J.-P. C. : Le dialogue entre les biologistes et les cliniciens est primordial. Nous attendons beaucoup d’information des biologistes : qu’est-ce qui différencie ce paramètre des autres troponines ? Quelles sont les valeurs normales ? Le dosage est-il robuste en toutes circonstances ? Le prélèvement est-il simple à réaliser et à acheminer ? La qualité du rendu du résultat est-elle inchangée ? etc. Ils peuvent également nous alerter sur un résultat atypique et décider avec nous de l’intérêt éventuel d’un second dosage. Enfin, dernier élément, peut-on disposer de ce dosage en délocalisé ? Ceci est important dans les structures multi-sites où le dosage est parfois réalisé à distance du lieu de prélèvement (SAU, USIC). Le magazine d’information biomédicale de Roche Diagnostics