L’Encéphale (2009) Supplément 5, S155–S159 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Prise en charge au long cours des états psychotiques complexes ou difficiles M.-N. Vacheron CHSA. Secteur 13. 1, rue Cabanis 75674 Paris Cedex 14 La pathologie psychotique est complexe, et variable en fonction du tableau clinique initial et de l’évolution, permettant d’envisager l’hypothèse d’un continuum entre les différents troubles psychotiques. La prise en charge au long cours sera donc également variable suivant les patients. Elle inclut des aspects chimiothérapiques, mais surtout des mesures de réhabilitation et de réinsertion ; elle doit prendre en compte les comorbidités addictives et thymiques, ainsi que les troubles cognitifs. La définition du mot « difficile » (« qui n’est pas facile à faire ; qui demande un effort ; qui donne des soucis, qui est pénible ; qui est exigeant, peu commode ») s’applique bien à ces prises en charge au long cours [5, 19]. Le devenir de la psychose doit être évalué « dans la vraie vie ». La prise en charge de la schizophrénie en pratique de secteur doit prendre en compte les rechutes, les réhospitalisations, la persistance de symptômes, les déficits cognitifs et psychosociaux, l’isolement social et affectif, et le risque de suicide [2, 11]. Caractéristiques des patients difficiles On peut diviser les problèmes liés aux patients complexes en trois groupes : les troubles du comportement violents, les symptômes résistants ou persistants, et les difficultés d’observance ou d’insight. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. Patients avec troubles du comportement violents auto ou hétéro-agressifs Ce sont généralement les patients qui passent le plus de temps dans les services, même si leur symptomatologie n’est pas nécessairement résistante aux traitements [20, 23]. Ces patients présentent fréquemment des symptômes positifs persistants : délire de persécution, syndrome d’influence, hallucinations auditives persistantes, délire grandiose, fascination pour les armes, ou encore scénario délirant d’agression d’autrui. Ces patients sont fréquemment impulsifs et présentent des comorbidités : addictions, personnalité psychopathique, troubles thymiques, en particulier dépression avec sentiment d’incurabilité. Les facteurs environnementaux sont très importants à prendre en compte chez ces patients, puisqu’ils passent souvent à l’acte contre l’entourage ou contre les soignants, lorsqu’ils sont en situation de contrainte, ou encore de trop grande proximité. Patients avec symptômes résistants persistants Plusieurs définitions ont été proposées pour la résistance. On peut retenir celle de J. Kane : absence de rémission au cours des 5 dernières années et résistance à 3 essais thérapeutiques d’antipsychotiques de classe différente (> 1 g de chlorpromazine) d’au moins 6 semaines chacun. La résistance doit s’apprécier sur les 4 dimensions de la maladie : positive, négative, émotionnelle, et fonctionnelle. S156 En moyenne, 20 % des patients souffrant de schizophrénie ne répondent pas au traitement après un premier épisode [4, 12, 16]. Patients ambivalents par rapport aux soins ou dans le déni Les patients peu observants sont nombreux : le défaut d’observance est estimé, suivant les études, entre 40 et 60 % des patients. On quantifie en général l’observance par l’écart par rapport au traitement : une bonne observance correspond à des écarts, par rapport à la prescription, inférieurs à 25 %, une observance partielle par des écarts, par rapport à la prescription, de l’ordre de 40 à 50 %, et la nonobservance par des écarts, par rapport à la prescription, supérieurs à 80 %. On retrouve souvent un profil de patients particulier : il s’agit d’hommes jeunes, isolés sur le plan social et familial, présentant des antécédents familiaux de pathologie psychiatrique, avec un vécu traumatique des premières hospitalisations psychiatriques, un retentissement cognitif de la maladie et un faible insight, et souvent des comorbidités somatiques ou addictives [15, 24]. Prises en charge thérapeutiques Les traitements médicamenteux Le choix du traitement Le choix du traitement dépend des objectifs qu’on poursuit ; or ces objectifs du traitement ont évolué : depuis les années 1950, il s’agissait essentiellement d’obtenir un contrôle des symptômes ; puis, dans les années 1980, une amélioration de la qualité de vie ; puis, à partir des années 2000, une amélioration durable du fonctionnement, avec le concept d’efficience du traitement, regroupant l’adhésion, la maîtrise des symptômes et des effets secondaires, et la diminution de l’impact de la maladie sur la qualité de vie, ce qui a conduit au concept de « recovery » ou rétablissement [21, 22]. De nombreuses recommandations ont été proposées quant au choix du traitement (ANDEM, 1994 ; PORT, 1998 et 2004 ; APA, 1999 et 2004 ; NICE 2002 et 2008 ; TMAP 2003) [7]. Mais ces recommandations sont parfois difficiles à appliquer en pratique : par exemple dans une enquête récente en France sur les secteurs de psychiatrie, Delessert et al. [7] retrouvent un respect partiel dans 10 % des cas, et une absence de respect dans 25 % des cas. De plus, les recommandations sont parfois contradictoires pour une même pathologie, selon le type d’antipsychotique recommandé en première intention, selon la définition de la phase de maintenance, ou du fait de la mauvaise définition de certains domaines (troubles de personnalité, prise en charge de la résistance à la clozapine, prise en charge des effets secondaires des antipsychotiques atypiques). Enfin, la prise en compte de l’opinion des utilisateurs est lacunaire. De ce fait, le choix du traitement antipsychotique se fait le plus souvent selon les habitudes de prescription, avec le choix en première intention d’un antipsychotique atypique (mais il s’agit d’une classe hété- M.-N. Vacheron rogène) ; toutefois, une récente méta-analyse de Leucht et al. [14] conclut à une absence de réelle supériorité des atypiques sur les neuroleptiques classiques, le choix du traitement devant surtout reposer sur les effets secondaires et les symptômes cibles. La clozapine a une place importante dans les schizophrénies résistantes, ou même en début de maladie pour certains auteurs chez les jeunes patients schizophrènes dont la symptomatologie ne s’est pas améliorée avec les antipsychotiques atypiques dans les premiers mois de traitement [1]. Le choix du traitement dépend de l’histoire thérapeutique du patient, de sa tolérance, de l’observance et de la qualité de vie. Il faut par la suite maintenir le traitement ayant entraîné la rémission, avec un ajustement de la posologie à une dose suffisante, pendant au moins quatre semaines, et des dosages plasmatiques éventuels, avant de conclure à l’intérêt d’un changement de traitement. Le changement se fait pour un antipsychotique de famille différente en cas de mauvais contrôle des symptômes ou d’effets secondaires [1, 14]. Les co-prescriptions Au-delà des recommandations, les méthodes d’optimisation du traitement s’effectuent souvent par des coprescriptions. En ce qui concerne les coprescriptions avec un autre anti-psychotique, aucune étude contrôlée n’en prouve l’intérêt. Pourtant, ces coprescriptions paraissent utiles chez les patients difficiles : en cas de symptômes résiduels invalidants, on associe deux antipsychotiques atypiques ou un atypique et un conventionnel ; en cas de résistance à la clozapine, on associe un antipsychotique atypique à un neuroleptique conventionnel ou à un autre atypique, bien que cette association n’ait pas fait la preuve de sa supériorité à long terme [8] ; en cas d’effets secondaires invalidants, on peut par exemple citer l’association clozapine-aripiprazole, qui permet de limiter la prise de poids et la sédation. La coprescription est également fréquente en cas de comorbidités addictives. Ces coprescriptions étant souvent mises en œuvre dans des moments aigus, de crise, il faut souligner l’importance de leur réévaluation régulière [13]. D’autres coprescriptions sont classiques, avec les autres classes de psychotropes (tableau 1). La surveillance du traitement La surveillance du traitement comprend des facteurs cliniques (antécédents personnels et familiaux, poids, pression artérielle, périmètre abdominal, effets secondaires), des facteurs paracliniques (ECG avant initiation et surtout à chaque modification de traitement ; bilan biologique avec glycémie et bilan lipidique à un mois, trois mois et un an, ionogramme sanguin, dosages plasmatiques des médicaments, recherche de toxiques). Le problème de l’observance met en jeu des facteurs explicatifs multiples, avec une implication respective du praticien et du patient. L’information du patient, les groupes de psycho-éducation sont un moyen important d’améliorer l’observance. C’est également le cas des formes galéniques d’action prolongée ; par rapport à la forme Prise en charge au long cours des états psychotiques complexes ou difficiles Tableau 1 Les co-prescriptions [10] Avec benzodiazépines – en cas d’angoisse, agitation – de façon transitoire Avec anti-dépresseurs – prévalence des troubles dépressifs de 25 à 65 % – impact sur le handicap fonctionnel, les troubles du comportement violents et addictions – méta-nanalyse de Whitehead : effet bénéfique de tous les antidépresseurs sérotoninergiques Avec thymorégulateurs – carbamazépine/lamotrigine/ gabapentine/valproate/lithium – en cas de troubles du caractère avec agressivité, impulsivité – en cas de résistance pour le lithium Avec correcteurs des effets secondaires – hypoglycémiants, hypolipidémiants – effets secondaires neurologiques – troubles sexuels orale, leurs avantages sont un meilleur contrôle de l’observance, et une facilitation de la prescription chez des patients souvent « polymédicamentés » et « addictifs ». Les limites de l’utilisation des formes d’action prolongée sont le petit nombre de produits disponibles, et le fait qu’il faut adapter la prescription en fonction des différentes étapes de la maladie et de l’attitude du patient. Elles doivent par ailleurs être associées à une information sur le traitement et la maladie [6]. Les sismothérapies Les indications classiques de la sismothérapie dans les schizophrénies sont la chimiorésistance (pour les formes paranoïdes hallucinatoires ou les formes avec agitation ou hostilité), la catatonie, et l’existence d’une dimension thymique importante. En association avec les antipsychotiques, la sismothérapie aurait un effet potentialisateur. On propose généralement des cures, d’au moins 5 séances, suivies d’ECT de maintenance à raison d’une à deux séances par semaine pendant au moins 6 mois. Le traitement des addictions Les addictions sont très fréquentes chez les patients schizophrènes, avec un usage de cannabis chez plus de 25 % des patients, un abus d’alcool chez environ 40 % d’entre eux, et un tabagisme dans 70 à 80 % des cas. Les conséquences sont une surmortalité, une modification du métabolisme des médicaments, une résistance au traitement ou son abandon, et donc des rechutes et des réhospitalisations plus fréquentes, avec une augmentation du risque de passages à l’acte violents. S157 Ceci souligne la nécessité d’un dépistage soigneux et répété en fonction de la clinique, mais aussi la formation des équipes soignantes, et une information renouvelée du patient et de l’entourage. Un travail de collaboration doit être fait avec les services d’addictologie [3]. Les autres abords thérapeutiques Les différentes recommandations proposent de mettre en place d’autres approches thérapeutiques, comme la psycho-éducation, la remédiation cognitive, la réhabilitation psychosociale, et les psychothérapies. Les groupes de psycho-éducation Il n’est pas toujours facile de mettre en place ces groupes de psycho-éducation, ni d’y faire adhérer les patients, bien que ces groupes représentent l’élément clé des techniques de réhabilitation. Ces groupes assurent l’éducation, l’accompagnement et le soutien émotionnel des patients. Une méta-analyse de Pitschel et al. [18] montre leur impact positif sur le taux de rechutes. Mais ils nécessitent une formation appropriée et un minimum d’alliance avec le patient. Peu de groupes fonctionnent en pratique, surtout pour les patients difficiles, du fait du déni de la pathologie, de troubles cognitifs majeurs, de troubles de compréhension, et des difficultés à rester dans un groupe. Ceci souligne la nécessité d’une information préalable et en parallèle, répétée, enrichie, et adaptée. La remédiation cognitive et les techniques de réhabilitation psycho-sociale La remédiation vise l’amélioration du déficit cognitif constaté. Les techniques de réhabilitation sont centrées sur les ressources et les capacités du patient et non sur sa maladie. Elles nécessitent des formations appropriées, et s’adressent plutôt à une population ciblée : début de la maladie, candidats à un ESAT, des ateliers protégés ou une formation professionnelle, patients stabilisés. Pour les patients difficiles, on constate la nécessité d’une réhabilitation à un rythme plus lent, à des fins de compensation du handicap [17]. Les psychothérapies Les psychothérapies d’inspiration analytique constituent une aide au patient mais aussi au soignant, en permettant une meilleure compréhension des troubles et une meilleure compréhension du fonctionnement du patient. Les thérapies cognitivo-comportementales ont fait la preuve de leur efficacité, dans la diminution des réhospitalisations, dans l’atténuation de la sévérité des symptômes négatifs et des dépressions, et dans l’amélioration du fonctionnement social. L’art-thérapie améliore surtout les symptômes négatifs, avec maintien de l’efficacité à 6 mois, quel que soit le média utilisé. Les prises en charge familiales, mono-familiales ou en groupe, sont d’autant plus importantes à maintenir S158 dans les soins qu’il s’agit de patients difficiles. On peut aussi proposer des groupes pluridisciplinaires (psychiatres, psychologues, infirmiers, assistants sociaux) autour des patients difficiles, de manière régulière et sur une période suffisamment longue. Ces groupes permettent d’éviter l’épuisement des personnels soignants, et d’affiner l’évaluation de la pathologie en cas de dangerosité potentielle. Le cadre institutionnel La prise en charge institutionnelle est avant tout une prise en charge de secteur, visant la réhabilitation au long cours de ces patients difficiles. Il s’agit surtout de prises en charge ambulatoires (CMP, CATTP, HDJ), permettant une socialisation, le traitement des troubles cognitifs, l’aide à l’autonomisation du patient, et une élaboration de projets concrets. Les visites à domicile sont plus difficiles à mettre en œuvre du fait de la moindre disponibilité en personnel soignant ; par ailleurs, elles vont parfois à l’encontre de la démarche globale de responsabilisation des patients. Elles restent néanmoins importantes, permettant une collaboration avec le réseau primaire (proches, voisins…), et avec le réseau secondaire (généraliste, assistante sociale…). La question de l’hébergement est un problème croissant pour nos patients : cliniques-relais, foyers, appartements sont en nombre insuffisant. La question du travail peut être abordée par les chantiers thérapeutiques, le travail à temps partiel, les ESAT. Le cadre institutionnel comprend également les hospitalisations séquentielles, qui permettent de rééquilibrer le traitement, de rencontrer et de soulager l’entourage, ou de soulager d’autres équipes institutionnelles comme les maisons de retraites ou les foyers non sectorisés. Les séjours de rupture ont aussi un rôle important, qui n’est pas contradictoire avec la philosophie générale de continuité des soins. Les collaborations multi-professionnelles sont indispensables à la pratique de secteur, avec les structures communautaires médico-sociales, les services d’accompagnement à la personne (SAVS, SAMSAH), les aides au travail et à la réinsertion sociale (Groupes d’Entraide Mutuelle), la gestion et la protection des biens, les dispositifs résidentiels de type sanitaire (foyers, etc.) [9]. Le cadre des sorties d’essai Les sorties d’essai sont un outil thérapeutique introduit par la loi du 27 juin 1990 pour favoriser la réhabilitation, et permettre une sortie plus rapide vers une structure alternative. Elles présentent un intérêt pour certains patients qui présentent un déni partiel des troubles. Mais elles ont des limites : elles sont souvent été comparées à des obligations de soin déguisées ; par ailleurs, certains patients sont peu sensibles au cadre symbolique. On est également confronté à la limitation des moyens en cas d’échappement aux soins, et même parfois à une instrumentalisation des équipes par certaines familles. M.-N. Vacheron Comment améliorer la prise en charge au long cours ? Les moyens d’améliorer la prise en charge au long cours sont le dépistage des troubles le plus précoce possible ; un travail de formation et de lien avec le généraliste ; un travail de destigmatisation de la maladie mentale ; le maintien d’une dynamique de secteur. Il faut également veiller à l’optimisation du choix thérapeutique, avec le développement de la recherche clinique et des stratégies thérapeutiques spécifiques pour certains sous-types de patients. « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles » (Sénèque). Références [1] Agid O, Remington G, Kapur S et al. Early use of clozapine for poorly responding first episode psychosis. JClin Psychopharmacol 2007 ; 27 (4) : 369-73. [2] Andreasen NC, Carpenter WT Jr, Kane JM et al. Remission in schizophrenia : proposed criteria and rationale for consensus. Am J Psychiatry 2005 ; 162 (3) : 441-9. [3] Ayuso-Gutierrez, Del Rio Vega JM. Factors influencing relapse in the long-term course of schizophrenia. Schizophrenia Research 1997 ; 28 (2-3) : 199-206. [4] Brenner H, Denker SJ, Goldtein M et al. Defining treatment refractoriness in schizophrenia. Schizophrenia Bulletin 1990 ; 16 : 551-61. [5] Carr VJ. 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