antipsychotiques sur les récepteurs à la dopamine alors que
l’autre invoque le récepteur à glutamate du type NMDA.8
Ce dernier, plus récent, se fonde sur l’effet des antagonistes
du NMDAR (récepteur au N-méthyl-D-aspartate) (kétamine
ou phencyclidine), induisant chez des sujets sains un syn-
drome psychotique et aggravant celui des patients. Récem-
ment, on a observé que, sur la base de tératomes ovariens,
des anticorps auto-immuns contre le NMDAR pouvaient
entraîner une symptomatologie psychotique, qui disparaît
complètement à la suite de l’ablation de la tumeur et/ou d’un
traitement immunosuppresseur.9 Ces cas, bien que rares,
ont un intérêt théorique considérable puisqu’ils confirment
l’hypothèse d’une hypofonction du NMDAR. Le «hub» redox
présenté ici permet d’intégrer ces deux théories.
De nombreux marqueurs révèlent la présence d’un
stress
oxydatif
dans divers tissus de patients souffrant de schizo-
phrénie,10 et plusieurs polymorphismes et CNV dans les
gènes du métabolisme du glutathion sont associés à la ma-
ladie.11-13 Le glutathion est un régulateur majeur des oxy-
dations/réductions cellulaires et un déficit en glutathion
entraîne un stress oxydatif résultant d’un déséquilibre entre
oxydants et antioxydants. Les neurones sont particulière-
ment exposés aux dommages dus au stress oxydatif, dom-
mages impliquant les protéines, les membranes lipidiques
et l’ADN. L’ensemble de ces données suggère qu’un stress
oxydatif persistant dû à un
déséquilibre redox constitue un «hub»
dans cette pathologie (figure 3).
Toutefois, la démonstration qu’un stress oxydatif peut
jouer un rôle causal dans la schizophrénie a été apportée
par notre étude d’un
modèle de souris
génétiquement modi-
fiée dont le taux de glutathion est bas et qui présente de
nombreuses analogies avec la maladie. En particulier, le
récepteur NMDA est sous-activé, les neurones inhibiteurs
à parvalbumine14,15 (figure 5) et leur synchronisation15,16 sont
déficients ; enfin, leur comportement cognitif est altéré.17
En parallèle, l’excès de dopamine généré par les impacts
environnementaux conduit à un stress oxydatif additionnel.
Ce qui est très intéressant, c’est que ce modèle génétique
met l’accent sur
l’enfance et l’adolescence comme périodes critiques de
vulnérabilité
aux impacts environnementaux, évoquant ainsi
l’importance des traumatismes physiques et psychiques
dans l’anamnèse de patients psychotiques. En effet, le mo-
dèle d’interaction gène-environnement montre qu’un stress
additionnel chez le jeune animal conduit à un déficit per-
manent des neurones à parvalbumine et de leur protec-
tion périneuronale, alors qu’il reste sans effet chez l’animal
adulte.14 Cette enveloppe périneuronale protège les cel-
lules contre le stress oxydatif.16 Enfin, les connections cor-
tico-corticales sont également affectées par une dérégula-
tion redox au cours du développement : la souris pauvre
en glutathion présente, comme les patients, des défauts
de myélinisation de nombreux faisceaux. Ce qui est parti-
culièrement intéressant et prometteur, c’est que toutes ces
anomalies peuvent être évitées par l’application d’un
anti-
oxydant et précurseur du glutathion, la N-acétyl-cystéine (NAC)
.14,18
En résumé, le modèle animal présente de nombreuses
anomalies morphologiques, biochimiques, physiologiques
et comportementales, semblables à celles observées chez
les patients. Cet ensemble de données expérimentales con-
vergentes suggère que l’association de facteurs d’oxydation
d’origine génétique avec des facteurs environnementaux,
inducteurs de stress oxydatifs pendant le développement
du cerveau, induit des altérations des circuits intracorticaux
impliquant un déséquilibre entre excitation et inhibition
d’une part, et des circuits intercorticaux, responsables de
la synchronisation d’activité fonctionnelle globale, d’autre
part.
Comme nous l’avons vu, la plupart des altérations peu-
vent être prévenues dans le modèle expérimental par l’ap-
plication d’un antioxydant, la NAC. Dans une étude de type
preuve de concept
, l’application de NAC en addition aux anti-
psychotiques améliore les symptômes négatifs de patients
chroniques, diminue les effets secondai res19 et rétablit par-
tiellement des potentiels évoqués 20 et la synchronisation
locale. Un essai est en cours chez des jeunes souffrant de
psychose débutante du programme TIPP,21 dans l’idée de
prévenir l’évolution défavorable de la maladie.
L’avenir semble donc devoir se concentrer sur une inter-
vention et/ou une prévention aussi précoces que possible.
Pour cela, il s’agira de déceler tôt les personnes suscepti-
bles de développer la maladie, c’est-à-dire de posséder des
marqueurs biologiques fiables du risque, ce à quoi sont ac-
tifs de nombreux groupes de recherche. Il faudra également
disposer de traitements préventifs du type de la NAC, mais
plus efficaces, en particulier dans leur aptitude à franchir la
barrière hémato-cérébrale, et également dépourvus d’effets
secondaires. L’adjonction d’oméga 3 pour rait s’avérer favo-
rable pour réduire le taux de transition aux psychoses chez
1676 Revue Médicale Suisse
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www.revmed.ch
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18 septembre 2013
Figure 5. Schéma simplifié d’un microcircuit dans le
cortex préfrontal
L’innervation réciproque entre la cellule pyramidale excitatrice (neurone
principal en vert) et l’interneurone inhibiteur (en rouge), riche en parval-
bumine (en bleu), est responsable des oscillations à haute fréquence (30 à
80 hertz) qui sont synchronisées entre différentes régions grâce aux con-
nections cortico-corticales ; ces oscillations synchronisées sont essentielles
pour l’exécution des performances cognitives et affectives. Chez les patients
souffrant de schizophrénie, les neurones à parvalbumine sont déficients
(voir aussi figure 2), probablement en raison d’une sous-activation du récep-
teur NMDA (N-méthyl-D-aspartate), ce qui entraîne une réduction des
oscillations. Les faisceaux de fibres connectant les diverses régions du cor-
tex (macrocircuits) assu rent la synchronisation des oscillations, également
déficiente. Ce double mécanisme contribue à l’émergence des symptômes.
Cortex préfrontal
Parvalbumine
Oscillation
Schizophrénie
Neurone
pyramidal
excitateur
Neurone
inhibiteur