Le Courrier des addictions (10) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2008
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Tabac et troubles schizophréniques :
clinique, thérapeutique et interactions
médicamenteuses
Tobacco and schizophrenia: clinic, treatment and drugs
interactions
X. Laqueille (1), M. Fouillet (2), A. Dervaux (3), M. Kanit (3)
Mots-clés : Tabagisme, Benzodiazépines, Sevrage, Effets sur la mémoire de travail
visio-spatial.
Keywords: Tobacco dependence, Benzodiazepines, Abstinence, Effects on spatial
working memory.
Le tabagisme, très important et sévère des patients schizophrènes, fac-
teur de mortalité prématurée, demande une prise en charge spécifique
après stabilisation du trouble psychiatrique. En effet, les hydrocarbones
aromatiques polycycliques accélèrent le catabolisme de certains antipsy-
chotiques métabolisés par le cytochrome P4501A2 (halopéridol, chlor-
promazine, fluphénazine, olanzapine, clozapine). La consommation de
tabac accélère aussi le catabolisme des benzodiazépines et des antidé-
presseurs tricycliques…
1. Psychiatre des hôpitaux, chef du service d’ad-
dictologie, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue
Cabanis, 75674 Paris Cedex 14. Université Paris
Descartes
2. Praticien hospitalier, service de santé mentale S15
du Dr Massé, CH Sainte-Anne, 75014 Paris.
3. Praticien hospitalier, service d’addictologie du Dr
Laqueille, CH Sainte-Anne, 75014 Paris.
Tous les voyants du tabagisme
au rouge
Les patients schizophrènes fument plus
que la population générale, 70 à 90 % ver-
sus 23 % aux États-Unis, 66 à 67 % versus
30 % en France (1). Dans une métaanalyse
de 42 études, 62 % des 7 593 patients schi-
zophrènes de 20 pays sont dépendants au
tabac. Les quantités consommées restent
élevées alors qu’en population générale,
elles diminuent : 40 % en 1960, 25-30 %
actuellement (2).
Ainsi, les schizophrènes fumeurs fument 22
à 27 cigarettes par jour en moyenne, mais
46 % fument plus de 30 cigarettes par jour
versus 6 à 29 % en population générale. Ils
ont tendance à inhaler la fumée plus pro-
fodément et leurs nicotinémie et nicoti-
ninurie sont également plus élevées pour
des quantités fumées équivalentes (3). Les
évaluations au test de Fagerström sont plus
sévères : 6 à 7 selon les études (4).
Le tabac chez les schizophrènes est un fac-
teur de mortalité prématurée. Le risque car-
diovasculaire est multiplié par 2,2 à 5 avec
des facteurs d’aggravation spécifiques liés à
certains traitements antipsychotiques, trou-
bles de la glycorégulation et du métabolis-
me lipidique, au surpoids et à la sédentarité
(5). Le risque pour les affections respiratoi-
res est multiplié par 3,2 (6). La fréquence
des cancers est discutée (7).
La consommation de tabac n’est pas asso-
ciée à des modifications des dimensions po-
sitive et négative sur les échelles de PANSS
ou de psychopathologie générale (8). Tou-
tefois, certaines études montrent des effets
cognitifs spécifiques : normalisation des
anomalies de poursuite oculaire, témoin
d’une altération des capacités inhibitrices du
cortex préfrontal (9) ; amélioration du trai-
tement de l’information auditive de l’onde
P50 et des potentiels évoqués auditifs (10),
de la mémoire de travail visuo-spatiale, des
troubles de l’attention (11) et de la mémoire
du travail induits par l’halopéridol (12) ; ac-
tivation du cortex cingulaire antérieur et du
thalamus (13).
La nicotine a une action modulatrice des
récepteurs dopaminergiques, glutamatergi-
ques et sérotoninergiques (14). Une étude
post-mortem montre une diminution des
récepteurs nicotiniques des patients schi-
zophrènes fumeurs (15). L’altération du
fonctionnement du récepteur nicotinique
alpha-7 de l’hypocampe pourrait expliquer
le déficit de filtrage de leurs perceptions
auditives (10).
Comment accompagner
le sevrage
Le patient schizophrène peut fumer dans un
but d’automédication face à l’ennui, l’absence
de conditions de vie stimulantes et l’anhédo-
nie, pour améliorer ses symptômes cognitifs,
voire diminuer les effets cognitifs et extrapy-
ramidaux des neuroleptiques (1). Si le tabac
semble réduire ces derniers, il pourrait entraî-
ner des dyskinésies tardives plus fréquentes,
particulièrement chez les gros fumeurs (16).
Parmi les facteurs de vulnérabilité au tabac
de ces patients, à côté des facteurs culturels
d’initiation, on a mis en évidence des anoma-
lies du gène codant du récepteur nicotinique
alpha-7 du chromosome 15 (15).
Le taux d’arrêt du tabac est deux fois plus
faible chez les patients schizophrènes qu’en
population générale. La motivation à l’abs-
tinence est nettement moindre. Les difficul-
tés de l’arrêt sont accrues par les altérations
cognitives et l’aggravation du déficit liés au
sevrage tabagique (17).
La prise en charge tabacologique doit être
mise en œuvre après stabilisation du trouble
psychiatrique. Cette proposition s’oppose à
la réponse à apporter au schizophrène fu-
meur en milieu hospitalier “sans tabac”
dont l’objectif est autre : soulagement du
syndrome de manque induit par l’hospita-
lisation et réduction des risques.
Les substituts nicotiniques sont recomman-
dés, la varanécline a été peu étudiée. Le
bupropion doit être utilisé avec prudence à
cause de son activité dopaminergique. Cer-
tains antipsychotiques atypiques pourraient
réduire les quantités de tabac fumé par les
schizophrènes grâce à leur profil d’action
spécifique : moins d’effets extrapyrami-
daux, amélioration des symptômes négatifs
et augmentation de la transmission dopami-
nergique dans le cortex préfrontal (18).
Après le sevrage, la posologie des antipsy-
chotiques doit être réévaluée. Le tabac inter-
vient sur ces traitements. Les schizophrènes
fumeurs ont des doses plus élevées d’antipsy-
chotiques que les non-fumeurs (19). Les hy-
drocarbones aromatiques polycycliques ac-
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célèrent le catabolisme des antipsychotiques
métabolisés par le cytochrome P4501A2 tels
l’halopéridol, la chlorpromazine, la fluphé-
nazine, l’olanzapine et la clozapine (20).
En revanche, la rispéridone et l’aripiprazole
métabolisés par les sous-groupes CYP2D6
et CYP3A4 ne sont pas concernés (21). La
consommation de tabac accélère aussi le ca-
tabolisme des benzodiazépines et des antidé-
presseurs tricycliques (13).
n
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Schizophr Res 2005;76.
Addictions au téléphone portable en Espagne
Deux adolescents de 12 et 13 ans ont été admis dans un centre de
soins spécialisés du nord-est de l’Espagne (Lleida) pour “une addiction
au téléphone portable”. Ils utilisaient sans cesse leur téléphone depuis
un an et demi (en moyenne 5 à 6 heures par jour !) au point d’être en
échec scolaire. Ce centre traite déjà une vingtaine d’adolescents pour
leur addiction au net et les autorités sanitaires espagnoles estiment
qu’environ 10 % des adolescents madrilènes seraient accros au Net
ou au portable.
Croix-Rouge Écoute a vingt ans
En deux décennies, ce sont plus de 100 000 personnes en souf-
france qui ont décroché leur combiné pour appeler ce service
téléphonique, créé en juin 1988, à la suite du numéro vert SOS-
Parents Enfants. 20 ans de “soutien psy”, 440 000 appels assurés par
250 écoutants bénévoles formés par la Croix rouge (50 bénévoles
actifs actuellement) qui ont consacré, dans l’ombre du plateau de
téléphonie, plus de 200 000 heures (jusqu’à 100 appels par jour !) à
accompagner dans l’anonymat toutes les formes de détresse : psy-
chiatriques, sociales, relationnelles, scolaires, sentimentales, sexuel-
les… Un “secourisme de l’âme” pour tous les publics, féminins et
jeunes, surtout au début (beaucoup moins maintenant) mais aussi
détenus (“Croix-Rouge Écoute Détenus” lancé en 2000), “parfois en
prévenant les passages à l’acte, souvent en concourant à la réduction
des conflits et toujours en participant à la lutte contre l’isolement et la
détresse morale”. Sans oublier tous les appels concernant les problè-
mes d’addiction, drogues et alcool surtout. Actuellement, ce service
dispose de deux plate-formes à Paris et Limoges. Il envisage d’en
ouvrir six autres dans les cinq prochaines années.
Croix-Rouge Écoute : 0 800 858 858 du lundi au vendredi de 10 h à
22 h ; le samedi et dimanche de 12 h à 18 h. Candidats au volontariat :
01 44 43 13 46.
Millepertuis : sans intérêt
Cette plante, dénommée “herbe de la Saint Jean”, l’un des produits na-
turels les plus fréquemment essayés par les parents comme traitement
alternatif aux médicaments stimulants pour le trouble déficit d’attention
et hyperactivité (TDAH), n’apporte rien de plus qu’un placebo dans le
traitement de celle-ci. Telle est la conclusion de l’étude randomisée en
double aveugle menée par le Dr Wendy Weber de l’université de
Washington, avec 54 enfants hyperactifs (dosage: 300 mg contenant 0,3 %
d’hypéricine pendant huit semaines versus un placebo). Rappelons que le
millepertuis, plante phototoxique, qui agit sur la sérotonine, la noradréna-
line et la dopamine, interagit avec de nombreux médicaments, dont des
antidépresseurs.
Wendy Weber et al. Hypericum perforatum (St John’s Wort) for attention-deficit/
hyperactivity disorder in children and adolescents. A randomized controlled trial.
JAMA 2008;299(22):2633-41.
P.d. P.
Brèves
Imprimé en France - EDIPS - Quétigny - Dépôt légal 3e trimestre 2008 - © décembre 1998 - Edimark SAS. Les articles publiés dans Le Courrier des ad-
dictions le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour
tous pays. Un supplément 8 pages : “Europad – 8e Congrès européen – Sofia, 29-31 mai 2008” sera routé avec la revue.
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