.JTFTBVQPJOU .JTFT BVQPJOU Tabac et troubles schizophréniques : clinique, thérapeutique et interactions médicamenteuses Tobacco and schizophrenia: clinic, treatment and drugs interactions X. Laqueille (1), M. Fouillet (2), A. Dervaux (3), M. Kanit (3) Mots-clés : Tabagisme, Benzodiazépines, Sevrage, Effets sur la mémoire de travail visio-spatial. Keywords: Tobacco dependence, Benzodiazepines, Abstinence, Effects on spatial working memory. Le tabagisme, très important et sévère des patients schizophrènes, facteur de mortalité prématurée, demande une prise en charge spécifique après stabilisation du trouble psychiatrique. En effet, les hydrocarbones aromatiques polycycliques accélèrent le catabolisme de certains antipsychotiques métabolisés par le cytochrome P4501A2 (halopéridol, chlorpromazine, fluphénazine, olanzapine, clozapine). La consommation de tabac accélère aussi le catabolisme des benzodiazépines et des antidépresseurs tricycliques… Tous les voyants du tabagisme au rouge Les patients schizophrènes fument plus que la population générale, 70 à 90 % versus 23 % aux États-Unis, 66 à 67 % versus 30 % en France (1). Dans une métaanalyse de 42 études, 62 % des 7 593 patients schizophrènes de 20 pays sont dépendants au tabac. Les quantités consommées restent élevées alors qu’en population générale, elles diminuent : 40 % en 1960, 25-30 % actuellement (2). Ainsi, les schizophrènes fumeurs fument 22 à 27 cigarettes par jour en moyenne, mais 46 % fument plus de 30 cigarettes par jour versus 6 à 29 % en population générale. Ils ont tendance à inhaler la fumée plus profodément et leurs nicotinémie et nicotininurie sont également plus élevées pour 1. Psychiatre des hôpitaux, chef du service d’addictologie, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75674 Paris Cedex 14. Université Paris Descartes 2. Praticien hospitalier, service de santé mentale S15 du Dr Massé, CH Sainte-Anne, 75014 Paris. 3. Praticien hospitalier, service d’addictologie du Dr Laqueille, CH Sainte-Anne, 75014 Paris. des quantités fumées équivalentes (3). Les évaluations au test de Fagerström sont plus sévères : 6 à 7 selon les études (4). Le tabac chez les schizophrènes est un facteur de mortalité prématurée. Le risque cardiovasculaire est multiplié par 2,2 à 5 avec des facteurs d’aggravation spécifiques liés à certains traitements antipsychotiques, troubles de la glycorégulation et du métabolisme lipidique, au surpoids et à la sédentarité (5). Le risque pour les affections respiratoires est multiplié par 3,2 (6). La fréquence des cancers est discutée (7). La consommation de tabac n’est pas associée à des modifications des dimensions positive et négative sur les échelles de PANSS ou de psychopathologie générale (8). Toutefois, certaines études montrent des effets cognitifs spécifiques : normalisation des anomalies de poursuite oculaire, témoin d’une altération des capacités inhibitrices du cortex préfrontal (9) ; amélioration du traitement de l’information auditive de l’onde P50 et des potentiels évoqués auditifs (10), de la mémoire de travail visuo-spatiale, des troubles de l’attention (11) et de la mémoire du travail induits par l’halopéridol (12) ; activation du cortex cingulaire antérieur et du thalamus (13). La nicotine a une action modulatrice des 15 récepteurs dopaminergiques, glutamatergiques et sérotoninergiques (14). Une étude post-mortem montre une diminution des récepteurs nicotiniques des patients schizophrènes fumeurs (15). L’altération du fonctionnement du récepteur nicotinique alpha-7 de l’hypocampe pourrait expliquer le déficit de filtrage de leurs perceptions auditives (10). C omment accompagner le sevrage Le patient schizophrène peut fumer dans un but d’automédication face à l’ennui, l’absence de conditions de vie stimulantes et l’anhédonie, pour améliorer ses symptômes cognitifs, voire diminuer les effets cognitifs et extrapyramidaux des neuroleptiques (1). Si le tabac semble réduire ces derniers, il pourrait entraîner des dyskinésies tardives plus fréquentes, particulièrement chez les gros fumeurs (16). Parmi les facteurs de vulnérabilité au tabac de ces patients, à côté des facteurs culturels d’initiation, on a mis en évidence des anomalies du gène codant du récepteur nicotinique alpha-7 du chromosome 15 (15). Le taux d’arrêt du tabac est deux fois plus faible chez les patients schizophrènes qu’en population générale. La motivation à l’abstinence est nettement moindre. Les difficultés de l’arrêt sont accrues par les altérations cognitives et l’aggravation du déficit liés au sevrage tabagique (17). La prise en charge tabacologique doit être mise en œuvre après stabilisation du trouble psychiatrique. Cette proposition s’oppose à la réponse à apporter au schizophrène fumeur en milieu hospitalier “sans tabac” dont l’objectif est autre : soulagement du syndrome de manque induit par l’hospitalisation et réduction des risques. Les substituts nicotiniques sont recommandés, la varanécline a été peu étudiée. Le bupropion doit être utilisé avec prudence à cause de son activité dopaminergique. Certains antipsychotiques atypiques pourraient réduire les quantités de tabac fumé par les schizophrènes grâce à leur profil d’action spécifique : moins d’effets extrapyramidaux, amélioration des symptômes négatifs et augmentation de la transmission dopaminergique dans le cortex préfrontal (18). Après le sevrage, la posologie des antipsychotiques doit être réévaluée. Le tabac intervient sur ces traitements. Les schizophrènes fumeurs ont des doses plus élevées d’antipsychotiques que les non-fumeurs (19). Les hydrocarbones aromatiques polycycliques ac- Le Courrier des addictions (10) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2008 .JTFTBVQPJOU U J O T . FTBV QPJ célèrent le catabolisme des antipsychotiques métabolisés par le cytochrome P4501A2 tels l’halopéridol, la chlorpromazine, la fluphénazine, l’olanzapine et la clozapine (20). En revanche, la rispéridone et l’aripiprazole métabolisés par les sous-groupes CYP2D6 et CYP3A4 ne sont pas concernés (21). La consommation de tabac accélère aussi le catabolisme des benzodiazépines et des antidén presseurs tricycliques (13). Références bibliographiques 1. Poirier MF, Canceil O, Bayle F et al. Prevalence of smoking in psychiatric patients. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2002;26:529-37. 2. Arwidson P, Leon C, Lydie N et al. Évolutions récentes de la consommation de tabac en France. Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire 2004 ; 22-23 : 95-6. 3. 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Ils utilisaient sans cesse leur téléphone depuis un an et demi (en moyenne 5 à 6 heures par jour !) au point d’être en échec scolaire. Ce centre traite déjà une vingtaine d’adolescents pour leur addiction au net et les autorités sanitaires espagnoles estiment qu’environ 10 % des adolescents madrilènes seraient accros au Net ou au portable. Croix-Rouge Écoute a vingt ans Brèves En deux décennies, ce sont plus de 100 000 personnes en souffrance qui ont décroché leur combiné pour appeler ce service téléphonique, créé en juin 1988, à la suite du numéro vert SOSParents Enfants. 20 ans de “soutien psy”, 440 000 appels assurés par 250 écoutants bénévoles formés par la Croix rouge (50 bénévoles actifs actuellement) qui ont consacré, dans l’ombre du plateau de téléphonie, plus de 200 000 heures (jusqu’à 100 appels par jour !) à accompagner dans l’anonymat toutes les formes de détresse : psychiatriques, sociales, relationnelles, scolaires, sentimentales, sexuelles… Un “secourisme de l’âme” pour tous les publics, féminins et jeunes, surtout au début (beaucoup moins maintenant) mais aussi détenus (“Croix-Rouge Écoute Détenus” lancé en 2000), “parfois en prévenant les passages à l’acte, souvent en concourant à la réduction Le Courrier des addictions (10) ­– n ° 3 – juillet-août-septembre 2008 16 des conflits et toujours en participant à la lutte contre l’isolement et la détresse morale”. Sans oublier tous les appels concernant les problèmes d’addiction, drogues et alcool surtout.Actuellement, ce service dispose de deux plate-formes à Paris et Limoges. Il envisage d’en ouvrir six autres dans les cinq prochaines années. Croix-Rouge Écoute : 0 800 858 858 du lundi au vendredi de 10 h à 22 h ; le samedi et dimanche de 12 h à 18 h. Candidats au volontariat : 01 44 43 13 46. Millepertuis : sans intérêt Cette plante, dénommée “herbe de la Saint Jean”, l’un des produits naturels les plus fréquemment essayés par les parents comme traitement alternatif aux médicaments stimulants pour le trouble déficit d’attention et hyperactivité (TDAH), n’apporte rien de plus qu’un placebo dans le traitement de celle-ci. Telle est la conclusion de l’étude randomisée en double aveugle menée par le Dr Wendy Weber de l’université de Washington, avec 54 enfants hyperactifs (dosage: 300 mg contenant 0,3 % d’hypéricine pendant huit semaines versus un placebo). Rappelons que le millepertuis, plante phototoxique, qui agit sur la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine, interagit avec de nombreux médicaments, dont des antidépresseurs. WendyWeber et al. Hypericum perforatum (St John’sWort) for attention-deficit/ hyperactivity disorder in children and adolescents. A randomized controlled trial. P.d.P. JAMA 2008;299(22):2633-41.