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L’Encéphale, 2006 ;
32 :
884-6, cahier 4
Interactions gènes/environnement dans la schizophrénie
M.O. KREBS
(1)
(1) INSERM U796 Physiopathologie des Maladies Psychiatriques, Université Paris Descartes, Service Hospitalo-Universitaire, Centre Hos-
pitalier Sainte-Anne, Paris, France.
Un facteur génétique est manifestement impliqué dans
la schizophrénie, comme le montre la comparaison des
risques des jumeaux monozygotes avec ceux des
jumeaux dizygotes (8) : pour Gottesman, le risque de schi-
zophrénie pour un jumeau monozygote d’un individu schi-
zophrène est de 48 %, alors qu’il est de 17 % pour un
jumeau hétérozygote, et de 6 à 13 % pour les apparentés
de premier degré d’un sujet schizophrène. Mais le taux
de 52 % de discordance entre jumeaux monozygotes, qui
ont un patrimoine génétique quasi identique, souligne
l’importance du rôle des facteurs non génétiques,
« environnementaux » (20). La schizophrénie est une
maladie complexe, impliquant de multiples gènes, présen-
tant à la fois une hétérogénéité génétique et une hétéro-
généité phénotypique. En outre, il existe des phénocopies,
et la maladie est à pénétrance incomplète chez certains
individus, porteurs « sains » de marqueurs de vulnérabi-
lité. En outre, enfin, il n’existe pas de frontière absolue
entre les pathologies, mais plutôt une convergence de
mécanismes moléculaires, en particulier avec les troubles
bipolaires (6, 11).
Jusqu’au début des années 2000, un certain pessi-
misme régnait quant à la possibilité de mise en évidence
de gènes de la schizophrénie. Puis diverses études de
réplication, ou tout au moins de résultats convergents, ont
été publiées suggérant l’implication de gènes comme ceux
de la neuréguline ou la dysbindine (17). De façon intéres-
sante, ces gènes interagissent, de près ou de loin, avec le
fonctionnement de la synapse glutamatergique, qui repré-
sente la majorité de la communication entre neurones.
Des résultats relativement convaincants ont permis de
retrouver des associations entre certains variants généti-
ques et certaines fonctions intermédiaires (7) : parmi les
résultats les plus répliqués, on peut citer les associations
entre les variants de la COMT et certaines fonctions cogni-
tives de type préfrontal, ou les associations entre le poly-
morphisme du gène du transporteur de la sérotonine
(5-HTT) et différentes caractéristiques comportementales
comme les comportements violents ou le risque suicidaire
(voir par exemple 1, 5, 12).
Un autre résultat intéressant est l’existence probable de
gènes modulateurs ou modificateurs ; parmi ceux-ci, le
gène du BDNF jouerait un rôle en influant sur l’âge de
début de la maladie (9, 10, 12).
La présence de ces variants pourrait expliquer certai-
nes variations phénotypiques observées dans l’expres-
sion de la maladie. Une autre hypothèse, récente, suggère
la possibilité de gènes modulant l’effet de l’environnement
(3).
LE MODÈLE DE VULNÉRABILITÉ
L’interaction gène/environnement peut aisément être
replacée dans le cadre du modèle de vulnérabilité et
l’hypothèse neurodéveloppementale de la schizophrénie,
sous la condition d’un préalable théorique qui stipule qu’on
n’hérite pas d’une maladie, mais qu’on hérite d’un risque.
Dans le modèle de vulnérabilité, le sujet peut présenter
un phénotype vulnérable, lié à des facteurs génétiques et
à des facteurs environnementaux acquis au cours du
développement précoce (19). Ce phénotype vulnérable
peut soit rester stable, soit évoluer vers le tableau clinique
de la maladie, sous l’influence de facteurs précipitants,
psychosociaux ou biologiques (comme la prise de toxi-
que). Ceux-ci interviennent durant la phase de maturation
péripubertaire, que l’on peut qualifier de « phase dévelop-
pementale tardive ».
L’enjeu de la compréhension des interactions gènes-
environnement est de déterminer de quelles façons l’envi-
ronnement influence l’évolution d’un phénotype vulnéra-
ble et quels sont les facteurs génétiques susceptibles de
modifier cette influence, afin de chercher à agir sur ces
processus.
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32 :
884-6, cahier 4 Interactions gènes/environnement dans la schizophrénie
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L’un des premiers travaux sur les interactions gènes/
environnement est celui de l’équipe de Caspi, dans le
champ de la dépression, portant sur l’influence des stress
vitaux modulée par le polymorphisme du transporteur de
la sérotonine. Comparés aux sujets porteurs de l’allèle
long, les sujets porteurs de l’allèle court du gène du 5-HTT
ont un risque double de présenter une dépression lors de
stress vitaux, qu’ils soient récents ou anciens (4).
Sur la même cohorte de Dunedin, la même équipe a
montré que le gène de la COMT pourrait moduler l’effet
de la consommation de cannabis au moment de l’adoles-
cence sur le risque de survenue d’une psychose à l’âge
adulte (3). Cette cohorte comportait plus de 1 000 nou-
veau-nés, suivis de façon prospective à intervalles régu-
liers (à 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 18, 21 et 26 ans). Chez les
sujets porteurs du polymorphisme Met/Met du gène de la
COMT, l’influence du cannabis est quasi nulle sur la sur-
venue ultérieure d’une psychose, tandis que chez les por-
teurs du polymorphisme Val/Met, et plus encore en cas
d’homozygotie Val/Val, le risque de psychose est très aug-
menté par la prise de cannabis. Dans ce travail, l’interac-
tion gène/environnement apparaissait surtout pour les
troubles schizophréniformes et les symptômes hallucina-
toires, alors qu’elle était moins marquée pour les idées
délirantes, et quasi inexistante pour les symptômes néga-
tifs. L’une des limites de ce travail est le faible nombre de
sujets dans chaque groupe, lors de l’analyse finale. Le
polymorphisme génétique influence donc le risque mor-
bide encouru lors de l’exposition à un facteur environne-
mental.
QUELS MÉCANISMES BIOLOGIQUES
SOUS-TENDENT CES INTERACTIONS ?
Dans le génome, la séquence d’ADN est comprise dans
un ensemble de protéines (les histones), qui modulent
l’accessibilité du patrimoine génétique. Cette accessibilité
est principalement modulée en fonction de certaines
caractéristiques des histones (acétylation) ou par l’état de
méthylation des dinuléotides CpG des régions promotri-
ces de gènes (13). Le phénomène le mieux connu con-
cernant le rôle de la méthylation est l’inactivation d’un des
deux chromosomes X chez la femme. Une anomalie géné-
tique peut donc être totalement inaperçue si l’expression
du gène concerné est inhibée.
Dans un article récent, suggère que plusieurs caracté-
ristiques de la schizophrénie, comme la transmission non
mendélienne, la différence entre les sexes (moindre sévé-
rité chez la femme), l’évolution épisodique, l’apparition
péripubertaire, pourraient être expliquées par les modu-
lations « épigénétiques » secondaires aux interactions
gènes/environnement et plus précisément par la mocula-
tion de la méthylation de l’ADN (18).
Des travaux réalisés chez le rat ont montré, pour la pre-
mière fois, qu’un comportement de la mère peut moduler
chez son petit la réaction au stress, par l’intermédiaire de
l’état de méthylation et d’acétylation, modulant l’expres-
sion du gène codant pour les récepteurs aux glucocorti-
coïdes (14). Dans cette expérience, les rates ont été dis-
tinguées entre celles qui léchaient beaucoup leur petit et
celles qui ne le léchaient pas. Les petits de mères léchan-
tes présentaient une résistance au stress supérieure, via
une modulation du niveau de l’expression du récepteur au
glucocorticoïde. Un croisement dans l’élevage (petits nés
de mères léchantes élevés par des mères non léchantes)
montrait que c’est bien le facteur environnemental, et non
génétique, qui est en jeu. Ce processus est dynamique,
car il peut être reversé par l’administration de différentes
substances, mais il est également persistant, puisque la
réaction au stress du petit persiste toute la vie.
CONCLUSION
La génétique des maladies psychiatriques doit désor-
mais être pensée dans un contexte de modulation du
génome, et non plus seulement en terme d’analyse simple
du code génétique.
Les interactions entre gènes et environnement, qui
commencent à être identifiées, interrogent sur les méca-
nismes moléculaires (méthylation, acétylation des histo-
nes, ubiquitination, phosphorylation, ubiquitination et ribo-
sylation des histones…). Le rôle de gènes régulateurs,
correspondant à des séquences génétiques très courtes,
comme les micro-RNA, mérite également d’être précisé.
Enfin, à l’avenir, il faudra explorer quelles sont les molé-
cules cibles : l’expression du récepteur aux glucocorticoï-
des apparaît ainsi modulé par la méthylation, de même
que celle de la reeline, ou encore celle des récepteurs aux
cannabinoïdes.
Les stratégies d’investigation des interactions entre
gènes et environnement impliquent d’analyser les effets
de facteurs d’environnement dans des études de jumeaux
et d’adoption, d’identifier un environnement candidat, et
de mesurer l’effet des facteurs génétiques et environne-
mentaux en population exposée, en prenant en compte
la plausibilité et l’effet causal (15). Les auteurs suggèrent
également d’optimiser la mesure de l’environnement,
d’évaluer la dépendance au facteur âge, de prendre en
compte les effets cumulatifs, d’améliorer les mesures
rétrospectives et de différencier risque proximal et risque
distal. Il faut aussi identifier les gènes candidats en relation
avec la maladie, en utilisant les polymorphismes
fréquents, et en évaluant la signification fonctionnelle de
la réactivité à l’environnement. Enfin, les auteurs suggè-
rent de tester l’interaction gènes/environnement, d’éva-
luer si l’interaction s’étend en population générale au-delà
de la triade initiale gènes/environnement/maladie, et de
procéder à des études de réplications et des méta-ana-
lyses.
Ce nouveau domaine nécessitera à l’avenir une atten-
tion importante, en développant des méthodologies de
biologie moléculaire pointues, sur des cohortes impor-
tantes.
M.O. Krebs L’Encéphale, 2006 ;
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