Interactions gènes/environnement dans la schizophrénie M.O. KREBS (1) Un facteur génétique est manifestement impliqué dans la schizophrénie, comme le montre la comparaison des risques des jumeaux monozygotes avec ceux des jumeaux dizygotes (8) : pour Gottesman, le risque de schizophrénie pour un jumeau monozygote d’un individu schizophrène est de 48 %, alors qu’il est de 17 % pour un jumeau hétérozygote, et de 6 à 13 % pour les apparentés de premier degré d’un sujet schizophrène. Mais le taux de 52 % de discordance entre jumeaux monozygotes, qui ont un patrimoine génétique quasi identique, souligne l’importance du rôle des facteurs non génétiques, « environnementaux » (20). La schizophrénie est une maladie complexe, impliquant de multiples gènes, présentant à la fois une hétérogénéité génétique et une hétérogénéité phénotypique. En outre, il existe des phénocopies, et la maladie est à pénétrance incomplète chez certains individus, porteurs « sains » de marqueurs de vulnérabilité. En outre, enfin, il n’existe pas de frontière absolue entre les pathologies, mais plutôt une convergence de mécanismes moléculaires, en particulier avec les troubles bipolaires (6, 11). Jusqu’au début des années 2000, un certain pessimisme régnait quant à la possibilité de mise en évidence de gènes de la schizophrénie. Puis diverses études de réplication, ou tout au moins de résultats convergents, ont été publiées suggérant l’implication de gènes comme ceux de la neuréguline ou la dysbindine (17). De façon intéressante, ces gènes interagissent, de près ou de loin, avec le fonctionnement de la synapse glutamatergique, qui représente la majorité de la communication entre neurones. Des résultats relativement convaincants ont permis de retrouver des associations entre certains variants génétiques et certaines fonctions intermédiaires (7) : parmi les résultats les plus répliqués, on peut citer les associations entre les variants de la COMT et certaines fonctions cognitives de type préfrontal, ou les associations entre le polymorphisme du gène du transporteur de la sérotonine (5-HTT) et différentes caractéristiques comportementales comme les comportements violents ou le risque suicidaire (voir par exemple 1, 5, 12). Un autre résultat intéressant est l’existence probable de gènes modulateurs ou modificateurs ; parmi ceux-ci, le gène du BDNF jouerait un rôle en influant sur l’âge de début de la maladie (9, 10, 12). La présence de ces variants pourrait expliquer certaines variations phénotypiques observées dans l’expression de la maladie. Une autre hypothèse, récente, suggère la possibilité de gènes modulant l’effet de l’environnement (3). LE MODÈLE DE VULNÉRABILITÉ L’interaction gène/environnement peut aisément être replacée dans le cadre du modèle de vulnérabilité et l’hypothèse neurodéveloppementale de la schizophrénie, sous la condition d’un préalable théorique qui stipule qu’on n’hérite pas d’une maladie, mais qu’on hérite d’un risque. Dans le modèle de vulnérabilité, le sujet peut présenter un phénotype vulnérable, lié à des facteurs génétiques et à des facteurs environnementaux acquis au cours du développement précoce (19). Ce phénotype vulnérable peut soit rester stable, soit évoluer vers le tableau clinique de la maladie, sous l’influence de facteurs précipitants, psychosociaux ou biologiques (comme la prise de toxique). Ceux-ci interviennent durant la phase de maturation péripubertaire, que l’on peut qualifier de « phase développementale tardive ». L’enjeu de la compréhension des interactions gènesenvironnement est de déterminer de quelles façons l’environnement influence l’évolution d’un phénotype vulnérable et quels sont les facteurs génétiques susceptibles de modifier cette influence, afin de chercher à agir sur ces processus. (1) INSERM U796 Physiopathologie des Maladies Psychiatriques, Université Paris Descartes, Service Hospitalo-Universitaire, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris, France. S 884 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 884-6, cahier 4 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 884-6, cahier 4 L’un des premiers travaux sur les interactions gènes/ environnement est celui de l’équipe de Caspi, dans le champ de la dépression, portant sur l’influence des stress vitaux modulée par le polymorphisme du transporteur de la sérotonine. Comparés aux sujets porteurs de l’allèle long, les sujets porteurs de l’allèle court du gène du 5-HTT ont un risque double de présenter une dépression lors de stress vitaux, qu’ils soient récents ou anciens (4). Sur la même cohorte de Dunedin, la même équipe a montré que le gène de la COMT pourrait moduler l’effet de la consommation de cannabis au moment de l’adolescence sur le risque de survenue d’une psychose à l’âge adulte (3). Cette cohorte comportait plus de 1 000 nouveau-nés, suivis de façon prospective à intervalles réguliers (à 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15, 18, 21 et 26 ans). Chez les sujets porteurs du polymorphisme Met/Met du gène de la COMT, l’influence du cannabis est quasi nulle sur la survenue ultérieure d’une psychose, tandis que chez les porteurs du polymorphisme Val/Met, et plus encore en cas d’homozygotie Val/Val, le risque de psychose est très augmenté par la prise de cannabis. Dans ce travail, l’interaction gène/environnement apparaissait surtout pour les troubles schizophréniformes et les symptômes hallucinatoires, alors qu’elle était moins marquée pour les idées délirantes, et quasi inexistante pour les symptômes négatifs. L’une des limites de ce travail est le faible nombre de sujets dans chaque groupe, lors de l’analyse finale. Le polymorphisme génétique influence donc le risque morbide encouru lors de l’exposition à un facteur environnemental. QUELS MÉCANISMES BIOLOGIQUES SOUS-TENDENT CES INTERACTIONS ? Dans le génome, la séquence d’ADN est comprise dans un ensemble de protéines (les histones), qui modulent l’accessibilité du patrimoine génétique. Cette accessibilité est principalement modulée en fonction de certaines caractéristiques des histones (acétylation) ou par l’état de méthylation des dinuléotides CpG des régions promotrices de gènes (13). Le phénomène le mieux connu concernant le rôle de la méthylation est l’inactivation d’un des deux chromosomes X chez la femme. Une anomalie génétique peut donc être totalement inaperçue si l’expression du gène concerné est inhibée. Dans un article récent, suggère que plusieurs caractéristiques de la schizophrénie, comme la transmission non mendélienne, la différence entre les sexes (moindre sévérité chez la femme), l’évolution épisodique, l’apparition péripubertaire, pourraient être expliquées par les modulations « épigénétiques » secondaires aux interactions gènes/environnement et plus précisément par la moculation de la méthylation de l’ADN (18). Des travaux réalisés chez le rat ont montré, pour la première fois, qu’un comportement de la mère peut moduler chez son petit la réaction au stress, par l’intermédiaire de l’état de méthylation et d’acétylation, modulant l’expression du gène codant pour les récepteurs aux glucocorti- Interactions gènes/environnement dans la schizophrénie coïdes (14). Dans cette expérience, les rates ont été distinguées entre celles qui léchaient beaucoup leur petit et celles qui ne le léchaient pas. Les petits de mères léchantes présentaient une résistance au stress supérieure, via une modulation du niveau de l’expression du récepteur au glucocorticoïde. Un croisement dans l’élevage (petits nés de mères léchantes élevés par des mères non léchantes) montrait que c’est bien le facteur environnemental, et non génétique, qui est en jeu. Ce processus est dynamique, car il peut être reversé par l’administration de différentes substances, mais il est également persistant, puisque la réaction au stress du petit persiste toute la vie. CONCLUSION La génétique des maladies psychiatriques doit désormais être pensée dans un contexte de modulation du génome, et non plus seulement en terme d’analyse simple du code génétique. Les interactions entre gènes et environnement, qui commencent à être identifiées, interrogent sur les mécanismes moléculaires (méthylation, acétylation des histones, ubiquitination, phosphorylation, ubiquitination et ribosylation des histones…). Le rôle de gènes régulateurs, correspondant à des séquences génétiques très courtes, comme les micro-RNA, mérite également d’être précisé. Enfin, à l’avenir, il faudra explorer quelles sont les molécules cibles : l’expression du récepteur aux glucocorticoïdes apparaît ainsi modulé par la méthylation, de même que celle de la reeline, ou encore celle des récepteurs aux cannabinoïdes. Les stratégies d’investigation des interactions entre gènes et environnement impliquent d’analyser les effets de facteurs d’environnement dans des études de jumeaux et d’adoption, d’identifier un environnement candidat, et de mesurer l’effet des facteurs génétiques et environnementaux en population exposée, en prenant en compte la plausibilité et l’effet causal (15). Les auteurs suggèrent également d’optimiser la mesure de l’environnement, d’évaluer la dépendance au facteur âge, de prendre en compte les effets cumulatifs, d’améliorer les mesures rétrospectives et de différencier risque proximal et risque distal. Il faut aussi identifier les gènes candidats en relation avec la maladie, en utilisant les polymorphismes fréquents, et en évaluant la signification fonctionnelle de la réactivité à l’environnement. Enfin, les auteurs suggèrent de tester l’interaction gènes/environnement, d’évaluer si l’interaction s’étend en population générale au-delà de la triade initiale gènes/environnement/maladie, et de procéder à des études de réplications et des méta-analyses. Ce nouveau domaine nécessitera à l’avenir une attention importante, en développant des méthodologies de biologie moléculaire pointues, sur des cohortes importantes. S 885 M.O. Krebs Références 1. 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