La responsabilité d`une place de marché en ligne

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La responsabilité d’une place de marché en ligne peut
être engagée à certaines conditions
le 19 juillet 2011
AFFAIRES | Commerce électronique | Propriété intellectuelle
EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Propriété intellectuelle
Dans un arrêt de grande chambre du 12 juillet 2011, la Cour de justice de l’Union européenne
dresse les contours de la responsabilité de la place de marché en ligne.
CJUE 12 juill. 2011, aff. C-324/09
Le développement des places de marché a permis la massification des reventes par les particuliers
et, mécaniquement, affecté les sociétés dont le modèle économique repose en partie sur
l’exclusivité : maîtrise de réseaux de distribution fermés et/ou exclusivité véhiculée par la
perception du produit (secteur du luxe). Inévitable était la confrontation, qui s’est suivie de diverses
actions en justice (pour un récapitulatif des contentieux en Allemagne, Chine, États-Unis et France,
V. F. Mostert et M. Schwimmer, Notice and takedown for trademarks, The Trademark Reporter, vol.
101, n° 1, p. 249-281). Dans la présente affaire, née au Royaume-Uni, diverses sociétés du groupe
L’Oréal cherchaient à défendre l’exclusivité conférée par leurs droits de propriété intellectuelle sur
des produits revendus par l’intermédiaire du site eBay dans le but, sinon d’interdire, au moins de
limiter les transactions relatives à « leurs » produits. Arguant principalement qu’eBay aide certains
de ses clients à « optimiser leurs offres », ces sociétés avançaient que la place de marché fait un
usage de leurs marques et s’implique dans le processus commercial, ce qui la rendrait coupable
d’atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle et fautive à raison du rôle actif qu’elle aurait dans
la réalisation de transactions dommageables pour elles.
En l’occurrence, les demanderesses stigmatisaient des publicités apparues sur des moteurs invitant
les internautes cherchant des produits revêtus de leurs marques à se rendre sur eBay pour les y
trouver. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) donne l’exemple (§ 40 et 42) d’annonces
citant une marque sur laquelle L’Oréal a un droit de propriété industrielle en Grande-Bretagne, dont
un bref texte indique que des produits sont vendus à un tarif avantageux sur eBay, et se terminant
par un lien renvoyant à la version britannique de son site. Selon la Cour, de telles publicités créent
une association évidente entre ces produits et la possibilité de les acheter sur la place de marché
de l’annonceur : il s’agit, dit-elle, d’un usage que le titulaire du droit de marque est fondé à
interdire « lorsque cette publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute
normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du
titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un
tiers ». Il reviendra donc aux juges du fond (la Chancery Division de la High Court of Justice du
Royaume-Uni) de dire si un risque de confusion existe. Du fait de la notoriété de la marque de
l’annonceur, il est permis d’en douter : il est certainement aisé d’établir que les internautes savent
qu’eBay est une place de marché distincte de sociétés exerçant dans le secteur du luxe.
Par ailleurs, en droit français, l’activité reçoit la qualification juridique de courtage aux enchères…
Ce qui signifie que la promotion des offres participe de sa mission ! Le courtier, en effet, « a pour
seule mission de rapprocher les parties, et d’essayer de faire en sorte qu’ils parviennent à un
accord » (J. Huet, Traité de droit civil. Les principaux contrats spéciaux, 2e éd., LGDJ, n° 31133) ; il
fait « profession de rapprocher des personnes qui désirent contracter » (V. J-Cl. Commercial, fasc.
345, v° Courtage, par Devésa). Tenu de faire connaître aux tiers les offres de ses partenaires
contractuels, il est légitime qu’il fasse de la publicité désignant l’objet de cette offre. Ce qui passe
par la citation de la marque du produit vendu (ou la présentation d’une chose couverte par le droit
d’auteur, ainsi que le remarquait en aparté P. Gaudrat dans un commentaire d’un arrêt dans lequel
un ayant droit reprochait à eBay la représentation d’un tableau, V. Paris, 9 nov. 2007, RTD com.
2008. 95, obs. P. Gaudrat ).
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S’agissant de l’affichage de ces marques non plus dans des publicités sur des sites tiers, mais sur
son propre site, la Cour estime qu’il ne s’agit pas de la part d’eBay d’un usage répréhensible au
sens du droit communautaire des marques. C’est d’ailleurs parce que les marques sont citées que
leurs titulaires peuvent identifier plus aisément la contrefaçon de celles-ci. Dès lors que la place de
marché traite ainsi ces informations fournies par ses clients, mais aussi dans certains cas leur
fournit une « assistance » pour améliorer leur chiffre d’affaires, peut-elle en être tenue responsable
? La question posée à la CJUE a ici pour objet de déterminer si l’aménagement de responsabilité
prévu en faveur des fournisseurs de stockage d’informations par l’article 14 de la directive du 8 juin
2000 peut, ou non, s’appliquer en l’espèce. Selon la Cour – qui est ainsi un peu plus diserte que
dans ses arrêts Google c. France du 23 mars 2010 (Dalloz actualité, 30 mars 2010, obs. C. Manara )
– si la place de marché apporte une aide commerciale à certains de ses clients (en l’occurrence, ici
à sept d’entre eux dont il est précisé § 56 qu’ils ont agi en tant que commerçants), elle sort de sa
neutralité et joue alors « un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des
données relatives à ces offres ». On imagine que si le conseil est fourni à un client avant même
qu’il ait mis en ligne une offre, ou s’il ne porte pas spécifiquement sur un produit vendu par ce
client, il serait délicat pour une juridiction nationale de caractériser en quoi le rôle de la place de
marché est « de nature » à lui faire savoir qu’un produit est contrefaisant (pour une situation
inverse, V. Paris, 7 mars 2007 sanctionnant une place de marché qui avait attiré l’attention de son
client sur « le caractère risqué que représentait » son offre).
Un juge du fond n’est donc pas en mesure d’inférer automatiquement de l’appui commercial de la
place de marché à un client sa connaissance de l’illicéité d’une offre faite par celui-ci. Peut-il alors
induire de la notification par un ayant droit de l’existence d’une telle offre une présomption de «
connaissance » par la place de marché de ce que l’activité de son client est illégale, ce qui
entraînerait sa responsabilité si elle ne l’a pas empêché motu proprio ? La CJUE répond par
l’affirmative, ce qui est critiquable car, par hypothèse, une notification vise une offre, alors que
l’article 14 de la directive vise une activité – ce qui revient à postuler que l’ensemble de l’activité
d’un vendeur serait illégal quand une seule de ses offres l’est (pour un exemple de client attaquant
une mesure de suspension de son compte eBay, Com. 5 mai 2009, D. 2009. 2910, obs. J. Huet ).
Par ailleurs, il n’est pas inutile d’observer que la langue de la procédure devant la CJUE était
l’anglais, ce qui introduit une nuance que ne reflète pas la traduction française de l’arrêt. En effet,
dans la version anglaise de la directive, l’article 14.1.b. utilise deux termes – « knowledge or
awareness » – alors que la version française n’en emploie qu’un seul – « connaissances ». Or
les paragraphes 118 à 124 de l’arrêt de la CJUE ne sont relatifs qu’à la seule notion d’« awareness
». Le débat portant désormais sur les contours de ce qu’est la « connaissance » d’une activité
illicite, le juge français pourrait donc en offrir un tracé différent de celui qui sera bientôt dessiné par
une juridiction de Londres.
Site de la Cour de justice de l’Union européenne
par C. Manara
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