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CONVERGENCES ENTRE LES LANGUES (COMME MATIERES) : UNE CONTRIBUTION A UNE EDUCATION DE QUALITE
Mike Fleming
Introduction
La deuxième session de la conférence porte sur les convergences entre les langues
présentes et enseignées (matières) dans les écoles et leur contribution spécifique à une
éducation de qualité. La conférence a été divisée en blocs par commodité mais il importe de
ne pas considérer les thèmes des trois sections comme des éléments distincts. Bien au
contraire, un des grands axes de la conférence est de prôner une vision unifiée, établissant
des liens entre des aspects, guère reconnus autrefois, de l’enseignement des langues.
Un des enjeux de l’élaboration et de la présentation du projet Langues dans l’éducation,
Langues pour l’éducation était de créer des sections ou catégories différentes pour rendre
les concepts et les outils pratiques clairs et accessibles, tout en reconnaissant que la
promotion d’une approche intégrée de l’enseignement des langues était l’un de ses
objectifs principaux. La représentation visuelle du projet (la « Plateforme de ressources et de
références pour l’éducation plurilingue et interculturelle
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») présente les thèmes généraux dans
différentes cases mais les lignes reliant ces différents éléments sont aussi très importantes.
Ces liens permettent à la représentation visuelle de la plateforme de bien fonctionner. A
noter par exemple que, dans une représentation traditionnelle de l’enseignement des
langues, la catégorie « langues régionales, minoritaires et de la migration » aurait pu être
oubliée. On lui donne au contraire une place importante au côté d’autres aspects de
l’enseignement des langues. A noter également que les différentes cases sont délibérément
1
www.coe.int/lang-platform/fr
2
de la même taille pour symboliser que toutes les langues ont la même valeur,
indépendamment de leur statut social et national, ce qui est une conviction fondamentale
du Conseil de l’Europe. Il est aussi utile de faire remarquer que « l’apprenant et les langues
présentes à l’école » et les « langue(s) de scolarisation » occupent une place centrale dans
ce schéma.
Dans toutes les sphères de la vie, nous utilisons des catégories (regroupements d’objets, de
concepts, d’idées, etc.) pour nous diriger dans le monde. Sans catégories, le monde se
présenterait à nous comme « une grande confusion bourgeonnante et bourdonnante »
2
.
Les catégories nous aident à segmenter le monde pour le comprendre et le gérer. Pour
autant, elles ne sont ni fixes ni universelles mais varient selon les objectifs ; leur pertinence
dépend toujours du contexte. Nous savons que les catégories que nous utilisons sont pour la
plupart liées au contexte et à la culture. Mais nous agissons généralement comme si les
catégories étaient fixes et universelles afin de mettre de l’ordre et de la stabilité dans le
monde. C’est pourquoi il est parfois difficile de faire le bond imaginatif nécessaire pour voir
que les catégories que nous utilisons sont déterminées culturellement et qu’elles peuvent
dans certains cas enfermer notre pensée. Dans un projet de recherche décrit par Nisbett
(2003), on a présen à des enfants trois images montrant une vache, un poulet et de
l’herbe et on leur a demandé d’en associer deux
3
.
Les chercheurs ont constaté que les enfants américains préféraient le groupe vache et
poulet contrairement aux enfants chinois qui associaient plus souvent vache et herbe. C’est
l’une des nombreuses conclusions que l’on retrouve dans l’ouvrage de Nisbett qui constate
que le monde est plus appréhendé en termes d’objets en Occident par rapport à l’Orient qui
l’appréhende plus volontiers en termes de relations. Dans un autre exemple, des mères
américaines recourent, avec leurs enfants, deux fois plus souvent à l’étiquetage des objets
voilà une voiture ») que les mères japonaises, plus enclines à certaines habitudes sociales
comme d’enseigner les normes de politesse donne-moi la voiture merci »). De
nombreuses autres conclusions ont amené l’auteur à constater que les structures cognitives
ne sont pas universelles comme on le pense souvent mais qu’elles varient selon les
contextes, en fonction des différents écosystèmes (d’où le titre de l’ouvrage The Geography
of Thought).
Il est aisé de limiter inconsciemment notre pensée aux catégories que nous utilisons. Le
projet Langues dans l’éducation, Langues pour l’éducation a cette vertu qu’il nous oblige à
envisager de deux manières différentes les catégories que nous utilisons généralement :
(i) repérer les liens et les convergences qui n’étaient pas assez mis en avant
et, par ailleurs,
(ii) recenser des catégories plus subtiles, invisibles auparavant.
Ce premier axe (repérer des liens et des convergences) est au centre de la vision qu’a le
Conseil de l’Europe de la promotion d’une éducation de qualité par la mise en cohérence de
l’apprentissage et de l’enseignement de différentes langues et la synergie créée entre
2
William James (1890) Principes de psychologie.
3
Nisbett, R. (2003) The Geography of Thought. London: Nicholas Brealey.
3
différentes catégories linguistiques. Cela suppose de prendre en compte la langue dans
toutes les disciplines scolaires ainsi que les langues comme matières. Là aussi, les liens entre
les cases de la plateforme sont importants.
Mais la deuxième perspective qui consiste à faire des distinctions plus fines lorsqu’il y a lieu
est tout aussi importante.
L’approche de la langue dans les disciplines scolaires qui a fait l’objet de la première session
de la conférence nous demande de remettre en cause l’idée que certaines matières ont à
voir avec la langue et d’autres non et de reconnaître que la langue est fondamentale pour
toutes les matières. Elle nous demande de dépasser l’horizon de la catégorie monolithique
de la langue dans la salle de classe et de constater que d’autres subdivisions peuvent
améliorer la pédagogie. A titre d’exemple, il ressort de la distinction opérée entre « langue
familière de base» et « langue académique » que certains élèves peuvent être moins à l’aise
avec la langue des matières scolaires, même s’ils ont une bonne maîtrise langagière dans
des situations sociales et peuvent donc donner l’impression de « bien maîtriser la langue »
4
.
Ou bien, pour prendre un autre exemple, cette distinction amène les enseignants des
différentes matières à ne pas penser qu’il doivent seulement apprendre aux élèves à écrire
mais qu’il leur faut être plus précis sur le type d’écriture qu’ils demandent aux apprenants :
genre (lettre, rapport, dissertation, brochure) ou type de texte (narration,
description/présentation, argumentation, instruction, ) et partant, à se concentrer
davantage sur le type de soutien qu’ils doivent leur offrir.
D’autres aspects du projet remettent en cause les postulats qui sous-tendent les termes et
les catégories habituels. L’évaluation fondée sur une conception globale de la langue ne
reconnaît pas que certains élèves peuvent écrire mieux qu’ils ne lisent, qu’ils ne parlent ou
qu’ils n’écoutent ; un profil plus complet de tel ou tel étudiant réussissant dans certains
aspects de la compétence linguistique peut être un meilleur indicateur qu’un niveau unique.
L’expression « langues de la migration » peut faire penser implicitement que toutes ces
langues sont les mêmes. En utilisant la formule unique « langue de scolarisation », on peut
négliger des possibilités d’utiliser plus d’une langue pour l’apprentissage et l’enseignement
à l’école.
Il n’est pas question de dire que les termes et les catégories doivent être modifiée ou que
l’usage des langues doit être policé d’une manière en quelque sorte « politiquement
correcte ». Il s’agit plutôt d’être ouvert aux possibilités, en étant conscient des limitations et
de ne pas se comporter en classe et à l’école avec des habitudes acquises, sans se poser de
questions. La notion d’habitus utilisée par Eike Thürmann peut être utilement appliquée
dans ce contexte
5
. Un enseignant peut être d’accord avec les politiques et les idées du
plurilinguisme s’il est amené à y penser rationnellement mais se comporter en classe tout à
fait autrement (il peut ignorer totalement le fait que, pour de nombreux élèves, la langue de
la salle de classe n’est pas la langue première). En effet, les comportements ne procèdent
pas seulement de la pensée logique mais d’aspects plus profonds de l’être.
4
Eike Thurman attire l’attention sur quatre catégories de langues en classe. The role of languages in teaching
and learning school subjects.
5
Ibid.
4
Lorsqu’on leur demande de réfléchir aux convergences dans le curriculum, les éducateurs
peuvent être tentés de penser exclusivement en termes de contenu ou de discipline (ce qui
va parallèlement avec une vision du monde en termes d’objets). Ainsi, par exemple, les
convergences entre la langue comme matière et l’enseignement des langues étrangères
peuvent être envisagée purement sous l’angle de la terminologie grammaticale et d’autres
aspects techniques. Une vision plus large est nécessaire pour intégrer les convergences liées
aux éléments suivants
6
.
Objectifs et valeurs
Les valeurs de l’éducation plurilingue et interculturelle donnent un axe pour unifier les
objectifs de l’enseignement des langues dans tout le curriculum et mettent en lumière
l’importance de toutes les langues présentes à l’école. Ces valeurs posent des fondations
solides pour la participation active des élèves à la société moderne en tant que citoyens
démocratiques.
Dispositions et attitudes
L’importance donnée aux valeurs en rapport avec les objectifs montre qu’il est nécessaire
de penser non seulement en termes de développement purement cognitif et
d’appréhension rationnelle mais d’inclure aussi des dimensions plus affectives de
l’apprentissage. Pour développer une attitude appropriée à l’égard des langues, il convient
de mieux comprendre leurs fonctions et leurs usages. Il est important que tous les
enseignants aient la même attitude positive face à la diversité sous toutes ses formes,
notamment face aux différentes langues et cultures, et qu’ils cherchent à développer chez
les apprenants la même attitude positive.
Processus ou méthodes pédagogiques
Une éducation de qualité procède autant du processus que du contenu. Il importe donc
d’examiner les méthodes pédagogiques non pas dans l’optique dimposer une approche
uniforme mais pour partager des interprétations et déterminer et quand il convient
d’adopter des méthodes soit communes soit différentes.
Contenu
La langue est si étroitement intégrée à tout apprentissage qu’il pourrait être trompeur de
parler de « contenu linguistique » dans un sens trop restreint. Toutefois, il est possible
d’échanger sur des aspects terminologiques et des approches par rapport aux types et
genres textuels afin de décider de leurs points communs ou distincts dans les différentes
matières. A titre d’exemple, quels sont les aspects de la rédaction de rapports qui sont
analogues dans toutes les matières et qui peuvent donc être enseignés d’une manière
cohérente et unifiée ?
6
Guide pour le développement et la mise en œuvre de curriculums pour une éducation plurilingue et
interculturelle (Ce guide est une source très riche pour de nombreuses questions traitées dans cette
présentation)
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Cette appréhension large de la convergence fait apparaître plus nettement les raisons pour
lesquelles toute la notion de convergence ou d’intégration est importante.
Offrir une expérience plus cohérente à l’apprenant
Le risque que les apprenants aient une expérience fragmentaire est élevé sauf si le
curriculum est envisagé de leur point de vue. Au pire, l’apprenant se déplace d’une classe à
l’autre en étant tiraillé dans différentes directions, voire en étant pris dans une confusion
contradictoire. Par exemple, ils peuvent être encouragés à utiliser une langue non standard
pour leurs ébauches de textes dans une classe et être pénalisés pour cela dans une autre.
Promouvoir un curriculum plus axé sur l’apprenant
Dans le passé, on considérait à tort les approches axées sur l’apprenant comme une
manière de livrer les apprenants à eux-mêmes. Du point de vue langagier, cette conception
implique de commencer par reconnaître et d’agir sur le répertoire linguistique de chaque
apprenant (par exemple, leur langue familiale, les autres langues parlées) afin de l’élargir et
non de le remplacer. Il faut pour cela reconnaître que la compétence langagière peut de
bien des manières être considérée comme une compétence unique à laquelle contribuent
toutes les compétences et expériences linguistiques. L’apprenant devient le point de
rencontre et d’interaction de toutes les langues. La notion fondamentale de compétence
plurilingue est riche de possibilités pour faciliter et développer des convergences positives.
Rendre l’enseignement plus efficace et plus efficient
Lorsque l’enseignement des langues est plus coordonné, à la fois (i) transversalement dans
le curriculum et (ii) horizontalement pour assurer les progrès, on peut mieux consolider et
renforcer l’apprentissage en gagnant en efficacité et en évitant toute répétition inutile.
Pour reconnaître la contribution que la langue apporte à une éducation de qualité, il est
donc important d’intégrer une acception large de la convergence et tout un éventail
d’objectifs. Il importe aussi de comprendre qu’il n’existe pas une seule manière « correcte »
de parvenir à la convergence. L’important est de prendre des mesures appropriées dans un
contexte donné même si elles sont d’abord très modestes. Différents niveaux d’intervention
sont possibles au niveau de la classe et de l’école et aux niveaux national, régional et local.
La coordination et la planification au niveau de l’école sont particulièrement importantes
mais le risque de malentendu existe : il ne s’agit pas de « fondre » ensemble différents types
de langues et de leur faire perdre leur rôle ou leur centralité. Cette idée deviendra très
claire dans les présentations qui suivront.
Convergences avec l’enseignement des langues étrangères
On a l’habitude de distinguer les « langues comme matières » des « langues étrangères »
7
mais il est clair que l’enseignement et l’apprentissage d’une langue étrangère est aussi une
7
Dans le cadre de cette distinction, l’expression « langues comme matières » renvoie à l’enseignement du
français en France, de l’anglais en Angleterre, etc.
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