46ème J.A.N.D. 27 janvier 2006
Comment le marketing oriente-t-il
les choix alimentaires
Marc FILSER
IAE Dijon – CERMAB-LEG – 2 Boulevard Gabriel, BP 26611, 21066 Dijon
M. FILSER – 46ème JAND 2
Résumé
Le succès rencontré par certains nouveaux produits alimentaires sur le marché est souvent
expliqué par les choix judicieux du producteur dans le domaine de sa politique marketing. Si
le marketing peut influencer l'adoption d'un produit par les consommateurs, il est tentant de
lui attribuer une influence déterminante sur l'ensemble de la consommation alimentaire.
Dans quelle mesure le marketing oriente-t-il les choix alimentaires ?
Les variables d'action manipulées par l'entreprise dans le cadre de sa politique marketing
influencent le choix des produits et surtout des marques. Une abondante littérature de
recherche en comportement du consommateur a montré que l'acheteur est sensible à des
éléments tels qu'un emballage attrayant et fonctionnel, une marque évocatrice de bénéfices
potentiels, une présentation spectaculaire dans les rayons d'un magasin, une réduction de
prix, ou encore une campagne de communication persuasive. Le marketing est alors un
facteur important d'arbitrage entre marques concurrentes, et d'adoption d'un produit nouveau
ou d'une marque nouvelle.
L'efficacité de ces variables d'action dépend en premier lieu de la compréhension du
consommateur et de ses attentes à travers l'étude des marchés. Ces études permettent de
déceler à la fois des attentes fonctionnelles non satisfaites par l'offre actuelle, et des
tendances d'évolution de la demande sous l'influence de facteurs d'environnement
économiques et culturels.
La reconnaissance de l'influence de ces facteurs conduit de facto à relativiser l'influence
potentielle du marketing. La consommation alimentaire est en effet influencée par des
contraintes psychologiques, sociologiques et même anthropologiques extrêmement
puissantes, en raison du statut symbolique si spécifique de l'alimentation par rapport aux
autres domaines de consommation. De ce fait, les actions marketing réussies des
entreprises sont le plus souvent des réponses appropriées à une évolution des attentes des
consommateurs, plutôt que la cause de cette évolution.
La publication en 2002 de la traduction française de l'ouvrage "No Logo"[1] a sensiblement
élargi l'audience des critiques adressées par certains cercles intellectuels au marketing,
considéré comme un facteur majeur de déstabilisation des systèmes économiques et
sociaux. Cette critique a trouvé un terrain de développement favorable lorsque d'autres
critiques des effets pervers du système d'offre des produits ont été dénoncés, notamment
lorsque le grand public a pris conscience de l'ampleur de troubles tels que l'obésité chez les
enfants.
Or les limites de l'efficacité du marketing peuvent être perçues chaque jour, lorsque des
entreprises perdent leur indépendance, ou même disparaissent purement et simplement,
faute d'avoir su adapter leur offre aux transformations, souvent brutales, de leur marché.
Traditionnellement défini comme "l'ensemble des processus mis en œuvre par une
organisation (…) pour comprendre, influencer (…) et contrôler les conditions de l'échange
entre elle-même et d'autres entités ou individus" [2,p.11], le marketing se voit ainsi perçu
alternativement comme une source puissante de pouvoir de l'entreprise sur le marché, ou
comme un ensemble de techniques dont l'efficacité incertaine n'est plus en mesure de
garantir la pérennité de la relation de la firme avec son marché.
Quel bilan peut-on tenter de dresser de l'influence exercée par le marketing sur les choix
alimentaires ?
Le marketing : une fonction issue de la filière agro-alimentaire
C'est entre 1900 et 1920 qu'apparaissent dans les programmes de plusieurs universités
américaines les premiers enseignements de marketing. L'Université du Wisconsin introduit
même un cours de "Methods of Marketing Farm Products" [3], qui atteste de la forte
influence de la filière agro-alimentaire sur l'émergence du marketing. Les acteurs de la filière
agro-alimentaire perçoivent en effet dès cette époque l'importance des bouleversements qui
apparaissent dans leur environnement, et la nécessité de formaliser une stratégie en
réponse : ampleur des fluctuations des cours, donc des prix, et de la demande résultante
des consommateurs ; extension géographique des marchés à travers la modernisation des
infrastructures de transport ; concentration de la demande dans des centres urbains de plus
en plus peuplés, desservis par de nouveaux circuits de vente au détail…
L'émergence du marketing traduit la recherche par les entreprises de méthodes leur
permettant de s'adapter aux ruptures qui apparaissent dans leur environnement. Cette
observation est cruciale : la vocation du marketing n'est pas de renforcer l'influence que
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l'entreprise exerce sur le marché, mais au contraire de tenter d'identifier dans
l'environnement des organisations les évolutions qui risquent de compromettre leur
pérennité.
L'évolution des moyens d'action développés par le marketing a été fortement déterminée par
les innovations apparues dans la filière agro-alimentaires : émergence de marques
nationales au début du XXème siècle, exploitation des possibilités de communication à travers
les nouveaux média de masse à partir de 1930, puis généralisation de la distribution en libre-
service à partir de 1950. C'est enfin une réflexion d'un cadre de Pillsbury qui aurait inspiré en
1948 à Borden l'usage du terme "marketing mix", utilisé pour désigner l'ensemble des
variables d'action que peut manipuler la firme pour organiser sa relation avec son marché.
Même si la théorie et la pratique du marketing ont profondément évolué en un peu plus d'un
siècle, ses fondements restent les mêmes : la mission du marketing est d'identifier des
évolutions sur les marchés, et de formaliser des actions que l'entreprise peut mettre en
œuvre pour s'y adapter. L'adaptation à l'évolution des attentes des consommateurs est plus
que jamais une condition de la survie de l'entreprise.
La prise en compte des attentes des consommateurs
L'identification des attentes des consommateurs constitue l'un des principaux objectifs de
l'analyse des marchés par la fonction marketing des entreprises. Trois déterminants
principaux de ces attentes sont identifiés par les modèles du comportement du
consommateur [4]:
- Des états internes de l'individu, physiques et psychologiques ;
- Des influences exercées par l'environnement social du consommateur, à travers la
communication interpersonnelle ou la prise en compte des normes culturelles ;
- L'offre des entreprises, en particulier à travers le flux d'innovations proposées sur le
marché à travers le développement de nouveaux produits ou services.
Quelles tendances d'évolution peut-on relever en longue période dans la consommation
alimentaire ?
- La recherche de la commodité constitue l'une des tendances les plus lourdes dans
l'évolution de la demande. L'acheteur est prêt à réaliser des arbitrages entre des
dépenses monétaires plus importantes au profit de produits qui lui permettront de
gagner du temps qu'il pourra consacrer à des activités plus gratifiantes.
- La recherche de valeur dans l'activité de consommation constitue une autre tendance
lourde. Face à l'affaiblissement des structures sociales traditionnelles, c'est à travers
l'activité de consommation que l'individu développe son identité et construit son
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appartenance sociale. Le produit est alors consommé non seulement pour ses
bénéfices fonctionnels, mais aussi pour son contenu symbolique, hédoniste,
esthétique ou social [5]. Même des consommations apparemment faiblement
signifiantes, comme par exemple la fréquentation de circuits de distribution discount
peuvent procéder de cette recherche de signification [6].
- La marginalisation du rôle du produit, par son incorporation dans une expérience de
consommation globale qui lui confère sa signification. Ce constat relativise l'intérêt
d'une analyse centrée sur le produit isolé par rapport à une analyse plus globale des
scénarios de consommation [7]. Il explique aussi l'apparent paradoxe que peut
révéler l'observation de structures de consommation qui associent des produits dont
les caractéristiques peuvent sembler fondamentalement incompatibles : la
juxtaposition des contraires constituerait même l'un des traits caractéristiques de la
consommation post-moderne [8].
Une autre évolution fondamentale des comportements des consommateurs est leur volatilité.
L'importance prise par le thème de la fidélité du consommateur dans les recherches en
marketing est révélatrice de la difficulté de développer cette fidélité, dont le lien avec les
performances objectives du produit, et même avec la satisfaction que sa consommation peut
procurer, semble de plus en plus ténu [9]. La multiplication des crises dans la sphère
alimentaire a encore contribué à accroître la méfiance du public à l'égard des produits qu'il
consomme, et à réduire la portée des actions engagées par les producteurs pour développer
et entretenir la fidélité à l'égard de leur marque [10].
Même si cette conclusion peut sembler paradoxale, tant elle contredit bon nombre
d'intuitions et d'analyses, l'évolution des attentes et des comportements des consommateurs,
y compris dans la sphère alimentaire, est caractérisée par une autonomisation croissante
des comportements à l'égard de l'offre. Le consommateur construit son système de
consommation en fonction d'objectifs et de valeurs qui reflètent beaucoup plus la recherche
de son identité que les choix stratégiques des producteurs et distributeurs. Ceux-ci doivent
donc constamment remettre en cause leur politique d'offre pour l'adapter à cette demande
volatile et paradoxale.
La formalisation et la mise en œuvre d'une stratégie marketing
De quels moyens dispose l'entreprise pour développer une offre susceptible de répondre aux
attentes des acheteurs dans un contexte d'affrontement avec ses concurrents ?
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