Commençons par une citation de Jean Goldzink (Voltaire de A à Z,
notice « Mal » - largement exploitée dans cet exposé -, Hachette 1994) :
Comme le mal met en jeu la Divinité, la raison, l’Histoire, le bonheur,
l’amour, la société, les passions, tout conte voltairien relève de sa
juridiction philosophique, et toute destinée de personnage prend
valeur de parabole dans la balance des peines et des plaisirs. Le mal
est au point le plus sensible et le plus dramatique de la philosophie,
[car il n’est] pas autre chose que le face-à-face de Dieu et de
l’homme, de l’homme et du monde, et il est à la jointure de l’écriture
abstraite et de l’écriture narrative.
Dans le cas de Candide, le rapport à la question du mal est exhibé dès
le titre, qui est en fait, on le sait, Candide ou l’optimisme, titre qui prend
davantage de sens peut-être si l’on sait qu’à l’optimisme voltaire voulait
substituer le « méliorisme », position qui consiste à dire qu’il ya globalement
plus de bien que de mal, et que cette proportion peut encore être améliorée,
sous réserve d’éduquer les hommes et de s’appliquer à transformer le monde
(notamment en luttant contre l’intolérance, la superstition, et l’arbitraire
).
Comme le montre sa présentation dans l’incipit, Candide est un héros
programmé pour faire l’épreuve d’un monde dans lequel les innocents ne
sont pas à la noce : c’est
un jeune homme à qui la nature avait donné les mœurs les plus
douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement
assez droit avec l’esprit le plus simple ; c’est […] pour cette raison
qu’on le nommait Candide.
Rien de mieux qu’un héros innocent (aux deux sens du terme : qui
ignore le mal, et que sa naïveté prédispose à prendre des coups) pour
illustrer un monde dans lequel le mal fait rage
, et en être victime, surtout si
le jeune homme est formé par une sorte de mystificateur au raisonnement
mécanisé (c’est Pangloss, bien sûr), et qui tient le langage que voici (4e
paragraphe) :
Il est démontré que les choses ne peuvent être autrement : car,
tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la
meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter
Ce qui ne suffit pas à faire de Voltaire un révolutionnaire.
Sade perfectionnera ce procédé en construisant pour sa part un diptyque de deux
romans : Justine ou les infortunes de la vertu / Juliette ou les prospérités du vice.