Corrigé de la lecture analytique du texte de Voltaire

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SÉQUENCE 1A : Humanité, altérité – Objet d’étude principal : La question de l’Homme dans les genres de
l’argumentation du XVIe à nos jours.
Texte 2 : VOLTAIRE – Le nègre de Surinam
Question : A quelles cibles s’attaque ici Voltaire ?
Introduction : 1) Voltaire est un des quatre plus fameux philosophes des Lumières, qui
prolongent notamment certaines idées humanistes et contestent le système social et religieux
de leur époque. Cet épisode de Candide est connu sous le titre du « nègre de Surinam ». La
publication date de 1759.
3) Nous avons affaire à un extrait de conte philosophique, c’est-à-dire une forme d’apologue,
qui constitue une argumentation indirecte. Le personnage de Candide a été éduqué par un
philosophe optimiste, Pangloss, mais ses aventures et mésaventures à travers le monde
éveillent son esprit critique. Ici, après avoir quitté l’Eldorado, le héros se retrouve en Guyane
hollandaise. Le texte est un récit, laissant une grande place au discours direct, et l’objectif est
notamment d’exprimer un ensemble de critiques.
4) A quelle cibles s’attaque ici Voltaire ?
5) I – La critique des religions ; II – La critique de l’optimisme ; III – La critique de
l’esclavage.
I – Voltaire s’attaque aux religions
Au milieu de cet extrait, l’esclave noir rencontré par Candide et Cacambo propose un
discours autobiographique. Parmi les sujets abordés, on trouve notamment celui de la religion.
De manière plus ou moins explicite, le lecteur perçoit une intention critique de la part de
Voltaire.
1. Des références à l’animisme. Dans les propos de l’esclave se trouvent enchâssées des
paroles de sa propre mère. A la ligne 10, elle fait référence aux fétiches. Le mot est
accompagné du déterminant possessif « nos » qui nous fait comprendre que l’on a
affaire aux objets du culte animiste de la région du golfe de Guinée (l.10), en Afrique.
Les paroles de la mère prennent une valeur ironique sous la plume du narrateur : elle
demande à son fils de vénérer ses fétiches pour le bonheur qu’ils vont apporter au
jeune homme : « ils te feront vivre heureux » (l.11). Les lignes qui précèdent montrent
bien que le nègre n’a certes pas connu le bonheur. Voltaire fait donc ici la satire d’une
religion illusoire, incapable de répondre aux souhaits de bonheur de ses fidèles.
2. Une critique des religieux chrétiens. Mais la critique religieuse la plus importante,
qui touche davantage les lecteurs de Voltaire, est bien sûr celle du christianisme...
d’ailleurs mis au même niveau que l’animisme puisque pour en parler le même mot de
« fétiches » est utilisé (l.14). Par un raisonnement logique, qui est une sorte de
raisonnement par l’absurde, l’esclave révèle clairement l’hypocrisie des religieux
chrétiens. Ce raisonnement se développe de la ligne 14 à la ligne 17 et fait comprendre
que le discours chrétien est mensonger : d’une part ce discours affirme la fraternité de
l’ensemble de l’humanité (voir le champ lexical des liens familiaux : « enfants »,
« cousins », « germains1 », « parents ») ; d’autre part le nègre constate que les
traitements subis par les esclaves sont inhumains au lieu d’être fraternels. La religion
chrétienne apparaît donc comme une institution qui ferme les yeux sur les horreurs
de l’esclavage.
1
D’une racine qui veut dire frère.
Nous pouvons donc constater qu’une des cibles de la critique dans ce texte est bien
constituée par les religions, ici animiste et chrétienne, auxquelles il est reproché d’être des
tromperies.
II – Voltaire s’attaque aussi à la philosophie optimiste
L’ensemble du conte Candide, ou l’optimisme, a pour objectif principal de s’attaquer à la
philosophie inspirée par Leibniz. Cet extrait contribue à cette attaque, dans son dernier
paragraphe. C’est ici le personnage de Candide lui-même qui formule la critique.
1. La façon de s’adresser à Pangloss. A ce moment du conte, Pangloss est absent, et
passe pour mort. Cette situation n’empêche pas son ancien élève de l’interpeller
directement à la ligne 18, tant il est indigné, révolté par la contradiction entre ce qu’il
voit et ce que lui a appris son maître. Ainsi le narrateur utilise le verbe s’écrier (l.18)
ainsi que la tournure exclamative dans l’apostrophe qui précède : on sent une énergie
agressive chez Candide. De plus il tutoie Pangloss (« tu », l.18, « ton », l.19), alors
qu’il l’avait toujours vouvoyé : son respect a disparu... respect pour la personne de
Pangloss et pour son idéologie. La ligne 18 contient en outre une tournure négative
(« tu n’avais pas deviné ») par laquelle Candide souligne la faiblesse de cette
idéologie.
2. Le renoncement. Du reste, cette idéologie explicitement citée à la ligne 19 est
accompagnée du possessif « ton » qui montre que Candide s’en désolidarise.
L’expression « il faudra bien qu(e)... je renonce », même si elle est au futur, exprime
clairement la nécessité (utilisation du verbe falloir) de rejeter l’optimisme.
3. Une définition négative. Le plus significatif dans les propos de Candide est la
définition qu’il donne à la ligne 20 de l’optimisme en réponse à l’interrogation de
Cacambo. Tout d’abord Candide utilise le mot « rage », qui désigne une sorte de folie
furieuse, alors que la notion de philosophie devrait au contraire se référer à une
sagesse. Ensuite la définition est construite sur une antithèse entre l’opinion que
soutient la pensée optimiste (verbe « soutenir ») et la réalité des faits (verbe « est ») :
ces faits sont marqués par le « mal », alors que la thèse optimiste parle du « bien ».
Cette thèse et la philosophie qui la soutient sont donc dans l’erreur ou dans le
mensonge2.
Il est donc clair que le personnage de Candide, sans doute ici porte-parole de l’auteur,
exprime un rejet radical d’une philosophie – l’optimiste – qui se trompe complètement sur
la réalité du monde et semble refuser de voir les choses affreuses qui s’y déroulent.
III – Voltaire s’attaque avant tout à l’esclavage
Et bien évidemment, la chose affreuse dont il est question ici n’est autre que l’esclavage et
ses conséquences sur le personnage du nègre. Il est évident que celui-ci n’est pas un simple
personnage individuel, mais un exemple, un symbole de toutes les victimes du système
esclavagiste.
1. L’état de l’esclave. Pour dénoncer l’esclavage Voltaire ne se lance donc pas dans de
longs discours moraux mais, puisque nous sommes dans un apologue, nous montre un
exemple concret. Le texte débute par la description physique et vestimentaire du
nègre. Celui-ci est dans un « état horrible » (l.4). Cette description rapide mais
suggestive montre l’esclave « étendu par terre » (l.1) c’est-à-dire dans un état
En réfléchissant, on peut aussi reprocher à l’optimisme d’empêcher toute évolution positive et toute lutte contre
ce qui va mal... puisque l’optimisme refuse de voir ce qui va mal...
2
d’infériorité, d’accablement, d’humiliation, de déchéance physique et morale. Son
vêtement, évoqué à la ligne 23, est à l’image de cette déchéance et connote la misère,
la fragilité4. Mais bien sûr, ce qui frappe le plus est la double amputation, de la jambe
et de la main (ligne 2 et 3). L’esclave a été déchu de son intégrité physique, il a
souffert dans sa chair, et souffre encore, et la cause en est l’esclavage.
2. Le travail de l’esclave. L’évocation assez réaliste du travail dans les sucreries sert
elle aussi de dénonciation. Celle-ci passe par des moyens divers. Accessoirement, on
peut ainsi noter le nom du maître (« Vanderdendur », l.4), qui lui-même suggère la
dureté, la cruauté. La ligne 7 parle de « la meule » qui « attrape le doigt »... cet
accident du travail5 suggère l’insécurité dans laquelle évoluent les esclaves.
L’amputation de la jambe, elle, est le résultat d’un châtiment cruel. Celui-ci survient
lorsque les esclaves cherchent à prendre le risque du marronnage (« quand nous
voulons nous enfuir », l.8) : ce qui montre que le quotidien vécu par les esclaves est si
horrible qu’ils sont prêts à risquer ce châtiment, ou même leur vie. Il faut bien noter
que le « nous » utilisé par l’esclave aux lignes 6 à 8 confirme que la situation du
personnage n’est pas individuelle et exceptionnelle, mais que c’est une généralité
pour tous les esclaves.
3. Un texte persuasif. Au-delà des faits évoqués et des raisonnements présents, il est
intéressant de remarquer que la dénonciation de l’esclavage passe surtout par des
moyens de persuasion. Celle-ci repose en particulier sur le contraste entre, d’une part
la dignité sobre de l’esclave, qui ne se lamente pas... il se contente de raconter des
faits dans des phrases déclaratives émotionnellement neutres6, et d’autre part au
contraire l’émotion de Candide, qui confère un registre pathétique au texte. On peut
ainsi relever l’exclamation « Eh ! mon Dieu » (l.3), qui exprime surprise et tristesse, le
mot « ami » qui suggère la sympathie, « horrible » (l.4), qui est une expression directe
d’un sentiment d’horreur et d’indignation, repris par « abomination » à la ligne 18. Et
puis il y a bien sûr les pleurs évoqués deux fois à la fin de l’extrait (« larmes », « en
pleurant »). La pitié de Candide pour l’esclave est conçue pour se communiquer au
lecteur. La réflexion des lignes 8-9, « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en
Europe » est elle-même conçue pour culpabiliser les lecteurs : le luxe d’un agrément
de riches Européens est la cause de la souffrance de milliers d’esclaves.
Conclusion : 1) Nous avons ainsi pu identifier les cibles de Voltaire dans ce texte : les
religions, qui sont trompeuses, la philosophie optimiste, qui reste aveugle sur les horreurs du
monde, et le système de l’esclavage, qui est justement une de ces horreurs. En utilisant entre
autre le registre pathétique, Voltaire s’attaque à ces cibles de façon assez efficacement
persuasive.
2) En dénonçant l’esclavage, et en faisant comprendre qu’il considère que les Africains sont
égaux aux blancs, qu’ils sont humains comme eux, et non pas autres 7, Voltaire est proche des
idées de Las Casas dans La controverse de Valladolid, ou de celles de Montesquieu dans son
célèbre texte ironique sur l’esclavage des nègres.
3
Voir aussi la ligne 6, qui montre que les esclaves ne sont presque pas habillés et que leur vêtement est
inconfortable, en simple « toile ».
4
Un vêtement a un rôle protecteur. Cette moitié de caleçon ne peut pas jouer ce rôle.
5
Cet accident a été la cause de l’amputation de la main, afin que l’esclave ne meure pas de la gangrène.
6
Il est utile ici d’observer ce qui est absent du texte : Voltaire aurait pu faire parler l’esclave avec un vocabulaire
de souffrance, de colère, des phrases exclamatives... il n’en est rien. On remarquera quand même un « hélas ! » à
la ligne 12, puis une comparaison avec les animaux à la ligne 13, et enfin la reprise du mot « horrible », l.17, qui
avait été utilisé par Candide.
7
Les adjectifs « humains » et « autres » se réfèrent bien sûr au titre de la séquence (Humanité, altérité).
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