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Place de CANDIDE dans la QUERELLE DE L'OPTIMISME
(extraits du livre Analyses et Réflexions sur … Candide, coll. ELLIPSES, chap. "La querelle
de l'optimisme dans Candide et ses enjeux philosophiques" par Paul-Laurent ASSOUN, Ed.
Marketing, 1982, p.26 à 46)
INTRODUCTION
Candide a joué un rôle décisif pour imposer le terme "optimisme" dans la langue courante :
Il résonne à l'époque comme un néologisme emprunté à la langue philosophique.
Or, ce néologisme doit sa fortune à une querelle dont il est l'objet et qui joue un rôle
déterminant dans les débats philosophiques, dans la 1° moitié du siècle des Lumières.
Le sens courant du mot "optimisme" (caractère, tournure d'esprit qui regarde de préférence le
bon côté des choses", in Article "optimisme", A. LALANDE ; ou état d'esprit de celui qui
s'attend à ce que tel événement tourne bien, à ce que telle entreprise réussisse, etc." id. ) n'est
que la transposition, concrète et affaiblie, d'un sens technique philosophiquement très précis et
daté
Sens philosophique du mot "Optimisme"
- C'est Leibniz qui a formé le contenu sémantique ;
- Ce sont les Jésuites de Trévoux qui ont employé le mot pour la première fois (Compte
rendu de la Théodicée de Leibniz) (= "la théorie d'après laquelle… le monde est un
optimum ou un maximum.")
§ 1 - L'optimisme métaphysique, cible de Candide.
1) La notion philosophique d'optimisme a été théorisée dans les Essais de Théodicée sur
la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, de Gottfried Wilhelm
LEIBNIZ (1646-1716), publiés en français à Amsterdam en 1710.
Théodicée = "doctrine de la justice (diké) de Dieu"
Va tendre à innocenter Dieu de l'existence du Mal en montrant qu'il procède d'une rationalité
profonde. Leibniz concilie l'existence du mal et la croyance en la bonté divine ; voici un
résumé de son argumentation :
Si Dieu est, il est parfait, c'est-à-dire puissance, bonté, justice, sagesse, … etc. Mais tout ce
qui n'est pas Dieu est nécessairement imparfait (sinon Dieu n'est pas Dieu) ; l'homme étant
une créature de Dieu, c'est-à-dire différente de Dieu, ne peut qu'être une dégradation de l'Etre,
c'est-à-dire imparfait. Toutefois, Dieu étant parfait, sa création est la moins imparfaite de
toutes les imperfections concevables en théorie. Par conséquent, "tout est pour le mieux dans
le meilleur des mondes possibles".
Leibniz ne nie donc pas le mal ; il affirme que le mal ne pouvait pas être moindre, et qu'on
pourrait l'expliquer chaque fois qu'il frappe .. si l'on était capable de voir l'ensemble.
Quelques citations pour préciser :
Leibniz définit Dieu comme "la première raison des choses", nécessaire, éternelle, jonction
de la sagesse et de la bonté infinies.
"Or, cette suprême sagesse jointe à une bonté qui n'est pas moins infinie qu'elle, n'a pu
manquer de choisir le meilleur […] on peut dire en matière de parfaite sagesse."
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"que s'il n'y avait pas le meilleur (optimum) parmi tous les mondes possibles, Dieu n'en aurait
produit aucun."
La meilleur des mondes possibles renferme du mal : la question se pose donc de savoir
pourquoi Dieu l'a permis, c'est-à-dire admis comme ingrédient.
Leibniz opère une division dans le concept de MAL :
"On peut prendre le mal métaphysiquement, physiquement et moralement.
- Le mal métaphysique consiste dans la simple imperfection,
- Le mal physique dans la souffrance,
- Et le mal moral dans le péché".
En fait :
"Dieu veut tout le bien en soi antécédemment, il veut le meilleur conséquemment comme une
fin, il veut l'indifférent et le mal physique quelquefois comme un moyen, mais il veut permettre
le mal moral à titre de sine qua non ou de nécessité hypothétique, qui le lie avec le meilleur".
On voit que Leibniz, par ces distinctions scolastiques, justifie à divers degrés la nécessité du
Mal dans l'économie métaphysique et cosmologique.
Dans le suprême entendement de Dieu, les "compossibles" se livrent combat jusqu'au
triomphe nécessaire du meilleur, qui se confond avec l'actuel.
L'être se confond avec le meilleur.
Ce qui permet de concevoir cette liaison, c'est la Raison.
"L'optimisme s'appuie sur ce principe que la Raison est cause du monde, ou sur cette foi que
la raison est le principe du monde et de l'existence. D'où la souveraineté du "principe de
raison suffisante"(dont Voltaire fait gorge chaude !)
D'après ce principe de "raison suffisante",
"aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu'il y
ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement" (Monadologie)
Par ce principe de "raison suffisante", Leibniz unifie en quelque sorte sa physique et sa
métaphysique :
La totalité est conçue à la fois comme une chaîne de causes et d'effets et comme une chaîne
logique de raisons.
2) L'origine de la querelle de l'Optimisme : la controverse BAYLE - LEIBNIZ.
Le projet même d'une "Théodicée", malgré son intention apologétique, posait de sérieuses
difficultés théologiques.
Il revenait en effet à démontrer comme accessible à la raison la conciliation de la bonté divine
et de la présence du mal dans le monde, alors que, selon le dogme, elle ne peut faire l'objet
que d'une croyance.
C'est pourquoi Leibniz voit se dresser contre lui une argumentation orthodoxe :
- tant du côté calviniste que du côté des Jésuites,
- mais aussi du côté de la libre pensée fidéiste, dont Pierre BAYLE (1647-1706) est le
représentant le plus accompli.
Bayle soutient que Dieu est l'auteur du péché sans que sa sainteté en soit compromise,
mais il dénie à tout système (orthodoxe ou leibnizien) le droit et le pouvoir de résorber ce
mystère. Il affirmera jusqu'à sa mort l'impossibilité de connaître l'Origine du Mal,
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semblable au mystère des "sources du Nil" (position agnostique).
Voltaire reprendra l'étendard de Bayle contre l'Optimisme métaphysique, mais le noyau
leibnizien sera assorti de l'enrobage que lui donnera WOLF.
3) WOLF (Christian-Friedrich).
Il est mort en 1754 au faîte de sa gloire philosophique :
Voltaire va s'attaquer à une sommité de la philosophie européenne membre de
- l'Académie de Berlin
- la Société Royale de Londres
- celle de Saint-Pétersbourg
- L'Académie des Sciences de Paris.
Projet véritable de WOLF :
a) Ce qui vient en 1°, c'est la LOGIQUE : étudie les lois de la pensée ;
b) puis vient l'ONTOLOGIE : philosophie première qui étudie l'être en général.
C'est l'entrée dans :
- la métaphysique : étudie les principes premiers des êtres.
- La cosmologie : repose sur la contemplation générale du monde ;
- La psychologie : porte sur l'âme ;
- La théologie : a Dieu pour objet ;
- La téléologie : théorie des causes finales.
c) puis une PHILOSOPHIE PRATIQUE : le droit et la morale. (Il mourut avant d'achever
sa philosophie politique).
Pangloss est fraîchement émoulu des enseignements de Wolf.
Wolf prétend donner à la foi l'appui d'une raison démonstrative, contre le piétisme qui
s'acharne à placer la foi au-dessus de toute raison.
Donc : défense et illustration de la foi chrétienne en donnant aux démonstrations théologiques
la rigueur indubitable des maths.
4) En 1759, Kant consacre son cours à l'Optimisme : (à cette époque il partage la thèse de
Leibniz)
Postulat : "Dieu, lorsqu 'il choisit, ne choisit que le meilleur".
En conséquence, "S'il a plu à Dieu de choisir ce monde-ci entre les mondes possibles", c'est
"parce que ce monde était le meilleur de tous les mondes susceptibles d'être créés".
5) REACTION de VOLTAIRE
Candide paraît en pleine vogue wolfiste en France même : Voltaire veut déconsidérer cette
tendance hyper rationaliste.
Il s'agissait de ridiculiser le wolfisme aux yeux d'un vaste public (ouvrages de vulgarisation
philosophique entre 1752 et 1760) ainsi qu'auprès de ceux de ses amis sur qui ce wolfisme
exerçait une séduction :
- la marquise du Châtelet
- Frédéric II
Il s'agit aussi d'une autocritique, car Voltaire a d'abord été leibnizien.
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§ 2 - La querelle de l'Optimisme dans Candide.
I - En quoi Pangloss incarne-t-il le type du wolfien ?
1) Pangloss est Allemand : patrie désormais réputée de la philosophie.
(cf ch. XXVII Candide présente Pangloss au Levanti Patron comme " le plus profond
métaphysicien d'Allemagne" ; en fait = modeste précepteur de province (chap. I)
2) Il enseigne la "métaphysico-théologo-cosmonigologie" = déformation de la discipline
encyclopédie qui est le fond de l'enseignement wolfien.
On voit que VOLTAIRE
a) simplifie le projet wolfien en rappelant ses 3 articulations :
- théorie de l'être (métaphysico-)
- théorie de Dieu (théologico-)
- théorie du monde (cosmologico)
b) fait silence sur son prolongement pratique, le réduisant à sa dimension spéculative
(véritable "pataphysique", mot créé en 1920 par Alfred Jarry pour désigner la science des
solutions imaginaires)
c) surtout, rallonge le vocabulaire authentiquement wolfien et en fait une théorie de la fiction
et de la bêtise avec des apparences savantes une "NIGO-LOGIE".
3) Comment Pangloss va-t-il appliquer ce programme ?
a) Essentiellement par la PAROLE (cf. son nom : Pan-gloss = "tout-langue")
Cette parole se veut sans cesse démonstrative.
Cf Ch.V : "Comment, probable ?… Je soutiens que la chose est démontrée"
On reconnaît l'exigence cartésiano-leibnizienne du caractère de certitude inhérent à la vérité.
La logorrhée est inhérente à Pangloss, car il incarne la raison présomptueuse qui veut avoir
toujours le dernier mot sur les mystères du monde.
Il est l'homme qui veut tout expliquer, confiant qu'il est dans la "raison universelle".
b) Pangloss est l'homme du SYSTEME.
Cf ch. XIX fin : Candide juge que Pangloss serait bien embarrassé "de (lui) démontrer
son système"
et ch XX début. Où il nous dit qu'il penchait pour le système de Pangloss.
Système = "un arrangement de principes et de conclusions, un enchaînement, un tout de
doctrine, dont toutes les parties sont liées ensemble et suivent ou dépendent les unes des
autres" (Dictionnaire de Trévoux, début XVIII°S).
Donc l'obstination de Pangloss n'est que la conséquence de son "systématisme".
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II - le "TOUT EST BIEN"
Pangloss a réponse à tout. Inspiration métaphysique du système : "Tout est bien".
Sens précis qu'il faut donner au mot "TOUT" = "le Tout (cosmologiquement parlant) est bon".
Voltaire passe de l'énoncé métaphysique objectif "Tout est bien en soi" puisque "le Tout est
bon" au point de vue humain : "Toutes les choses sont bonnes pour nous".
La critique voltairienne de l'Optimisme se centre donc sur la contestation de l'axiome : "Tout
est bien".
Cf sous-titre du Poème sur le désastre de Lisbonne" ou examen de cet axiome : tout est
bien."
Voltaire refuse cette étrange arithmétique métaphysique : une somme de malheurs individuels
ne fait pas un "bonheur général". Cela ne fait qu'un "chaos" qui ne saurait mettre en ordre
nulle Raison.
Cf ch.IV (fin) : Le désastre de Lisbonne fait s'effondrer la toute-bonté du TOUT ; récusant
le système de Pangloss soutenant que "les malheurs particuliers font le bien général, de sorte
que plus il y a de malheurs particuliers, et plus tout est bien."
L'Optimisme, loin d'être consolant, doit sonner comme un "outrage" à la réalité de la
souffrance humaine. Le système de l'Optimisme est donc à la fois une erreur métaphysique et
une faute morale.
Cf ch. XIX : "Qu'est-ce qu'optimisme ? (…) "Hélas, dit Candide, c'est la rage de soutenir que
tout est bien quand tout est mal".
Il faut donc réintroduire le Mal dans le Tout.
"Il le faut avouer, le mal est sur la terre" (Poème /Lisbonne)
III CONTRE L'OPTIMISME APOLOGETIQUE (enjeu : le péché originel)
Voltaire récuse à la fois le Dieu géomètre de Leibniz et le Dieu vengeur des Ecritures :
"Direz-vous en voyant cet amas de victimes :
Dieu s'est vengé ; leur mort est le prix de leurs crimes ?"
"On a besoin d'un Dieu qui parle au genre humain", c'est-à-dire un Dieu qui sert à l'homme à
s'entretenir de sa souffrance, Dieu témoin et consolateur.
Ainsi Voltaire se réfère à l'expérience chrétienne du Mal pour débouter l'Optimisme de
système, mais, d'un retournement ironique, il débusque l'optimisme apologétique qui tend à
justifier la souffrance.
Cela nous achemine vers sa position positive : il faudra la chercher du côté d'une
reconnaissance de l'existence du Mal non rachetée par quelque "système" que ce soit, et pas
plus par le "péché originel".
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