Les défaillances du marché I. Rappel du modèle du marché autorégulateur - Techniques de production - Goûts des consommateurs - Nombre de consommateurs - Revenus des consommateurs - Prix des autres biens (élasticité) - Prix des facteurs de production - Nombre d’entreprises Fonction d’offre Fonction de demande MARCHÉ Prix d’équilibre Niveau de production et conditions d’accès au bien Concurrence pure et parfaite Modèle théorique Concurrence imparfaite Structure du marché Optimalité de l’équilibre Différenciation des produits Barrières à l’entrée Défaillances du marché Tous les biens ne se prêtent pas à l’échange marchand (biens collectifs) Droits de propriétés non spécifiés (externalités) II. Les défaillances du marché Il y a défaillance du marché quand les décisions individuelles des agents aboutissent à un résultat « non optimal ». On peut effectivement lister toute une série de défaillances de la « main invisible » d’Adam Smith (qui voulait que des comportements égoïstes et à courte vue produisent généralement du bien-être collectif… Or c’est faux dans beaucoup de cas, et A. Smith lui-même en avait déjà repéré plusieurs, à commencer par un cas qu’il considérait comme particulier : celui des « biens collectifs »… A) Les biens collectifs : Pour A. Smith, c’est l’ensemble des biens qu’aucun particulier n’a un intérêt privé à fabriquer car ça coûte mais, une fois fait, ça profite à tous sans qu’il soit possible de faire payer chaque usager. A. Smith, à son époque, donnait l’exemple du phare pour la navigation. Dans un tel cas, ces biens doivent être produits comme « biens collectifs », autrement dit, leur nature justifie leur prise en charge dans le cadre de « l’Etat minimum ». Depuis lors, les économistes ont appris à faire une typologie beaucoup plus fine des biens, depuis les plus privatisables jusqu’aux plus collectivisables, selon qu'ils se prêtent plus ou moins à une propriété « exclusive » et/ou que leur utilisation par les uns est plus ou moins « rivale » de l’utilisation par d’autres … Ils parlent de : Bien non exclusif : lorsque personne ne peut être écarté de l’usage du bien ; (ex : éclairage public) Bien non rival : lorsque l’usage du bien par un agent n’empêche pas les autres agents de l’utiliser. (ex : lecture d’une revue en ligne). Plus systématiquement, ils repèrent… Quatre types de biens Exclusif Non exclusif Biens privés Ressources communes Rival Cornet de glace Poissons marins Vêtement Environnement sain Equipement local à accès Equipement local à accès incontrôlable et à contrôlable et à faible capacité faible capacité d’accueil d’accueil Monopoles naturels Biens publics (Biens collectifs purs) Non rival Voies ferrées Défense nationale TV par câble Connaissances scientifiques du domaine Equipement territorial à accès public contrôlable et à forte capacité Equipement territorial à accès incontrôlable d’accueil et à forte capacité d’accueil On voit, dans ce tableau, que le phare d’A. Smith fait partie des « bien collectifs purs », mais on voit aussi que l’Etat peut être amené à intervenir dans deux autres cas s’il veut que les conditions de vie des agents restent équitables et que le milieu dans lequel ils évoluent reste renouvelable : celui des « monopoles naturels » et celui des « ressources communes »… B) les externalités : Ce sont les conséquences, généralement involontaires, de l’activité d’un agent sur d’autres agents. Donc, a priori, les autres en profitent ou en pâtissent sans que cela ne donne lieu à aucune transaction de marché. Certaines activités de consommation ou de production ont des effets néfastes (ou bénéfiques) pour des tierces personnes qui ne peuvent pas se faire dédommager (ou qui ne doivent pas payer) pour le dommage subi (ou le bénéfice obtenu). Or, de nos jours, les occasions de nuisances (externalités négatives) se multiplient sur une planète qui montre de plus en plus ses limites d’utilisation. Inversement, on gaspille trop d’énergie à ne pas vouloir créer des externalités positives chaque fois que ce serait possible à moindre coût. Il faudrait donc bien trouver des moyens d’intervention complémentaires aux marchés pour limiter les unes et encourager les autres... Typologie des externalités Externalité de production privée Externalité de consommation privée Externalité de production publique Cas particulier Externalité + Externalité Marchand de journaux à côté d’une Usine polluante à côté d’un boulangerie hôtel Usage partagé d’une « fête des voisins », Randonnée en forêt en quad d’un talent musical, voire d’une encyclopédie coopérative en ligne gratuite… Construction d’une infrastructure par l’Etat ou ___ une collectivité territoriale. Campagne de vaccination contre la grippe (…) Pas de recherche d’externalité a priori mais possibilité d’externalités positive ou négatives à posteriori : cas d’une Mairie attaquée en justice par un particulier pour l’obliger à refaire une portion de voirie. En résumé, on va observer une défaillance du marché chaque fois que les droits de propriétés sur les biens ne sont pas suffisamment définis (qui a le droit d’utiliser l’air, et de quelle façon) dans une perspective de « développement durable »... Cela justifierait donc de plus en plus d’interventions de l’Etat, à un niveau national, ou d’une institution supranationale chaque fois que la nuisance potentielle est « globale ». L’intervention la plus élémentaire se conçoit sous la forme de taxes ou/et de subventions. D’après Pigou, la taxe permet d’internaliser l’effet externe en obligeant l’agent responsable à tenir compte de tous les coûts. Il l’illustrait déjà de la façon suivante : Offre incluant tous les coûts p Offre négligeant les coûts externes Equilibre optimal Taxe Equilibre négligeant les coûts externes Demande Q C) Les jeux non coopératifs : le paradigme du dilemme du prisonnier et ses conséquences à prendre en compte L’équilibre auquel peuvent aboutir des joueurs en concurrence, n'est pas nécessairement une situation optimale pour le groupe ! Telle est la morale d'un ensemble de jeux de rôles non coopératifs devenu célèbre sous l’appellation générique de « dilemme du prisonnier ». En effet, le modèle original mettait en présence deux individus suspectés (à juste titre) de délit et interrogés séparément, avec plusieurs choix (allant de l’aveu à la dénonciation de l’autre) et plusieurs sanctions possibles (allant de la relaxe à la peine maximale). Or chaque « joueur » ignore ce que va être la stratégie de l’autre, et il doit prendre des précautions vis-à-vis d’une certaine probabilité du pire… Dans le modèle initial, on voit que le « librechoix non coopératif » aboutit toujours à une peine globalement bien plus lourde que celle qu’aurait permis un « choix coopératif ». Ce dispositif étant transposable à une multitude de situations de concurrence, il a donné naissance à une multitude d’expériences « de laboratoire » dans le cadre d’une nouvelle « microéconomie expérimentale ». Le schéma général est simple : deux agents sont placés en situation adverse ; ils doivent adopter un comportement stratégique, c’est à dire que chacun doit prendre en compte les différentes réactions possibles de l’autre pour faire le meilleur choix pour lui-même. Ex : « Deux entreprises se disputent un marché et chacune redoute que l'autre lance une campagne de publicité pour lui prendre sa part. Du coup, pour éviter ce risque, toutes deux se payent de la publicité. À l'arrivée, les deux firmes conservent leurs parts de marché initiales, mais en supportant de coûteux frais publicitaires, d'où un profit moindre. [...] La théorie des jeux montre ainsi que, par la seule concurrence même pure et parfaite, l'intérêt individuel ne mène pas automatiquement à l'intérêt général ». J.-P. Chanteau, Alternatives économiques, n°144, janvier 1997. Ces conclusions ne sont pas surprenantes pour les praticiens de l’économie. D’ailleurs l’entreprise elle-même n’est pas organisée selon le modèle du marché non-coopératif. En ce sens on a même pu dire que l’organisation interne d’une entreprise constituait un exemple de négation du marché. Si elle suivait le modèle marchand, le contrat de travail ne serait pas un contrat de subordination durable et rien ne serait fait pour développer « l’esprit d’entreprise » et la « mobilisation des intelligences et des loyautés » au service de la « qualité globale ». Il y aurait autant de contrats de collaborations ponctuelles que de tâches à accomplir, chaque travailleur serait son propre chef d’entreprise qui louerait ses services au jour le jour, et tous les coups seraient permis en matière d’espionnage industriel par exemple. Certes le néolibéralisme a été tenté par des politiques de flexibilisation de la main d’œuvre qui vont un peu dans ce sens mais pas au point de remettre en cause le principe du salariat et les principes qui permettent d’espérer la loyauté à moyen terme de la partie la plus stratégique de la main d’œuvre. Donc, la non-optimalité du « tout marché » est admise, cependant il convient d’en bien mesurer tous les effets néfastes si l’on souhaite tenter de les réduire. De fait, ces expériences prouvent abondamment le caractère « sous-optimal » d’une régulation entièrement basée sur une « pure concurrence » (adverse) de tous les agents, et elles peuvent mettre sur la voie de jeux plus coopératifs. Voila un grand chantier ouvert, avec la perspective de réduire la part de la régulation purement marchande et d’augmenter la part d’autres formes de régulation, existantes ou à inventer…