Pourquoi des politiques économiques ? Introduction : Qu’est ce qu’une politique économique ? I) Politique et économie : une histoire mouvementée 1 L’économie triomphante : 1850-1929 2 La politique réhabilitée : 1945-1975 3 Retour et échec de l’économie : 1975-2010 II) Pourquoi l’économie ne parvient-elle pas à se réguler ? 1 L’incertitude sur l’avenir 2 Les marchés imparfaits 3 La prise en compte des externalités Conclusion : Prévenir ou guérir ? Introduction : Qu’est ce qu’une politique économique ? Une politique économique se définit comme « une politique menée par des autorités publiques légitimes visant à influencer le cours habituel des affaires économiques ». Une politique économique va donc avoir deux sens différents : - il peut s’agir d’une politique conjoncturelle : les pouvoirs publics essaient de modifier le cours prévisible de l’activité économique : • il peut alors s’agir d’une politique de relance de l’activité économique (cas actuel) pour éviter une récession ou limiter ses effets • il peut aussi s’agir d’une politique de « refroidissement économique » si la croissance est jugée trop rapide et qu’elle peut se traduire par une forte inflation (ce fut parfois le cas durant les « 30 glorieuses ») - mais la politique économique peut aussi avoir pour objectif de modifier durablement le cadre de l’activité économique, que ce soit celle d’un pays ou de plusieurs pays. On parlera alors de politique économique structurelle. Par exemple, la politique industrielle fait clairement partie d’une politique structurelle. La politique économique ne doit donc pas être confondue avec l’intervention habituelle des pouvoirs publics. En effet, cette intervention n’a pas forcément pour objectif de modifier la conjoncture économique ou l’environnement structurel. Il peut par exemple s’agir de politiques sociales, éducatives, environnementales…dont le but n’est pas explicitement l’activité économique même si cela peut avoir une influence sur celle ci. Mais cette année, nous nous proposons de montrer pourquoi et comment des pouvoirs publics peuvent (et doivent) avoir une influence sur l’activité économique. I) Politique et économie : une histoire mouvementée En 2009-2010, l’idée que l’État doit intervenir pour limiter les dégâts de la crise financière semble évidente. Il n’en a pas été de même pendant très longtemps. 1 L’économie triomphante : 1850-1929 Durant toute cette période, une théorie économique a dominé : celle du libéralisme, issu des enseignements des pères fondateurs : les classiques anglais (doc récapitulatif). Selon eux, chaque personne travaille pour son propre intérêt, et connaît mieux que quiconque où se situe cet intérêt. La somme des intérêts individuels conduit inévitablement à l’intérêt collectif : c’est ce que les libéraux fondateurs appellent le principe de la main invisible du marché. Si un déséquilibre intervient, l’intérêt individuel permettra de le résorber Si par exemple sur un marché quelconque de biens une pénurie apparaît, l’intérêt individuel de l’acteur doit le conduire à produire ces biens puisque les prix montent. En sens contraire, cette pénurie doit inciter les consommateurs à différer leurs achats puisque les prix sont élevés. L’équilibre doit donc se réaliser. Et selon Jean Baptiste Say, « l’offre crée sa propre demande » : quand un producteur produit, il crée un revenu qui va permettre de consommer ladite production. Il ne peut donc y avoir durablement une surproduction. Pour Adam Smith, le fondateur de la pensée libérale, le « souverain » n’a alors plus que 3 missions à remplir : - veiller à la sécurité publique - veiller à la sécurité extérieure - rendre la justice C’est ce que l’on appelle un Etat-gendarme. Adam Smith ajoutait simplement qu’il appartenait au souverain d’ériger et d’entretenir des ouvrages publics dont la rentabilité n’était pas assurée mais dont l’utilité sociale était pourtant essentielle. Les néo classiques vont ensuite essayer de justifier de façon mathématique cette idée d’une économie qui s’équilibre toute seule si on la laisse faire. Le suisse Léon Walras, par exemple, va bâtir un modèle d’équilibre simultané sur tous les marchés à la fois : marché des biens de consommation, des biens de production et marché financier. Vilfredo Pareto établira ce que l’on appelle un « optimum économique » : situation économique idéale dans laquelle on ne peut pas améliorer la situation de quelqu’un sans détériorer la situation de quelqu’un d’autre. Durant toute cette période, l’idée d’une activité économique autonome s’impose donc progressivement. Bien entendu pendant cette période, des crises économiques surgissent périodiquement, à peu près tous les 8 ans. On leur donnera le nom de « cycles Juglar » du nom de l’économiste français Clément Juglar qui va les mettre en évidence. Mais comme justement ces crises finissent par se résorber toutes seules, elles semblent confirmer l’hypothèse d’une activité économique capable de se réguler seule, sans intervention des pouvoirs publics. Durant cette période, on peut voir (doc 1 et doc 2) que le poids des pouvoirs publics dans l’économie reste faible, que ce soit en terme de dépenses en % du PIB (sauf pour la guerre de 1914) ou en nombre de fonctionnaires. C’est donc la période de l’économie triomphante, au dessus des pouvoirs publics et de la société, capable semble-t-il de faire le « bonheur » des hommes malgrévaeuxalors ou sans Cette économie triomphante se eux. livrer à tous les abus spéculatifs qui vont aboutir à la crise de 1929. 2 La politique réhabilitée : 1945-1975 La crise de 1929 met donc fin à la suprématie libérale : la crise est violente (le PIB américain perd ainsi près de 15 % entre 1929 et 1932 (doc 3)), les autres pays connaissant des pertes un peu moins sévères. Mais surtout l’économie « ne se régule pas toute seule » : au départ, les autorités économiques appliquent des recettes d’un très grand classicisme : on laisse couler les banques en difficultés, on pratique la déflation (baisse des salaires,des prix et de la valeur des actifs) et on attend que la prospérité revienne. Mais elle ne revient pas et la crise se transforme en crise sociale : 13 millions d’américains au chômage en 1932, alors qu’un libéral anglais, M Pigou, avait assuré que « si le marché du travail est parfaitement flexible, le chômage est impossible, sauf s’il est volontaire ». 13 millions d’américains volontaires pour se retrouver au chômage !! Et de social, la crise devient politique : montée du nazisme et du C’est alors un autre économiste, l’anglais John Maynard Keynes, qui va montrer la nécessité de l’intervention économique de l’État. Il met en effet en lumière le fameux cercle vicieux des comportements rationnels : moins de clients = moins de production et d’investissements pour les entreprises = moins d’emplois pour les salariés = moins de clients…. Bien sur que tout cela peut finir par s’arranger, mais dans le long terme, et selon son expression célèbre « dans le long terme nous serons tous morts ». Il propose alors une politique d’intervention publique basée sur la relance de l’investissement public (grands travaux…), sur l’augmentation des revenus des plus défavorisés (qui consacrent une part importante de leur revenu à la consommation) et sur la baisse des taux d’intérêts qui doit favoriser la consommation et surtout l’investissement des entreprises. Il propose surtout qu’à l’avenir les pouvoirs publics empêchent le retour des crises par une régulation de l’activité économique. A partir de 1945 les idées de Keynes triomphent : non pas pour des raisons « morales » mais pour des raisons pratiques : on a compris que : Crise économique = crise sociale = crise politique = risques de guerre (y compris désormais nucléaire) en particulier avec les « démocraties populaires ». C’est alors la grande période de la régulation économique par les pouvoirs publics : - mise en place du « plan Marshall » par les américains - création du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale - élaboration de la comptabilité publique (c’est à cette époque que le concept de PIB est crée) - développement du plan qui devient « une ardente obligation » (De Gaulle) Dans une large mesure le développement des « 30 Glorieuses » est le résultat de cette régulation économique par les pouvoirs publics. C’est l’époque où le plus farouche opposant à Keynes, le très libéral Milton Friedman, déclarait : « nous avons tous été, un jour ou l’autre, des keynésiens » (sauf lui !!) 3 Retour et échec de l’économie La fin des 30 Glorieuses et la crise pétrolière vont pourtant remettre en cause la politique d’intervention économique de l’État : de la même façon que le libéralisme n’avait pas su résoudre la crise de 1929, les politiques keynésiennes n’arrivent pas à résoudre la crise de 1975. Les politiques de régulation ne débouchent que sur des hausses de prix et de l’endettement public qui ne parviennent pas à réduire les taux de chômage. On assiste alors au retour du libéralisme triomphant qui va dominer la pensée économique jusqu’à….aujourd’hui. Durant cette période , l’économie s’émancipe une nouvelle fois du pouvoir politique . C’est l’époque de la dérégulation, de la déréglementation et de la privatisation : comme on croit de nouveau que l’économie est « auto régulatrice », l’intervention économique de l’État doit redevenir minimale : privatisations, abolitions des règles prudentielles…. En 1993 le traité de Maastricht concrétisera cette croyance : la priorité est donnée aux grands équilibres monétaires (stabilité des prix, niveau de l’endettement…) et on pense alors que la prospérité économique suivra. C’est l’époque du « triomphe » du « Tigre Celtique » (l’Irlande qui devient le pays le plus « riche » d’Europe). Cette idée va de nouveau se heurter aux réalités économiques : la spéculation financière à partir du début des années 2000, encouragée par la dérégulation financière aboutit à la crise financière du 15 Septembre 2008. Et la question se pose alors immédiatement : l’État doit-il intervenir ? Dans un 1° temps, au nom de « l’aléa moral » (c’est-à-dire de la responsabilité devant la prise de risques), les pouvoirs publics américains refusent d’intervenir et laissent couler Lehman Brothers. Mais devant le risque de crise financière totale, les différents gouvernements décident de sauver le système bancaire et de relancer l’activité économique avec des plans de relance. Une nouvelle fois, l’économie semble montrer son incapacité à s’autoréguler, si ce n’est sur le long terme et après de multiples risques économiques. Après son triomphe de 30 ans, l’économie autonome échoue de nouveau et laisse les pouvoirs publics intervenir; mais pour combien de temps et dans quel but ? De nouveau, alors que les affaires « reprennent » les tenants de l’économie autorégulatrice refont surface et demandent à l’ État de se désengager. Il faut pourtant montrer que la capacité de l’économie à s’auto réguler est illusoire. II) Pourquoi l’économie ne parvient-elle pas à se réguler ? Si on regarde bien l’histoire, on constate que l’activité économique laissée « libre » navigue de crise en crise, et seules les périodes pendant lesquelles les pouvoirs publics sont intervenus ont constitué des périodes de stabilité. Pourquoi ? Trois réponses « théoriques » semblent pouvoir être apportées. 1 L’incertitude sur l’avenir Pour qu’un acteur économique puisse agir rationnellement (en supposant que ce soit le cas), il doit connaître les conséquences éventuelles de son action. Pour cela, il doit être capable d’anticiper l’avenir : on peut prendre ici le cas du marché de l’immobilier : pour décider rationnellement de l’achat ou de la vente de son bien, on doit à peu près savoir de quoi l’avenir du marché sera fait. Comment faire ? On va essayer de se renseigner à l’aide de personnes (des experts) qu’on estime mieux informées. Mais la plupart des experts essaient eux mêmes de se renseigner à partir de personnes mieux informées. Chacun étant dans le doute essaie de forger son opinion à partir de l’opinion des autres…qui font pareil. Keynes appelait cela les « comportements mimétiques ». En économie cela donne alors des résultats curieux : j’achète une maison parce que je pense que le prix va monter. Je pense que ce prix va monter parce que d’autres pensent qu’il va monter. On en arrive alors aux « anticipations auto réalisatrices » : si moi et les autres nous achetons une maison parce que nous pensons que le prix va monter, il y aura plus d’achats que d’offres et le prix va effectivement monter…ce qui confirmera que j’avais raison d’acheter. En matière de crise économique, cela peut donner la situation de fin 2008-début 2009 : tout le monde pensait que la situation allait se détériorer donc qu’il ne fallait ni acheter ni investir. Dés lors, puisque chacun était convaincu par les autres que la situation allait se détériorer, il ne fallait plus ni acheter ni investir (ni pour les banques prêter), ce qui ne pouvait que détériorer effectivement la situation, ce qui confirmait bien qu’il ne fallait pas acheter ou investir…. En bref, la crise peut durer longtemps si personne n’est capable de casser ces anticipations, et surtout dispose de suffisamment de poids pour « imposer » une autre logique sur l’avenir d’où le rôle nécessaire des pouvoirs publics. 2 Les marchés imparfaits Tous les économistes ont bâti des modèles théoriques pour montrer comment « dans l’absolu » l’économie se régulait. Si toutes les conditions du modèle sont remplies, alors en effet l’économie s’autorégule. Le problème, c’est que justement toutes les conditions ne sont jamais remplies : on parle alors de l’imperfection des marchés. Cette imperfection peut-être analysée rapidement sous deux aspects : le pouvoir et l’information. • Le pouvoir : un marché est dit parfait si chaque consommateur a le même pouvoir que les autres (le prix fait alors la différence et hiérarchise les préférences) et si chaque producteur est libre à tout moment de venir proposer un produit qui vient faire concurrence; Mais dans la réalité, on sait parfaitement qu’il y a des consommateurs qui ont plus de pouvoir (économique, social et politique) que les autres : ils ont la capacité, en dehors du prix, d’imposer leurs préférences : on peut prendre ici l’exemple du logement (pourquoi si peu de logements sociaux alors que la demande existe ?). On sait également qu’il existe des barrières à l’entrée pour de nouveaux producteurs : barrières légales (exemple de l’implantation de grandes surfaces), barrières économiques : le coût d’entrée sur le marché est trop important (exemple de la presse sportive française), barrières « illégales » : ententes, trusts. Dans la réalité les marchés sont souvent en situation de dualité : Il y a quelques producteurs (on les appelle des Oligopoles) qui font face à quelques consommateurs disposant de plus de pouvoirs et qui imposeront leurs choix, sans que cela ne puisse satisfaire le reste de la population (y compris les autres producteurs). • L’information : en principe, chaque acteur économique doit être informé de toutes les caractéristiques d’un produit et de tous les prix pratiqués, ce qui lui permet un choix rationnel. Dans la réalité, l’information est asymétrique : le vendeur en sait souvent plus que l’acheteur sur les caractéristiques du produit, ce qui empêche l’acheteur de se déterminer rationnellement. On peut prendre ici l’exemple du médecin et de son patient pour démontrer le caractère impossible d’une régulation par les prix du « marché » de la santé. Quand on cumule le pouvoir et l’information, on en arrive également au problème posé par la grande distribution aux producteurs indépendants et aux consommateurs. Là également, sans intervention d’un « arbitre impartial », (l’expression est du libéral John Stuart Mill) un équilibre automatique par le prix est illusoire. Ce problème se retrouve aujourd’hui dans l’asymétrie d’information et donc dans le pouvoir d’opacité dont disposent les marchés financiers (après la crise, revoilà la fête !!). 3 Le problème des externalités Une externalité en économie est un résultat imprévu d’une action économique. Il existe des externalités positives et négatives : - l’externalité positive : les effets d’une action économique sont positifs pour l’ensemble de l’économie et de la vie sociale, sans même que l’acteur ne s’en doute : on peut prendre l’exemple d’une campagne de prévention médicale : c’est bon pour la santé individuelle et bon pour les finances collectives, le coût de la prévention étant inférieur aux coûts des soins. - mais les externalités peuvent être négatives : une action économique a des effets le plus souvent « involontaires » sur l’ensemble de l’économie et de la société. On peut bien sur prendre l’exemple des pollutions, mais aussi, dans l’actualité récente, des spéculations qui déstabilisent le système financier et surtout faussent les « valeurs réelles » des entreprises. Le but est donc d’inciter aux externalités positives et de décourager les externalités négatives. Or, l’activité économique n’en est pas capable : - à combien peut-on fixer par exemple le prix d’une externalité positive (combien payer quelqu’un qui participe à une campagne de prévention médicale ? Ou qui participe au tri sélectif des déchets ?) - en sens inverse, comment le marché peut-il fixer le prix d’une externalité négative ? Le protocole de Kyoto s’y essaie en fixant le prix d’une tonne de CO 2 mais ce n’est pour l’instant pas vraiment convainquant ni dissuasif : Lundi 19/10, le prix était de 13,39 $. Si on pousse même le raisonnement, on se rend compte que le comportement « négatif » est en général plus rentable que le positif : il est par exemple plus facile de mettre tous ses déchets dans une poubelle que de les trier. Et pour une compagnie pétrolière, il est plus rentable de faire naviguer des pétroliers « poubelle » en intégrant dans le prix de vente une éventuelle catastrophe écologique (qui, si elle ne survient pas est tout bénéfice), que de dépenser en pétroliers neufs et plus surs. Ici également, l’économie semble impuissante à s’autoréguler, ce qui a conduit à tous les excès que nous avons connus, ce qui justifie une nouvelle fois de mener des politiques économiques de régulation. L’argument autorégulateur qui prend l’exemple des constructeurs de voitures américains qui se sont trompés de stratégie et qui en paient le prix par leur faillite oublie deux éléments : - les gros 4x4 ont déjà massivement pollué - ce sont les salariés qui font les frais des erreurs de stratégie Conclusion : Prévenir ou guérir ? Le problème de la justification des politiques économiques est au fond assez simple : laissée à elle-même l’activité économique est en effet capable à la fois de créer des richesses et d’apporter un certain bien être aux populations, mais elle est aussi créatrice de crises récurrentes et d’effets négatifs. Les pouvoirs publics sont donc placés devant une alternative simple : - ou bien ils se contentent de réparer les dégâts quand ils surviennent (et ils finissent toujours par survenir) : c’est en gros ce qui se passe avec la crise financière. - ou bien ils s’impliquent dans la prévention des risques de toute nature générés par les activités économiques. Le problème étant alors de mesurer ces risques et leurs conséquences. Avec un risque nouveau qui peut survenir : à force de tout vouloir prévenir on peut aboutir à une certaine forme d’inertie économique, dont la France peut offrir un certain exemple.