Mais ce n`est pas la seule source de confusion

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LES FACULTES D’ADAPTATION AUX BESOINS CONTEMPORAINS
DES ARTICLES FONDATEURS DU CODE SUR
LA PORTEE DE L’ENGAGEMENT CONTRACTUEL :
L’exemple des obligations du médecin
par Maryse CAUSSIN-ZANTE
Avocat au barreau de Paris
mail : [email protected]
A l’avènement du Code Civil, la relation entre le médecin et son patient était quasi mystique :
un accident survenu à l’occasion d’un acte médical était, généralement, mis sur le compte de
la fatalité. Les rares procès intentés contre les praticiens devaient, nécessairement emprunter
la voie délictuelle, pénale ou civile : on exigeait de la victime, ou de ses ayants droits, qu’elle
prouve la faute du médecin dans la survenance du dommage. Comme, par ailleurs, existait
l’unicité de la faute civile et de la faute pénale, le régime juridique de la procédure civile était
grandement calqué sur le régime de la procédure pénale, et plus particulièrement en matière
de prescription : ainsi, la victime d’un acte médical n’avait que trois ans, à dater de cet acte,
pour agir, délai souvent trop court car bien des dommages consécutifs à un acte médical ne
survenaient que plus de trois ans après l'intervention.
Ce n’est qu’en 19361 que la Cour de Cassation a décidé que les rapports juridiques entre un
patient et son médecin devaient être considérés comme contractuels et suivre le régime
juridique des contrats.
Toutefois, elle ne devait pas tirer toutes les conséquences de sa décision, aidée en cela par une
doctrine qui venait de dégager, parallèlement au Code Civil, une nouvelle distinction des
obligations contractuelles : les obligations de moyens et les obligations de résultat. Bien
entendu, les juridiques du médecins ont immédiatement été classées parmi les obligations de
moyens, ce qui ne saurait être critiquable en soi.
En revanche, les effets pervers de cette distinction vont se multiplier, jusqu’à entraîner les
juges à dénaturer les dispositions, pourtant claires, du Code Civil, qui n’ignorait pourtant pas
l’existence de différentes catégories d’obligations contractuelles, puisqu’il les avait classées,
dans l’article 1101 en obligations « de donner », de « faire » et de « ne pas faire » Toutefois,
les rédacteurs du Code Civil s’étaient refusés à appliquer un régime juridique différent à
chacune de ces obligations volontairement contractées, estimant que les parties ne pouvaient
ignorer, au moment de leur engagement, son étendue ainsi que ses difficultés d’exécution.
Le Code Civil, il faut le rappeler, avait fondé toute sa philosophie contractuelle sur le
consensualisme et, partant, le rôle éminent de la volonté des parties dans l’échange des
consentements. La doctrine, devait quitter ce terrain2, suivie en cela par une jurisprudence
trop heureuse qu’on lui permette de ne pas heurter ce corps médical qui suscitait autant de
respect que de crainte.
1
2
Cass. Civ. 20 mai 1936 Gaz. Pal. 1936 et conclusions MATTER, 2 ème sem., p. 41 et s.
Pour faire jouer un rôle pratique à sa distinction nouvelle « obligation de moyens-obligation de résultat »
2
A partir de là, deux séries de confusion vont s’opérer, faisant fi des dispositions du Code
Civil :
Première série de confusion :
Il faut, à titre préliminaire, rappeler qu’un contrat ne crée pas qu’une obligation principale,
celle qui a été expressément exprimée par les parties, mais également des obligations
secondes3, non moins contractuelles, non moins contraignantes, non moins envisagées par les
parties au moment de l’échange des consentements. C’est ce qu’exprime l’article 1135 ainsi
rédigé :
« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les
suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature. »
Si l’obligation principale qu’ont en vue les parties au contrat médical, en d’autres termes
l’obligation de soins, ne peut être, qu’une obligation de moyens, tant il est vrai qu’il est
impossible de garantir une guérison, en revanche il existe deux autres obligations liées au
contrat médical, l’obligation de sécurité et l’obligation d’information et de conseil qui
trouvent également leur source, tant dans la volonté tacite des parties que dans le Code Civil
en son article 1135 sus rappelé.
L’obligation de sécurité se différencie de l’obligation de soins en ce qu’elle impose au
médecin, non point le rétablissement du patient, mais de ne pas en aggraver l’état. Peut-on
imaginer que le médecin, comme son patient, n’aient point en vue, au moment de leur
échange de consentements, cet engagement tacite ? Il s’agit, aux termes de l’articles 1101 du
Code Civil, d’une obligation de « ne pas faire », qui est, nécessairement, un obligation de
résultat4, dès lors que le Code Civil, en son article 1145, dispose : « Si l'obligation est de ne
pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la
contravention. ». Nous y reviendrons.
Quant à l’obligation d’information et de conseil, elle s’analyse, nécessairement, en une
obligation de donner – on donne une information, comme on donne un conseil - : elle ne peut
être, également, qu’une obligation de résultat.
Par ailleurs, un autre principe tant doctrinal que jurisprudentiel, a contribué à la confusion en
la matière : ne dit-on pas « l’accessoire suit le principal » Appliqué en la matière, il signifie
que dès lors que l’obligation principale du médecin était une « obligations de moyens », ses
autres obligations, accessoires, devaient être également des obligations de moyens.
On voit l’absurdité de pareille solution5.
Ainsi, en matière d’obligation d’information, comment peut-on imaginer que le médecin, tenu
d’une obligation d’information, ne se soit engagé qu’à « faire son possible…pour
informer »…Heureusement que plus d’un quart de siècle après cette, pour le moins,
On évite à dessein le terme « secondaire » afin d’insister sur le fait qu’elles n’en sont pas moins importantes.
Article 1101
Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres,
à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.
5
Comme toute « maxime » elle a un aspect réducteur qu’il faut savoir adapter aux circonstances.
3
4
3
surprenante jurisprudence6, il y eut, en 19977 un revirement spectaculaire, qui a imposé
l’évidence dans un arrêt, à portée générale et d’une éclatante clarté8 :
« Vu l'article 1315 du Code Civil :
Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière
d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; »
Toutefois, en matière d’obligation de sécurité, bien qu’étant une obligation de « ne pas faire »,
donc nécessairement une obligation de résultat9, après les hésitations de la jurisprudence tout
au long des trois dernières années de la fin du 20ème siècle, elle a été requalifiée d’obligation
de moyens, sous le fallacieux prétexte que le médecin n’était pas tenu de garantir les
conséquences de l’aléa thérapeutique10, détournant ainsi le véritable problème correctement
posé par la jurisprudence des juges du fond, encouragé, en cela par la doctrine du Doyen
SARGOS.
C'est là que réside la première source de confusion : la reconnaissance de la seule obligation
de soins, obligation de moyens, et la méconnaissance des obligations de sécurité et
d’information, obligations de résultat, ainsi que l’application aveugle du principe
« l’accessoire suit le principal » : de par leur classement en « obligations de résultat » ces
deux obligations avaient fait dire aux médecin qu’on voulait les contraindre à guérir !
Mais ce n'est pas la seule source de confusion.
Seconde série de confusion :
l’arrêt MARTIN / BIROT du 29 mai 1951
Civ ;1, 25 février 1997, 7 Gaz. Pal. 27-29 avril 1997, p. 22, rapport P. SARGOS et note J ; GUIGUE et autres
8
Gaz. Pal. 27-29 avril 1997, p. 22, rapport P. SARGOS et note J. GUIGUE
9
Monsieur SARGOS écrit en effet : " En technique juridique la Cour de Cassation pourrait donc, sans heurter
aucun principe du droit des contrats, introduire une part d’obligation de résultat dans les obligations nées du
contrat médical. On pourrait ainsi songer à une formulation de ce type : " Attendu que si la nature du contrat qui
se forme entre le médecin et son client met en principe à la charge du praticien une obligation de moyens, il est
néanmoins tenu, sur le fondement d’une obligation de résultat, de réparer le dommage causé au patient par un
acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement, dès lors que ce dommage est sans rapport avec l’état
initial de celui-ci comme avec l’évolution prévisible de son état "... Et l’on pourrait suggérer que cet attendu
soit précisé en recourant à l’article 1145 du code civil, notamment en insérant cette référence et en réécrivant cet
attendu de la manière suivante " ... il est néanmoins tenu sur le fondement de l’article 1145 du code civil, qui
institue une obligation de sécurité de résultat... " in "Réflexions sur les accidents médicaux et la doctrine
jurisprudentielle de la Cour de Cassation en matière de Responsabilité médicale ", Dalloz 1996, ch. p. 370 et s.
10
27 mars 2001 - N° 86, Civile1 : « Sur le moyen unique:
Vu les articles 1135 et 1147 du Code civil;
Attendu que la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations
dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient;
Attendu que M. Smatt, médecin, a réalisé sur Mlle Rahilou une ostéotomie de l'infrastructure maxillaire
supérieure dont il est résulté une cécité de l'oeil droit de la patiente; que l'arrêt attaqué, après avoir exclu toute
faute commise par le praticien et constaté que la cécité résultait d'un accident vasculaire, a néanmoins condamné
le médecin au motif qu'il était tenu d'une "obligation de sécurité qui l'oblige à réparer le dommage causé à son
patient par un acte chirurgical nécessaire au traitement, même en l'absence de faute, lorsque le dommage est sans
rapport avec l'état antérieur du patient ni avec l'évolution prévisible de cet état";
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d'un
risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, la cour d'appel a violé les textes
susvisés;
PAR CES MOTIFS:
CASSE ET ANNULE
6
7
4
Il en est une autre à mettre sur le compte du juge : l'assimilation du contenu d'une obligation
contractuelle à son régime.
Les juges, contrairement aux dispositions du Code Civil qui régissent la matière probatoire
dans le domaine contractuel, ont établi une étroite relation de la charge et du contenu de la
preuve avec la nature de l'obligation contractuelle : si l'on est débiteur d'une obligation de
résultat, on est soumis aux dispositions de l’article 114711 dans toute sa rigueur : en cas de
demande du créancier insatisfait, on doit, alors supporter, non seulement la charge de la
preuve, mais, de plus, on ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en prouvant, non point que
l'on n'a commis aucune faute, mais qu'une cause étrangère est la seule source du dommage
consécutif à l'inexécution ou à la mauvaise exécution de l'obligation. On en a rapidement
déduit, qu’en faisant supporter à l'une des parties le fardeau de la preuve, le juge désigne par
là même le débiteur d'une obligation de résultat !12
En revanche, lorsque le juge, en violation de l’article 1147, dispense une des parties de
prouver quoique ce soit, tant que sa faute n’a pas été établie par son adversaire, demandeur à
l’action, c'est qu'il reconnaît qu'elle n'était tenue que d'une obligation de moyens et que son
adversaire devait prouver la faute du débiteur de l'obligation prétendument inexécutée ou mal
exécutée.
Le résultat pratique de ce choix prétorien, dans les rapports juridiques entre médecins et
patients, fut un mélange hybride de responsabilité contractuelle, uniquement en ce qui
concerne le durée de la prescription et de responsabilité délictuelle, en ce qui concerne le
régime de la preuve ! Confusion, source de malentendus et d’aigreurs tant du corps médical
que des victimes des actes médicaux.
Et pourtant, le Code Civil avait élaboré un système d’une cohésion à l’épreuve du temps,
fondé sur le respect de l’engagement pris par les parties au contrat.
Tout d’abord, il faut le rappeler, les rédacteurs du Code Civil n’ont pas ignoré l’existence
d’obligations contractuelles multiples puisque, non seulement, comme il a été rappelé plus
haut, ils les ont exhaustivement énumérées à l’article 1101, mais ils les ont individuellement
réglementées dans les articles 1136 à 1141, pour les obligations de donner, et les articles 1142
à 1145 pour les obligations de faire et de ne pas faire.
Ensuite, ils ont établi une règle commune à toutes les obligations contractuelles, qui réside
dans l’article 1147 du Code Civil, dont la précision aurait dû écarter toute interprétation
contraire tant à la lettre qu’à l’esprit du texte.
Analysons la nature des obligations contractuelles du médecin à la lumière du Code Civil.
En application de l'article 1101 du Code Civil, le contrat médical fait naître, d'après son
objet, deux sortes d'obligations :
11
Article 1147 Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de
l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que
l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi
de sa part.
12
C’est ce qui a fait dire aux médecins, depuis l’arrêt du 25 février 1997, qui leur a imposé la charge de la
preuve de l’exécution de l’obligation d’information, que les juges voulaient les soumettre à une obligation de
résultat !
5
- une obligation de "faire", qui caractérise l'obligation principale : c'est l'obligation de soins.
- et des obligations accessoires qui sont :
- une obligation de "ne pas faire", qui est l'obligation de sécurité,
- ainsi qu'une obligation de "donner", en l'occurrence l'obligation d'information.
L'obligation principale de soins : obligation de faire
Le contrat est la loi des parties nous dit l’article 1134 du Code Civil.
Cette règle établit l’obligation principale du médecin dont le contenu a été défini par l’arrêt
MERCIER13 : donner des soins attentifs, consciencieux, conformes aux données acquises de
la science. Le médecin ne peut s’obliger à guérir, mais il est tenu de recourir, avec prudence et
diligence, à tous les moyens que la science avérée met à sa disposition pour tendre vers cette
guérison : c’est le contenu de l'obligation de soins.
Le praticien est donc débiteur d'une obligation de science et de conscience. Si l'obligation de
"conscience" est une obligation subjective, en revanche, son obligation de "science" est bien
une obligation déterminée, donc objective. Dès lors, on distinguera l'obligation subjective, qui
est la guérison et que le médecin ne peut s'engager à garantir, de l'obligation déterminée, qui
consiste à recourir aux moyens que la science avérée met à sa disposition pour tendre vers la
guérison.
Or, même si le praticien exécutait son obligation déterminée de "science", en recourant aux
moyens que la science avérée met à sa disposition, il ne peut davantage garantir le résultat,
c'est-à-dire la guérison, tout au plus, en n'y recourant pas, ferait-il perdre au patient une
chance de guérison.
Par conséquent, le patient, ou ses ayants droit, ne sont créanciers que d'une chance de
guérison, car même si le médecin avait eu recours à tous les moyens que la science mettait à
sa disposition, la guérison n'était pas certaine.
Signalons, à titre d’exemples, quelques cas où il sera reproché au praticien de n’avoir pas
recouru aux données acquises de la science et d’avoir ainsi causé une perte de chance à son
patient de tendre vers la guérison : ne pas avoir recouru à un autre médecin spécialiste ou
mieux équipé, ou, encore à des gestes connus et mieux adaptés à la pathologie du patient, obligation de "science", obligation déterminée, objective14 ; ou, encore ne pas avoir exercé la
13
Cass. Civ. 20 mai 1936 Gaz. Pal. 1936 et conclusions MATTER, 2 ème sem., p. 41 et s.
C’est ainsi que la Cour de Cassation a estimé qu’une Cour d’Appel n’avait pas donné de base légale à sa
décision lorsque, pour écarter la responsabilité d’un médecin auquel il était reproché de n’avoir pas adressé
immédiatement le malade à un service spécialisé, s’est bornée à constater l’absence de relation causale entre le
retard entre les soins donnés et les séquelles dont souffrait l’intéressé, sans rechercher s’il n’existait pas
néanmoins un lien de causalité entre ce retard et la simple perte des chance que le malade avait d’être guéri,
préjudice distinct de celui que constituent lesdites séquelles.
De même elle a estimé qu’une Cour d’appel, en déduisant de ses constatations que la cobaltothérapie
décidée à tort par un chirurgien en l’absence d’éléments propres à faire craindre une tumeur maligne avait, en
rendant plus fragile l'os sur lequel avait été ensuite appliquée la prothèse, fait perdre au malade la chance qu’il
avait que cette prothèse demeurât convenablement scellée, de sorte que la faute commise n’était en relation de
causalité qu’avec la perte d’une chance qui, pour être assez importante, devait conduire à n’indemniser que
partiellement la victime, la Cour d’appel n’a nullement condamné ce médecin en l’absence d’un lien de causalité
prouvé entre sa faute et le préjudice dont elle a ordonné la réparation, ne s’est pas contredite et a souverainement
évalué ce préjudice sans user de motifs hypothétiques
14
6
surveillance post-opératoire qui s'imposait, alors que l'intervention avait été pratiquée avec
succès (obligation de "conscience", obligation subjective)15, constituent les fondements des
actions intentées pour inexécution de l'obligation principale de soins.
Mais là ne s’arrête pas l’obligation contractuelle du médecin : dès lors que l’intégrité
physique de son client, sa vie même, dépendent de l'acte médical, le praticien est, également,
soumis à des obligations accessoires tant de sécurité que d’information, conformément aux
règles édictées par l'article 1135 du Code Civil.
Les obligations accessoires de sécurité et d'information : obligation de ne pas faire et de
donner
Le contrat médical génère, en application de l’article 1135 du Code Civil, et parallèlement à
l’obligation principale de soins attentifs, des obligations accessoires tacites, intimement liées à
celle-ci, qui en sont indissociables, que la jurisprudence semble n'avoir que récemment
découvert16.
Il s'agit de l'obligation d'informer, imposée au médecins depuis 1951 et l'obligation de
sécurité, mise en exergue par le jurisprudence en 1997, pour disparaître en 2000 :
Obligation accessoire de sécurité : obligation de "ne pas faire"
C’est l’inexécution de l’obligation accessoire de sécurité qui constitue le principal fondement
des procédures judiciaires intentées contre un praticien. Elle répond non seulement aux
dispositions de l’article 1135, que les juges n’ont que tout récemment invoqué, il faut le
rappeler, mais également à celles de l’article 1145 du Code Civil, auquel ils n’ont pas encore
eu recours, et qui dispose :
" Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages
et intérêts par le seul fait de la contravention. "
Et c’est bien une obligation de ne pas faire que l’interdiction d’aggraver l’état du patient qui
se confie à un médecin.
15
La surveillance d’un opéré fait partie intégrante des soins diligents que le médecin doit contractuellement à
son patient. Ainsi, la Cour de Cassation a estimé :
- que la Cour d’appel qui a relevé qu’il résultait de rapports d’expertise que si la surveillance avait été prolongée
jusqu'à un réveil plus complet, l’inhalation d’un tampon, l’inhalation d’un corps étranger étant un phénomène
connu chez l’enfant, n’aurait été qu’un incident mineur en raison de l’accroissement des moyens de défense de
l’opéré du fait d’un niveau de conscience suffisant pour prendre lui-même des décisions et obéir aux ordres des
médecins et a estimé que le surveillance post-opératoire n’avait pas été adaptée au cas individuel, a pu en déduire
que son défaut de prolongation était à l’origine de l’accident et que la faute relevée à l’encontre du médecinanesthésiste avait contribué, au delà même à une perte de chance, à la réalisation de l’entier dommage ;
- qu’un malade étant décédé à la suite d’une intervention chirurgicale, a légalement justifié se décision la Cour
d’appel qui a retenu la responsabilité du chirurgien et du médecin anesthésiste pour défaut de surveillance postopératoire ayant fait perdre au patient une chance de survie, préjudice distinct du décès lui-même. L’arrêt
retient en effet, souverainement, que si une autopsie tardive n’a pas révélé la cause de la mort, il n’est pas pour
autant exclu qu’en présence des symptômes de l’incident post-opératoire les médecins auraient pu être en mesure
de poser un diagnostic correct et d’appliquer un traitement adéquat, de sorte qu’à ce moment le malade possédait
encore une chance de survie
16
Cour de Cassation 7 janvier 1997 D. 1997. 191 note D. THOUVENIN
7
" On demande au praticien, contre rémunération, un service de nature médicale comme on
demande à d’autres professionnels un service d’une autre nature et dans tous les cas le client
estime être en droit de ne pas être tué ou blessé par le prestation qu’il achète... Elle (la
Justice) admet bien qu’on ne guérisse pas toujours, elle admet plus difficilement que, même
en dehors de toute faute prouvée, la médecine puisse aggraver la maladie ou faire naître
une nouvelle pathologie. " 17
Par ailleurs, dans son rapport concernant un arrêt du 7 janvier 199718 M. SARGOS relève bien
l’existence de cette obligation de sécurité lorsqu’il considère " que, hormis des anomalies
particulières non décelables du patient, ou circonstances tout à fait exceptionnelles non
imputables à l’action du médecin - qui sont alors exclusives de la qualification même de
maladresse - le chirurgien qui intervient sur un organe ne doit pas en blesser un autre. "
S’il reconnaît que le médecin n’est tenu que d’une obligation de moyens il n’en estime pas
moins " qu’il doit être irréprochable dans ses gestes techniques ".19
Des voix de la doctrine, parmi les plus autorisées, ont mis en évidence la nécessité de dégager
une obligation de sécurité à la charge du médecin20.
Force donc est de reconnaître la dualité des obligations issues du contrat médical : une
obligation principale de soins qui consiste à tendre vers la guérison et une obligation
accessoire de sécurité, qui impose de s’abstenir, pour ne pas dire s’interdire, d’aggraver l’état
du patient.
Les juges parisiens avaient établi cette obligation de sécurité, même s'ils ne l’avaient fondée
ni sur l'article 1135 ni sur l'article 1145 du Code Civil. C'est, d'abord, le Tribunal de Grande
Instance de Paris qui l'avait affirmée dans trois décisions21 dont l'une avait été confirmée par
la Cour d'Appel de Paris22.
L'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 15 janvier 1999 avait, pour la première fois,
expressément relevé l'existence de cette dualité en ces termes :
"Considérant qu'à juste titre, les premiers juges ont estimé que la nature du contrat qui se
forme entre un chirurgien et son client ne met, en principe, à la charge du praticien qu'une
obligation de moyens ; que, toutefois, cette obligation, applicable en cas d'échec de l'acte de
soins, compte tenu, notamment, de l'état de maladie et de l'aléa inhérent à toute thérapie,
n'est pas exclusive d'une obligation accessoire, qui en est la suite nécessaire, destinée à
assurer la sécurité du patient ; que le chirurgien a, ainsi, une obligation de sécurité qui
l'oblige à réparer le dommage causé à son patient par un acte chirurgical nécessaire au
17
"Réflexions sur les accidents médicaux et la doctrine jurisprudentielle de la Cour de Cassation en matière de
Responsabilité médicale ", Dalloz 1996, ch. p. 370 et s.
18
Dalloz 1997. 189 et s.
19
ibid
20
Mme D. THOUVENIN, D. 1997. 191
Mme Geneviève Viney et M Patrice Jourdain, " L'indemnisation des accidents médicaux : que peut faire la Cour
de Cassation ? (à propos de Cass. 1ère civ., 7 janvier et 25 février 1997)" JCP de 1997, 4016 p. 181 et s.
Madame Y. Lambert-Faivre, Droit du dommage corporel, Précis Dalloz, 3ème éd., 1996, n°584
21
Jugements des 5 mai, 30 juin et 20 octobre1997, D. 1998, J.558 et note Laurence BOY
22
PARIS, 15 janvier 1999
8
traitement, même en l'absence de faute, lorsque le dommage est sans rapport avec l'état
antérieur du patient ni avec l'évolution prévisible de cet état ;"
Les faits étaient les suivants : à la suite d'une ostéotomie de l'infrastructure maxillaire
supérieure, destinée à réparer la dysmorphose maxillaire supérieure dont souffrait la patiente,
et qui entraînait un désordre morphologique et fonctionnel, il était constaté que Mlle R, dès
son réveil de l'intervention, avait définitivement perdu l'usage de son œil droit.
Les experts avaient conclu tant à l'absence totale de faute des praticiens intervenants qu'à
l'absence de toute relation causale de l'accident avec l'état antérieur de la patiente ou à
l'évolution prévisible de la pathologie pour laquelle elle avait subi l'intervention. Le dommage
ne pouvait qu'être consécutif à l'acte médical.
La Cour de Paris, pour confirmer la décision du tribunal de Paris, avait considéré que :
"… dès lors, qu'en l'espèce, comme l'a exactement jugé le tribunal, bien que n'ayant pas
commis de faute, le Dr. S. est responsable de la cécité survenue à Mlle R au décours de
l'intervention et résultant, selon le rapport d'expertise, d'un accident vasculaire causé par la
disjonction osseuse qu'il pratiquait à l'aide d'un ciseau de Couly, et qui n'est pas imputable à
un état antérieur de la victime, les experts ayant éliminé toute pathologie préexistante ou
toute cardiopathie emboligène, et qui ne constitue pas une évolution prévisible de l'affection
pour laquelle elle était traitée ;
Cette décision avait distingué, d'une part, l'obligation principale de soins de l'obligation
accessoire de sécurité, d'autre part le dommage dû à une faute du praticien du dommage
consécutif à l'acte médical non fautif, dès lors que c'est le seul acte médical qui est la source
exclusive du dommage, à l'exclusion de l'état antérieur du patient.
On notera, la formulation des juges parisiens, qui mettait davantage l'accent sur l'acte médical
source du dommage que sur le comportement du médecin dans l'accomplissement de son
geste thérapeutique : l'acte médical sera la source de réparation du dommage allégué dès lors
que l'état antérieur du patient ne le prédisposait pas à être victime du préjudice subi.
La démarche, dans la recherche de l'éventuelle inexécution de l'obligation de sécurité du
praticien, était d'ordre chronologique : le juge devait rechercher d'abord s'il existait une faute,
cause du dommage et, en l'absence de celle-ci, si l'acte médical était la source exclusive du
dommage, eu égard, notamment, à une éventuelle implication de l'état antérieur du patient
dans la survenance du dommage : la notion de faute sous-entend nécessairement que pèse sur
le médecin une obligation de sécurité, dès lors que cette obligation était de source
contractuelle, mais elle ne devait pas être une condition de mise en œuvre de sa responsabilité
contractuelle, laquelle ne doit être soumise qu’aux conditions de l’article 1147 du C. Civ.
Cependant, cet arrêt de la Cour d’Appel de Paris devait être désavoué par la Cour de
Cassation, comme il a été rappelé plus haut.23
Obligation accessoire d’information, obligation de donner
23
v. note n° 10
9
Comme dans bon nombre de contrats, il existe, à la charge des parties au contrat médical une
obligation d’information destinée à permettre au médecin de mieux cerner la pathologie du
patient, afin que ce dernier puisse participer à la décision de la thérapie proposée, après avoir
été correctement et simplement informé des risques encourus tant par le refus des soins que
par les soins proposés.
Cette obligation, de source prétorienne24 , avait été fondée sur l’alinéa 3 de l’article 1134 du
Code Civil qui impose aux parties une exécution de bonne foi de leurs obligations 25. Elle n'a
trouvé sa véritable source juridique dans l’article 1135 que depuis l'arrêt du 25 février 199726.
En matière médicale, elle est, depuis le décret n° 95-1000 du 6 décembre 1995 instituant le
nouveau code de déontologie, prévue dans l’article 35 du dit code qui dispose : " Le médecin
doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale,
claire et appropriée sur son état,... »
Quelle est la limite de l’obligation d’information qui incombe au médecin ?
Après que la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, avait décidé que le médecin
n’était tenu d’informer le patient que sur les risques qui ne présentent pas un caractère
exceptionnel, la Cour de Cassation a, par deux arrêts en date du 7 octobre 1998, décidé que
mêmes les risques exceptionnels devaient faire l'objet d'une information.
La jurisprudence sanctionne toute intervention médicale qui n’a pas été décidée d’un commun
accord entre le patient et le médecin, lorsque aucune urgence vitale ne justifiait la décision
exclusive du praticien. C’est ainsi que la Cour de Cassation a décidé qu’a violé l’art. 1147 C.
civ. l’arrêt qui a débouté de son action en responsabilité une femme dont un médecin, appelé à
procéder à une césarienne pour l’accouchement avant terme de son second enfant, avait
provoqué la stérilité en procédant à une suture conservatrice de l’utérus accompagnée d’une
ligature des trompes, alors que le médecin ne peut, sans le consentement libre et éclairé de son
malade, procéder à une intervention chirurgicale qui n’est pas imposée par une nécessité
évidente ou un danger immédiat pour le patient et qu’en l’espèce le consentement de
l’intéressée n’avait pas été sollicité avant l’intervention, laquelle n’était pas destinée à
prévenir un danger immédiat pour sa vie mais seulement à empêcher un risque futur en cas
d’une éventuelle nouvelle grossesse et impliquait de surcroît un choix strictement personnel
de l’intéressée27.
De même la Cour suprême a décidé qu’une femme ayant donné naissance à un enfant atteint
de plusieurs handicaps causés par le rubéole est fondée à mettre en cause la responsabilité des
médecins qui ont suivi sa grossesse, dès lors qu’en ne procédant pas aux examens qui leur
auraient permis d’informer les époux des risques que présentait l’état de grossesse de
l’épouse, ces médecins n’ont pas rempli l’obligation de renseignement à laquelle ils étaient
tenus à l’égard de leur patiente et qui aurait permis aux époux de prendre une décision
éclairée quant à la possibilité de recourir à une interruption de grossesse thérapeutique28.
24
Le premier arrêt en la matière a été rendu par la Cour de Cassation le 29 mai 1951. Civ. 1 B. n° 162 ; D. 1952.
53 note R. SAVATIER ; JCP. 1951. II. 6421 ; S. 1953. 41 note R.NERSON : RTDC 1951. 508 H. et L.
MAZEAUD
25
v. B. MERCADAL, in Contrats et droits de l’entreprise, Mémento Lefèvre, éd. 1997, N° 1918 et s.
26
Gaz. Pal. 27-29 avril 1997, p. 22, rapport P. SARGOS et note J. GUIGUE
27
Cass. Civ. 1, 11 octobre 1988, B. N° 280 et JCP. Ed. G 1989 II 21358 note Dorsner-Dolivet (A).
28
Cass. Civ. 1 16 juillet 1991 B. N° 248 et JCP. ed G 1992 47394 note Dorsner-Dolivet (A.)
10
Toutefois, la Cour de Cassation établit une seconde limite à la réparation due à l’inexécution
de l’obligation d’information : il faut que cette inexécution ait causé un dommage supérieur à
l’avantage procuré.
Le malaise entre le corps médical et le corps judiciaire, d’une part, entre les médecins et leurs
patients, d’autre part, devenait difficilement supportable. La gestion de la responsabilité
médicale devenait trop lourde à supporter pour les assureurs qui étaient entraînés, de ce fait, à
procéder à des augmentations des primes jugées abusives par les praticiens. Le législateur,
pressé depuis plus d’une décennie, d’intervenir, a fini par soustraire le contrat médical aux
règles habituelles du Code Civil en décidant que le médecin n’était responsable qu’en cas de
faute avérée ; en l’absence de faute, la victime d’un acte médical n’est pas démunie pour
autant : la loi reprend les termes de la jurisprudence en disposant que seront indemnisables les
préjudices « lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic
ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état
de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé
par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur
la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité
permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux
d'incapacité permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ;
ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. » 29
La Loi a mis en place des structures administratives auxquelles toute personne peut s'adresser
si elle s'estime victime d'un préjudice, que celui-ci résulte de pratiques sanitaires, d'un produit
ou d'un aléa thérapeutique, c'est-à-dire d'un accident sans faute avérée.
Ces commissions sont présidées par un magistrat et elles ont six mois, à compter de la
réception d'un dossier, pour rendre un avis sur l'origine et l'étendue des dommages subis, ainsi
que sur la réparation financière.
29 Article
L1142-1 du code de la Santé Publique (inséré par Loi nº 2002-303 du 4 mars 2002 art. 98
Journal Officiel du 5 mars 2002)
I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les
professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout
établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention,
de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de
prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages
résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme
mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection
iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de
la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic
ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de
santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret,
apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et
professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la
durée de l'incapacité temporaire de travail.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'incapacité
permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au
plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.
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Il appartient ensuite à l'Oniam (office national d'indemnisation des accidents médicaux) de
trancher. Soit pour se retourner vers l'assureur du praticien en cas de faute, soit pour faire une
proposition à la victime, en l'absence de faute.
Toutefois, les victimes ont la possibilité, en cas de proposition d’indemnisation insuffisante,
ou de refus de prise en charge par la commission d’indemnisation, de saisir les juridictions
compétentes.
Toutefois, innovation importante : le législateur, reconnaissant le caractère « sui generis » du
contrat médical, a soustrait la relation contractuelle du médecin et de son patient aux règles
établies par le code civil. Par une disposition dérogatoire à l’article 1147 du Code civil,
l’article L 1142-1 alinéa 1 du Code de la santé ne retient la responsabilité médicale … « des
conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de
faute » ! Ainsi, la jurisprudence rebelle aux dispositions claires et précises du Code Civil a
été consacrée définitivement par le législateur.
Une nette régression a été ainsi opérée par la loi nouvelle par rapport à la progression de la
jurisprudence des juges du fond vers l’obligation accessoire de sécurité, régression compensée
par la prise en charge partielle de l’aléa thérapeutique par la « solidarité nationale », dans une
démarche transactionnelle qui ne couvrira pas la réparation du préjudice dans son intégralité.
La part demeurée en dehors de la réparation est le tribu payé au hasard, à la reconnaissance de
l’absence du « risque zéro ». L’indemnisation intégrale re pourra être prononcée, le cas
échéant qu’en cas de reconnaissance de la faute.
Cela augure-t-il d’autres prises en charge des responsabilités consécutives à l’inexécution
d’une « obligation de moyens » ?
Le Code Civil a tracé des lignes générales, aussi éternelles qu’universelles. Il accuse les
contre-coups de l’évolution des mœurs : les juges, au contact des réalités, confrontés aux cas
d’espèce, sont nécessairement la source de toute évolution législative.
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