LES FACULTES D’ADAPTATION AUX BESOINS CONTEMPORAINS
DES ARTICLES FONDATEURS DU CODE SUR
LA PORTEE DE L’ENGAGEMENT CONTRACTUEL :
L’exemple des obligations du médecin
par Maryse CAUSSIN-ZANTE
Avocat au barreau de Paris
mail : caussinzante@yahoo.fr
A l’avènement du Code Civil, la relation entre le médecin et son patient était quasi mystique :
un accident survenu à l’occasion d’un acte médical était, généralement, mis sur le compte de
la fatalité. Les rares procès intentés contre les praticiens devaient, nécessairement emprunter
la voie délictuelle, pénale ou civile : on exigeait de la victime, ou de ses ayants droits, qu’elle
prouve la faute du médecin dans la survenance du dommage. Comme, par ailleurs, existait
l’unicité de la faute civile et de la faute pénale, le régime juridique de la procédure civile était
grandement calqué sur le régime de la procédure pénale, et plus particulièrement en matière
de prescription : ainsi, la victime d’un acte médical n’avait que trois ans, à dater de cet acte,
pour agir, délai souvent trop court car bien des dommages consécutifs à un acte médical ne
survenaient que plus de trois ans après l'intervention.
Ce n’est qu’en 1936
1
que la Cour de Cassation a décidé que les rapports juridiques entre un
patient et son médecin devaient être considérés comme contractuels et suivre le régime
juridique des contrats.
Toutefois, elle ne devait pas tirer toutes les conséquences de sa décision, aidée en cela par une
doctrine qui venait de dégager, parallèlement au Code Civil, une nouvelle distinction des
obligations contractuelles : les obligations de moyens et les obligations de résultat. Bien
entendu, les juridiques du médecins ont immédiatement été classées parmi les obligations de
moyens, ce qui ne saurait être critiquable en soi.
En revanche, les effets pervers de cette distinction vont se multiplier, jusqu’à entraîner les
juges à dénaturer les dispositions, pourtant claires, du Code Civil, qui n’ignorait pourtant pas
l’existence de différentes catégories d’obligations contractuelles, puisqu’il les avait classées,
dans l’article 1101 en obligations « de donner », de « faire » et de « ne pas faire » Toutefois,
les rédacteurs du Code Civil s’étaient refusés à appliquer un régime juridique différent à
chacune de ces obligations volontairement contractées, estimant que les parties ne pouvaient
ignorer, au moment de leur engagement, son étendue ainsi que ses difficultés d’exécution.
Le Code Civil, il faut le rappeler, avait fondé toute sa philosophie contractuelle sur le
consensualisme et, partant, le rôle éminent de la volonté des parties dans l’échange des
consentements. La doctrine, devait quitter ce terrain
2
, suivie en cela par une jurisprudence
trop heureuse qu’on lui permette de ne pas heurter ce corps médical qui suscitait autant de
respect que de crainte.
1
Cass. Civ. 20 mai 1936 Gaz. Pal. 1936 et conclusions MATTER, 2ème sem., p. 41 et s.
2
Pour faire jouer un rôle pratique à sa distinction nouvelle « obligation de moyens-obligation de résultat »
2
A partir de là, deux séries de confusion vont s’opérer, faisant fi des dispositions du Code
Civil :
Première série de confusion :
Il faut, à titre préliminaire, rappeler qu’un contrat ne crée pas qu’une obligation principale,
celle qui a été expressément exprimée par les parties, mais également des obligations
secondes
3
, non moins contractuelles, non moins contraignantes, non moins envisagées par les
parties au moment de l’échange des consentements. C’est ce qu’exprime l’article 1135 ainsi
rédigé :
« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les
suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature. »
Si l’obligation principale qu’ont en vue les parties au contrat médical, en d’autres termes
l’obligation de soins, ne peut être, qu’une obligation de moyens, tant il est vrai qu’il est
impossible de garantir une guérison, en revanche il existe deux autres obligations liées au
contrat médical, l’obligation de sécurité et l’obligation d’information et de conseil qui
trouvent également leur source, tant dans la volonté tacite des parties que dans le Code Civil
en son article 1135 sus rappelé.
L’obligation de sécurité se différencie de l’obligation de soins en ce qu’elle impose au
médecin, non point le rétablissement du patient, mais de ne pas en aggraver l’état. Peut-on
imaginer que le médecin, comme son patient, n’aient point en vue, au moment de leur
échange de consentements, cet engagement tacite ? Il s’agit, aux termes de l’articles 1101 du
Code Civil, d’une obligation de « ne pas faire », qui est, nécessairement, un obligation de
résultat
4
, dès lors que le Code Civil, en son article 1145, dispose : « Si l'obligation est de ne
pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la
contravention. ». Nous y reviendrons.
Quant à l’obligation d’information et de conseil, elle s’analyse, nécessairement, en une
obligation de donner on donne une information, comme on donne un conseil - : elle ne peut
être, également, qu’une obligation de résultat.
Par ailleurs, un autre principe tant doctrinal que jurisprudentiel, a contribué à la confusion en
la matière : ne dit-on pas « l’accessoire suit le principal » Appliqué en la matière, il signifie
que dès lors que l’obligation principale du médecin était une « obligations de moyens », ses
autres obligations, accessoires, devaient être également des obligations de moyens.
On voit l’absurdité de pareille solution
5
.
Ainsi, en matière d’obligation d’information, comment peut-on imaginer que le médecin, tenu
d’une obligation d’information, ne se soit engagé qu’à « faire son possible…pour
informer »…Heureusement que plus d’un quart de siècle après cette, pour le moins,
3
On évite à dessein le terme « secondaire » afin d’insister sur le fait qu’elles n’en sont pas moins importantes.
4
Article 1101
Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres,
à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.
5
Comme toute « maxime » elle a un aspect réducteur qu’il faut savoir adapter aux circonstances.
3
surprenante jurisprudence
6
, il y eut, en 1997
7
un revirement spectaculaire, qui a imposé
l’évidence dans un arrêt, à portée générale et d’une éclatante clarté
8
:
« Vu l'article 1315 du Code Civil :
Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière
d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; »
Toutefois, en matière d’obligation de sécurité, bien qu’étant une obligation de « ne pas faire »,
donc nécessairement une obligation de résultat
9
, après les hésitations de la jurisprudence tout
au long des trois dernières années de la fin du 20ème siècle, elle a été requalifiée d’obligation
de moyens, sous le fallacieux prétexte que le médecin n’était pas tenu de garantir les
conséquences de l’aléa thérapeutique
10
, détournant ainsi le véritable problème correctement
posé par la jurisprudence des juges du fond, encouragé, en cela par la doctrine du Doyen
SARGOS.
C'est que réside la première source de confusion : la reconnaissance de la seule obligation
de soins, obligation de moyens, et la méconnaissance des obligations de sécurité et
d’information, obligations de résultat, ainsi que l’application aveugle du principe
« l’accessoire suit le principal » : de par leur classement en « obligations de résultat » ces
deux obligations avaient fait dire aux médecin qu’on voulait les contraindre à guérir !
Mais ce n'est pas la seule source de confusion.
Seconde série de confusion :
6
l’arrêt MARTIN / BIROT du 29 mai 1951
7
Civ ;1, 25 février 1997,
7
Gaz. Pal. 27-29 avril 1997, p. 22, rapport P. SARGOS et note J ; GUIGUE et autres
8
Gaz. Pal. 27-29 avril 1997, p. 22, rapport P. SARGOS et note J. GUIGUE
9
Monsieur SARGOS écrit en effet : " En technique juridique la Cour de Cassation pourrait donc, sans heurter
aucun principe du droit des contrats, introduire une part d’obligation de résultat dans les obligations nées du
contrat médical. On pourrait ainsi songer à une formulation de ce type : " Attendu que si la nature du contrat qui
se forme entre le médecin et son client met en principe à la charge du praticien une obligation de moyens, il est
néanmoins tenu, sur le fondement d’une obligation de résultat, de réparer le dommage causé au patient par un
acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement, s lors que ce dommage est sans rapport avec l’état
initial de celui-ci comme avec l’évolution prévisible de son état "... Et l’on pourrait suggérer que cet attendu
soit précisé en recourant à l’article 1145 du code civil, notamment en insérant cette référence et en réécrivant cet
attendu de la manière suivante " ... il est néanmoins tenu sur le fondement de l’article 1145 du code civil, qui
institue une obligation de sécurité de résultat... " in "Réflexions sur les accidents médicaux et la doctrine
jurisprudentielle de la Cour de Cassation en matière de Responsabilité médicale ", Dalloz 1996, ch. p. 370 et s.
10
27 mars 2001 - N° 86, Civile1 : « Sur le moyen unique:
Vu les articles 1135 et 1147 du Code civil;
Attendu que la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations
dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient;
Attendu que M. Smatt, médecin, a réalisé sur Mlle Rahilou une ostéotomie de l'infrastructure maxillaire
supérieure dont il est résulté une cécité de l'oeil droit de la patiente; que l'arrêt attaqué, après avoir exclu toute
faute commise par le praticien et constaté que la cécité résultait d'un accident vasculaire, a néanmoins condamné
le médecin au motif qu'il était tenu d'une "obligation de sécurité qui l'oblige à réparer le dommage causé à son
patient par un acte chirurgical nécessaire au traitement, même en l'absence de faute, lorsque le dommage est sans
rapport avec l'état antérieur du patient ni avec l'évolution prévisible de cet état";
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d'un
risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé, la cour d'appel a violé les textes
susvisés;
PAR CES MOTIFS:
CASSE ET ANNULE
4
Il en est une autre à mettre sur le compte du juge : l'assimilation du contenu d'une obligation
contractuelle à son régime.
Les juges, contrairement aux dispositions du Code Civil qui régissent la matière probatoire
dans le domaine contractuel, ont établi une étroite relation de la charge et du contenu de la
preuve avec la nature de l'obligation contractuelle : si l'on est débiteur d'une obligation de
résultat, on est soumis aux dispositions de l’article 1147
11
dans toute sa rigueur : en cas de
demande du créancier insatisfait, on doit, alors supporter, non seulement la charge de la
preuve, mais, de plus, on ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en prouvant, non point que
l'on n'a commis aucune faute, mais qu'une cause étrangère est la seule source du dommage
consécutif à l'inexécution ou à la mauvaise exécution de l'obligation. On en a rapidement
déduit, qu’en faisant supporter à l'une des parties le fardeau de la preuve, le juge désigne par
là même le débiteur d'une obligation de résultat !
12
En revanche, lorsque le juge, en violation de l’article 1147, dispense une des parties de
prouver quoique ce soit, tant que sa faute n’a pas été établie par son adversaire, demandeur à
l’action, c'est qu'il reconnaît qu'elle n'était tenue que d'une obligation de moyens et que son
adversaire devait prouver la faute du débiteur de l'obligation prétendument inexécutée ou mal
exécutée.
Le résultat pratique de ce choix prétorien, dans les rapports juridiques entre médecins et
patients, fut un mélange hybride de responsabilité contractuelle, uniquement en ce qui
concerne le durée de la prescription et de responsabilité délictuelle, en ce qui concerne le
régime de la preuve ! Confusion, source de malentendus et d’aigreurs tant du corps médical
que des victimes des actes médicaux.
Et pourtant, le Code Civil avait élaboré un système d’une cohésion à l’épreuve du temps,
fondé sur le respect de l’engagement pris par les parties au contrat.
Tout d’abord, il faut le rappeler, les rédacteurs du Code Civil n’ont pas ignoré l’existence
d’obligations contractuelles multiples puisque, non seulement, comme il a été rappelé plus
haut, ils les ont exhaustivement énumérées à l’article 1101, mais ils les ont individuellement
réglementées dans les articles 1136 à 1141, pour les obligations de donner, et les articles 1142
à 1145 pour les obligations de faire et de ne pas faire.
Ensuite, ils ont établi une règle commune à toutes les obligations contractuelles, qui réside
dans l’article 1147 du Code Civil, dont la précision aurait écarter toute interprétation
contraire tant à la lettre qu’à l’esprit du texte.
Analysons la nature des obligations contractuelles du médecin à la lumière du Code Civil.
En application de l'article 1101 du Code Civil, le contrat médical fait naître, d'après son
objet, deux sortes d'obligations :
11
Article 1147 Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de
l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que
l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi
de sa part.
12
C’est ce qui a fait dire aux médecins, depuis l’arrêt du 25 février 1997, qui leur a imposé la charge de la
preuve de l’exécution de l’obligation d’information, que les juges voulaient les soumettre à une obligation de
résultat !
5
- une obligation de "faire", qui caractérise l'obligation principale : c'est l'obligation de soins.
- et des obligations accessoires qui sont :
- une obligation de "ne pas faire", qui est l'obligation de sécurité,
- ainsi qu'une obligation de "donner", en l'occurrence l'obligation d'information.
L'obligation principale de soins : obligation de faire
Le contrat est la loi des parties nous dit l’article 1134 du Code Civil.
Cette gle établit l’obligation principale du decin dont le contenu a été défini par l’arrêt
MERCIER
13
: donner des soins attentifs, consciencieux, conformes aux données acquises de
la science. Le médecin ne peut s’obliger à guérir, mais il est tenu de recourir, avec prudence et
diligence, à tous les moyens que la science avérée met à sa disposition pour tendre vers cette
guérison : c’est le contenu de l'obligation de soins.
Le praticien est donc débiteur d'une obligation de science et de conscience. Si l'obligation de
"conscience" est une obligation subjective, en revanche, son obligation de "science" est bien
une obligation déterminée, donc objective. Dès lors, on distinguera l'obligation subjective, qui
est la guérison et que le médecin ne peut s'engager à garantir, de l'obligation déterminée, qui
consiste à recourir aux moyens que la science avérée met à sa disposition pour tendre vers la
guérison.
Or, même si le praticien exécutait son obligation déterminée de "science", en recourant aux
moyens que la science avérée met à sa disposition, il ne peut davantage garantir le résultat,
c'est-à-dire la guérison, tout au plus, en n'y recourant pas, ferait-il perdre au patient une
chance de guérison.
Par conséquent, le patient, ou ses ayants droit, ne sont créanciers que d'une chance de
guérison, car même si le médecin avait eu recours à tous les moyens que la science mettait à
sa disposition, la guérison n'était pas certaine.
Signalons, à titre d’exemples, quelques cas il sera reproché au praticien de n’avoir pas
recouru aux données acquises de la science et d’avoir ainsi causé une perte de chance à son
patient de tendre vers la guérison : ne pas avoir recouru à un autre médecin spécialiste ou
mieux équipé, ou, encore à des gestes connus et mieux adaptés à la pathologie du patient, -
obligation de "science", obligation déterminée, objective
14
; ou, encore ne pas avoir exercé la
13
Cass. Civ. 20 mai 1936 Gaz. Pal. 1936 et conclusions MATTER, 2ème sem., p. 41 et s.
14
C’est ainsi que la Cour de Cassation a estimé qu’une Cour d’Appel n’avait pas donde base légale à sa
décision lorsque, pour écarter la responsabilité d’un médecin auquel il était reproché de n’avoir pas adressé
immédiatement le malade à un service spécialisé, s’est bornée à constater l’absence de relation causale entre le
retard entre les soins donnés et les séquelles dont souffrait l’intéressé, sans rechercher s’il n’existait pas
néanmoins un lien de causalité entre ce retard et la simple perte des chance que le malade avait d’être guéri,
préjudice distinct de celui que constituent lesdites séquelles.
De même elle a estimé qu’une Cour d’appel, en déduisant de ses constatations que la cobaltothérapie
décidée à tort par un chirurgien en l’absence d’éléments propres à faire craindre une tumeur maligne avait, en
rendant plus fragile l'os sur lequel avait été ensuite appliquée la prothèse, fait perdre au malade la chance qu’il
avait que cette prothèse demeurât convenablement scellée, de sorte que la faute commise n’était en relation de
causalité qu’avec la perte d’une chance qui, pour être assez importante, devait conduire à n’indemniser que
partiellement la victime, la Cour d’appel n’a nullement condamné ce médecin en l’absence d’un lien de causalité
prouvé entre sa faute et le préjudice dont elle a ordonné la réparation, ne s’est pas contredite et a souverainement
évalué ce préjudice sans user de motifs hypothétiques
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !