Seule la perte de chance « raisonnable » peut être indemnisée par

Seule la perte de chance « raisonnable » peut être indemnisée par le responsable
Lorsque des professionnels de santé sont mis en cause, l'indemnisation d'une perte de chance est souvent
demandée par les patients ou leurs ayants-droit. Pourquoi ?
- parce que la médecine ne peut tout guérir. Le professionnel de santé ne peut promettre la guérison, ni même,
parfois, une amélioration de l'état de santé
- et parce que, de ce fait, le patient doit être informé par le professionnel de santé des « chances » de succès du
traitement ou de l'intervention et des risques encourus, dès lors qu'ils sont connus.
Spécialité(s) :
Médecin généraliste et urgentiste
Chirurgien-dentiste
Médecin spécialiste
Sommaire
Introduction
Les principes régissant la perte de chance
Les dernières positions de la Cour de cassation : des craintes qui semblent dissipées
Conclusion
Auteur : Catherine LAMBLOT, Juriste / MAJ : 13/04/2016
Introduction
Si un professionnel de santé commet une faute « technique », c'est--dire au niveau de l'acte de soin (par exemple, une erreur de diagnostic qui serait fautive), ou manque son devoir
d'information, il peut faire perdre son patient une chance d'échapper un dommage, ou de faire en sorte qu'il soit moindre. Ce préjudice est alors indemnisé en fonction de la probabilité
que le patient aurait eu de guérir ou d'avoir de moindres séquelles. En pratique, l'indemnisation se fait en fonction d'un pourcentage des préjudices constatés.
Les principes régissant la perte de chance
L'appréciation de la perte de chance dépend des faits et donc du « pouvoir souverain » des juges du fond (juridictions de première instance et d'appel). Cependant, son indemnisation
n'échappe pas aux règles de droit : la Cour de cassation l'a rappelé dans deux arrêts du 30 avril 2014 (n°13-16380 et 12-22567) qui ne concernent pas le domaine médical, mais qui
sont transposables cette matière.
Ainsi, la perte de chance n'échappe pas au principe selon lequel la responsabilité n'est engagée qu'en cas de faute prouvée, ayant causé de manière directe et certaine un dommage.
Concernant le préjudice de « perte de chance », les débats portent essentiellement sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Il ressort de la jurisprudence que la perte de chance n'est indemnisable que si elle est « réelle et sérieuse », c'est--dire si la probabilité que l'événement heureux (la chance, par
exemple, de guérison) survienne était suffisamment importante. La Cour de cassation contrôle l'existence de ce critère.
Il s'en déduit que si l'événement favorable était purement hypothétique, il ne peut y avoir de perte de chance.
En effet, l'invocation d'une perte de chance ne doit pas servir compenser le doute quant au lien de causalité entre la faute et le dommage.
Nous avons cependant constaté, depuis les années 2000, une extension de cette notion de perte de chance. Par exemple, le 4 juin 2007, la Cour de cassation, 1ère chambre civile, a
jugé que « constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ».
Cependant il doit toujours y avoir des probabilités réelles pour que, sans cette faute, le dommage ne se soit pas produit, ou ait été atténué.
Un arrêt du 16 janvier 2013 a semé le trouble, mais deux arrêts du 30 avril 2014 paraissent confirmer les solutions classiques.
Les dernières positions de la Cour de cassation : des craintes qui semblent dissipées
Une décision du 16 janvier 2013 a suscité des inquiétudes, la Cour suprême jugeant que « la perte certaine d'une chance même faible est indemnisable ».
L'affaire concernait un avocat qui il était reproché de ne pas avoir interjeté appel contre un jugement malgré la demande de son client. La Cour d'appel avait rejeté la demande
d'indemnisation de la perte de chance d'obtenir la réformation du jugement parce que cette réformation était incertaine. La Cour de cassation a cassé cette décision car les juges du
fond avaient statué « par des motifs impropres démontrer l' absence de toute probabilité de succès de l'appel manqué, alors que la perte d'une chance même faible, est
indemnisable ».
On craignait d'en déduire qu'il appartenait désormais au professionnel mis en cause de démontrer l'absence totale de probabilité de « succès », d'« issue favorable », ce qui aurait
constitué un renversement de la charge de la preuve.
En matière médicale, cela aurait pu impliquer la nécessité, pour le médecin, de prouver que s'il n'avait pas commis de faute, il n'y aurait de toutes façons eu aucune chance de
guérison ou d'amélioration de l'état de santé du patient. Outre le caractère quasiment impossible d'une telle démonstration, il y aurait eu renversement de la charge de la preuve. En
effet, il est un principe bien établi selon lequel c'est au plaignant d'apporter la preuve de la faute, mais aussi du dommage causé par la faute.
Le 30 avril 2014, la Cour de cassation juge, au contraire, dans deux arrêts, que le préjudice direct et certain doit résulter d'une « perte de chance raisonnable ».
Les faits soumis la Cour de cassation nous éclairent sur cette notion de « perte de chance raisonnable ».
- Dans la première affaire, un notaire était mis en cause pour manquement son devoir de conseil lors de la rédaction d'un contrat de mariage : il avait omis d'indiquer que, sans
clause de reprise des apports en cas de divorce, les biens de la communauté seraient partagés par moitié, malgré le déséquilibre manifeste des apports de chaque époux. Or, un
divorce est intervenu et l'un des époux a invoqué un dommage suite ce manquement.
Si la faute du notaire n'était pas contestée, en revanche, la Cour d'appel avait relevé que la perte de chance de choisir un autre régime matrimonial était « minime », dès lors que la
préoccupation principale des époux lors de la signature du contrat de mariage était d'assurer la protection du conjoint survivant et non d'envisager les conséquences d'une rupture du
lien matrimonial. En outre, dans la convention de divorce, les parties avaient tenu compte des modalités de la liquidation du régime matrimonial pour fixer le montant de la prestation
compensatoire.
Au regard de ces éléments de fait, la Cour de cassation a jugé que la Cour d'appel avait, bon droit, pu estimer qu'il n'y avait pas de préjudice direct et certain résultant d'une « perte
de chance raisonnable » d'adopter un autre régime matrimonial.
- Dans la deuxième affaire, un salarié qui avait été licencié après un accident du travail mettait en cause la Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés, pour
ne pas lui avoir conseillé d'engager rapidement une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, alors que la prescription de cette action était sur le point d'être
acquise : il ne restait que deux mois. La Cour d'appel a bien retenu la faute de la FNATH, mais a rejeté la demande d'indemnisation car aucune enquête n'avait été diligentée la suite
de l'accident et le salarié ne produisait, trois ans après les faits, que deux attestations établies par des collègues de travail : il n'y avait donc pas de préjudice direct et certain. En
l'absence d'une « perte de chance raisonnable » de succès d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la Cour de cassation estime que la Cour d'appel a
légalement justifié sa décision.
Conclusion
Au-deldes faits concernés par les arrêts du 30 avril, quelle est cette perte de chance « raisonnable » ?
Il nous apparaît que la chance (perdue) doit avoir pu être attendue, espérée, de manière « raisonnable », au regard des circonstances de fait.
Cette notion conforte le rejet de la perte de chance hypothétique et confirme que la perte de chance doit être « réelle et sérieuse » : il appartient bien au demandeur de prouver qu'il
pouvait espérer « raisonnablement » avoir eu, au départ, c'est--dire si la faute n'avait pas été commise, une chance de succès, de réussite, de guérison, d'amélioration de son état de
santé…
Ce raisonnement a le mérite d'être, lui aussi « raisonnable », de tenir compte des réalités, des situations vécues et devrait permettre d'éviter des mises en cause et des condamnations
pour des préjudices qui ont pu être qualifiés, par la doctrine, de « fantomatiques ».
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