C H R O N I Q U E D U D R O I T La loi dite “Kouchner” du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ● O. Laccourreye*, A. Garay** oici maintenant plus de 6 mois, au terme d’un long processus de consultation dans le cadre des États généraux de la santé, que la loi du 4 mars 2002, présentée par certains comme la “loi Kouchner”, alors ministre délégué à la Santé (ou “loi anti-Perruche”, car elle tend à mettre un terme à la jurisprudence du même nom), a été publiée au Journal officiel de la République. Lors de la présentation et de la discussion de cette loi, Bernard Kouchner soulignait : « Il s’agit de la première disposition législative au monde qui s’appliquera quel que soit le risque, qu’il soit dû à un produit de santé, à un médicament, à un acte chirurgical ou à un acte d’investigation ». Cette loi “monument” (126 articles, 41 pages !) relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, mais restée largement inaperçue des membres du corps médical, pose les nouvelles bases légales de la relation médecin-malade. Elle institue, en outre, l’indemnisation du risque sanitaire résultant du fonctionnement du système de santé (dont l’aléa thérapeutique au sens large). V LA PRISE EN COMPTE LÉGALE DE LA RELATION MÉDECIN-MALADE TRANSFORMÉE La relation entre le patient et son ou ses médecins était classiquement perçue en France comme “paternaliste” ; les pleins pouvoirs étant confiés au seul détenteur du savoir technique : le médecin, la relation médecin-malade se résumait souvent à l’adage “une confiance qui rencontre une conscience”. Le texte publié le 4 mars 2002 concrétise l’évolution de la jurisprudence depuis les décisions fondatrices du droit médical de 1936 et 1942. Il instaure une nouvelle relation légale entre le médecin et le patient, relation qui doit tendre à la réciprocité et la bilatéralité. Il repose sur les notions de démocratie sanitaire et de solidarité nationale, garanties de l’expression citoyenne (participation et information des acteurs de santé). * Service ORL, HEGP, 20-40 rue Leblanc, 75015, Paris. ** Avocat à la cour d’appel de Paris. Co-auteur de Le médecin, le patient et le droit, éditions de l’École nationale de la santé publique, 1999. 30 QUELS “DROITS DES MALADES” ? Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997, ce n’était plus au patient de prouver qu’il avait été insuffisamment informé mais au médecin de justifier qu’il avait bien mis à la disposition du patient toutes les données nécessaires pour qu’il puisse se forger une opinion informée et ce, préalablement à tout traitement quel qu’il soit et durant toute l’évolution de son affection. La loi du 4 mars 2002 renforce cette obligation d’information, centrale, et affirme un ensemble de nouvelles modalités pratiques. Ainsi : • L’article L 1110-4 précise les règles actuelles quant au secret médical : “En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci sauf opposition de sa part”. • Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, sur les traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Cette information doit être délivrée au décours d’un “entretien individuel” (article L 1111-2). Cette notion d’entretien individuel sous-entend pour le législateur que celui qui réalise l’entretien réalise le geste thérapeutique ou que le patient est clairement informé que le geste thérapeutique sera réalisé par un autre praticien. • Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de son choix (article L 1111-4). Aucun acte médical et aucun traitement ne peuvent être pratiqués sans le consentement libre et éclairé de la personne ; ce consentement peut en outre être retiré à tout moment (article L 1111-4). La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 276 - octobre 2002 • L’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requiert son consentement préalable (article L 1111-4). • Les professionnels de santé d’exercice libéral doivent, avant l’exécution d’un acte, informer le patient de son coût et des conditions de son remboursement par les régimes obligatoires d’Assurance-maladie (Article L 1111-3). • Une Commission nationale des accidents médicaux et, dans chaque région, des commissions de conciliation et d’indemnisation présidées par un magistrat sont créées. Ces commissions sont chargées de faciliter le règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux, aux affections iatrogènes, aux infections nosocomiales et autres différends entre usagers et professionnels de santé, établissements de santé, services de santé, organismes de santé ou “producteurs de produits de santé” (articles L 1142-5 à 8). Ces commissions diligentent des expertises réalisées par des médecins experts (médecins inscrits à leur demande sur les listes d’experts judiciaires : article L 1142-11 ou, à titre exceptionnel, médecin choisi en dehors de ces listes : article L 1142-12). Au terme de l’expertise, la commission émet un avis. Si cet avis engage la responsabilité d’un professionnel ou d’une institution, l’assureur doit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l’avis, faire une offre d’indemnisation. L’acceptation de l’offre de l’assureur par la victime vaut juridiquement transaction au sens de l’article 2044 du Code civil. La victime qui refuse l'offre de l’assureur peut saisir le juge compétent. • À l’issue de la recherche, la personne qui s’y est prêtée est informée des résultats globaux de cette recherche (article L 1122-1). LA NOTION DE “RISQUE SANITAIRE”, PIVOT DU NOUVEAU RÉGIME DE RESPONSABILITÉ • Le patient a dorénavant accès à la totalité de son dossier médical sans avoir recours à un médecin intermédiaire (article L 1111-7). Le délai de transmission du dossier médical ne peut excéder 8 jours ; il est porté à deux mois lorsque les informations médicales datent de plus de 5 ans. • Toute personne a droit, à sa demande, à une information délivrée par les établissements et services de santé publics et privés sur les frais auxquels elle pourrait être exposée à l’occasion d’activités de prévention, de diagnostic et de soins (article L 111-3). • En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée (article L 1111-2). • En présence de complications inhérentes au bilan ou au traitement de son affection, le patient ou ses ayants droit doivent être informés de vive voix et ce, au maximum dans les 15 jours qui suivent le dommage, comme le précise l’article L 1142-4 : “Toute personne victime ou s’estimant victime d’un dommage imputable à une action de prévention, de diagnostic ou de soins ou ses ayants droit, si la personne est décédée, ou, le cas échéant, son représentant légal doit être informé par le professionnel, l’établissement de santé, les services de santé ou l’organisme concerné sur les circonstances et les causes de ce dommage. Cette information lui est délivrée au plus tard dans les quinze jours suivant la découverte du dommage ou à sa demande expresse lors d’un entretien”. Le recours à cette procédure amiable n’est pas exclusif des recours judiciaires de droit commun du point de vue des responsabilités disciplinaire, civile, administrative et pénale. Ce recours suspend les délais de prescription et la procédure juridictionnelle (article L 1142-7). Le nouvel article L 1142-1 du Code de santé publique, issu de la loi de 2002, précise : “Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut de produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent Code ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.” Cet article de loi maintient ainsi la notion de faute au centre du système. En l’absence de faute résultant de l’activité et de la responsabilité d’un acteur ou d’une structure de santé, la loi fait intervenir la solidarité nationale : “Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvrent droit à la réparation des préjudices des patients au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent L’étude 2002 du Cessim* montre que, cette année encore, La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale est première en termes d’audience dans cette spécialité. La rédaction vous remercie de votre confiance et de votre fidélité ! * Centre d’étude sur les supports de l’information médicale La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 276 - octobre 2002 31 C H R O N I Q U un caractère de gravité...”. Ce droit à la réparation entériné par la loi du 4 mars 2002 résulte du simple fait du dommage corporel objectivement constaté et nécessite l’intervention du gouvernement, qui doit déterminer les seuils d’évaluation des préjudices. La loi, au travers de l’article L 1142-2, impose à tous les acteurs du système de santé et en particulier aux professionnels de santé exerçant à titre libéral de “souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne survenant dans le cadre de cette activité de prévention, de diagnostic ou de soins”. Ce manquement à l’obligation d’assurance est puni d’une amende de 45 000 euros (article L 1142-25). Un Office national d’indemnisation, placé sous la tutelle du ministre délégué à la Santé, est chargé d’assurer l’harmonie du système. Le délai de prescription en matière de responsabilité médicale est “homogénéisé” pour tous les contentieux avec un délai commun de 10 ans à partir de la date de consolidation. Ainsi, l’article L 1142-28 précise : “Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage”. E D U D R O I T EN FORME DE CONCLUSION PROVISOIRE... La loi du 4 mars 2002, révélatrice de l’évolution des relations patients-médecins-institutions en France, consacre l’évolution juridique de l’exercice professionnel de la médecine. L’information du patient et la prise en charge du risque sanitaire par la solidarité nationale constituent deux axes novateurs majeurs. Cette loi vise à différencier la responsabilité pour faute de la responsabilité sans faute. Elle instaure un régime juridique de réparation des risques inhérents à la pratique du diagnostic et des soins mais également de la prévention. Ce système repose sur l’information du patient complétée par la mise en place d’un mécanisme de règlement amiable et du recours à l’assurance. Les assureurs ont pris la mesure de la charge financière que leur impose ce système (en particulier en raison du risque lié aux infections nosocomiales). Ainsi, à la menace réelle de “désengagement” des soignants (déjà favorisée par l’hypertrophie des tâches administratives et la nouvelle organisation du travail) s’ajoutent deux difficultés : l’augmentation des primes d’assurance des professionnels de santé et le refus de la part de certaines compagnies d’assurer des risques sanitaires spécifiques. Des ajustements devront intervenir dans ce domaine alors même que la loi du 4 mars 2002 a été votée dans le cadre d’un très large consensus parlementaire, reflet de la prise en compte des attentes sociales par la représentation nationale. ■ TANAKAN (à monter) 32 La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 276 - octobre 2002