Page 5/20 - Philippe Caubère – Les Marches du Palais - film
C’est quoi, Les Marches du Palais de Bernard Dartigues ?
Par Philippe Caubère, comédien et auteur du film.
Comment parler des Marches du Palais et de sa projection à Cannes ? On me dit “ c’est bien pour vous,
vous allez pouvoir faire du business ” et tout ça... Et moi, très honnêtement, je me demande bien de quel
“business” il s’agit. Que Canal + nous achète Ariane ou l’Âge d’Or, sa suite Jours de Colère et puis Les
Marches du Palais et déà ça irait bien comme ça... En fait moi, je ne viens pas là pour ça. Je viens pour raconter
sous forme de film et de théâtre ce que fut l’aventure malheureuse du film Molière à Cannes en 1977, il y a
vingt ans de cela du point de vue du plus humble, du plus modeste, du plus minable : le comédien. Pas la star,
pas la vedette, le comédien.
On parle toujours de Cannes de ce point de vue qui me paraît si naïf, si ingénu, si crédule : les paillettes,
les “stars”, je ne sais quelle mythologie dépassée, archaïque, pathétique. Je ne connais rien en fait à tout cela
mais je suis tellement sûr que ça n’existe plus. Et depuis si longtemps déjà. Commne si l’on espérait encore
retrouver Gérard Philipe au Festival d’Avignon ou quelque chose comme ça... Alors bien sûr qu’on espère
toujours, j’en sais quelque chose moi puisque je suis un acteur ; on espère toujours être celui-là mais quand
même, il faut être sérieux, on y croit pas. Et là non, on y croit.
On croit toujours qu’on va retrouver Brigitre Bardot sur la plage en maillot de bain ou Claude Lelouch
sur les marches, juvénile et triomphant ; ou Truffaut, Léaud avec Cocteau, Fellini, Simenon... Tout ça.
N’importe quoi. C’est fini, ça. C’était déjà fini il y a vingt ans. C’est ça que j’ai compris alors, malgré mon
énorme naïveté ; que c’était fini. Le temps a passé et la jeunesse aussi, et nos tendres années ; et la télé a tout
raflé. Elle a gagné. Horrible et triste victoire à la Pyrrhus pourtant, puisqu’elle ne cesse de rappeller, de
solliciter, d’essayer de ranimer ce cadavre ambulant, statufié : le cinéma d’autrefois. Aujourd’hui, le cinéma,
c’est d’un côté les Américains, en gros toujours pires, et de l’autre la guerre mais aussi l’avenir : le cinéma
iranien, chinois, algérien, yougoslave, africain et même, et même le cinéma français. Je ne suis rien moi
là-dedans, rien du tout. Je ne fais même pas de cinéma. Je fais du théâtre. C’est mon métier, ma passion, mon
amour. Mais comme j’aime le cinéma d’une autre passion, plus secrète mais furieuse, obsédée, contradictoire,
de ce théatre-là, de mon théâtre intime, avec l’aide et la complicité de Bernard Dartigues j’ai fait du cinéma.
Comme un vice. Un cinéma limite, impossible, très mal vu. Pire que le cinéma porno, le reportage de guerre ou
le document nazi, pire que la publicité : le théâtre filmé. Mais enfin, peu importe ce que je viens raconter ici,
c’est pas du théâtre mais du cinéma filmé : le Festival de Cannes.
Je ne comprenais pas Huit et demi avant d’être venu à Cannes ; depuis, j’ai compris. Cette foire, ce
bazar. A ses débuts, le cinéma se passait dans les fêtes foraines, c’était présenté comme un numéro de magie,
une performance étrange. Cannes au fond a gardé quelque chose de cela. C’est bien ce cirque atroce et ridicule,
cette absurde agitation, cet incroyable esprit de sérieux qui afflige tout le monde, du critique au producteur, du
portier de l’hôtel le plus pourri au pizzaïollo du coin, du moindre photographe au dernier des attachés de presse,
cette chose qui fait que tout le monde est très grave, très affolé, comme s’il s’agissait de refaire le monde, là, en
quelques jours, sur la plage ou dans les salles obscures. Tout cela me fait rire, moi qui le voit du dehors et qui,
encore une fois, n’ait jamais pu adhérer à cette croyance aveugle. Et pourtant l’échec épouvantable du Molière,
l’effondrement de cette entreprise, de cette aventure innocente sous les lazzis des journalistes et des
“professionnels” m’avait alors je m’en souviens bouleversé, horrifié, atterré. D’autant plus que je n’y
comprenais rien. Comment comprendre ce qui avait bien pu motiver une chose comme celle-la ? Tant de haine,
de sifflets, de quolibets ! Pourquoi ? Je ne le sais au fond toujours pas. Et c’est peut-être cela que je viens
chercher ici, vingt ans après ; la réponse ; pourquoi ? Chers amis du cinéma, répondez-moi...