Cellulite nécrosante périnéale Erika Parmentier-Decrucq Centre Hyperbare Hôpital Salengro – CHRU de Lille 28/03/2014 Définition et Terminologie Infection anaérobie des tissus mous touchant les fascia de la région périnéale Fréquente Méconnue Dont le traitement est souvent retardé et mal adapté Cellulite : terme désuet mais conservé en pratique courante. SPILF, Conférence de consensus, 2000 Repères topographiques Anatomopathologie Destruction tissulaire extensive Thromboses micro-vasculaires Infiltrat cellulaire inflammatoire (PNN) Bactéries retrouvées le long des fascias Larry M Baddour Epidémiologie Incidence : 3,5 / 100000 personnes Mortalité globale élevée : 24 – 30% des cas O'Loughlin RE & al, Clin Infect Dis, 2007 Pas de différence intercontinentale Débat actuel : augmentation de l’incidence par utilisation massives d’AINS ? Aronoff DM & al, Medicine, 2003 Pathogénie Contamination : Externe : plaie souillée, piqûre Interne : effraction muqueuse, plaie chirurgicale Facteurs liés à l'hôte : Généraux : cancer, diabète, alcoolisme Locaux : ischémie, attrition tissulaire, association à des germes aérobies (synergie) Pathogénie Facteurs liés aux germes : Aérotolérance de certains germes (ex : B. fragilis, ...) Maintien d'un potentiel d'oxydoréduction abaissé par la production et l'excrétion d'acides gras à courte chaine, d'acides organiques (ac. succinique, ...) Production d'exotoxines : Coagulase et fibrinolysines entraînant et augmentant l'ischémie Hyaluronidase, collagénase, etc... induisant la destruction des structures de soutien. Pathogénie Diminution des moyens de défense : Diminution du débit sanguin local : réduction de l'apport en polynucléaires et immunoglobulines Baisse du potentiel d'oxydoréduction : réduction des capacités de microbicidie des polynucléaires neutrophiles Inhibition directe de la phagocytose et de la microbicidie des PN par la capsule de certains germes (B. fragilis, P. melaninogenica, ...) Impossibilité de dresser une barrière limitante du fait des exotoxines Bactéries anaérobies Bacilles à Gram positif sporulés Clostridium (perfringens, tertium, difficile, sporogenes, ramosum, novyi, tetani, (11 à 14 %) Bacilles à Gram négatif non sporulés (24 à 39 %) Cocci à Gram positif Cocci à Gram négatif Bacilles à Gram positif non sporulés septicum, histolyticum, botulinum) Bactéroïdes (fragilis, hetaiotaomicron, vulgatus, distasonis, uniformis, ovatus) Prevotella (melaninogenica, intermedia, oralis, buccalis, veroralis, bivia, disiens, ons, buccae) Porphyromonas (asaccharolytica, endodontalis, gingivalis) Fusobacterium (nucleatum, necrophorum, mortiferum, vanum) (4 à 5%) Peptostreptococcus (magnus, asacchatolyticus, prevotii, anaerobius) (16 à 22%) Peptococcus (niger) (5 à 10%) Veiloneila parvula Actinomyces (rares) (israelli, naeslundii, odontolyticus, viscosus) Bifidobacterium (dentium, adolescentis) (1 à 3%) Propioni bacterium sp. (acnes) (6 à 17%) Eubacterium sp. (lentum) (4 à 6%) Diagnostic bactériologique Sites Voies aériennes supérieures Narine Salive Plaque dentaire Gencive Tube digestif Estomac Duodénum Iléon Colon Tractus Génital Féminin Vagin Endocol Concentrations bactériennes par ml ou g Rapport anaérobies/aérobies 103 - 104 108 - 109 1010 - 1011 1011 - 1012 3-5/1 1/1 1/1 1000 / 1 102 - 105 102 - 104 104 - 107 1011 - 1012 1/ 1 1/1 1/1 1000 / 1 108 - 109 108 - 109 3-5/1 3-5/1 Fréquence d’isolement de bactéries anaérobies dans les flores normales Microbiologie Mathieu D, Med Mal Infect, 2000 Facteurs de risque / étiologiques Antécédents : Age > 60 ans Diabète Immunodépression Cancer Dénutrition AOMI Obésité Cirrhose Insuffisance rénale chronique Etiologies : Dermohypodermite nonnécrosante Plaie Chirurgie Accouchement Toxicomanie IV Brûlures Clinique Signes locaux : Inflammation majeure et induration sous-cutanée Phlyctènes, bulles Purpura Hyperesthésie / anesthésie locale Lésions de nécrose profonde : tâches cyaniques mal limitées Crépitation neigeuse souscutanée Signes généraux : sepsis Formes sub-aiguës ou torpides fréquentes Clinique Le plus souvent subaiguës et insidieuses Evolution : continuité des fascia Région péri-anale – région inguinale - paroi abdominale Testicules, corps caverneux et région ano-rectale souvent préservés Mortalité : 20 – 50% Clinique Le plus souvent subaiguës et insidieuses Evolution : continuité des fascia Région péri-anale – région inguinale - paroi abdominale Testicules, corps caverneux et région ano-rectale souvent préservés Mortalité : 20 – 50% Portes d’entrée Colorectales: Abcès périrectaux et périanaux Fistule anale Instrumentations rectales Perforations coliques sur néoplasie Diverticuloses Appendicite perforée Chirurgie rectale ou anale Cures d’hémorroïdes Coït anal Urogénitales: Orchi-épididymites Sténoses ou calculs uréthraux Instrumentations uréthrales Biopsie de prostate transrectale Cure d’hernie, circoncision Implantation de prothèse pénienne Chirurgie du pénis et du scrotum Phlébite de la veine dorsale de la verge Cutanées: Infection cutanées du scrotum Hydradénites suppurées Balanites Traumatismes intentionnels (piercing) Sakis, Progrès en urologie, 2009 Shyam, The Surgeon, 2013 Imagerie : TDM - IRM Aucun examen ne doit retarder la prise en charge thérapeutique Formes abdomino-périnéales : Recherche d’une porte d’entrée occulte Bilan de l’extension loco-régionale Exemple d’une colite à Clostridium Duburcq T, BMJ Case Rep. 2013 Jan 22;2013. Examens paracliniques - Biologie Aucun examen ne doit retarder la prise en charge thérapeutique Biologie : Peu spécifique : utilité limitée Syndrome inflammatoire CIVD Recherche d’une myonécrose associée : CPK Hémocultures périphériques : jusqu’à 40% de positivité Diagnostic bactériologique Prélèvements bactériologiques Leur qualité conditionne le succès d'isolement des anaérobies Grande valeur des germes isolés par hémoculture, prélèvement dans cavités closes Bonne valeur des germes isolés par ponction, injection réaspiration, prélèvement de tissu profond Absence de valeur de l'écouvillonage de surface Conservation et transport Conservation sous atmosphère anaérobie : purge soigneuse de la seringue, conteneur étanche, réactif consommant l'O2 Transport rapide en laboratoire pour mise en culture immédiate Diagnostic bactériologique Examen direct avec coloration de Gram Excellente orientation diagnostique : évocateur dans 60 % des cas, suspect dans 30 % Culture en anaérobiose Doit être demandée spécifiquement Culture difficile et lente Positive dans seulement 50 à 60 % des cas Bacille Gram positif : Clostridium Flore polymorphe nécessité de multiplier les prélèvements Techniques particulières En cas d'examen direct "suspect", l'association à l'immuno-fluorescence ou la chromatographie gaz-liquide peut-être utile. Traitement – Grands axes Mesures générales de réanimation Antibiothérapie Chirurgie Oxygénothérapie hyperbare Urgence Giuly E. & al, AFAR, 2006 Mesures générales de réanimation Traitement des défaillances d’organe Optimisation de l’hémodynamique par remplissage vasculaire massif +/- amines vasopressives Hypercatabolisme => apports caloriques suffisants Antibiothérapie Urgente, à débuter dès le diagnostic suspecté Empirique, doit viser les bactéries anaérobies et aérobies probablement impliquées, active sur les Anaérobies, Streptocoques et BGN forte dose du fait de la difficulté de pénétration dans des tissus à la vascularisation compromise (œdème, traumatisme, thrombose, ...) Parentérale, à Doit être associée à des mesures visant à préserver la perfusion locale (incisions) Doit être associée à l’élimination de la porte d’entrée Antibiothérapie : recommandations IDSA Guidelines, 2011 Antibiothérapie : en pratique dans le service Formes abdomino-périnéales TAZOCILLINE + AMIKLIN ou CIFLOX Si allergie aux pénicillines : TIENAM ou C3G + DALACINE TYGECYCLINE Cas particuliers : Contexte d’aplasie fébrile ou de pied diabétique : Cibler P. Aeruginosa : TAZOCILLINE / FORTUM + GENTAMICINE Contexte de toxicomanie IV: Cibler le staphylocoque : ajout d’un aminoside si non-fait / Pénicilline M Si suspicion de SARM : CUBICIN ou ZYVOXID Durée de l ’antibiothérapie : Pratique actuelle Erysipèle non compliqué : 19 13 jours compliqué : 22 14 jours Cellulite nécrosante non compliquée : 24 11 jours compliquée : 36 29 jours D ’après les rapports de Kopp et Schmidt Conférence de Consensus, Tours, Janvier 2000 Myonécrose et cellulite nécrosante Evolution attendue : Maitrise du syndrome infectieux et de l ’extension locale en 72 heures, sinon chirurgie à reconsidérer Durée : difficilement codifiable, peut être arrêtée quand les signes généraux ont disparu et la production locale purulente tarie, en moyenne de 10 - 15 jours ( en association OHB !) Prise en charge chirurgicale Importance majeure de la coopération médico-chirurgicale Ne pas attendre les stades d’abcèdation ou de collection purulente Principes : Incision : confirme l’aspect tissulaire nécrotique +++ Exploration : définit l’étendue des lésions Prélèvements bactériologiques Excision en urgence des tissus nécrosés mais la plus conservatrice possible Drainage par de larges incisions Irrigation par des solutions antiseptiques Geste délabrant à réserver aux cas désespérés ou à l'échec du traitement Reprise chirurgicale rapide à 24-48h si nécessaire Chirurgie : localisation périnéale 1ère intervention la plus précoce possible, sous AG, après stabilisation hémodynamique Chirurgie : localisation périnéale Incision et excision large des tissus nécrosés. Décollement sous-cutané avec effondrement des logettes Prélèvements bactériologiques +++ Chirurgie : localisation périnéale Drainage par mise en place de lames de Delbet Chirurgie : localisation périnéale Dérivation urinaire : - Sonde vésicale Dérivation digestive : -Colostomie de protection (transverse gauche) -Collecteur fécal Facteur pronostique Benizri E, Urology, 1996 Chirurgie Réfection quotidienne des pansements Excision à la demande des tissus nécrosés Elimination des caillots, des sécrétions purulentes Irrigation par solution antiseptique Intérêt des prélèvements bactériologiques à chaque reprise chirurgicale : évolution microbiologique (P. aeruginosa) A distance : Remise en continuité digestive Chirurgie reconstructrice Chirurgie Chirurgie Combinaison des traitements Etude comparative des divers traitements de la gangrène gazeuse expérimentale chez le chien Mais absence d’étude randomisée (difficultés éthiques et méthodologiques) Traitement Survie (%) Chirurgie 0 OHB 0 OHB + Chirurgie 0 AB 50 AB + Chirurgie 70 AB + Chirurgie + OHB 95 Demello, Surgery 1973 Jun;73(6):936-41. Oxygénothérapie hyperbare ATB/Surgery, Sarani, J Am Coll Surg, 2009 ATB/Surgery/HBO Bases physiopathologiques de l’OHB dans les infections à anaérobies Action directe de l'oxygène sur les bactéries anaérobies Action indirecte sur les moyens de défense de l'organisme Action sur l'activité de certains antibiotiques Oxygénothérapie hyperbare Effet anti-infectieux : augmentation du potentiel d’oxydo-réduction Effet bactériostatique sur les germes aérobies et anaérobie Arrêt de la production d'exotoxines O2 potentiel Redox Consommation ( ) NADPH et NADH arrêt synthèse protéines et acides nucléiques Bactéricidie directe sur les anaérobies Production de radicaux libres dans le cytosol bactérien O2 dans le cytosol O2° H2O2 OH° lésions macromoléculaires lyse cellulaire Oxygénothérapie hyperbare Oxygénothérapie hyperbare Restauration de la bactéricidie des PNN (phagocytose) La microbicidie des polynucléaires fait appel à un mécanisme oxygénodépendant: la transformation de l'oxygène en radicaux libres à l'intérieur des vésicules lysosomiales. Ces radicaux libres sont utilisés par les polynucléaires pour détruire les bactéries phagocytées. Oxygénothérapie hyperbare En condition d'hypoxie : Altération du métabolisme bactérien touchant : les processus de transport intracytosolique et/ou les processus d'activation des antibiotiques Augmentation de l’activité des antibiotiques (aminosides, FQ…) en OHB Oxygénothérapie hyperbare Absence d’étude randomisé (difficultés éthiques et méthodologiques) Rationnel : Microbiologie polymorphe avec prédominance d’anaérobies stricts ou aérotolérants Caractère nécrosant lié à une obstruction vasculaire disséminée et extensive Elévation de la pression partielle tissulaire en O2 : Vasoconstriction des territoires sains => diminution de l’œdème favorisant l’ischémie Redistribution du flux sanguin vers les territoires ischémiés Mathieu D, Med Mal Infect, 2000 Oxygénothérapie hyperbare La plus précoce possible Séances de 90 min. à 2,5 ATA - 100 % d'O2 3 séances les premières 24 heures 2 séances par jour ensuite Au mieux : encadrant le geste chirurgical Evolution d’un patient (1) Evolution d’un patient (2) Evolution d’un patient (2) Evolution d’un patient (2) Evolution d’un patient (2) Evolution d’un patient (2) CONCLUSION Pas d ’études prospectives randomisées, mais nombreuses difficultés pour élaborer des protocoles (faible fréquence, facteurs pronostiques mal établis, attitude chirurgicale difficile à codifier, manque de critères de jugement objectifs) Indication restant fondée sur : les travaux expérimentaux les études animales les séries cliniques Indication fortement recommandée (ECHM, conférence de consensus, Lille 2004 )