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De l’Inattendu 05/01/2015
Tout sujet ayant trait à la notion d’attente est vaste, voire infini. L’attente comme l’inattendu concerne à la fois notre réalité et notre rêve, notre aujourd’hui et notre lendemain, il se palpe et nous échappe tout autant. Tenter de mettre un point d’honneur à résoudre le mystère de l’inattendu est vain. Comment définir, en effet, l’ensemble des choses et des évènements que nous n’attendons pas ? Suffirait-­‐il donc de se fier au providentiel hasard, ou de se laisser naviguer sur les mers d’un destin qui se chargerait de ponctuer notre courte vie humaine d’un peu d’inattendu ? Toujours est-­‐il que l’inattendu pousse chacun à prendre position pour lui-­‐
même, pour sa progéniture ou l’ensemble de sa famille… Les uns font vœu d’une vie sans surprises, planifiée, bercée par l’illusion que rien ne leur échappe, qu’ils sont les grands maîtres de leur destin, les autres, à l’inverse, se prosternent devant un dieu jouant au dé, vivant au gré du vent, à la recherche folle d’une existence qu’ils n’ont pas encore menée. Mais quel est donc ce sujet qui divise à ce point les hommes ? D’un côté les calculateurs, de l’autre les aléatoires. Des hommes liés par une seule et même chose, la peur de la plus grande certitude au monde, et la quête du chemin pour s’en tenir écartés. La mort du corps physique. Pour les uns, protagonistes du « sans surprises », l’inattendu la cause souvent, pour les autres, grands prêtres du « advienne que pourra », il les en protège. Ainsi, l’inattendu divise, rassure autant qu’il fait peur. Déjà dans la mythologie grecque, ce drôle d’oiseau montrait ses deux visages. Nombreuses sont les légendes mythologiques où l’oracle, incarnée notamment par la Pythie de Delphes s’imposait comme détentrice d’une vérité implacable sur l’avenir, ennemie jurée de l’inattendu. Ainsi, Œdipe n’échappa pas à son destin, à savoir coucher avec sa mère et tuer son père. Mais, paradoxalement, tout ce que l’on ne sait pas, tout ce à quoi l’on se s’attend pas est aussi décrit comme une bénédiction. Ainsi, pour punir les cyclopes d’avoir aidé les titans dans la guerre les opposant aux dieux, il fut décidé par l’Olympe de leur infliger ce qui est décrit dans la mythologie comme la plus terrible des malédictions : La connaissance précise du jour et de l’heure de leur mort. On voit donc bien que, dés l’antiquité, la notion d’inattendu était déjà vécue de manière bien paradoxale. Aujourd’hui, il me semble que cette idée, dans le langage courant, relève plus de l’émotionnel que de la philosophie. Il appartient presque au vocabulaire amoureux, en tous cas sensible, et concerne plus l’aspiration, le rêve que la réalité de la relation. C’est un lieu commun, aujourd’hui, d’espérer un jour « être surpris » par l’être aimé, par l’être convoité. Nous vivons à l’ère de l’attente, paradoxalement, l’attente de l’inattendu. Là est le domaine du fantasme, de la relation rêvée, loin de notre hantise de la routine, car l’inattendu nous en préserverait ad vitam aeternam. Cette routine qui rappelle étrangement la mort par son absence d’émotion. Sorti du fantasme, l’inattendu se transforme soudain en un poids, en une donnée non maîtrisable, bien embarrassante. Nous rêvons d’inattendu et vivons bien résolus à nous attendre à tout. De plus en plus, notre mode de vie nous permet de supprimer peu à peu l’inattendu. Les modes de communication, où même au dernier moment, nous pouvons prévenir notre rendez-­‐vous que nous serons en retard ou aurons un empêchement, le commerce de Noël où, aujourd’hui, il est totalement naturel de demander directement ce que nous voulons afin d’éviter à autrui de se méprendre quant au cadeau attendu, lui-­‐même ayant pris soin de bien laisser le ticket de caisse dans la boîte pour nous permettre de l’échanger si jamais celui-­‐ci était trop petit, trop grand, ou ne trouvait pas grâce à nos yeux. Oui, nous vivons dans ce monde où la surprise se gère, où l’inattendu se compresse et se domine, où l’aléatoire se maîtrise. Et pourtant, comme nous continuons à en rêver, de cette contrée où nous ne savons rien. Comme il nous inspire, ce coup de fil que l’on n’espérait plus, ce mot que l’on ne pensait jamais lire… L’inattendu dont nous rêvons nous donne à exister. Il nous confirme que nous sommes bien vivants, puisque ne rien savoir est bien le plus bel horizon qui se présente à nous… C’est un peu le même horizon que lorsque nous sommes nés. Plus nous savons que nous ne savons rien, plus nous rapprochons de notre naissance, donc plus nous nous éloignons du jour de notre mort. Et c’est précisément ce dont nous rêvons. Mais, maintenant que cet aspect fantasmatique nous est apparu, qu’en est-­‐il de notre vie concrète et de notre volonté de maîtriser l’inattendu ? Chaque jour, dans chaque geste que nous faisons, chaque mot que nous prononçons, l’inattendu est présent. Nous sommes constamment soumis à ce que nous ne maîtrisons pas et ne maîtriserons jamais. Cette part de vie qui nous échappe. Voilà encore un des grands paradoxes humains. Passer sa vie à chercher l’inattendu alors que celui-­‐ci est juste sous nos yeux, dans chaque instant de la vie. Seul notre ressenti, notre pré-­‐senti peut nous guider un peu sur la route de l’inattendu et nous fournir quelques pistes. Notre instinct et nos croyances sont de bons guides pour appréhender l’inattendu. La définition première de l’inattendu, outre la surprise, est précisément ce que l’on attend pas. Or, aujourd’hui, la société consumériste est basée sur les attentes du consommateur. L’attente d’un changement, d’un nouvel OS pour son Iphone, d’une baisse des impôts, d’une fraternité plus grande, d’un peu moins de solitude, d’un été chaud à la mer, d’un peu de neige en hiver. Nous sommes nourris d’attentes et les entretenons. Peut-­‐on, dans un tel contexte, prôner une vie d’inattendus ? Peut-­‐il exister dans un monde pareil ? L’absence totale d’attente est l’un des plus grands préceptes de la philosophie bouddhiste, ou de tout chemin spirituel. L’attente est un lien qui nous condamne à une forme de soumission, de souffrance même. Se placer dans l’inattendu ou dans le non-­‐attendu nous ferait nous sentir plus libres, détaché du matériel pour gagner une sérénité plus grande. Est-­‐ce envisageable dans une vile comme Paris, ou dans toute société occidentale ? Je crois que, même si cela est peut-­‐
être plus difficile qu’il y a quelques temps, notre société créant systématiquement du manque, donc de l’envie et de l’attente, c’est intérieurement que nous devons trouver cette paix, cet inattendu là. Pour cela, je crois qu’il est nécessaire de prendre un certain recul, ironique souvent, vis à vis des valeurs qui régissent aujourd’hui notre consommation quotidienne. Le plus pervers dans ce système est que l’inattendu lui-­‐
même est devenu une valeur marchande, prête à être avalée dans la seconde, recrachée quelques minutes plus tard. La publicité prône l’évasion, les sites de rencontre la surprise du grand amour, les offres commerciales ont toujours dans leurs bagages de quoi nous allécher. Et c’est bien cela le pire. Sur le marché, l’inattendu devient inespéré. Comme une carotte que l’on nous tend pour nous faire avancer. Une fois cette vision écartée, que reste-­‐t-­‐il, là, tout au fond de nous ? Il nous reste cette vie à vivre, une vie dont nous ne savons rien. Une vie à bascule. Une vie à prendre sans jugement, où l’inattendu se saisit comme tel, chaque jour. Cela demande de la vigilance de chaque instant. Nous sommes trop méfiants. Remplacer la méfiance par une bienveillante vigilance est un premier pas vers l’appréhension de l’inattendu. En cela, nous nous montrons justes vis à vis de notre existence pleine d’imprévu. A la fin de sa vie, Darwin revint sur sa théorie de l’évolution en émettant l’idée que l’espèce qui survivra ne sera pas la plus forte, la plus puissante, mais celle qui s’adaptera le plus à l’inattendu. Je crois que notre bonheur présent et à venir est conditionné par notre lien à l’inattendu. Cela va de paire avec le choix d’une vie où l’on ose, où l’on risque sortir de chez soi, rencontrer des gens que l’on ne pensait pas rencontrer, voir des choses que l’on ne pensait pas voir. L’inattendu heureux exige l’ouverture. La volonté d’une vie sans surprise est un aveu de peur. Cette peur immense qui nous envahit, ce complexe aussi qui nous rabat les oreilles, nous persuadant que nous ne serons jamais à la hauteur de nos aspirations. Il nous est nécessaire de sortir de cette condition d’êtres apeurés et complexés, fuyant la mort, cherchant l’existence partout. Et c’est précisément à cette condition que le consumérisme veut nous réduire. Il est plus aisé de contrôler un être qui a peur et se sous-­‐estime qu’un être libre et détaché. L’inattendu nous permet de sortir de cela, de nous mettre face à la vie, d’en goûter chaque saveur, de ressentir plus encore ce qui fait de nous une espèce très, très paradoxale, mais magnifique. Nous avons le pouvoir incroyable d’inventer du « beau » pour nous mêmes et pour l’humanité. La beauté ne se trouve ni dans le contrôle, ni dans la certitude. Elle jaillit du lâcher-­‐prise, du doute et d’une acceptation totale de l’inattendu. Une acceptation mais jamais une soumission. Nous avons ce pouvoir de créer, et cela ne saurait exister sans l’inattendu. Je n’ai jamais écrit une chanson en sachant précisément que j’allais l’écrire. Je ne pensais pas que je m’enflammerais à écrire ces lignes… L’inattendu qui rend heureux n’est qu’une question de regard posé à chaque seconde, non pas sur nous-­‐mêmes, mais en nous mêmes et sur tout ce qui nous entoure. L’inattendu qui rend heureux ne s’attend pas. Il se saisit au passage, se goûte et nous nous en enveloppons pour rire, pleurer, nous surprendre, pour aimer enfin infiniment et créer cette existence dont nous ne tirerons aucune fierté, mais qui sera tout simplement notre véritable vie. Et alors peut-­‐être quitterons nous ce monde avec aux lèvres le sourire de l’immortel. ©Mister Février 
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