Université Lille 1 — UFR de Mathématiques
Licence de Mathématiques (L3, S6, année 2006–2007)
M312 : Séries de Fourier et Espaces de Hilbert
Responsable : Jean-François Burnol
Le Théorème de Dirichlet
Le premier théorème général et rigoureux de convergence pour les séries de
Fourier fut celui de Dirichlet : si fest 2π-périodique et monotone par morceaux
alors en tout point on a limn→∞ Sn(f)(x) = 1
2(f(x+) + f(x)).
Je dis que fest monotone par morceaux sur [a, b]si il existe une subdivision (xi)0in
telle que sur chacun des intervalles ouverts ]xi, xi+1[la fonction fest monotone 1et bor-
née (donc les limites f(x+
i)et f(x
i+1)sont finies). Aux points xiles valeurs f(xi)sont
quelconques. Vous savez tous qu’une fonction monotone admet en tout point des limites à
gauche et à droite, c’est donc clairement le cas aussi pour fmonotone par morceaux.
Une approche possible au théorème de Dirichlet est la suivante : (1) les sommes de Fejér
convergent vers 1
2(f(x+) + f(x)) en tout x(théorème prouvé en Cours, sans autre hypo-
thèse sur fque l’existence de f(x+)et de f(x)), (2) on peut prouver que les coefficients
de Fourier cn(f)sont O(|n|1)(exercice XLVI), et (3) on a le théorème taubérien de Hardy
(exercice XLIV) qui permet de remonter des sommes de Fejér aux sommes partielles de la
série de Fourier grâce à cette propriété O(|n|1).
L’approche originale, complètement différente, de Dirichlet dans son mémoire de 1829
est très intéressante, et vaut la peine de s’y arrêter. 2 3 4
Il y a un léger défaut dans la formulation du théorème de Dirichlet : c’est que si fet
gsont toutes deux monotones par morceaux, ce n’est pas forcément le cas de la somme
f+gou de la différence fg.5Pourtant ces combinaisons linéaires vérifieront elles aussi
la conclusion du théorème. C’est Camille Jordan, à l’occasion de présenter en cours la
preuve de Dirichlet une cinquantaine d’années plus tard (vers 1881), qui a trouvé la bonne
formulation : le théorème et sa preuve s’appliquent à toute fonction fqui sur l’intervalle
[π, π]peut s’écrire comme la différence FGde deux fonctions croissantes. Remarquez
que cette classe de fonction est clairement stable par combinaison linéaire 6. De plus elle
inclut la classe des fonctions C1par morceaux (qui est la classe habituellement considérée
dans les livres où l’on présente au niveau premier cycle le théorème de Dirichlet).
1. monotone : ou croissante ou décroissante. « Croissant » et « décroissant » sont toujours au sens large.
2. « L’article de Dirichlet sur les séries de Fourier constitue un tournant de l’analyse mathématique. Son
but est simplement de donner un énoncé correct, avec une démonstration correcte, sur la convergence des
séries de Fourier. Mais, ce faisant, il constitue un nouveau paradigme de la rigueur en analyse », in Séries
de Fourier et Ondelettes, J.-P. Kahane et P.G. Lemarié-Rieusset. Ce livre contient une traduction intégrale
du texte de Dirichlet.
3. Les fonctions considérées par Dirichlet étaient monotones et continues par morceaux.
4. La méthode suivie ici est inspirée de, mais pas rigoureusement identique à celle de Dirichlet.
5. même si fet gsont comme chez Dirichlet aussi continues par morceaux.
6. à coefficients réels, aussi complexes après avoir étendu la condition de Jordan aux fonctions à valeurs
complexes en l’exigeant séparément de la partie réelle et de la partie imaginaire.
2
(A) Montrons qu’une fonction monotone par mor-
ceaux sur [A, B]vérifie la propriété de Jordan.
Comme cette propriété est stable par combinaison
linéaire, il suffira donc de l’établir soit lorsque f
est non nulle en un unique point x0, soit lorsque f
est croissante et bornée sur un seul intervalle ouvert
]a, b[[A, B](et nulle sur le complémentaire).
Dans le premier cas, on prend F(t) = 0 pour t < x0,
F(x0) = |f(x0)|et F(t) = 2|f(x0)|pour t > x0.
Alors Fest croissante et Ffvaut 0pour t < x0,
|f(x0)| − f(x0)pour t=x0et 2|f(x0)|pour t > x0.
Elle est donc aussi croissante, et f=F(Ff).
Pour fcroissante sur un sous-intervalle ]a, b[, on pose
F(t) = 0 pour ta,F(t) = f(t)f(a+) + |f(a+)|
pour a < t < b et F(t) = f(b)f(a+) + |f(a+)|+
|f(b)|pour tb. Alors Fest croissante. De plus
Ffvaut 0pour ta,f(a+) + |f(a+)|pour
a < t < b et f(b)f(a+) + |f(a+)|+|f(b)|pour
tbet est donc elle aussi croissante. Et à nouveau
f=F(Ff).
(B) Si f=F1G1sur [a, b]et F2G2
sur [b, c]avec F1,F2,G1,G2croissantes,
alors les fonctions F=F1sur [a, b]et F2
sur ]b, c],G=G1sur [a, b]et G2sur ]b, c]
sont monotones par morceaux. Donc F=
KL,G=MNavec K,L,M,N
croissantes, et f=FG=K+N(L+
M). Par récurrence on étend à un nombre
fini quelconque d’intervalles successifs. La
propriété de Jordan peut donc « se tester
par morceaux ».
(C) Donc pour montrer qu’une fonction C1
par morceaux vérifie la condition de Jor-
dan, il suffit de le faire pour fde classe
C1sur [a, b], et à valeurs réelles. On pose
F(t) = f(a) + Rt
a|f(x)|dx. La fonction F
est croissante, et F(t)f(t) = Rt
a(|f(x)|
f(x)) dx l’est aussi.
La condition de Jordan a un nom : si fla vérifie on dit que fest de variation bornée.
Je n’ai pas besoin d’en dire plus ici et je vous renvoie, si vous voulez en apprendre plus, au
texte disponible sur mon site 7avec le titre « Variation bornée et Dirichlet-Jordan ». Ce
texte contient d’ailleurs encore deux autres démonstrations du théorème de Dirichlet.
Pour démontrer le théorème de Dirichlet, pour fqui est 2π-périodique et de variation
bornée sur [π, +π](donc sur tout intervalle fini), il suffit de le faire pour x0= 0 (car le
cas général s’obtient alors en appliquant le cas particulier à la fonction f(x+x0)). Alors,
calculs habituels, on a Sn(f)(0) = 1
2πRπ
πDn(t)f(t)dt =1
2πRπ
0Dn(t)(f(t) + f(t)) dt. Le
problème est donc ramené à celui de prouver, pour gde variation bornée sur [0, π]:
lim
n→∞
1
πZπ
0
sin((n+1
2)t)
sin(1
2t)g(t)dt =g(0+),
1 La deuxième formule de la moyenne
Théorème : soit [a, b]un intervalle fermé borné, fintégrable à valeurs réelles, et g
croissante et positive sur [a, b]. Alors, on a la deuxième formule de la moyenne :
ξ[a, b]Zb
a
f(x)g(x)dx =g(a)Zξ
a
f(x)dx
Comme gest bornée la fonction fg est bien intégrable. On sait que la fonction t7→
F(t) = Rt
af(x)dx est continue. Soit Mson maximum et mson minimum. L’image F([a, b])
est l’intervalle [m, M](théorème des valeurs intermédiaires). Donc pour montrer la deuxième
formule de la moyenne il suffit de montrer les inégalités :
g(a)mZb
a
f(x)g(x)dx g(a)M
7. jf.burnol.free.fr/ens.html
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Soit N1et soit xj=a+jba
N,0jN. Définissons : IN=PN1
j=0 Rxj+1
xjf(x)g(xj)dx.
On a, compte tenu que gest décroissante :
Zb
a
f(x)g(x)dx
N1
X
j=0 Zxj+1
xj
f(x)g(xj)dx
N1
X
j=0 Zxj+1
xj
|f(x)|(g(xj)g(x)) dx
N1
X
j=0
(g(xj)g(xj+1)) Zxj+1
xj
|f(x)|dx
Soit K(t) = Rt
a|f(x)|dx. Soit ω(N) = supatbba
N
|K(t+ba
N)K(t)|. On sait que Kest
continue, donc uniformément continue sur [a, b], donc ω(N)0. Or d’après ce qui précède
Rb
af(x)g(x)dx IN
ω(N)PN1
j=0 (g(xj)g(xj+1)) = ω(N)(g(a)g(b)). Donc
lim
N→∞ IN=Zb
a
f(x)g(x)dx
Écrivons IN=PN1
j=0 Rxj+1
xjf(x)g(xj)dx sous la forme (on rappelle que F(t) = Rt
af(x)dx) :
IN=
N1
X
j=0
g(xj)(F(xj+1)F(xj)) =
N1
X
j=0
(g(xj)g(xj+1))F(xj+1) + g(b)F(b)
Il est conseillé d’écrire les sommes de manière explicite afin de bien s’assurer qu’aucune
erreur d’indice n’a été faite. Bref, comme gest décroissante et g(b)0les inégalités
g(a) inf
[a,b]F(t)INg(a) sup
[a,b]
F(t)
sont alors évidentes. Et comme limN→∞ IN=Rb
af(x)g(x)dx, la deuxième formule de la
moyenne est démontrée.
On pourrait présenter quelques variantes, je renvoie pour cela à mon texte (un peu
lourd peut-être, désolé) « Variation bornée et Dirichlet-Jordan » sur la toile. Je signale
seulement ici que si fn’est plus supposée à valeurs réelles, vous prouverez en relisant la
preuve ci-dessus qu’en tout cas :
Zb
a
f(x)g(x)dx
g(a) sup
[a,b]
Zt
a
f(x)dx
Évidemment tout l’intérêt de la majoration est que le module complexe est à l’extérieur et
non pas à l’intérieur des deux intégrales !
2 Premier théorème limite de Dirichlet
Théorème : Soit fde variation bornée sur [0, b](avec 0< b < ). Alors
lim
λ+Zb
0
sin(λx)
xf(x)dx =f(0+)Z
0
sin(x)
xdx
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Le résultat est vrai si fest constante car Rb
0
sin(λx)
xdx =Rλb
0
sin(x)
xdx. C’est un exercice
classique de montrer que limR→∞ RR
0
sin(x)
xdx existe. On peut par exemple intégrer par
parties pour se ramener à l’intégrale absolument convergente R
1cos(x)x2dx. Ou alors on
utilise la deuxième formule de la moyenne
RS
R
sin(x)
xdx
1
RsupRtS|Rt
Rsin(x)dx| ≤ 2
R,
et donc le critère de Cauchy est vérifié pour l’existence de la limite.
Pour la preuve du théorème, on peut supposer fà valeurs réelles et décroissante, puis
en l’écrivant f= (f+A)Aavec A1on peut supposer fdécroissante positive. On
écrit alors :
Zb
0
sin(λx)
xf(x)dx =Zλb
0
sin(x)
xf(x
λ)dx =ZR
0
sin(x)
xf(x
λ)dx +Zλb
R
sin(x)
xf(x
λ)dx
Pour R > 0fixé on a convergence uniforme sur [0, R]de f(x
λ)vers f(0+). Par ailleurs
par la deuxième formule de la moyenne
Rλb
R
sin(x)
xf(x
λ)dx
1
Rf(R
λ)2 2f(0+)
R. Soit ǫ >
0. On choisit Rde sorte que 2f(0+)
Rǫ. Puis on choisit Λtel que pour λΛon a
|RR
0
sin(x)
xf(x
λ)dx RR
0
sin(x)
xf(0+)dx| ≤ ǫ. Alors pour ces λon a
Zb
0
sin(λx)
xf(x)dx ZR
0
sin(x)
xf(0+)dx
2ǫ
On a aussi |RS
R
sin(x)
xf(0+)dx| ≤ 1
Rf(0+)2 ǫ. Donc |R
R
sin(x)
xf(0+)dx| ≤ ǫ. Donc
λΛ =
Zb
0
sin(λx)
xf(x)dx Z
0
sin(x)
xf(0+)dx
3ǫ
3 Deuxième théorème limite de Dirichlet
Théorème : Soit fde variation bornée sur [0, b]avec 0< b < 2π. On a
lim
λ+
1
πZb
0
sin(λx)
sin(x
2)f(x)dx =f(0+)
Il suffit par linéarité de le montrer pour fcroissante à valeurs positives (ce qui inclut
le cas de fconstante positive). On remarque que la fonction x7→ x
sin( 1
2x)est croissante (et
positive) sur [0, b](concavité de sinus sur [0, π]). Donc x
sin( 1
2x)f(x)l’est aussi. On applique
le premier théorème et on obtient :
lim
λ+
1
πZb
0
sin(λx)
sin(x
2)f(x)dx = lim
λ+
1
πZb
0
sin(λx)
x
xf(x)
sin(x
2)dx =2f(0+)
πZ
0
sin(x)
xdx
Il ne reste plus qu’à déterminer R
0
sin(x)
xdx. Pour cela on utilise le théorème avec f
constante égale à 1et en se limitant aux λ=n+1
2,nentier, et en prenant b= +π,
car on sait qu’à gauche on a alors toujours 1. Donc le théorème est prouvé et en plus on a
appris que R
0
sin(x)
xdx =π
2(« intégrale de Dirichlet », qui n’est que semi-convergente).
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