G´eom´etrie projective.
Pr´eparation `a l’Agr´egation, ENS de Cachan. Claire Renard.
Janvier 2013
Dans tout ce qui suit, Kest un corps commutatif (typiquement, K=Rou Cou Fqun corps
fini).
On a d´efini la notion de K-espace vectoriel et de K-espace affine.
Probl`eme : En g´eom´etrie affine, il faut souvent distinguer les cas. Par exemple, dans le plan
affine r´eel, deux droites distinctes sont soit s´ecantes en un unique point, soit parall`eles. Existe-t-il
une mani`ere de «compl´eter»l’espace pour que toute paire de droites distinctes se coupe en un
unique point ?
1 Espace projectif.
1.1 D´efinition.
efinition 1. Soit Eun K-espace vectoriel. L’espace projectif d´eduit de Eet not´e P(E)est
l’ensemble des droites vectorielles de E.
En d’autres termes, si Rest la relation d’´equivalence sur E\{0}efinie par xRysi, et seulement
s’il existe λKtel que y=λx, alors P(E)'(E\ {0})/R.
Un espace projectif est un espace projectif d´eduit d’un certain espace vectoriel E.
Lorsque Eest de dimension finie ´egale `a n+ 1, on dit que P(E)est dimension finie ´egale
`a n. On note alors dim P(E) = n= dim E1.
Si E=Kn+1, on note P(Kn+1) = Pn(K) = KP n.
FExercice : Calculer le cardinal de Pn(Fq). (R´eponse : (qn+1 1)/(q1) = qn+. . . +q+ 1).
Exemples :
Si dim E= 0, il n’y a aucune droite dans Eet P({0}) = .
Si dim E= 1, Econtient une unique droite et P(E) est un singleton.
Si dim E= 2, P(E) est appel´ee droite projective. Par exemple si K=R,P1(R)'
S1/(x∼−x)'S1.
Une fa¸con de visualiser P1(K) est de consid´erer que c’est l’ensemble des droites d’´equation
y=ax o`u qK(donc en bijection avec K) auquel il faut rajouter la droite «verticale»d’´equation
x= 0 (donc de pente infinie). Ainsi, P1(K)'K∪ {∞}.
x
{x= 0}
y
{x= 1}
K{y=ax}
a
1
Lorsque K=R, on retrouve le cercle S1. Lorsque K=C,P1(C)'C∪ {∞} ' R2∪ {∞} ' S2
via la projection st´er´eographique (on l’appelle la sph`ere de Riemann).
C'R2
×
0
×
x
×z=p(x)
S2
Lorsque dim E= 3, on parle de plan projectif. En particulier, le plan projectif r´eel P2(R)'
S2/(x∼−x)est une vari´et´e diff´erentielle analytique r´eelle de dimension 2, non orientable, qui peut
se plonger dans R4mais pas dans R3. C’est un ruban de M¨
obius recoll´e `a un disque le long de leur
bord. Nous y reviendrons.
De fa¸con g´en´erale, lorsque K=R,Pn(R)'Sn/(x∼−x): c’est le quotient de la sph`ere de
Rn+1 par la relation d’antipodie. En particulier, on peut munir cet espace d’une structure de vari´et´e
analytique r´eelle de dimension ncompacte.
×
x
x
S1
p
p(x)
×
P1(R)
1.2 Lien projectif-affine et cartes affines.
Il est relativement difficile au d´ebut de se repr´esenter abstraitement Pn(K), un espace projectif
de dimension n. Pour cela, il peut ˆetre utile de trouver dans Pn(K) un sous-ensemble mieux connu :
c’est pr´ecis´ement ce que permet la notion de carte affine.
Si Eest un K-espace vectoriel de dimension n+ 1 >0 et Fun sous-espace vectoriel de E, alors
toute droite vectorielle de Epassant par un ´el´ement de Fest tout enti`ere contenue dans F. Ainsi,
F\ {0}est stable par la relation R.
En notant π:E\ {0} → P(E) la projection, l’espace projectif P(F) est ainsi isomorphe `a
π(F\ {0})P(E). Il y a donc une inclusion naturelle P(F)P(E).
efinition 2. Un sous-ensemble VP(E)est appel´e sous-espace projectif d’il existe un sous-
espace vectoriel Fde Etel que V=P(F).
En particulier, la dimension de Vest dim V= dim F1.
La remarque pr´ec´edente montre qu’il y a une bijection naturelle entre l’ensemble des sous-
espaces vectoriels de Eet l’ensemble des sous-espaces projectifs de P(E).
Exemples : Si dim V= 0, on parle de point.Vcorrespond `a une droite de E.
Si dim V= 1, Vest appel´ee droite et correspond `a un plan de E. Si dim V= dim P(E)1,
Vcorrespond `a un hyperplan de Eet est appel´e hyperplan (projectif).
Exemple des points et des droites de P2(R) : ce sont les projet´es respectivement des droites
et des plans vectoriels de R3. Les hyperplans projectifs sont exactement les droites projectives de
P2(R), comme pour un plan affine ou vectoriel.
Soit Hun hyperplan de E. L’espace vectoriel Epeut ˆetre muni d’une structure de K-espace
affine. Pour cette structure, on peut construire dans Eun hyperplan affine Hde direction Het ne
contenant pas l’origine 0 (donc distinct de H).
2
Soit Dune droite vectorielle de E. Si Dn’est pas contenue dans H,E=HDet Dintersecte
Hen un unique point. Sinon, DH, et Dne rencontre pas H. Ainsi, Hest en bijection avec
P(E)\P(H).
H
×0D
H
×
D0
×
D00
Si H0est un autre hyperplan affine de direction Het ne contenant pas l’origine, le raisonnement
pr´ec´edent fournit une seconde bijection P(E)\P(H)→ H0. La bijection induite H → H0est une
homoth´etie (une application du Th´eor`eme de Thal`es !), donc en particulier elle conserve la structure
affine.
H
H
H0
×0
×
×D
+
+D0
+
+
D00
Proposition et D´efinition 3. Si Hest un hyperplan de E, le sous-ensemble P(E)\P(H)est
naturellement muni d’une structure d’espace affine Hde direction H. L’application P(E)\P(H)
Hest appel´ee une carte affine de P(E).
Ainsi, P(E) = H t P(H). Un espace projectif de dimension ncontient un espace affine de
dimension n:du projectif `a l’affine.
R´eciproquement, il est ´egalement possible de passer de l’affine au projectif. Soit Eun espace
affine de dimension net de direction E.
Soit b
Eson espace universel : via deux injection iet j,E(respectivement E) s’identifie `a un
sous-espace vectoriel (respectivement sous-espace affine) de b
Eet il existe λ(b
E)\ {0}telle que
E= ker λet E=λ1({1}). Alors Eest en bijection avec P(b
E)\P(E) et P(b
E) = E tP(E). L’espace
P(b
E) est appel´e la compl´etion projective de l’espace affine E.
Exemples : P1(K) = K∪ {∞}. On a rajout´e P0(K) qui est le point `a l’infini.
P2(R) = R2P1(R). La plan projectif est compos´e de tous les points du plan affine R2,
auxquels on a rajout´e toutes les directions des droites vectorielles de R2: ce sont les points `a
l’infini.
Les droites de P2(R) sont soit une droite affine Dde R2`a laquelle on rajoute la classe de
D
(le point `a l’infini qui correspond `a la direction de D), soit la droite tout enti`ere contenue dans
P1(R) : c’est la droite des points `a l’infini.
En it´erant le proed´e, on obtient par r´ecurrence que Pn(K) = KntKn1t. . . tKt {∞}.
On retrouve par exemple que |Pn(Fq)|=qn+. . . +q+ 1.
3
1.3 Atlas de cartes et coordonn´ees homog`enes.
Soit H0, . . . , Hnune famille d’hyperplans de Eavec i=0,...,nHi={0}. Alors i=0,...,nP(Hi) =
et P(E) = i=0,...,n(P(E)\P(Hi)). Ainsi, il existe un recouvrement de P(E) par des cartes affines,
et il en faut au minimum n+ 1.
Lorsque K=Rou C, une carte affine est une bijection entre P(E)\P(H) et H ' Knun R-
ou C-espace vectoriel. On obtient donc un atlas de cartes. Pour d´efinir une structure de vari´et´e
diff´erentielle sur Pn(K), il reste `a consid´erer les changements de carte.
Proposition 4. Si K=Rou C,Pn(K)est une K-vari´et´e analytique compacte de dimension n,
et la structure diff´erentiable est donn´ee par les cartes affines.
D´emonstration.
Soit comme pr´ec´edemment H0, . . . , Hnune famille d’hyperplans de Kn+1 avec i=0,...,nHi=
{0}. On choisit un syst`eme (x0, . . . , xn) de coordonn´ees de Kn+1 telles que pour tout i= 0, . . . , n,
Hi={(x0, . . . , xn)Kn+1, xi= 0}.
Si x= (x0, . . . , xn) et y= (y0, . . . , yn)Kn+1 \ {0}sont tel que π(x) = π(y)Pn(K) si, et
seulement s’il existe λKtel que pour tout i= 0, . . . , n,yi=λxi.
efinition 5. Si x= (x0, . . . , xn)Kn+1 \ {0}, on note [x0:. . . :xn]les coordonn´ees homo-
g`enes de π(x)Pn(K). Par d´efinition, pour tout λK,[x0:. . . :xn]=[λx0:. . . :λxn].
Pour tout i, notons Hi={(x0, . . . , xn)Kn+1, xi= 1}. C’est un hyperplan affine de direction
Hine passant pas par l’origine.
Si x= [x0:. . . :xn]P(E)\P(Hi), xi6= 0. Si on note ϕi:P(E)\P(Hi)→ Hila carte affine
associ´ee, elle s’´ecrit en coordonn´ees homog`enes ϕi([x0:. . . :xn]) = (x0
xi,...,xi1
xi,1,xi+1
xi,...,xn
xi).
Son inverse est ϕ1
i(x0, . . . , xi1,1, xi+1, . . . :xn) = [x0:. . . :xi1:1:xi+1 :. . . :xn].
Si i<j, et xP(E)\(P(Hi)P(Hj)), en coordonn´ees homog`enes, xi6= 0 et xj6= 0. Ainsi,
ϕi(P(E)\(P(Hi)P(Hj))) = Hi∩ {xj6= 0}=Ui,j est un ouvert de Kn.
L’application de changement de carte est donc ϕjϕ1
i:Ui,j ⊂ HiUj,i ⊂ Hjqui `a
(x0, . . . , xi1,1, xi+1, . . . , xn) avec xj6= 0 associe (y0, . . . , yj1,1, yj+1, . . . , yn) tel que [x0:. . . :
xi1:1:xi+1 :. . . :xn]=[y0:. . . :yj1:1:yj+1 :. . . :yn].
Ainsi, ϕjϕ1
i(x0, . . . , xi1,1, xi+1, . . . , xn) = ( x0
xj,..., xi
xj=1
xj,...,xj1
xj,1,xj+1
xj,...,xn
xj). Les
changements de carte sont donc des diff´eomorphismes analytiques.
La compacit´e est laiss´ee en exercice.
Exemples : Il faut deux cartes pour recouvrir P1(R) = {[x:y],(x, y)6= (0,0)}. La premi`ere
pour y6= 0 qui peut ˆetre param´etr´ee par x7→ [x: 1] et en bijection avec R. La deuxi`eme s’obtient
en ´echangeant les rˆoles de xet y. Pour obtenir tout P1(R) en partant de la premi`ere carte, il faut
rajouter le point [1 : 0] = , le point `a l’infini. On retrouve P1(R) = R∪ {∞}. On a le mˆeme
r´esultat pour P1(C) et bien sˆur de fa¸con g´en´erale P1(K) pour tout corps K.
De mˆeme, la bijection (x, y)7→ [x:y: 1] P2(R) permet d’identifier P2(R)\P1(R) avec
le plan affine r´eel. L’hyperplan projectif `a l’infini P1(R)P2(R) est l’ensemble des coordonn´ees
homog`enes de la forme [x:y: 0] avec (x, y)6= (0,0) : c’est la droite des points `a l’infini.
1.4 Rep`ere projectif.
Si (e0, . . . , en) est une base de E, on obtient par la projection π:E\ {0} → P(E) un (n+ 1)-
uplet (p0, . . . , pn) de points de P(E).
Si les coordonn´ees de xEdans la base (e0, . . . , en) sont (x0, . . . , xn), alors les coordonn´ees
homog`enes de π(x) associ´ees `a cette base sont [x0:. . . :xn]. Dans la d´efinition des coordonn´ees
homog`enes, on a donc besoin de la donn´ee d’une base de E. Mais en r´ealit´e, toute base de la
forme (λe0, . . . , λen) avec λKfournit le mˆeme syst`eme de coordonn´ees homog`enes. On voudrait
trouver un moyen plus intrins`eque de d´eterminer le syst`eme de coordonn´ees homog`enes sans revenir
aux vecteurs de E, mais en prenant directement des points de P(E).
Si l’on se donne (p0, . . . , pn) un (n+ 1)-uplet de points de P(E) tels que les (n+ 1) droites
π1(pi)∪ {0}engendrent Etout entier, cela ne suffit pas `a d´efinir les coordonn´ees homog`enes d’un
point de P(E). En effet, si pour tout i[[0, n]] on choisit un relev´e ei6= 0 de pi, ces (n+ 1)
4
vecteurs forment une base (e0, . . . , en) de Edont on pourrait se servir pour d´efinir des coordonn´ees
homog`enes. Mais pour tout (n+ 1)-uplet (λ0, . . . , λn)(K)n+1, (λ0e0, . . . , λnen) est encore une
base de Eet fournit des coordonn´ees homog`enes diff´erentes d`es que deux scalaires λisont distincts.
Pour r´esoudre ce probl`eme, il faut introduire un (n+ 2)-i`eme point pn+1 =π(e0+. . . +en). En
effet, si pour tout i[[0, n] ], λieiest un relev´e non nul de piet λ(e0+. . . +en) est un relev´e non
nul ´egalement de pn+1, alors λ(e0+. . . +en) = λ0e0+. . . +λnenet comme (e0, . . . , en) est une
base de E, pour tout i,λi=λet le syst`eme de coordonn´ees homog`enes ainsi d´efini par cet autre
choix de vecteurs est le mˆeme.
Ceci conduit donc `a la d´efinition suivante.
efinition 6. Un rep`ere projectif de P(E)est un syst`eme de (n+ 2) points (p0, . . . , pn, pn+1)
de P(E)tels qu’il existe une base (e0, . . . , en)de Eerifiant π(ei) = pipour tout i[[0, n]] et
π(e0+. . . +en) = pn+1.
Si (e0
0, . . . , e0
n) est une autre base de Ev´erifiant les conditions de la d´efinition, alors le raison-
nement pr´ec´edent montre qu’il existe λKtel que pour tout i[[0, n + 1]], e0
i=λei.
Ainsi, ´etant donn´e un rep`ere projectif (p0, . . . , pn+1) de P(E), les coordonn´ees homog`enes de
tout point pde P(E) sont uniquement d´etermin´ees. On les appelle les coordonn´ees projectives
de pdans le rep`ere (p0, . . . , pn+1).
1.5 Sous-espaces projectifs.
Soit Eun K-espace vectoriel. Rappelons que l’application Pde l’ensemble des sous-espaces
vectoriels de Edans l’ensemble des sous-espaces projectifs de P(E), qui `a Fassocie P(F) vu
comme un sous-espace de P(E), est une bijection. De plus, elle est compatible avec l’intersection :
si Fet Gsont deux sous-espaces vectoriels de E,P(FG) = P(F)P(G). Ainsi, l’intersection
d’une famille de sous-espaces projectifs de P(E) est encore un sous-espace projectif de P(E).
Si Sest une partie de P(E), il existe un plus petit sous-espace projectif contenant S: c’est
l’intersection de tous les sous-espaces projectifs de P(E) contenant S. Il est appel´e le sous-espace
projectif engendr´e par S, not´e P roj(S).
efinition 7. Des points p0, . . . , pkde P(E)sont dits projectivement ind´ependants si la di-
mension du sous-espace projectif P roj(p0, . . . , pk)est ´egale `a k.
Par exemple, deux points distincts sont projectivement ind´ependants, et d´efinissent une droite
projective. Trois points non align´es sont aussi projectivement ind´ependants et d´efinissent un plan
projectif. Etc...
Proposition 8. Un (n+ 2)-uplet (p0, . . . , pn+1)de points de P(E)forme un rep`ere projectif si,
et seulement si pour tout i[[0, n + 1]], les points p0, . . . , pi1, pi+1, . . . , pn+1 sont projectivement
ind´ependants.
D´emonstration.
Le sens direct est imm´ediat.
Pour la r´eciproque, soient e0, . . . , en+1 des vecteurs de E\ {0}relevant les points p0, . . . , pn+1.
Comme les points p0, . . . , pnsont projectivement ind´ependants, la famille (e0, . . . , en) forme une
base de E. Il existe donc (λ0, . . . , λn)Kn+1 tels que en+1 =λ0e0+. . . +λnen.
Pour tout i[[0, n]], la famille (e0, . . . , ei1, ei+1, . . . , en+1) est libre, donc λi6= 0. Ainsi, en
posant e0
i=λiei, ce sont des vecteurs non nuls tels que π(e0
i) = pi, et en+1 =e0
0+. . . +e0
n. La
famille (p0, . . . , pn+1) est donc bien un rep`ere projectif.
Proposition 9. Soient Vet Wdeux sous-espaces projectifs de P(E). Alors
dim(P roj(VW)) + dim(VW) = dim V+ dim W.
D´emonstration.
Il existe deux sous-espaces vectoriels Fet Gde Etels que V=P(F) et W=P(G). Alors
VW=P(FG) et P roj(VW) = P(F+G). Comme dim(F+G)+dim(FG) = dim F+dim G,
la formule reste vraie en projectif en retranchant 1 `a toutes les dimensions.
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