ACADEMY NEWS - ENTRETIEN AVEC DIDIER COURBET - OCTOBRE 2015
que l’on a sur la manière dont fonctionnent les
consommateurs sur le plan psychologique et
comportemental. C’est un domaine passionnant,
et ce malgré les hérésies scientiques que l’on
peut lire. Il existe également de véritables mythes
qui nuisent à sa réputation.
Quelles sont ses applications ?
Les applications du neurmarketing touchent
l’ensemble du secteur du marketing
opérationnel : la conception des produits, la
politique de prix, les stratégies de distribution
et de communication. Le neuromarketing
serait particulièrement utile pour connaître la
manière dont les consommateurs réagissent
aux communications des marques via les
nouvelles technologies de l’information et de la
communication (par exemple communication et
publicité digitales, serious game et advergame).
Récemment, dans une recherche expérimentale
utilisant un Eye-tracker de dernière génération-
une caméra d’enregistrement des mouvements
oculaires, nous avons notamment montré que
la publicité sur le web peut ne pas être vue
consciemment mais avoir un eet positif sur
les marques une semaine après, car les traces
restent inscrites dans un type de mémoire “
non consciente”, appelée mémoire implicite.
Cette mémoire fonctionne également dans le
cadre des publicités à la télévision. Dans une
autre recherche récente, nous sommes les
premiers à avoir montré que des publicités sur
le web à peine aperçues et aussitôt oubliées
donnaient tout de même une image favorable
aux marques trois mois après, alors que les
personnes ne s’en souviennent absolument
plus. Avec un de mes doctorants, nous nous
sommes aperçus que ce type d’inuence non
consciente fonctionnait aussi sur les enfants et
pré-adolescents.
Les techniques de neuromarketing s’appliquent
également aux domaines de la santé et de la
protection de l’environnement. Actuellement,
nous travaillons pour la santé publique. En
eet, l’objectif est de mettre les modèles des
sciences cognitives au service de la publicité
visant la lutte contre l’obésité. On sait que dans
les pays occidentaux, les gens ne cessent de
prendre du poids, ce qui pose et va poser des
problèmes de santé publique considérables-
augmentation des cas de cancers, de maladies
cardio-vasculaires, sans compter les problèmes
économiques qui vont avec. Face à l’inecacité
des campagnes de communication publiques
actuelles, il faudrait utiliser les avancées
scientiques les plus récentes en matière de
neurosciences et sciences cognitives pour tenter
d’enrayer cette épidémie.
Dans le domaine du développement durable,
nous avons également montré comment
des serious games digitaux sur web ou sur
applications mobiles pouvaient eectivement
permettre aux individus d’acquérir des
comportements « eco-friendly » et de
changer l’image des produits respectueux
de l’environnement. Aujourd’hui, on connaît
mieux sur les plans cognitifs les eets des
environnements immersifs et de la réalité
virtuelle sur le cerveau. On sait aujourd’hui
que cela permet aux individus de changer
leurs cognitions, de mémoriser les messages
importants et d’agir concrètement dans leur
quotidien.
Après trois ans de recherches, nous allons
pouvoir publier ces résultats dans deux revues
spécialisées de renommée internationale.
Où se trouvent ses limites et est-il
réglementé ?
Parmi l’ensemble des technologies utilisées en
neuromarketing, seule l’utilisation de l’IRM à
des ns commerciales est interdite en France.
Il n’y a pas d’autre réglementation spécique,
mais il est clair que le neuromarketing pose de
vraies questions éthiques liées à la manipulation.
C’est une question que j’aborde à chaque fois
dans mes articles de recherche et lors de mes
conférences : où s’arrête la persuasion, au sens
acceptable du terme ? Et où commence la
manipulation ? Les chercheurs proposent des
réponses mais celles-ci sont à adapter à chaque
cas particulier en fonction des valeurs que
chaque entreprise défend.
Comment voyez-vous son évolution ?
Ce thème fait l’objet de nombreux débats.
Il sut de voir les récentes couvertures des
magazines traitant de transhumanisme, de
“NBIC” ou d’homme augmenté. Une fois que
les passions se seront apaisées et que certains
mythes se seront atténués, il n’en restera une
évolution considérable des connaissances
scientiques sur la manière dont les gens
pensent, réagissent aectivement et agissent
dans la vraie vie.
A l’heure des objets connectés et des réseaux
sociaux géolocalisables, on est eectivement
à une étape décisive de l’évolution des
connaissances scientiques sur l’être humain
vivant en société, en interaction avec ces
technologies et les écrans. Les connaissances
sur la cognition et le cerveau mais aussi sur
les émotions humaines avancent à une vitesse
considérable. Nous autres chercheurs devons
les mettre à jour en permanence. Mais les
hommes de marketing et les communicants
peuvent d’ores et déjà utiliser certains nouveaux
modèles pour concevoir des stratégies plus
ecientes et mieux maîtrisées, par exemple les
nouveaux modèles de la mémoire implicite et
des automatismes cognitifs.
Le neuromarketing étant particulièrement
adapté aux contextes des technologies de
l’information et de la communication et des
médias-traditionnels comme nouveaux, tous
les secteurs des organisations, de l’économie,
du social ou de la santé, les utilisant de près ou
de loin, auront sans doute modié leurs outils
d’analyse des usagers et des consommateurs et
leurs stratégies. De même, les outils de mesure
d’ecacité des actions seront également anés
grâce au neuromarketing, via le développement
de techniques plus simples que celles que
nous avons dans nos laboratoires de recherche
actuellement et qui seront utilisables par tous
cadres dans les entreprises.
Mais utiliser de tels outils ne pourra être possible
sans une réexion éthique, c’est-à-dire sans se
raccrocher aux valeurs humanistes et sociales.
Cette réexion est essentielle et est dans l’intérêt
des entreprises et de la société elle-même.
© Speakers Academy®
+33 (0)1 53 45 10 62
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Didier Courbet est également co-auteur
de La télévision et ses inuences (INA,
Collection Média Recherches), ouvrage
qui traite des diérentes recherches
liées aux eets de la télévision sur les
téléspectateurs.