DIDIER COURBET SPÉCIALISTE DU NEUROMARKETING ACADEMY NEWS - ENTRETIEN AVEC DIDIER COURBET - OCTOBRE 2015 LE NEUROMARKETING VA-T-IL LIRE DANS NOS PENSEES ? Eye-tracking, publicité en ligne, connaissances sur le cerveau… Le neuromarketing est de plus en plus présent dans nos vies, sans que nous le sachions. Va-t-il lire un jour dans nos pensées ? Didier Courbet, spécialiste et chercheur, professeur à l’Université Aix-Marseille, nous explique ce qu’est le neuromarketing. Qu’est-ce que le neuromarketing ? Récemment apparu, le neuromarketing se fonde sur les théories et méthodes des neurosciences –c’est –à-dire les connaissances sur le cerveau acquises grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)...) et des sciences cognitives dans le but de mieux comprendre et d’influencer les comportements de consommation, d’achat ou, plus récemment encore, les comportements dans le cadre de la prévention en santé publique ou dans le développement durable. L’un des principaux domaines du neuromarketing concerne les influences des communications et de la publicité -digitale ou classique, plus particulièrement les influences non conscientes. Sur le plan opérationnel, de nombreuses publications présentent le neuromarketing comme étant capable de tirer des recommandations pratiques pour améliorer les stratégies de communication et de marketing. Le neuromarketing se fonde sur le principe suivant : « mieux on connaît le cerveau humain, mieux on peut influencer les comportements des individus », notamment à leur insu. L’utilisation des recherches scientifiques les plus récentes par les marketers et les publicitaires n’est pas nouvelle. Dans un article publié il y a dix ans, j’avais expliqué comment, depuis les années 1950, ils se sont régulièrement inspirés des recherches en psychologie expérimentale, psychologie sociale, psychanalyse ou sémiologie pour améliorer leurs stratégies. Mais l’usage récent des neurosciences et des sciences cognitives marque une avancée plus importante encore, en raison des technologies et méthodologies expérimentales très pointues qu’utilisent ces nouvelles disciplines sur le cerveau. D’où vient-il ? Le neuromarketing vient des Etats-Unis. Un des précurseurs serait Adam Koval, directeur de la société BrightHouse. Pour lui, “la recherche en neuromarketing donne un aperçu sans précédent de la pensée du consommateur. Les résultats seront une augmentation des ventes, une préférence pour certaines marques ou encore le fait d’obtenir que les consommateurs se comportent de la façon que l’on désire.” Si c’est sans doute un peu exagéré, le neuromarketing donne tout de même une nouvelle vision de l’être humain et permet notamment de remettre à jour les connaissances ACADEMY NEWS - ENTRETIEN AVEC DIDIER COURBET - OCTOBRE 2015 que l’on a sur la manière dont fonctionnent les consommateurs sur le plan psychologique et comportemental. C’est un domaine passionnant, et ce malgré les hérésies scientifiques que l’on peut lire. Il existe également de véritables mythes qui nuisent à sa réputation. Quelles sont ses applications ? Les applications du neurmarketing touchent l’ensemble du secteur du marketing opérationnel : la conception des produits, la politique de prix, les stratégies de distribution et de communication. Le neuromarketing serait particulièrement utile pour connaître la manière dont les consommateurs réagissent aux communications des marques via les nouvelles technologies de l’information et de la communication (par exemple communication et publicité digitales, serious game et advergame). Récemment, dans une recherche expérimentale utilisant un Eye-tracker de dernière générationune caméra d’enregistrement des mouvements oculaires, nous avons notamment montré que la publicité sur le web peut ne pas être vue consciemment mais avoir un effet positif sur les marques une semaine après, car les traces restent inscrites dans un type de mémoire “ non consciente”, appelée mémoire implicite. Cette mémoire fonctionne également dans le cadre des publicités à la télévision. Dans une autre recherche récente, nous sommes les premiers à avoir montré que des publicités sur le web à peine aperçues et aussitôt oubliées donnaient tout de même une image favorable aux marques trois mois après, alors que les personnes ne s’en souviennent absolument plus. Avec un de mes doctorants, nous nous sommes aperçus que ce type d’influence non consciente fonctionnait aussi sur les enfants et pré-adolescents. Les techniques de neuromarketing s’appliquent également aux domaines de la santé et de la protection de l’environnement. Actuellement, nous travaillons pour la santé publique. En effet, l’objectif est de mettre les modèles des sciences cognitives au service de la publicité visant la lutte contre l’obésité. On sait que dans les pays occidentaux, les gens ne cessent de prendre du poids, ce qui pose et va poser des problèmes de santé publique considérablesaugmentation des cas de cancers, de maladies cardio-vasculaires, sans compter les problèmes économiques qui vont avec. Face à l’inefficacité des campagnes de communication publiques actuelles, il faudrait utiliser les avancées scientifiques les plus récentes en matière de neurosciences et sciences cognitives pour tenter d’enrayer cette épidémie. Dans le domaine du développement durable, nous avons également montré comment des serious games digitaux sur web ou sur applications mobiles pouvaient effectivement permettre aux individus d’acquérir des comportements « eco-friendly » et de changer l’image des produits respectueux de l’environnement. Aujourd’hui, on connaît mieux sur les plans cognitifs les effets des environnements immersifs et de la réalité virtuelle sur le cerveau. On sait aujourd’hui que cela permet aux individus de changer leurs cognitions, de mémoriser les messages importants et d’agir concrètement dans leur quotidien. Après trois ans de recherches, nous allons pouvoir publier ces résultats dans deux revues spécialisées de renommée internationale. Où se trouvent ses limites et est-il réglementé ? Parmi l’ensemble des technologies utilisées en neuromarketing, seule l’utilisation de l’IRM à des fins commerciales est interdite en France. Il n’y a pas d’autre réglementation spécifique, mais il est clair que le neuromarketing pose de vraies questions éthiques liées à la manipulation. C’est une question que j’aborde à chaque fois dans mes articles de recherche et lors de mes conférences : où s’arrête la persuasion, au sens acceptable du terme ? Et où commence la manipulation ? Les chercheurs proposent des réponses mais celles-ci sont à adapter à chaque cas particulier en fonction des valeurs que chaque entreprise défend. Comment voyez-vous son évolution ? Ce thème fait l’objet de nombreux débats. Il suffit de voir les récentes couvertures des magazines traitant de transhumanisme, de “NBIC” ou d’homme augmenté. Une fois que les passions se seront apaisées et que certains mythes se seront atténués, il n’en restera une évolution considérable des connaissances scientifiques sur la manière dont les gens pensent, réagissent affectivement et agissent dans la vraie vie. de loin, auront sans doute modifié leurs outils d’analyse des usagers et des consommateurs et leurs stratégies. De même, les outils de mesure d’efficacité des actions seront également affinés grâce au neuromarketing, via le développement de techniques plus simples que celles que nous avons dans nos laboratoires de recherche actuellement et qui seront utilisables par tous cadres dans les entreprises. Mais utiliser de tels outils ne pourra être possible sans une réflexion éthique, c’est-à-dire sans se raccrocher aux valeurs humanistes et sociales. Cette réflexion est essentielle et est dans l’intérêt des entreprises et de la société elle-même. A l’heure des objets connectés et des réseaux sociaux géolocalisables, on est effectivement à une étape décisive de l’évolution des connaissances scientifiques sur l’être humain vivant en société, en interaction avec ces technologies et les écrans. Les connaissances sur la cognition et le cerveau mais aussi sur les émotions humaines avancent à une vitesse considérable. Nous autres chercheurs devons les mettre à jour en permanence. Mais les hommes de marketing et les communicants peuvent d’ores et déjà utiliser certains nouveaux modèles pour concevoir des stratégies plus efficientes et mieux maîtrisées, par exemple les nouveaux modèles de la mémoire implicite et des automatismes cognitifs. Didier Courbet est également co-auteur de La télévision et ses influences (INA, Collection Média Recherches), ouvrage qui traite des différentes recherches liées aux effets de la télévision sur les téléspectateurs. Le neuromarketing étant particulièrement adapté aux contextes des technologies de l’information et de la communication et des médias-traditionnels comme nouveaux, tous les secteurs des organisations, de l’économie, du social ou de la santé, les utilisant de près ou © Speakers Academy® +33 (0)1 53 45 10 62 [email protected]