Le neuromarketing fait le buzz. Après les États

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keting
marol
r ev ution
et demain ?
parole
d’expert
Petit abecedaire du
neuromarketing applique
aux etudes
Le neuromarketing fait le buzz. Après les États-Unis,
il débarque en Europe. Avec son lot de pourvoyeurs et de
détracteurs, il ne laisse pas le monde des études indifférent.
Quels en sont les véritables enjeux ?
Étienne
Bressoud,
directeur conseil
innovation et marketing
sciences, groupe BVA
©Photo : DR
L
es neurosciences ont progressé de manière
importante depuis le début des années
deux mille. Le neuromarketing n’est que l’arbre
qui cache la forêt des multiples applications
qui en découlent. Médecine, apprentissage,
justice, aide aux personnes atteintes d’un handicap,
les enjeux liés aux neurosciences sont majeurs pour les
sociétés contemporaines. Comme tout progrès scientifique,
il bouscule les habitudes et contient les germes de sa
contestation, qui passe notamment par les enjeux éthiques.
Les neurosciences proposent des outils de mesure du
système nerveux de plus en plus accessibles
pour suivre, entre autres, l’activité
cérébrale. Elles permettent notamment de
mesurer les émotions, conscientes et non
conscientes, en dépassant les limites d’un
recueil déclaratif par questionnaire. Or,
l’importance des émotions dans la prise de
décision est reconnue depuis de nombreuses
années. Elle est, plus récemment, mise
à l’honneur par le courant montant de la
pensée économique qu’est la “behavioral
economics” (économie comportementale),
Daniel Kahneman, prix Nobel, et Dan Ariely
(professeur de psychologie et d’économie)
en tête. Les marketeurs s’en inspirent :
ils tentent d’intégrer les émotions pour
mieux comprendre le comportement des
consommateurs.
La conjonction des besoins du marketing
pour une mesure émotionnelle et des
Décembre-Janvier 2013/ n° 163 /Marketing Magazine
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et demain ?
L’EDA (activité électrodermale) mesure la microtranspiration
par la conductance cutanée, au moyen de deux électrodes posées sur les doigts.
Une augmentation de la transpiration traduit un engagement émotionnel,
positif ou négatif.
évolutions des neurosciences mérite que soit
posée la question de l’association entre ces
deux univers.
expert ou un logiciel. À condition qu’ils soient
visibles (sourire, froncements de sourcils),
cette méthode permet de déterminer la nature
de l’émotion ressentie (joie, tristesse, etc.).
Les outils
du neuromarketing
Toute émotion ressentie provoque des réactions cérébrales et corporelles, conscientes
ou non. Et ce, via des afflux sanguins dans
certaines zones du cerveau, la transpiration,
les contractions musculaires, l’accélération du
rythme cardiaque ou, de manière plus visible,
les expressions du visage. Les mesures des
manifestations cérébrales sont dites centrales
tandis que celles de l’activité corporelle sont
qualifiées de périphériques.
Les valeurs issues de ces mesures ne sont pas
bonnes ou mauvaises en elles-mêmes. Elles
ne font qu’expliquer le phénomène observé.
•
Les mesures centrales appliquées au
marketing sont au nombre de deux.
– L’IRMf (imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle), ou scanner, permet de disposer
d’une cartographie détaillée du cerveau,
et donc des zones qui s’activent en cas
d’exposition à un stimulus, quel qu’il soit
(publicité, emballage, dégustation, etc.).
Certaines recherches suggèrent que chaque
zone du cerveau est attachée à une émotion
ou traduit une attention, une activation
des sens (olfactif, visuel…), une
mémorisation… Plusieurs travaux indiquent
néanmoins que de nombreux autres facteurs
doivent être pris en compte, comme
la séquence d’activation des zones
et leur simultanéité.
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Marketing Magazine/ n° 163 / Décembre-Janvier 2013
Neuromarketing contre
marketing du neurone
– L’EEG (électroencéphalographie), casque à
électrodes posé sur la tête, permet ­également
de mesurer l’activité cérébrale, mais de manière beaucoup plus superficielle. Une plus
forte activité du côté gauche ou droit du cerveau distinguerait les émotions positives des
émotions négatives, tandis que, de manière
plus consensuelle, l’activation des ondes
alpha et bêta fournit une mesure de l’attention
portée au stimulus.
• Les mesures périphériques sont plus
nombreuses. Seules les principales sont
présentées ici.
– L’EDA (Activité électrodermale) mesure
la microtranspiration par la conductance
cutanée, au moyen de deux électrodes
posées sur les doigts. Une augmentation
de la transpiration traduit un engagement
émotionnel, indépendamment de sa valence
(sens positif ou négatif de ce qui est ressenti).
– L’ECG (électrocardiogramme) mesure
le rythme cardiaque. Il est souvent
associé à des mesures de température
et de respiration. Il mesure l’engagement
émotionnel et sa valence, selon et les
techniques associées.
– L’EMGF (électromyographie faciale) mesure
les pré-tensions des muscles du visage à
l’aide d’électrodes. Selon les muscles activés,
– zygomatiques et / ou corrugateurs –, il
permet de déterminer la valence de l’émotion.
Sur le même principe, le décodage facial
analyse les mouvements du visage via un
Il existe deux enjeux associés au neuromarketing. Le premier est celui de la recherche
académique, le second celui des professionnels des études et du marketing. Pour
la recherche, le neuromarketing est utilisé
afin d’éclairer sous un nouveau jour l’impact du marketing mix et le comportement
du consommateur. Cela va plus loin pour
les professionnels, qui souhaitent pouvoir
mesurer l’émotion ou l’attention portée à un
stimulus donné : publicité, concept, packaging, dégustation… De nombreuses publications scientifiques permettent d’établir que le
neuromarketing apporte des connaissances
supplémentaires sur les effets du marketing
mix et le comportement des consommateurs.
Du côté des pratiques professionnelles, le
neuromarketing tient-il ses promesses ? Tout
dépend de celles qui ont été faites.
Avoir un regard critique sur ce que peut ou ne
peut pas réaliser le neuromarketing, en l’état
des connaissances actuelles, est indispensable pour qui souhaite l’utiliser. Le mythe du
bouton d’achat, véhiculé par certains professionnels, est dévastateur. Non, il n’y a pas de
zone qui s’allume dans votre cerveau lorsque
vous achetez un téléphone portable. Oui, une
émotion positive vous attirera plus vers une
tablette de chocolat. L’achèterez-vous pour
autant ? De même, un stimulus doit susciter
l’attention. Mais que signifie une forte attention sur un emballage ? Un intérêt ou une
mauvaise compréhension ?
Le neuromarketing permet d’observer les
émotions et l’attention, c’est indéniable.
Mais seules, ces mesures restent difficiles à
interpréter. En revanche, associées aux traditionnelles méthodologies d’études, elles
apportent un réel complément d’information. Par exemple, en démontrant que malgré l’émotion positive suscitée par la publicité, la m
­ émorisation de la campagne n’est
©Photos : DR
Petit abécédaire
du neuromarketing
applique aux Études
L’EEG mesure
l’activité cérébrale,
notamment
l’attention portée
à un stimulus.
pas à la hauteur des attentes. Ou encore : le
pack s­ uscite de l’attention et le questionnaire
montre clairement que le bénéfice produit
n’est pas compris.
• Un regard éthique
Au-delà de l’information apportée par les
outils neuroscientifiques, les questions
d’éthique sont primordiales. Éthique
professionnelle, liée à l’opportunité d’utiliser
ces outils pour certaines problématiques.
Tant dans la finalité de l’objet de la recherche
que dans la légitimité de l’outil utilisé. Est-il
acceptable de mobiliser des IRM pour des
études marketing, alors que l’attente pour
passer une IRM médicale est de 30 jours ? De
même, le rapport coût / bénéfice, qui arbitre
entre le risque pour la santé des participants
et les enseignements attendus de la
recherche, est-il toujours favorable ?
Éthique sociétale, dès lors que les neurosciences donnent accès à des informations que le participant n’a pas envie ou pas
conscience de partager. Que ces informations
soient en rapport ou non avec l’étude réalisée,
comme la santé du participant. La protection
des données privées est ici en jeu. Enfin, le
neuromarketing pose la question du librearbitre de l’individu : le consommateur est-il
maître de ses décisions ou influençable ? En
France, le législateur a commencé à s’emparer du sujet : “Les techniques d’imagerie
cérébrale ne peuvent être employées qu’à des
fins médicales ou de recherche scientifique,
ou dans le cadre d’expertises judiciaires” (Loi
n°2011-814 du 7 juillet 2011 - article 45). Elles
sont autorisées dans le reste de l’Europe. Leur
utilisation peut cependant poser des cas de
conscience. Par exemple, si une tumeur cérébrale est détectée au cours d’une IRM réalisée pour tester une publicité.
Les mesures périphériques sont moins
polémiques, car “elles ne lisent pas dans
le cerveau”. Ce que ne font pas non plus les
mesures centrales, mais cela est sujet à
controverse. De plus, alors que l’imagerie
cérébrale n’en est qu’à ses débuts, les données
qu’elle propose sont souvent soumises à
une interprétation. Les neuroscientifiques
admettent humblement qu’ils sont encore
loin d’avoir percé les mystères du cerveau,
mais qu’ils progressent.
Finalement, le domaine où cette discipline
est le plus facilement accepté est celui de la
prévention et de la santé publique. En aidant à
identifier les mesures les plus appropriées pour
inciter les automobilistes à conduire prudemment et les jeunes à ne jamais commencer à
fumer, le neuromarketing rendrait service à la
collectivité.
Au final, on peut donc affirmer que le neuromarketing est utile. Par sa capacité à mesurer
les émotions et l’attention, il peut apporter un
complément d’information qui aide à affiner
la décision marketing. Mais pour le mettre en
œuvre, certaines précautions sont à prendre.
Un outil parmi d’autres
Pour ne citer qu’eux, l’Esomar (European society for opinion and market research) et l’ARF
(Advertising research foundation), suivies par
nombre de professionnels, recommandent de
l’utiliser en complément d’études classiques,
mais jamais seul. Le neuromarketing mesure
une réaction que seule l’étude traditionnelle
peut expliquer, grâce à un profil d’image, par
exemple. Les mesures fiables de l’émotion
et de l’attention sont connues. Elles ont fait
l’objet d’articles scientifiques publics. Il ne
faut pas hésiter à s’y référer pour comprendre
les mesures qui sont proposées. Enfin, il faut
s’assurer de la compétence et du sérieux du
prestataire. Des organisations peuvent y aider,
et il ne faut pas hésiter à s’en rapprocher pour
en savoir plus. Au niveau international, l’Esomar et la NMSBA (Neuromarketing science &
business association) ont édité des documents
utiles et accessibles. En France, l’Adetem a créé
un club Neurosciences et marketing, qui propose de réfléchir et d’échanger sur le sujet. n
Le neuromarketing tient-il
ses promesses ? Tout dépend
de celles qui ont été faites.
Étienne Bressoud,
directeur conseil innovation et marketing
sciences, groupe BVA
Décembre-Janvier 2013/ n° 163 /Marketing Magazine
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