Neuromarketing : Un pavé dans la mare ! Une technique inavouable de manipulation? Le moyen de pousser le consommateur à l’achat sans même éveiller sa conscience ? Le neuromarketing questionne et intimide au point d’être présenté par certains médias comme l’un des grands tabous du début du XXIème siècle. Mais qu’en est-il vraiment de cette approche qui, de par son préfixe « neuro », suffit à faire du marketing une discipline obscure et inquiétante ? Le marketing invite sans cesse le consommateur à repenser sa perception de l’offre sur le marché. Notre consommation ne relève plus seulement de la simple satisfaction utilitaire mais nous invite plutôt à une véritable expérience hédonique. Ce qui séduit chez Ikea par exemple, ce n’est pas la gamme de fauteuils en cuir ou les multiples bibelots de salle de bain en tant que tel, mais leur théâtralisation sur le point de vente. L’univers ainsi créé par le merchandising des produits aide le consommateur à se projeter, à s’imaginer au coin du feu dans une ambiance cocoon et rassurante. Le marketing désormais, c’est ça. Susciter des émotions lors de l’expérience de consommation afin d’amener le consommateur à visiter, toucher, tester et… acheter ! Les émotions induites par l’expérience de consommation (par exemple, les facteurs d’ambiance tels que la musique, les odeurs, les couleurs…) jouent un rôle important dans la décision d’achat. Cette expérience affective, subjective, détermine en grande partie notre attirance vis-à-vis des marques. Par conséquent, l’émotion devient un enjeu de taille pour les spécialistes du marketing qui tentent de les comprendre, de les mesurer et de les utiliser dans leur stratégie. "La plupart de nos décisions d’achat reposent sur des processus inconscients." De nombreux médias répètent à l’envie que plus de 85% de la décision d’achat se joue au niveau de l’inconscient. Le neuromarketing consiste donc à proposer des solutions permettant d’explorer ces processus afin de pousser le consommateur à l’achat sans qu’il ait forcément conscience des raisons de son choix. Dès lors, imaginons que grâce au neuromarketing, les entreprises réussissent à contrôler nos émotions et à stimuler le fameux ‘’bouton achat’’ dans notre cerveau. Il ne resterait plus alors qu’à actionner ces leviers pour nous enlever tout pouvoir de décision. Ce scénario catastrophe met en lumière la question éthique du neuromarketing. Jusqu’où les grandes marques peuvent-elles aller dans la manipulation de notre libre-arbitre ? Rappelons-le, les études d’imagerie cérébrale sont avant tout destinées à des fins médicales. Le malaise qui entoure l’utilisation de tels dispositifs dans le domaine marchand ne fait que souligner son caractère critiquable. Sinon, pourquoi ne pas communiquer de manière totalement transparente sur les méthodes utilisées ? "La peur engendrée par le neuromarketing est entretenue par les médias." Les craintes et les espoirs suscités par le neuromarketing mettent également en lumière l’absence de culture neuroscientifique chez les consommateurs et les entreprises. Les médias l’ont bien compris et surfent sur les fantasmes véhiculés par le cerveau pour attirer l’attention des lecteurs/consommateurs. Il suffit pour s’en convaincre de lire les titres d’article sur le sujet : « A grands coups d’IRM, les multinationales ont pénétré votre cerveau » (Gentside.com), « Ce nouveau marketing entre directement dans le cerveau » (Quoi.Info), « Certaines applications des neurosciences, mal utilisées, pourraient porter un nouveau coup aux libertés individuelles » (Télérama). Finalement, est-il possible de nuancer ces propos ? Bien que le neuromarketing offre de nouvelles techniques d’observation des émotions, il demeure par la suite difficile de les manipuler à des fins commerciales. Elles ne représentent en aucun cas un « bouton » qui pourrait nous pousser à acheter un produit indépendamment de notre volonté. L’émotion n’est pas un état fixe mais un processus dynamique qui nous aide à prendre la bonne décision en évaluant nos options en permanence. Dès lors, et même si nous sommes attirés par une offre au premier contact, nous ne perdons pas pour autant notre capacité de jugement et donc la possibilité de reporter ou d’annuler notre achat. Le neuromarketing ne permet donc pas d’exercer une prise de contrôle sur le cerveau humain, à son insu. "Les neurosciences n’étant pas encore totalement au point, comment le neuromarketing pourrait-il l’être ?" Le neuromarketing repose sur les théories et les méthodes neuroscientifiques pour étudier le comportement du consommateur. Cependant, les connaissances en neurosciences demeurent partielles et en perpétuelle évolution. Dès lors, le neuromarketing ne peut pas prétendre apporter des réponses définitives aux problématiques marketing. Prenons l’exemple de l’IRM (Imagerie par Résonnance Magnétique). Cette technique permet de détecter les zones cérébrales sollicitées avec une précision spatiale importante mais avec une précision temporelle faible (il faut en moyenne six secondes pour scanner l’ensemble de l’encéphale, tandis qu’une réponse émotionnelle se mesure en milliseconde). Par conséquent, il paraît difficile de « scanner » une émotion par nature rapide et éphémère pour ensuite s’en servir dans l’opérationnalisation de la stratégie marketing. Par ailleurs, une société qui souhaiterait utiliser un IRM serait obligée de faire appel à un prestataire externe basé à l’étranger, sans garantie de résultats. Si l’on tient compte du risque financier et du risque en termes d’image pour l’entreprise, le coût d’une étude de neuromarketing devient très élevé ! Se pose alors la question de la rentabilité. Les experts en marketing n’ont pas forcément besoin de techniques d’imageries de pointes pour agir sur les attitudes des consommateurs. En effet, certaines réactions s’expliquent tout simplement par des théories psychologiques connues et facilement mesurables à l’aide d’un questionnaire classique. Pas besoin d’imagerie cérébrale pour observer l’effet d’un décolleté dans une publicité sur le nombre d’inscriptions d’un jeu en ligne… Si le neuromarketing permet d’expliquer – difficilement – pourquoi ce type de publicité fonctionne, nul besoin pour autant d’une telle méthode pour anticiper le résultat ! "Le neuromarketing est un outil de plus du marketing." Bien que le neuromarketing permette d’étudier la « boite noire » que représente le cerveau du consommateur, il n’en demeure pas moins un outil de plus dans un champ – le marketing – qui a depuis longtemps pris l’habitude de se renouveler auprès d’autres disciplines. Et si aujourd’hui l’utilisation du neuromarketing est difficilement assumée par les entreprises, Olivier Oullier1 l’affirme, « il prouvera son succès le jour où nous n’en parlerons plus. ». 1 Olivier Oullier est professeur à Aix-Marseille Université où il enseigne la psychologie, les neurosciences et les systèmes complexes (www.cnrs.fr)