Correspondances en médecine - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2002
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LA PAGE DE L’ALGOLOGIE
a persistance d’une brèche dure-
mérienne est un événement relative-
ment courant dès lors que l’on aborde
la dure-mère avec une aiguille, que cet abord
soit accidentel ou volontaire. Les causes en
sont multiples et ont fait l’objet d’une abon-
dante littérature qui a progressivement, au fil
des années, contribué à réduire l’incidence des
céphalées qui en résultent. La survenue de
céphalées, après ponction dure-mérienne,
représente une morbidité sévère, et une prise
en charge codifiée et sans délai s’impose. Le
contexte de survenue est variable et, si l’inci-
dence des brèches a sans doute diminué en
pratique anesthésique (grâce à la prévention)
et radiologique (en raison de la rareté des myé-
lographies depuis l’apparition de l’IRM), elle a
vu au contraire sa fréquence augmenter en pra-
tique rhumatologique et même neurologique.
Si l’abstention thérapeutique mérite d’être dis-
cutée, le traitement définitif des céphalées
et/ou des troubles associés repose toujours
sur la réalisation d’un blood patch (BP), ou
injection péridurale de sang autologue, dont
l’efficacité n’a, jusqu’à présent, pas été sup-
plantée par les multiples autres propositions
formulées. La réalisation d’un BP est simple,
mais reste mal codifiée. Cette technique a peu
varié depuis la description princeps de
DiGiovanni et Dunbar, en 1970. Il s’agit d’une
injection péridurale de sang autologue, parfois
désignée sous le terme de colmatage péri-
dural, effectuée dans des conditions strictes
d’asepsie après repérage de l’espace péridural
selon les techniques habituelles de recherche
de la perte de résistance.
Q
UEL DÉLAI RESPECTER
AVANT DE PRATIQUER UN BLOOD PATCH
?
La réalisation précoce du BP dans les 24 heures
suivant une ponction durale serait grevée,
d’après d’anciens travaux, d’un fort taux
d’échecs. En effet, dans un travail rétrospectif
et non contrôlé, les patients recevaient tous un
BP de 10 ml : le taux d’échec rapporté était
de 71 % lorsque le patch était fait dans les
24 heures versus 4 % seulement lorsqu’il
l’était au-delà du délai de 24 heures. Ce travail
rétrospectif et non contrôlé souffre en réalité de
nombreux biais : brèches réalisées avec des
aiguilles de petit calibre uniquement dans le
groupe tardif ; volume fixe du BP, durée de suivi
non précisée… De plus, les BP tardifs sont effec-
tués dans des délais très variables, alors même
qu’il est consensuellement admis que l’histoire
naturelle des céphalées est à la résolution
spontanée. Il n’y a donc, en réalité, aucun argu-
ment validé pour retarder un BP face à des
céphalées invalidantes et n’ayant aucune
tendance spontanée à la résolution. Le délai de
24 heures reste toutefois raisonnable s’il est
employé à affirmer l’étiologie des céphalées.
À
QUEL NIVEAU FAUT
-
IL INJECTER
?
Lorsque la ponction durale est récente et que le
point de pénétration cutané est toujours visible
et/ou lorsque l’étage intervertébral de ponction
est connu, il est de bonne règle de pratiquer le
BP au même niveau, voire au-dessous du
niveau de la brèche. Lorsque de multiples
ponctions ou tentatives de ponction ont eu
Céphalées positionnelles
après anesthésie ou
infiltration péridurale,
rachianesthésie ou ponction
lombaire : que faire ?
E. Viel, G. Aya
L
* Centre d’évaluation et de traitement de la
douleur, département d’anesthésie-douleur,
centre hospitalier universitaire,
30029 Nîmes Cedex.
Correspondances en médecine - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2002
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lieu, il est de même préférable d’injecter le sang
au niveau ponctionné le plus inférieur.
Q
UEL VOLUME FAUT
-
IL INJECTER
?
La littérature ne renferme aucune recommanda-
tion tranchée sur ce point, les volumes propo-
sés allant de 2-3 ml à 20 ml selon les auteurs et
les périodes. Cette donnée paraît difficile à sys-
tématiser, raison pour laquelle certains avaient
rapporté des taux d’échec élevés (30 %), avec
des volumes de 6 à 15 ml et de 4 % seulement,
avec 20 ml. C’est ainsi que ce volume arbitraire
de 20 ml est devenu progressivement le
volume. En pratique, la majorité des praticiens
a adopté le fait de pousuivre l’injection sans
règle absolue de volume jusqu’à ce que le
patient signale une sensation de tension dou-
loureuse au niveau lombaire.
Q
UELLE DURÉE DE DÉCUBITUS OBSERVER
APRÈS UN BLOOD PATCH
?
Une réponse plus tranchée paraît possible en
référence au travail de Martin et al., paru en
1996. Chez des patients ayant reçu un BP de
12 ml, le taux de céphalées résiduelles est de
40 % après décubitus dorsal pendant 30 mi-
nutes, de 20 % après une heure et de 0 % après
deux heures. La durée de 2 heures est donc la
règle puisqu’elle améliore l’efficacité de la tech-
nique.
B
LOOD PATCH CURATIF
Le BP est indiqué face à toute survenue de
céphalées à la suite d’une ponction volontaire
ou accidentelle de la dure-mère. Pour les uns,
compte de la tendance spontanément résolu-
tive à la résolution (72 % d’entre elles durent
moins de 7 jours et 53 % moins de 4 jours), il
est “urgent d’attendre” en rassurant le malade
par une information claire et loyale. Pour
d’autres, il est “urgent d’agir” dans la mesure
où le caractère parfois invalidant des cépha-
lées, confinant le patient à un décubitus “salva-
teur” quasi permanent, n’a pas lieu d’être
toléré dans la mesure où le traitement curatif et
son efficacité remarquable sont connus. Le
débat n’est pas tranché et l’on peut se conten-
ter d’un moyen terme pragmatique en se don-
nant un délai de 36 à 48 heures pour observer
l’éventualité d’une amélioration spontanée,
attitude souvent bien accueillie par des
malades peu enclins à refaire l’expérience
d’une nouvelle “piqûre dans le dos”. Ce délai
correspond à la pratique de la majorité des
anesthésistes français exerçant en obstétrique
d’après une enquête de 1999. Le BP est égale-
ment réalisable chez l’enfant qui, habituelle-
ment, est moins exposé à la survenue de cépha-
lées après ponction durale.
Le BP paraît également une bonne indication
face à des signes auditifs ou visuels isolés
après brèche durale, en l’absence de céphalées
typiques, après avoir éliminé d’autres étiolo-
gies. De même, la réalisation d’un blood patch
a été efficace dans le traitement de céphalées
chroniques de cause indéterminée et dans le
cadre de syndrome d’aliquorrhée congénitale.
Enfin, de manière tout aussi anecdotique, l’effi-
cacité du BP a été rapportée pour traiter des
céphalées en rapport avec une fistule duro-
cutanée de LCR d’origine spontanée, chirurgi-
cale, voire même en présence d’un cathéter
intrathécal.
B
LOOD PATCH TARDIF
Le diagnostic tardif d’une céphalée postponc-
tion durale est une réalité encore actuelle et
arrive parfois dans les consultations et centres
de la douleur des patients dont les céphalées
chroniques, pourtant positionnelles, n’ont
jamais été rattachées à une anesthésie médul-
laire, une ponction lombaire diagnostique ou
encore une infiltration péridurale pour lombos-
ciatalgie, pratiquées des mois voire des années
auparavant. Il est parfaitement licite de propo-
ser un BP, dont l’efficacité a été rapportée six
mois, sept mois, un an et même deux ans après
le geste initial et le début des céphalées : il
n’est jamais trop tard !
B
LOOD PATCH PRÉVENTIF
L’intérêt en est plus controversé. Seuls 14 %
des anesthésistes français exerçant en obsté-
trique ont répondu pratiquer le blood patch
préventif. La question est posée lors d’une
ponction durale accidentelle avec une aiguille
de gros calibre, comme une aiguille péridurale
de Tuohy. À coté de l’administration péridurale
préventive de sérum salé, dont l’efficacité a été
démontrée en post-partum, et de la mise en
place d’un cathéter sous-arachnoïdien à travers
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LA PAGE DE L’ALGOLOGIE
la brèche, dont l’inefficacité a été démontrée,
l’injection préventive de sang autologue paraît
avoir un intérêt non négligeable. Deux études
prospectives ont montré une réduction signifi-
cative de l’incidence des céphalées lorsqu’un
BP préventif était réalisé à travers même le
cathéter péridural chez des parturientes ayant
eu une brèche durale accidentelle par l’aiguille
de Tuohy. Un rapport récent met en garde
contre les biais des études précédentes
(absence de randomisation) et le risque poten-
tiel de survenue d’un déficit neurologique.
C
ONTRE
-
INDICATIONS
Elles sont rares et relèvent soit d’une contre-
indication habituelle à l’abord péridural, soit
d’une contre-indication à l’injection de sang
autologue. Le refus du patient, qui doit avoir
reçu une information adaptée, claire et loyale
sur le BP, est une contre-indication formelle.
Parmi les contre-indications à l’abord péridural
se trouvent les troubles de l’hémostase et le
sepsis. Ce dernier point repose sur la crainte
d’injecter du sang infecté dans l’espace péridural
et donc sur le risque d’abcès. Par extension, se
pose légitimement la question de l’opportunité
de réaliser un BP chez un patient fébrile,
puisque la fièvre peut être l’expression d’une
bactériémie. Malgré l’absence de données cli-
niques, il paraît légitime de prôner l’abstention
afin de ne pas risquer l’ensemencement
méningé et d’opter pour une autre thérapeu-
tique. De même, aucune donnée ne permet,
pour l’heure, d’écarter les patients séropositifs
du bénéfice d’un BP. Il est également important,
avant de réaliser un BP, d’éliminer les princi-
paux diagnostics différentiels que sont la
thrombose des veines corticales et une ménin-
gite. Au moindre doute, il faut avoir recours à
l’imagerie médicale encéphalique et/ou lom-
baire afin d’affirmer le diagnostic.
L
ES ALTERNATIVES
Le BP est le seul traitement, parmi les multiples
propositions thérapeutiques, à avoir fait la
preuve de son efficacité constante et durable
dans les céphalées à caractère positionnel.
Dans une enquête menée auprès des anesthé-
sistes des maternités françaises, le BP est le
traitement de référence pour 92 % des prati-
ciens. Des alternatives à l’injection de sang
existent, consistant à injecter d’autres solu-
tions, cristalloïdes ou colloïdes, permettant de
créer une contre-pression à la fuite de LCR. Avec
les cristalloïdes, les volumes perfusés sont éle-
vés, atteignant 750 à 1 000 ml (10 à 30 ml/heure).
La perfusion de cristalloïdes semble grevée
d’un taux de récidive plus élevé. Il paraît donc
raisonnable de réserver ces deux alternatives
aux contre-indications à l’injection péridurale
de sang, voire à l’échec du BP conventionnel.
R
ÉSULTATS SUR LES CÉPHALÉES
POSTPONCTION DURALE
Toutes les études rapportent un taux de succès
entre 95 et 98 %.
R
ÉSULTATS SUR LES AUTRES COMPLICATIONS
DE LA PONCTION DURALE
Les céphalées positionnelles sont inconstam-
ment accompagnées d’autres signes cliniques
en rapport avec l’hypotension du LCR : signes
visuels (flou visuel, phosphènes, baisse de
l’acuité visuelle), signes auditifs (hypoacousie,
acouphènes), vertiges (en rapport avec une
hypotension de l’endolymphe), dont l’évolution
est parallèle à celle des céphalées. Comme les
céphalées, ces signes ont habituellement un
caractère positionnel marqué. À l’inverse, on
retrouve parfois des signes évocateurs d’une
hypertension intracrânienne, comme des nau-
sées et des vomissements, en rapport avec la
vasodilatation méningée. Dans les rares cas où
ces signes dominent le tableau clinique, le BP
semble également efficace, comme dans l’hypo-
acousie sans céphalées après rachianesthésie.
Chez des patients souffrant de céphalées posi-
tionnelles, une audiométrie a été réalisée avant
et une heure après BP, et a montré une amélio-
ration de l’audition chez 12 patients sur 16.
Q
UE FAIRE FACE À L
ÉCHEC
D
UN BLOOD PATCH
?
Le patient doit toujours être préalablement
averti de la possibilité d’échec et de la néces-
sité parfois de répéter le geste. En effet, en cas
de récidive des céphalées, la réalisation d’un
nouveau BP amène la guérison dans 95 % des
cas. D’autres préfèrent la mise en place d’un
cathéter péridural, suivie de l’administration
Correspondances en médecine - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2002
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continue de sérum salé pendant une durée de
48 à 72 heures.
L
ES COMPLICATIONS
Elles sont rares et bénignes : dorsalgies et
paresthésies lors de l’injection, hyperthermie
modérée transitoire, lombalgies cédant en 24 à
48 heures. Une irritation méningée transitoire
(< 24 heures) a été rapportée, simulant une
méningite aseptique. Un cas exceptionnel mais
gravissime d’hématome sous-dural après BP a
été rapporté.
En conclusion, les céphalées restent une com-
plication non exceptionnelle après brèche dure-
mérienne. Le médecin omnipraticien peut se
trouver relativement démuni face à une sympto-
matologie à caractère positionnel, et il importe
alors de creuser l’anamnèse à la recherche
d’une brèche dure-mérienne, parfois ancienne,
dont les circonstances de survenue les plus fré-
quentes sont l’analgésie obstétricale et les
infiltrations épidurales pratiquées par nos
confrères rhumatologues pour traiter des lom-
balgies ou des lombo-sciatalgies. Il importe,
dès que ce diagnostic est évoqué, de prendre
contact avec l’anesthésiste ou le rhumatologue,
ou encore le neurologue, afin de confirmer cette
possibilité. Le recours à un centre ou à une
consultation de la douleur est une autre possi-
bilité qui permettra au patient de bénéficier
rapidement d’un blood patch péridural et du
soulagement escompté.
POUR EN SAVOIR PLUS...
– Colonna-Romano P, Shapiro BE. Unintentional dural
puncture and prophylactic epidural blood patch in obste-
trics. Anesth Analg 1989 ; 69 : 522-3.
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veness of epidural blood patch in the management of post-
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334-9.
– Serpell MG, Rawal N. Headaches after diagnostic dural
punctures. Br Med J 2000 ; 321 : 973-4.
– Société française d’anesthésie et de réanimation.
Conférence d’experts “Complications des brèches durales
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– Souron V, Simon L, Hamza J. Brèches dure-mériennes
au cours de l’analgésie péridurale du travail : prise en
charge par les anesthésistes français en 1997. Ann Fr
Anesth Réanim 1999 ; 18 : 941-8.
– Vasdev GM, Southern PA. Postdural puncture headache :
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– Viel E, Eledjam J-J. Les céphalées post-ponction lom-
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– Viel E, Aya AG, Ripart J, Eledjam J-J. La rachianes-
thésie : problèmes actuels : Blood patch : techniques,
indications, résultats. In : Évaluation et traitement de
la douleur. Conférences d’Actualisation 2001, Société
française d’anesthésie réanimation ed, Elsevier :
Paris, 2001 : 53-63.
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