Céphalées positionnelles Céphalées par hypotension intracrânienne idiopathique Une cause méconnue de céphalées Alice Le Bayon*, Jacques Ripart**, Pierre Labauge* L es céphalées, classées en 1988 suivant les critères de l’International Headache Society (1), constituent un motif fréquent de consultation neurologique. Les céphalées par hypotension intracrânienne sont définies par l’apparition ou par l’aggravation de céphalées lors de l’orthostatisme. Mots-clés : Céphalées - Hypotension - Blood patch. Elles doivent survenir ou se majorer moins de 15 minutes après la mise en orthostatisme, et disparaître ou diminuer moins de 30 minutes après la reprise du décubitus (1). Le délai moyen de survenue de la céphalée lors du passage à l’orthostatisme est estimé à 20 secondes (extrêmes : 0-15 minutes). L’intensité en est inversement proportionnelle à la latence d’installation. Les céphalées sont le plus souvent diffuses, mais elles peuvent cependant être localisées au niveau des régions frontales ou occipitales (2). Elles sont aggravées par certaines circonstances (changements de position de la tête, effort de toux, éternuement, compression des veines jugulaires). D’autres symptômes fonctionnels peuvent être associés : nausées, vomissements, photophobie, douleurs interscapulaires, cervicalgies, malaises mal expliqués, amputation du champ visuel (3), surdité ou vertiges (atteintes du VII), atteinte de l’oculomotricité (parésie du VI). Une dis* Service de neurologie et ** Département d’anesthésie-douleur, CHU de Montpellier-Nîmes, groupe hospitalo-universitaire Caremeau, Nîmes. crète raideur méningée ou une bradycardie ont été plus rarement rapportées. L’examen clinique est généralement normal. La fréquence des céphalées par hypotension intracrânienne est inconnue, mais elles sont cependant de plus en plus fréquemment rapportées dans la littérature (4, 5). Leur diagnostic, qui repose essentiellement sur l’interrogatoire, n’est probablement pas porté dans un certain nombre de cas. Certains examens complémentaires peuvent y aider. La pression d’ouverture du LCR est diminuée (< 70 mm H2O), voire nulle. Elle peut être normale si la ponction lombaire est réalisée après une période prolongée de décubitus. Celle-ci ne doit pas être systématiquement réalisée et doit être réservée aux cas douteux ou, le cas échéant, effectuée lors de la réalisation de la gamma-cisternographie. La composition du liquide céphalorachidien est le plus souvent normale, tandis qu’une hyperprotéinorachie et une léiocytose modérées sont rarement rencontrées. Les examens neuroradiologiques (scanner cérébral et IRM) ont pour objectif d’éliminer une lésion expansive intracrânienne et une thrombophlébite cérébrale. Certains aspects radiologiques sont de plus en plus souvent reconnus et aident à confirmer le diagnostic : diminution de la taille des ventricules cérébraux, descente des amygdales cérébelleuses dans le trou occipital, diminution de la taille des citernes de la base et des citernes prépontique et périchiasmatique, rehaussement des espaces sous-arachnoïdiens par l’injection de gadolinium (6-9), rehaussement de l’hypophyse par le produit de contraste, ce dernier aspect pouvant parfois simuler une tumeur (10, 11). Classiquement, l’espace épidural est respecté. L’aspect de rehaussement des espaces sous-arachnoïdiens n’est pas spécifique et, en dehors d’un contexte clinique évocateur, doit faire rechercher une méningite, cancéreuse ou infectieuse. Une cause évidente est le plus souvent retrouvée à l’interrogatoire (antécédent de ponction lombaire ou de rachianesthésie, incident lors de la pose d’une anesthésie péridurale, chirurgie rachidienne, traumatismes crâniens ou rachidiens, valves de dérivation, tumeur pituitaire entraînant une fuite de LCR dans le pharynx). Une exploration de la moelle cervico-dorsale par IRM est nécessaire, à la recherche d’une brèche dure-mérienne. Exceptionnellement, des affections générales peuvent entraîner une hypotension intracrânienne (déshydratation, insuffisance rénale, perfusion de soluté hypertonique, etc.). En l’absence d’étiologie, le diagnostic d’hypotension intracrânienne idiopathique est retenu, affection dont la physiopathologie reste mal connue. La cinétique du Le Courrier de l’algologie (2), no 4, octobre/novembre/décembre 2003 Mise au point Mise au point 125 Mise au point Mise au point LCR est habituellement incriminée : diminution de production, augmentation de résorption, fuite de LCR par le biais de brèches dure-mériennes microscopiques. Une élimination excessive du LCR a pu être mise en évidence au niveau rénal par traceur radioactif (gamma-cisternographie) (12, 13). Il a été également mis en évidence une dilatation des veines épidurales cervicales (14). La symptomatologie douloureuse est expliquée par la traction des vaisseaux cérébraux et de la dure-mère lors du passage en orthostatisme. Une vasodilatation veineuse secondaire pourrait également contribuer à l’aggravation des céphalées. Le traitement symptomatique, souvent peu ou non efficace, fait classiquement appel au décubitus, à la prescription d’antalgiques, voire à une corticothérapie de brève durée. En fait, seul un traitement par caféine à fortes doses, par voie orale ou injectable (15, 16), a démontré une efficacité transitoire. Le traitement repose en fait sur le blood patch dural, qui doit être réalisé précocement : il consiste en une injection épidurale de 10 à 20 mL de sang autologue, parfois plus, dans des conditions d’asepsie stricte (anesthésiste entraîné, bloc opératoire). L’efficacité en est complète et rapide dans plus de 75 % des cas (17), parfois immédiate, avec disparition des céphalées en quelques minutes ou quelques heures (18). Une efficacité imparfaite, une récidive, voire un échec peuvent nécessiter la réalisation d’un deuxième, voire d’un troisième blood patch. L’efficacité clinique du traitement par blood patch peut être confirmée par la normalisation de l’IRM (19). Le taux d’efficacité du blood patch est évalué à 61 % à court terme et à 87 % à long terme. Des récidives à distance peuvent toutefois être notées, qui peuvent représenter une indication de blood patch de la même façon que les céphalées persistantes non traitées jusqu’à deux ans après la brèche durale. Conclusion Les céphalées par hypotension intracrânienne ont des caractéristiques cliniques et radiologiques homogènes. Leur dénominateur commun est l’apparition de la symptomatologie lors de la position debout. Lorsque aucune cause favorisante n’est retrouvée, elles sont qualifiées d’“idiopathiques”. Leur connaissance est importante, car elles répondent généralement à un traitement par blood patch. ■ Résumé/Summary Céphalées par hypotension intracrânienne idiopathique Une cause méconnue de céphalées Les céphalées ont été classées en 1988 dans la classification internationale des céphalées (IHS, 1988). Leur apparition lors de l’orthostatisme est le plus souvent en rapport avec une hypotension intracrânienne, généralement secondaire à une brèche durale (ponction lombaire, accident de ponction lors d’une anesthésie ou d’une analgésie péridurale). L’absence d’étiologie retrouvée conduit au diagnostic d’hypotension intracrânienne idiopathique. La persistance des symptômes oriente vers un traitement par blood patch péridural, particulièrement efficace. Spontaneous intracranial hypotension An unknown cause of postural headaches According to the International Headache Society (IHS) classification from 1988, secondary postural headaches are usually due to dural puncture (lumbar puncture, inadvertent puncture during epidural anesthesia), otherwise known as Post Dural Puncture Headache (PDPH). When an etiology cannot be determined the diagnosis of Idiopathic Spontaneous Intracranial Hypotension is posed. Blood patches remain an efficacious treatment when symptoms persist. Keywords: Headache - Hypotension - Blood patch. 126 Le Courrier de l’algologie (2), no 4, octobre/novembre/décembre 2003 Références bibliographiques 1. Headache Classification Committee of the International Headache Society. Classification and diagnostic criteria for headache disorders, cranial neuralgia and facial pain. Cephalalgia 1988 ; 8 : 1-96. 2. Mokri B, Piepgras DG, Miller GM. Syndrome of orthostatic headaches and diffuse pachymeningeal gadolinium enhancement. Mayo Clin Proc 1997 ; 72 : 400-13. 3. Berlit P, Berg-Dammer E, Kuehne B. Abducens nerve palsy in spontaneous intracranial hypotension. Neurology 1994 ; 44 : 1552. 4. Mokri B, Maher CO, Sencakova D. Spontaneous CSF leaks : underlying disorder of connective tissue. Neurology 2002 ; 58 : 814-916. 5. Sencakova D, Mokri B, McClelland RL. The efficacy of epidural blood patch in spontaneous CSF leaks. Neurology 2001 ; 57 : 1921-3. 6. Good DC, Ghobrial M. 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