Céphalées A. D. Tehindrazanarivelo* Dans le domaine des céphalées, l’année 2002 a été marquée par les progrès de la biologie, l’arrivée à maturité des triptans, les progrès de l’imagerie et la place des phénomènes centraux dans la genèse des céphalées primaires. Avec sept molécules, dont six présentes sur le marché mondial, et plus de 53 essais cliniques effectués à ce jour, les agonistes des récepteurs 1B/1D de la sérotonine – ou triptans – ont définitivement acquis leurs lettres de noblesse (1). Ils ont beaucoup apporté à la connaissance de la physiopathologie de la douleur dans les céphalées primaires en général, et dans la migraine en particulier. Car la migraine a longtemps souffert de l’inexistence de modèle animal pouvant permettre l’étude de sa physiopathologie, jusqu’à ce que Moskowitz * Alain Tehindrazanarivelo est malgache, neurologue, professeur agrégé de neurologie à la faculté de médecine d’Antananarivo. Il est chef de service de neuropsychiatrie à l’hôpital Befelatanana (CHU Antananarivo). Il a occupé les fonctions de vice-doyen à la faculté de médecine d’Antananarivo, de 1998 à 2002. Il a également été secrétaire général au ministère de la Recherche scientifique de Madagascar de 1998 à 2002 et président du conseil d’administration de six centres nationaux de recherche durant cette période. Il est actuellement en année sabbatique en France et travaille à l’hôpital Tenon (service du Pr Roullet) et à l’hôpital Lariboisière (service du Pr Bousser). Il a particulièrement travaillé sur les céphalées, les accidents vasculaires cérébraux et l’épilepsie. Il est membre de l’équipe éditoriale de Stroke. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 2, mars 2003 démontre que l’activation du système trigémino-vasculaire, impliquant les récepteurs 1B/1D de la sérotonine, entraîne à la fois une dilatation des vaisseaux intracrâniens et extra-cérébraux, et une extravasation des protéines plasmatiques sans prolifération cellulaire appelée inflammation neurogène (figure 1). Actuellement, il est définitivement admis, que l’efficacité des triptans passe par le blocage de ces phénomènes (2). Cela établit ainsi un lien entre la manifestation la plus importante de la crise (la douleur) et une pathogénie précise (activation de récepteurs spécifiques de la sérotonine), et entre la clinique et la biologie. Une meilleure connaissance des effets ciblés et la multiplication des molécules (concurrence oblige !) ont imposé des critères de jugement de plus en plus sévères et plus proches des souhaits des patients dans le traitement de la crise de migraine. La bataille des chiffres aidant, on voit reculer à chaque nouvelle molécule les taux d’efficacité observés : autour de 60 % lorsqu’on ne considère que l’amélioration des céphalées à 2 heures, autour de 30 % pour la disparition des céphalées à 2 heures, pour tomber autour de 20 % (30 % en cas de céphalées modérées versus 10 % pour le placebo) pour la disparition à 2 heures sans récurrence ni traitement de secours dans les 24 heures. Ce dernier critère, plus proche du souhait des patients, ramène aux progrès qu’il reste à faire malgré les succès de ces dernières années. On voit apparaître, avec chaque nouvelle molécule, un discours de plus en plus pharmacoclinique : le lien éventuel entre demivie plasmatique longue (supérieure à 2 heures ?) et faible taux de récur- I l n’est jamais aisé de choisir, parmi la multitude de données publiées en une année, celles qui semblent être les plus marquantes. C’est pour cette raison qu’au lieu de faire un choix d’articles, forcément personnel, non exhaustif et non objectif, j’ai préféré parler des tendances qui ont retenu mon attention. rences (autour de 20 % versus 30 % pour les autres) est avancé. Cela reste, à mon avis, à démontrer dans une classe thérapeutique caractérisée par son affinité avec des récepteurs spécifiques vasculaires ou neuronaux. On rapproche aussi une absorption plasmatique rapide (tmax inférieur à 1 heure) d’un produit et un taux de réponse élevé au cours de la première Modèle d’extravasation des protéines plasmatiques neuro-induites. Ganglion sphenopalatin Vaisseau sanguin Ganglion trigéminé Noyau trigéminé caudal Noyau salivaire supérieur Récepteurs cible 5-HT1D 5-HT1B NK1 GABAA NK1 : neurokinine 1. Figure 1. Vue schématique du système trigémino-vasculaire et de son fonctionnement (d’après : Silberstein SD, Lipton RB, Goadsby PJ. Headache in clinical practice. Oxford : Isis Medical Media ed., 1998). 53 Céphalées Céphalées en 2002 : la biologie et l’imagerie entrouvrent une porte à la clinique A.D. Tehindrazanarivelo heure, une biodisponibilité par voie orale élevée (autour de 70 % versus moins de 20 % pour certains) et un taux de réponse élevé, ou encore une élimination rapide (autour de 50 % en 24 heures) et une bonne tolérance. Même si tout cela reste à démontrer de façon indiscutable, il est rassurant de voir, à travers ces discours un passage d’une stratégie thérapeutique en pas-àpas et centrée sur la maladie (essayonsles les unes après les autres, et nous finirons bien par en trouver une qui va marcher!), à une stratégie centrée sur les caractéristiques de la maladie propres au patient, ce qui augure d’une meilleure prise en charge des migraineux. Néanmoins, ces nouvelles connaissances, portant essentiellement sur les phénomènes d’origine périphérique, n’expliquent toujours pas pourquoi ces crises douloureuses se déclenchent à un moment ou à un autre ni par quels mécanismes, pour pouvoir espérer faire mieux encore que de bloquer les crises, en empêchant leur survenue. Les éléments de réponse sur l’implication des phénomènes d’origine centrale viendraient peut-être des connaissances obtenues dans la physiopathologie de l’algie vasculaire de la face grâce à l’imagerie. Deux revues ont été consacrées en 2002 à l’hypothèse qui semble actuellement la plus avancée dans ce domaine, et qui implique la participation de l’hypothalamus postérieur (3, 4). Dans cette variété de céphalées primaires, la stimulation – à l’aide de la capsaicine – des fibres douloureuses appartenant à la branche ophtalmique du trijumeau entraîne à la fois une dilatation de la carotide interne homolatérale et l’apparition des signes végétatifs habituels de la crise d’algie vasculaire de la face du côté stimulé, démontrant le rôle du sytème trigémino-vasculaire dans la genèse de ces phénomènes. Toutefois, la persistance des crises douloureuses, après destruction thermique confirmée (hypoesthésie, blink reflex, thermographie) de la branche ophtalmique du trijumeau, montre que l’intégrité de ce système n’est pas indispensable à la survenue de la douleur elle-même. Des arguments cliniques (périodicité circadienne et circannuelle) et biologiques (modifications endocriniennes au moment des épisodes), associés à des expérimentations animales, ont orienté les recherches vers une origine centrale de la douleur. Des examens en tomographie par émission de positons ont été effectués sur des patients en crise et hors crise d’algie vasculaire de la face. Au cours de la crise, on observe une activation de la région cingulaire antérieure (comme dans toute douleur), du cortex frontal, du cortex insulaire et du noyau ventral postérieur du thalamus controlatéraux, et des noyaux gris centraux homolatéraux (comme dans “toute” céphalée), mais surtout dans la base de la paroi latérale du troisième ventricule homolatéral, où siège la substance grise de l’hypothalamus postérieur (localisation propre aux algies vasculaires de la face) (figure 2). Ces données ont confirmé l’origine centrale de la douleur, et la disparition des crises après stimulation de la région de l’hypothalamus postérieur chez un patient (5) a renforcé, dans l’algie vasculaire de la face, le rôle de l’hypothalamus postérieur en général, et du noyau supra-chiasmatique en particulier, dans l’apparition de la douleur et des phénomènes qui l’accompagnent. L’apport de ces nouvelles connaissances dans la prise en charge des patients reste encore à démontrer. Car elles ne nous permettent pas encore de comprendre les causes du dérèglement central observé, et les mécanismes éventuels de son retour à la normale, de même que le caractère spontané, ou pas, de ce retour à la normale. Elles n’expliquent pas non plus la capacité qu’a le vérapamil à forte dose à réduire, voire à supprimer, la survenue des crises. Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ? Le fait que les critères stricts d’efficacité des traitements de la crise soient encore à un taux de réponse assez faible, et le fait que les progrès dans l’étude des phénomènes d’origine centrale des céphalées ont encore peu d’applications thérapeutiques devraient Céphalées Céphalées Figure 2. Comparaison d’une crise d’AVF déclenchée par la nitroglycérine et du repos chez 9 patients souffrant d’AVF chronique (d’après : May A et al. Neurology 2002 ; 55 : 1328-35). nous amener à nous poser des questions sur la pertinence de la caractérisation clinique actuelle des patients. Ces constatations devraient nous inciter à envisager de nouveaux regroupements syndromiques fondés sur la connaissance des mécanismes impliqués, à rechercher de façon plus systématique encore certaines manifestations cliniques, biologiques ou en imagerie liées à ces mécanismes, afin d’aboutir à une meilleure sélection des malades dans les futures études à orientation physiopathologique. Malgré les progrès indéniables que la biologie et l’imagerie ont apportés ces derniers temps dans le domaine des céphalées, beaucoup reste encore à faire et la clinique a encore une belle carte à jouer. Références 1. Ferrari MD et al. Triptans (serotonin, 5-HT1B/1D agonists) in migraine : detailed results and methods of a meta-analysis of 53 trials. Cephalalgia 2002 ; 22 (8) : 633-58. 2. Tepper SJ, Rapoport AM, Sheftell FD. Mechanisms of action of the 5-HT1B/1D receptor agonists. Arch Neurol 2002 ; 59 : 1084-8. 3. Goadsby, P. Pathophysiology of cluster headache. Lancet Neurology 2002 ; 1 : 253-7. 4. Overeem S et al. The hypothalamus in episodic brain disorders. Lancet Neurology 2002 ; 1 : 437-44 5. Leone M, Franzini A, Bussone G. Stereotactic stimulation of posterior hypothalamic gray matter in a patient with intractable cluster headache. N Engl J Med 2001 ; 345 (10) : 1428-35. 54