M I S E A U P O I N T Céphalées inhabituelles ● J.M. Visy* Nous nous proposons de présenter des céphalées inhabituelles ayant un déclenchement singulier, se distinguant des migraines, des algies vasculaires de la face, et des céphalées de tension. Leur reconnaissance permet de calmer l’anxiété du malade et peut éviter des explorations complémentaires. HÉMICRÂNIE PAROXYSTIQUE L’hémicrânie paroxystique chronique est une affection très rare, proche de la symptomatologie de l’algie vasculaire de la face, mais qui s’en différencie au point de former une entité homogène. Elle touche le plus fréquemment les femmes : 7 femmes pour 1 homme (1). La localisation de la douleur est identique à celle de l’algie vasculaire de la face ; la douleur est toujours unilatérale et toujours du même côté ; le maximum de la douleur siège au niveau de la tempe, de l’œil, ou de la région supra-auriculaire ; il existe également une composante vasomotrice, comme dans l’algie vasculaire de la face, à type d’obstruction nasale, d’écoulement et de larmoiement ; il peut également s’y associer un signe de Claude Bernard-Horner. Au début, les crises surviennent de façon sporadique, puis deviennent assez rapidement chroniques et quotidiennes ; leur fréquence est comprise entre 5 et 30 par jour, et leur durée, entre 5 et 45 minutes, généralement aux alentours de 10 à 15 minutes (2). Outre la fréquence et la durée des accès, qui permettent de la distinguer de l’algie vasculaire de la face, il existe une extrême sensibilité de cette affection à l’indométacine (Indocid®), qui réalise un véritable test diagnostique ; une dose de 150 mg/j suffit habituellement à faire disparaître la douleur ; la posologie d’entretien est habituellement comprise entre 25 et 100 mg/j ; en cas d’arrêt du traitement, la douleur réapparaît 12 heures après. LE SYNDROME SUNCT Le syndrome SUNCT (Short-lasting Unilateral Neuralgiform headache attacks with Conjonctival injection and Tearing), ou * Polyclinique Courlancy, Reims. 64 céphalée névralgiforme unilatérale brève avec injection conjonctivale et larmoiement, est une forme clinique particulière d’algie faciale, décrite par Sjaastad en 1978. C’est une entité clinique rare, touchant 4 hommes pour 1 femme ; l’âge moyen est de 51 ans. Il s’agit d’une douleur en coup de poignard ou décharge électrique, orbitaire ou périorbitaire, unilatérale, évoluant par crise de 5 à 60 secondes, au maximum pendant 3 minutes. Elle s’accompagne de signes vasomoteurs : rougeurs conjonctivales, larmoiement, obstruction nasale, rhinorrhée, et parfois d’un signe de Claude Bernard-Horner (6). La fréquence des crises est en moyenne de 28 par jour avec des extrêmes de 5 et 80. Le syndrome évolue par périodes de quelques jours à quelques mois, avec 1 à 2 périodes en moyenne par an. Quatre-vingt-six pour cent des patients décrivent des zones gachettes pendant la période douloureuse (mastication, lourdeur du scalp, brossage des dents, etc.). Aucun traitement n’est efficace, quelques cas d’amélioration sous carbamazépines (valproate de sodium ou sumatriptan) ont été rapportés, sans qe l’on puisse éliminer la possibilité d’une amélioration spontanée. CÉPHALÉES EN “COUP DE POIGNARD”, ENCORE APPELÉES “ICEPICK HEADACHE” (CÉPHALÉES EN COUP DE PIOLET) Il s’agit de céphalées extrêmement brèves et aiguës, ressenties comme des coups de poignard ou des piqûres d’épingles, qui peuvent rester uniques ou se répéter en bouffées (1). Elles touchent des zones ponctuelles ou très localisées de la tête et surviennent spontanément, en l’absence de lésion organique sous-jacente ; le plus souvent, elles sont perçues dans le territoire de la branche ophtalmique du trijumeau, et parfois dans la région occipitale ; elles ne durent qu’une fraction de seconde. Les accès peuvent rester uniques ou se répéter en bouffées, plusieurs fois par jour, sans facteur déclenchant particulier ; elles surviennent plus volontiers sur un terrain migraineux, et siègent alors généralement du côté de la céphalée migraineuse. L’examen clinique est normal ainsi que les examens complémentaires ; le traitement par indométacine 25 mg, 3 fois par jour, en permettrait la prévention. La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. III - mars-avril 1999 CÉPHALÉES INDUITES PAR LE FROID Ce groupe réunit les céphalées entraînées par l’ingestion de boissons ou d’aliments glacés, ou par l’exposition de la tête au froid intense (1). Les premières sont généralement de localisation bilatérale, se développant petit à petit et augmentant en intensité suivant le temps d’exposition et l’intensité du froid. La thérapeutique consiste à porter un bonnet l’hiver et à éviter les shampooings à l’eau froide. La céphalée induite par l’ingestion de boissons ou d’aliments glacés (“ice-cream headache”) est une douleur frontale provoquée par le passage de l’aliment froid sur la paroi postérieure du pharynx ; en général, elle apparaît immédiatement après l’ingestion du stimulus glacé et ne dure que quelques secondes voire au maximum une minute (5) ; elle est beaucoup plus fréquente chez les migraineux que chez les non-migraineux ; son traitement est purement préventif et consisterait à éviter l’ingestion rapide de boissons ou d’aliments glacés. Le mécanisme physiopathologique en serait une vasoconstriction, d’autant que la sympathectomie ou l’ingestion de vasopressine augmente l’intensité des douleurs. CÉPHALÉES D’EFFORT II s’agit d’un mal de tête pouvant apparaître lors de n’importe quel effort physique, néanmoins il est davantage lié aux efforts soutenus, voire excessifs, particulièrement par temps chaud, humide, ou en haute altitude (5). Il est bilatéral, le plus souvent de type pulsatile, au moins lors de son déclenchement ; il dure de 5 minutes à 24 heures. Cette variété de céphalée est liée au seul effort physique et il convient d’éliminer toute organicité intracérébrale devant un tel tableau, et notamment une tumeur du troisième ventricule, souvent révélée par des céphalées d’effort (1). Cette variété de céphalée est liée à une vasodilatation des artères intracrâniennes, consécutive à l’augmentation de la pression artérielle lors de l’effort. Son traitement est le même que celui de la migraine, qu’il s’agisse de sa prévention ou de la crise. CÉPHALÉES LIÉES À L’ACTIVITÉ SEXUELLE Il s’agit de céphalées liées à l’acte sexuel ; elles sont fréquentes mais souvent non avouées, survenant quatre fois plus souvent chez l’homme que chez la femme, avec une moyenne d’âge aux alentours de 40 ans (3). Elles sont de trois types : – la première variété s’apparente aux céphalées de tension (3) ; il s’agit d’une douleur diffuse ou occipitale sourde, tenace, qui croît avec l’excitation sexuelle et dure de quelques heures à quelques jours ; elle serait due à la contraction excessive des muscles de la tête et du cou ; – la deuxième variété est plus fréquente, et concerne 69 % des cas ; elle est de type vasculaire, explosive, pulsatile, très La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. III - mars-avril 1999 sévère, frontale ou occipitale (3), apparaissant juste avant l’orgasme ou en même temps que celui-ci et persistant de quelques minutes à quelques heures ; elle est plus fréquente chez les migraineux et serait déclenchée par les modifications hémodynamiques, notamment l’élévation tensionnelle qui se produit au cours de l’acte sexuel ; – la troisième variété est beaucoup plus rare, 7 % des cas, et s’apparente aux céphalées par hypotension de liquide céphalorachidien (3) ; sous-occipitale, majorée ou apparaissant en orthostatisme et disparaissant en décubitus, elle peut persister pendant quelques semaines après le rapport. Ces céphalées sont habituellement isolées et ne s’accompagnent d’aucun autre symptôme tel que vomissements, troubles de la conscience, ou signes neurologiques focaux ; elles sont sans périodicité, ni régularité ; elles sont source d’une inquiétude majeure, faisant craindre une hémorragie méningée ou cérébrale ; il convient donc de rassurer le patient. Dans les céphalées de tension, la relaxation peut être une aide. Dans la variété de type vasculaire, les bêtabloquants peuvent être efficaces. Dans la variété de type céphalées post-ponction lombaire, le décubitus prolongé après le rapport paraît la mesure la plus appropriée. CÉPHALÉES DE LA TOUX II s’agit de céphalées pouvant survenir lorsque le sujet tousse ou se mouche, ou lors du rire, lors du pleurer, ou lorsqu’il retient sa respiration (1). Les douleurs sont décrites comme profondes, irradiant bilatéralement dans les régions frontales et temporales, elles sont très brutales et éclatantes, et durent au plus quelques minutes ; il n’y a ni nausées ni signe vasomoteur. Il existe une nette prédominance masculine, avec un début à l’âge adulte. L’évolution est habituellement régressive, après une durée variable de 6 à 12 mois. Bien évidemment, il convient devant de telles céphalées d’éliminer une pathologie intracrânienne ; ces céphalées seraient dues à une transmission de l’hyperpression abdominale au liquide céphalorachidien lombaire, puis cysternale avec une inversion du gradient de pression. La seule thérapeutique médicale apparemment efficace serait l’indométacine, mais aucune explication n’est donnée à cette action. CÉPHALÉES PAR COMPRESSION EXTERNE Elles proviennent d’une stimulation continue des nerfs cutanés superficiels siégeant au niveau des tempes, par la pression soit d’un chapeau serré, soit d’un bandeau autour de la tête, soit de lunettes de natation, d’où leur appellation de : “swim-goggle headache” (5). 65 M I S E A Il s’agit le plus souvent d’une douleur sourde, constante, localisée effectivement à l’endroit de la pression. Elle n’apparaît jamais en l’absence d’élément déclenchant. MYDRIASE ÉPISODIQUE UNILATÉRALE La mydriase épisodique unilatérale est caractérisée par des épisodes de dilatation pupillaire unilatérale, se produisant en l’absence de toute pathologie organique oculaire ou cérébrale ; elle survient chez l’adulte jeune et s’associe presque toujours à une céphalée homolatérale (4). La durée varie de quelques minutes à plusieurs semaines, se répétant avec une grande variabilité, comprise entre 3 ou 4 fois par an et 3 ou 4 fois par semaine ; la douleur est proche d’une douleur de type migraineux ; la mydriase est isolée, sans aucun autre signe d’atteinte du III, ce qui exclut un anévrisme de la communicante postérieure ; sa pathogénie est inconnue. En cas d’épisodes fréquents avec des céphalées sévères, les bêtabloquants peuvent être proposés. CÉPHALÉES TOXIQUES ET IATROGÈNES Céphalées toxiques Ces céphalées s’installent de manière aiguë par rapport à l’exposition aux toxiques. • Le “syndrome du restaurant chinois” est lié à l’absorption de glutamate monosodique, édulcorant alimentaire fréquemment utilisé dans la cuisine asiatique (5). Les céphalées surviennent dans l’heure qui suit l’ingestion de ce produit et doivent être associées à au moins deux de ces signes : pression thoracique et sensation de pression et d’étroitesse de la face, sensation de brûlure au niveau de la poitrine, du cou et des épaules, congestion de la face, vertige, malaise abdominal. Le seul traitement est préventif. • La céphalée du “hot-dog”, d’expression variable, apparaît dans l’heure qui suit l’ingestion d’aliments contenant des nitrites ou des nitrates, conservateurs souvent utilisés dans la charcuterie (5). • L’alcool, certains médicaments vasodilatateurs (trinitrine, nifédipine = Adalate ®), l’intoxication à l’oxyde de carbone peuvent être également responsables de céphalées (5). 66 U P O I N T • L’hypoxie, lors d’un séjour en altitude à plus de 3 000 mètres, peut être responsable de céphalées, notamment chez les patients ayant des difficultés respiratoires. Céphalées iatrogènes Elles surviennent essentiellement lors de la prise chronique d’antalgiques, pour des céphalées de nature migraineuse, ou des céphalées de tension. Il convient de mettre en évidence la surconsommation de médicaments et la modification du rythme de la céphalée, qui dans le cas d’une nature migraineuse n’évolue plus par crise, mais devient permanente. Les antalgiques classiques peuvent être responsables de ces céphalées d’auto-intoxication à une dose mensuelle égale ou supérieure à 50 g d’aspirine ou 100 comprimés d’antalgiques, associés à des barbituriques, ou à d’autres composants non narcotiques, ou également à la prise quotidienne d’ergotamine à une dose supérieure à 2 mg per os, ou à 1 mg par voie rectale. On retrouve habituellement une prise supérieure pendant 3 mois ou plus. Le traitement consiste en l’arrêt de ces thérapeutiques ; cet arrêt peut être facilité par l’hospitalisation et la perfusion de tricycliques. La céphalée disparaît au cours du mois suivant l’arrêt de l’intoxication. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Autret A. Les céphalées inhabituelles. Rev Prat 1990 ; 40 : 411-3. 2. Bousser M.G. L’hémicrânie paroxystique chronique. In : Les 365 nouvelles maladies. Dormont. Blettry. Delfraissy. Flammarion. Paris, 19B9. 3. Bousser M.G. Les céphalées liées à l’activité sexuelle. In : Les 365 nouvelles maladies. Dormont. Blettry. Delfraissy. Flammarion. Paris, 19B9. 4. Bousser M.G. La mydriase épisodique unilatérale. In : Les 365 nouvelles maladies. Dormont. Blettry. Delfraissy. Flammarion. Paris, 19B9. 5. International Headache Society. Céphalées, névralgies crâniennes, douleurs de la face, classification et critères diagnostiques. Rev Prar 1990 ; 40 : 416-50. 6. El Amrani M., Massiou H , Bousser M.G. Le syndrome SUNCT. La Lettre du neurologue 1998 ; 11. La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. III - mars-avril 1999