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Les « pointés » et l’acquisition de la morphosyntaxe en LSF
Isis Lecourtβ
[α : UMR 6065 (Un. Rouen & CNRS) ; β : JE 2321, Un. de Tours]
À l’heure actuelle, peu d’études ont été effectuées sur l’acquisition de la LSF, et encore
moins sur le développement morphosyntaxique de cette langue (voir Blondel et Tuller, 2000
pour une revue des travaux sur la LSF). Or, une approche maintenant bien connue, en
postulant un lien nécessaire entre l’adéquation descriptive et l’adéquation explicative, met en
avant le rapport entre une description complète et exacte des faits d’une langue particulière et
une explication de la façon dont l’enfant atteint cette langue particulière. Nous partons donc
de l’idée qu’une meilleure connaissance des états de la LSF en développement pourrait
contribuer à une meilleure compréhension de la grammaire de son état « mûr ».
Nous proposons par conséquent d’explorer le développement d’un des aspects
morphosyntaxiques les plus « difficiles » (du point de vue descriptif) de la LSF (et des autres
LS), celui des « pointés ». En effet, ces éléments de la gestuelle commune aux enfants
‘locuteurs’ de la LSF ou locuteurs du français auraient un statut grammatical dans la langue
cible (adulte) chez les premiers (voir Lillo-Martin & Klima, 1990 par exemple) alors qu’ils
garderaient un statut extra- ou para- linguistique chez les seconds. Selon les auteurs, les
critères qui permettent de déterminer que l’on a affaire à un mot varient et l’âge d’apparition
des premiers mots s’en trouve modifié (voir Newport & Meier, 1987 et Emmorey 2002 pour
un résumé de l’ensemble du débat). Chez plusieurs auteurs, il a également été repéré une
phase de ‘turbulence’ (entre 12 et 18 mois dans Petitto, 1983), se traduisant par la disparition
d’un certain type de pointés avant leur utilisation plus systématique comme pronoms. Nous
examinerons l’apparition des pointés en isolation et dans les premières phrases en essayant
d’élucider leur statut dans les stades successifs chez l’enfant.
Les faits que nous rapporterons et analyserons sont basés sur une étude longitudinale, entre
l’âge de six mois et l’âge de deux ans huit mois, du développement du langage chez un enfant
(entendant) qui acquiert simultanément (et de façon naturelle) la LSF et le français. L’aspect
bilingue et bimodal de cette acquisition offre l’avantage, comme nous l’argumenterons, de la
possibilité d’explorer le développement des pronoms, et plus généralement, de la syntaxe,
dans une modalité (la modalité orale), où la difficulté analytique qui entoure les pointés
n’existe pas. Autrement dit, notre examen de l’émergence et du développement des pointés
chez cet enfant sera mis en parallèle avec celui de ses pronoms en français.
Bibliographie
BLONDEL, Marion & TULLER, Laurice. 2000. « La recherche sur la LSF : un compte-rendu critique ».
Recherches linguistiques de Vincennes 29, pp. 29-54.
EMMOREY, Karen. 2002. Language, Cognition and Brain: Insights from Sign Language Research.
Mahwah, New Jersey: Lawrence Erlbaum.
LILLO-MARTIN, Diane & KLIMA, Edward. 1990. “Pointing out differences: ASL pronouns in syntax
theory”. In Fischer, Sipple & Decaro (eds) Theorical Issues in Sign language research. I
Linguistics. Univ of Chicago Press, pp. 191-210.
NEWPORT, Elissa L. & MEIER, Richard P. 1987. “The acquisition of American Sign Language”. In:
Slobin, Dan I. (ed): The crosslinguistic study of language acquisition. Vol. 1: The data. Hillsdale,
N.J.: Erlbaum, pp. 881-938.