Décembre 2014 Union Régionale des Centres d’Etude et d’Action Sociales (URCEAS) du Nord - Pas de Calais N° 651 Sourds Promouvoir la langue des signes La langue des signes comme première langue ! Ce n’est pas un hasard si Savoir évoque les sourds et les malentendants associés à la langue des signes française ! En septembre 2014. l’URCEAS a participé à un café Signes organisé aux Ateliers d’Humanicité, café citoyen réunissant sourds et entendants afin de mieux se comprendre et développer la convivialité. Il est à noter aussi que le cinéma s’est emparé tout récemment du thème de la surdité avec Marie Heurtin, Avis de Mistral, La famille Bélier… Souvent ignorées dans la vie de tous les jours, les difficultés rencontrées par les personnes sourdes ou devenues sourdes avant l’acquisition du langage éclairent les limites de fonctionnement de notre culture fondée sur l’écrit, ce qui implique la maîtrise de la lecture. La langue des signes, entre interlocuteurs qui la connaissent, contourne les insuffisances de l’oralité. Il ne s’agit pas de repérer un handicap volontairement ignoré jusqu’à maintenant par le commun – la différence fait toujours peur- mais de montrer que les pratiques sociales s’enrichissent et s’humanisent par la présentation de la langue des signes. Que l’Education Nationale et la formation professionnelle s’en soient saisies, conforte la protection sociale dans ses visées humanistes audelà du fonctionnement administratif. A l’apostrophe biblique « Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende », la protection sociale aujourd’hui propose qu’en apprenant la langue des signes, chacun soit vigilant au sens des signes de notre temps pour grandir en humanité. Ce sera le souhait de Noël de l’URCEAS pour 2014. Paul WALLEZ, Président de l’URCEAS La langue des signes française (LSF) est un outil incontournable pour la communication avec les personnes sourdes ou devenues sourdes avant l’acquisition du langage oral. Basé à Capinghem, sur le site d’Humanicité, le réseau Sourds et Santé Nord Pas-de-Calais en témoigne. « La situation des sourds profonds n’ont jamais entendu. Elles ne sont n’a rien à voir avec celle des devepas concernées par un problème nus sourds et malentendants» afd’audition mais par l’apprentissage firme Benoit Drion, médecin coordiet la pratique d’une autre langue, la nateur du réseau. Il s’adresse à une langue des signes. On peut tout à population dont la langue habituelle fait vivre sourd en étant tout à fait est la langue des signes. bien dans la société. Cette population est en 1/1000 de la population difficulté d’accès aux française est concerné, soins chez les professoit théoriquement 4000 1/1000 de sionnels de santé qui ne personnes dans la réla population pratiquent pas la langue gion. française des signes, en particulier « C’est plus compliqué les spécialistes. » Le d’être sourd que d’être réseau Sourds et Santé entendant, reconnait le Nord-Pas de Calais orgaDr Drion, mais c’est un handicap nise l’accès aux soins pour les parelatif. Si je vous invite à l’EHPAD tients sourds chez tous les profesoù j’exerce, vous serez très handicasionnels de santé grâce à la commupé du fait que vous ne connaissez nication en LSF. Il propose égalepas la langue des signes. » ment un accompagnement psycho« On gagne du temps, si l’on maîmédico-social de patients en diffitrise en première langue la langue culté via le service Sourdmédia et des signes, considère Sandrine sensibilise les professionnels de Machu, 40 ans, sourde, de famille santé aux soins des sourds. sourde depuis plusieurs générations. « La grande majorité des 2200 perEnsuite, bien sûr, il faut savoir sonnes qui font appel au réseau, écrire, maîtriser le français en deupoursuit le médecin, sont nées xième langue. L’écrit est primordial sourdes ou le sont devenues avant pour entrer à l’université. Ses pal’âge de l’acquisition du langage rents l’ont beaucoup aidée à accomoral. Un nombre significatif d’entre plir son parcours scolaire parmi des elles maîtrise peu le français écrit. enfants entendants, sans Elles n’entendent pas mais elles ... ... interprète. Elle a réussi son bac est toujours préférable d’être bilingue. Qu’en est-il de la poursuite au collège C et est actuellement enseiLe problème pour ceux qui ont eu une et au lycée ? L’exemple de Toulouse gnante de LSF et chercheur à l’Univeréducation uniquement dans l’oral, en fait rêver plus d’un. Pour Sansité catholique de Lille. Maintenant même s’ils sont brillants, c’est que, drine, « c’est une question de mentalimère de deux enfants sourds, elle a passée l’adolescence, vers 18-20 ans, té. Là-bas dans le cadre de l’Education opté pour le bilinguisme à l’école. « Je ils ont une appétence pour la langue nationale, plus de cent jeunes sourds me suis demandée comment j’allais les des signes, qui représente pour eux une sont scolarisés, il y a seize enseignants éduquer. J’ai pris rendez libération, mais l’apprenant sourds diplômés, et l’on peut faire un vous avec un ORL qui m’a tard, ils restent des locuparcours en LSF, de la maternelle à proposé de les soigner, de teurs médiocres. » Pour lui, l’université. Ici il y a une approche leur poser un implant co- Le choix de la laisser un petit élève sourd médicale qui me gêne, poursuit-elle, chléaire, j’ai refusé. Beaudans une classe d’entenlire sur les lèvres, c’est fatigant, alors LSF à l’école dants, coupé de tout lien qu’il y a des sous-titres à la TV et au coup de parents qui sont eux-mêmes entendants avec le monde des sourds, cinéma. Dans la vie on n’a pas besoin (c'est-à-dire dans 95% des sous prétexte qu’il risquede s’exprimer oralement du matin au cas) n’imaginent pas que rait de se mettre à signer (à soir ! ». leurs enfants puissent communiquer vouloir communiquer en LSF) constiEn règle générale, les études et l’inserautrement qu’en Français oral, or l’aptue une erreur fondamentale. tion professionnelle demeurent un vériprentissage prend une énergie énorme, Depuis 2005, « La langue des signes table parcours du combattant pour les neuf heures d’orthophonie par sefrançaise est reconnue comme une sourds. Cela suppose une motivation maine. Par contre un enfant peut sans langue à part entière. Tout élève consans faille, le recours à des interprètes difficulté acquérir une langue visuelle cerné doit pouvoir recevoir un enseiformés en langue des signes et un mitelle que la LSF. gnement de la langue des signes frannimum de compréhension de la part de Un travail de recherche mené actuelleçaise. Le Conseil supérieur de l'éducaleurs interlocuteurs entendants, notamment par le réseau Sourds et Santé, tion veille à favoriser son enseignement lors des stages professionnels. dans le cadre d’un Projet Hospitalier ment. Il est tenu régulièrement informé Ainsi Jennifer Semail, 28 ans est infirde Recherche Clinique, semble mondes conditions de son évaluation. Elle mière. Née sourde de parents sourds, trer une concomitance entre la précocipeut être choisie comme épreuve opbiberonnée à la langue des signes, elle té de l’apprentissage de la LSF et tionnelle aux examens et concours, y est aussi appareillée depuis l’âge de l’insertion ultérieure dans la société. compris ceux de la formadeux ans. Elle entend quand Par ailleurs une analyse sur le recrutetion professionnelle. Sa on s’adresse à elle bien en ment des sourds du réseau, réalisée en diffusion dans l'administraface et qu’elle peut aussi 2013, révèle que 38% des consultants tion est facilitée. » lire sur les lèvres. Après un ne maîtrisent suffisamment ni la langue cursus entre établissements Un parcours A Faches-Thumesnil, en des signes ni le français et nécessitent lien avec l’IRPA de Ron- du combattant spécialisés et intégration pour consulter le recours à un interméscolaire en milieu ordinaire, chin, l’association des padiateur sourd qui va adapter le niveau elle a obtenu le diplôme rents d’enfants sourds de la langue pratiquée à leur niveau d’Etat et un poste à l’ APES Nord-Pas de Calais a linguistique. Ce pourcentage était de EHPAD Saint François de créé deux classes LSF multi 34% en 2007. Sales à Capinghem, qui accueille des -niveaux : maternelle et primaire avec résidents âgés. Cet établissement de« Ma conviction, c’est qu’il faut les enseignement en LSF et de la LSF. vrait, à terme, accueillir 50% de sourds deux modalités, reprend le Docteur L’école est gérée par le Ministère de la locuteurs de la langue des signes. Ils Drion : apprendre le français et utiliser santé. Des soins et des orthophonistes sont actuellement 14. Lors du jury de les techniques de rééducation mais sont obligatoires. Aujourd’hui faute recrutement, quand on lui a demandé aussi apprendre la langue des signes. Il d’effectifs, une des classes a du fermer. « Et si l’on ne vous prend pas ? » Elle a répondu avec aplomb « C’est vous qui le regretterez ». Dans cet EHPAD, l’engagement de personnels maîtrisant la LSF est primordial, qu’ils soient sourds ou non. Face aux difficultés rencontrées par les personnes sourdes en matière de prévention et d’accès aux soins, des centres hospitaliers, dans une quinzaine de régions françaises, ont mis en place des dispositifs pour y répondre. C’est le cas du Réseau Sourds et Santé Nord-Pas de Calais né dans le giron du Groupement des Hôpitaux de l’Institut catholique de Lille (GHICL). Ses activités et perspectives ont été présentées lors de l’assemblée générale, le 20 novembre dernier, dans ses nouveaux locaux, avec participation d’interprètes français-LSF. Outre l’accompagnement des patients en Plaquette du Bureau de Coordination des associations de Devenus Sourds et malentendants ... Le réseau Sourds et Santé Nord-Pas de Calais Le réseau est animé par une équipe pluridisciplinaire qui intervient en langue des signes française : Un médecin qui consulte directement en Langue des Signes, des médiateurs (sourds) qui accueillent, informent, accompagnent et adaptent la communication à la culture et la Langue des Signes du patient, des interprètes français-LSF pour les consultations de professionnels de santé qui ne pratiquent pas la LSF. Des travailleurs sociaux qui reçoivent directement en LSF. Des psychologues qui consultent directement en LSF. Une secrétaire bilingue français-LSF. Un expert linguisitique, formateur en LSF Une coordinatrice des programmes d’éducation à la santé en LSF. Le réseau "Sourds et Santé" associe le Groupe Hospitalier de l’Institut Catholique de Lille, le Centre Hospitalier d’Arras, le Centre Hospitalier de Dunkerque, le Centre Hospitalier de Valenciennes, l’URMEL, l’association Sourdmédia, le service d’interprètes VIA et la Fédération Nationale des Sourds de France. dans chacun des hôpitaux partenaires, les sourds disposent de permanences avec accueil en LSF, de consultations de médecins spécialistes avec interprète français-LSF. www.ghicl.fr/patients-usagers/accueil-personnes-sourdes.asp ... consultation auprès de quelques suivi cette formation depuis six ans. 750 professionnels de santé, le Neuf d’entre elles ont obtenu le diréseau mène des actions de prévention plôme avec succès. « C’est la première et d’éducation : Il y a eu en 2013 des fois que je pouvais entrer dans une ateliers culinaires en LSF, sur financeformation où je pouvais avoir toutes les ment du Fonds Français Alimentation informations. » explique un jeune Santé, avec des adultes de la Maison homme. « Avant, on nous disait que des sourds d’Arras et auprès de jeunes c’était impossible ». L’une des préocsourds du CRESDA de cupations du réseau est de Pont à Marcq qui ont entrouver les moyens de dévesuite pris en charge un relopper l’accès aux études pas pour les personnes Sensibiliser dans d’autres métiers. Selon âgées de l’EHPAD Saint une circulaire du ministère les François de Sales. Des atede la Santé « désormais ce liers Sexualité ont égale- professionnels n’est plus au patient de ment été organisés au s’adapter à la langue des CRESDA et au CEJS d’Arprofessionnels, mais c’est à ras en partenariat avec le l’équipe qui l’a en charge de Planning familial. Le travail des ates’adapter à ses capacités de communiliers se décline ensuite en supports cation. » Aussi les professionnels enpédagogiques en LSF : un DVD sur la tendants ont-ils intérêt à apprendre la sexualité qui sera diffusé aux équipes LSF. L’Université catholique de Lille, éducatives via internet, un projet de propose un certificat d’initiation à la vidéos culinaires avec l’association LSF et à la découverte du monde des Signes de Sens. Le réseau s’est aussi sourds, 100 heures de formation sur associé à une campagne de dépistage trois ans. Cette initiative intergénéradu cancer du côlon lancée avec par le tionnelle intéresse les étudiants, les service gastroentérologique de Saint salariés, sourds ou non, jeunes et vieux, Philibert avec Aire Cancer et l’ADCN auprès des 50-75 ans. Grâce à une animation théâtrale sur le sujet, onze participants sourds ont pu y participer, parmi 500 entendants. Le réseau intervient aussi auprès des instituts de formation en soins infirmiers pour sensibiliser les professionnels de santé à la prise en charge des patients sourds à Dunkerque, Lille Armentières, Valenciennes. Depuis 2008, l’IFsanté de l’Institut catholique de Lille a ouvert une formation au diplôme d’Etat d’aide soignant accessible aux sourds qui propose un accompagnement LSF pour la préparation des concours, la présence d’un interprète au moment du concours et lors des stages : onze personnes ont Sandrine Machu qui apprennent ensemble. Quatre cent personnes depuis trois ans ont suivi cette initiation. Un projet d’art thérapie va voir le jour quand les financements seront bouclés. Le réseau est engagé également dans un projet hospitalier de recherche clinique MMS-LS, mené sur trois villes, Lille, Rennes et Marseille depuis 2010 : Il s’agit d’adapter en LSF un test de dépistage des troubles cognitifs (Alzheimer, etc), le MMS (Mini mental state examination) à diffuser au monde médical. Outre son intérêt clinique, cette étude sur plusieurs villes apporte des éléments sur l’hétérogénéité d’utilisation de la langue des signes, selon les différences de scolarité, culture, situation économique, et environnement familial rencontrés. Un autre projet de formation-recherche, de niveau européen, celui-là, est dans les cartons du réseau : un projet Interreg est en cours d’écriture, qui devrait permettre de développer trois axes de travail avec des partenaires originaires de pays d’Europe du Nord-Ouest : recherche, formation et accès aux soins. Sourds et malentendants : Définitions Sourd : Les personnes n'ayant pas de connaissance particulière sur l'audition et la surdité se représentent souvent les choses de manière binaire : entendre parfaitement ou ne rien entendre. En réalité, l'audition est une fonction qui peut être plus ou moins altérée et il existe différents degrés de surdité (légère, moyenne, sévère, profonde, totale). Le terme « sourd » est souvent utilisé pour désigner les personnes porteuses de surdité totale ou profonde, voire sévère, congénitale ou apparue dans la petite enfance, quand se construit le langage. (…) Aujourd'hui, les progrès de l'audioprothèse, la technologie des implants cochléaires, et le développement d'accompagnements spécialisés (orthophonie, pédagogie adaptée, etc.) permettent un choix plus large aux personnes quant au mode de communication qu'ils souhaitent développer (langue orale, langue des signes, bilinguisme). Le terme « sourd » peut enfin accompagner un sentiment identitaire, celui d'appartenir à la communauté sourde, la communauté des sourds signants. Le mot « sourd » est parfois écrit avec un S majuscule, ce qui reflète ce choix identitaire. Malentendant : Le terme « malentendant » souligne que l'audition de la personne concernée, bien qu'incomplète, conserve une certaine fonctionnalité. Le mot « malentendant » convient ainsi à la désignation des personnes présentant des déficiences auditives légères ou moyennes voire sévères, sans préjuger de l'âge d'apparition de la surdité. Des attitudes « politiquement correctes » de la part de personnes peu averties se traduisent parfois par l'emploi de ce terme pour désigner des personnes dont la surdité est plus importante (sévère, profonde, totale). Un implicite associé au terme « malentendant » est que les personnes malentendantes, à la différence des sourds, utiliseraient la langue parlée. (…) Les « devenus sourds » : Le terme « devenu sourd » est mis en avant par les personnes qui, quel que soit le degré de surdité, ont connu une vie d'entendant puis ont perdu l'audition du fait de l'âge, d'une maladie ou d'un accident. Ils ne sont pas concernés par les problématiques liées à l'apprentissage d'une langue et d'un mode de communication, ayant initialement développé la langue parlée, en tant qu'entendants. Leurs questions peuvent donc différer sur certains points. (…) www.surdi.info Comment parler à un malentendant ou devenu-sourd ? 1. Ne lui parlez pas depuis une autre pièce, ni en lui tournant le dos. 2. Attirez doucement l'attention de la personne avant de lui parler. 3. Placez-vous en face de lui, à sa hauteur si possible. Veillez à ce que vos lèvres soient visibles. 4. Ne cachez pas votre bouche. Ne baissez pas votre tête. 5. Ne soyez pas à contre-jour. Veillez à ce que la lumière ne l'éblouisse pas. 6. Réduisez les bruits de fond. Parlez à voix égale et naturelle. 7. Ne vous énervez pas... Ne criez pas : cela déforme l'articulation et stresse votre interlocuteur. 8. Ne répétez pas dix fois les mêmes mots : n'oubliez pas qu'il doit faire un effort quand il est fatigué. Ecrivez si c'est difficile. 9. Et souvenez-vous : vos mains, votre visage, vos gestes, tout votre corps parle. Abonnez-vous à SAVOIR 20€ si vous faites partie d’un CEAS du Nord-Pas de Calais 25€ pour toute autre personne Envoyez un chèque à l’ordre de l’URCEAS à l’adresse ci-contre Vous pourrez recevoir SAVOIR par la poste ou par courriel 70 Boulevard Vauban 59 000 Lille Tél: 03 20 54 47 59 Mail: [email protected] www.urceas.org Directeur de la publication: Paul Wallez Rédaction: Régis Verley, Anne Bourgois, Gilbert Delannoy