V I E R esponsabilisation des acteurs de santé, accréditation, traçabilité, transparence, opposabilité : autant de termes qui, depuis 1995 et les ordonnances Juppé, hantent la pratique professionnelle du rhumatologue. Le rôle accru des missions et moyens de contrôle des services médicaux de l’assurance maladie, les progrès de l’informatique permettant de cibler les contrôles, le retard pris dans la réforme d’une nomenclature devenue inadaptée et lourde à faire évoluer conduisent à une multiplication des contentieux. Le praticien contrôlé vit ces procédures comme une inquisition et une injustice : – Inquisition, car ses patients sont convoqués et questionnés hors de sa présence ; le praticien doit produire des documents, justifier des bilans et des actes, ce qui n’est pas dans son habitude de colloque singulier avec le patient. – Injustice, car, dans de nombreux dossiers, il s’agit de rhumatologues installés depuis longtemps, titrés, ayant une clientèle importante, exerçant souvent à titre de consultant et ayant le sentiment d’exercer pleinement leur rôle de spécialiste “référent”, oserions-nous dire... sans référence à l’actualité ! Ce sentiment d’injustice est renforcé dans le cas de la rhumatologie, spécialité clinique dans laquelle les actes techniques ne sont pas le fondement même de l’activité. Nous aborderons ici deux sujets d’actualité : “l’affaire” du K + Z, et les contentieux nés des traitements de l’ostéoporose par les bisphosphonates. L’activité professionnelle est source de bien d’autres contentieux. On lira avec profit les rapports annuels de sociétés d’assurances telles que le Sou Médical ou la Médicale de France... LES CONTENTIEUX CONCERNANT LA NOMENCLATURE “L’affaire” du K + Z L’imagerie ostéo-articulaire est indissociable de la consultation rhumatologique. 56 P R O F E S S I O N N E L L E Les contentieux dans la pratique professionnelle du rhumatologue P. Monod et coll. Nombre de rhumatologues, lors de leur consultation, pratiquent un examen radiographique, comme le cardiologue réalise un électrocardiogramme lors de ses consultations. La Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ne permet pas le cumul d’un acte de consultation et d’un acte technique : Cs + Z est interdit. Mais elle autorise le cumul de deux actes techniques : K + Z par exemple. Or, il existe, dans le titre XIV de la Nomenclature, un acte coté en K : le bilan ostéo-articulaire (BOA), bilan transmissible et chiffré qui vise à évaluer l’état orthopédique d’un malade. Dès lors, il était usuel de coter un bilan ostéo-articulaire, prélude à la pratique de radiographies complétant le bilan, et par là le diagnostic et la proposition thérapeutique. Les Caisses et le Service médical ont considéré qu’il y avait des abus et que “la cotation d’un bilan est une façon de contourner les dispositions générales de la Nomenclature puisque l’article 11a énonce le principe de non-cumul de la consultation avec un acte en Z : la cotation d’un BOA ne peut donc s’appliquer à un examen clinique habituel, surtout si le patient est atteint d’une pathologie simple et qu’il a été précédemment examiné”. Mais l’échelon national du service médical de la CNAM reconnaît une certaine pertinence aux arguments opposés par les professionnels : “la cotation du BOA est la seule façon de rémunérer l’examen clinique, indispensable pour orienter les radiographies et la synthèse nécessaire après la réalisation des radios : cette pratique permet de fusionner dans un seul temps l’étape clinique et l’étape radiologique, ce qui évite de faire revenir le malade, notamment en zone rurale” (circulaire Médecin Conseil national 1997). L’échelon national acceptait alors le cumul du BOA et de la radio avec des restrictions : 1. le BOA ne sera pas accepté si le patient a déjà été examiné dans les six mois qui précèdent ; 2. le BOA ne sera accepté que dans le cadre de l’évaluation de pathologies complexes : “rhumatisme inflammatoire chronique, polyarthrose touchant plusieurs grosses articulations, atteinte rachidienne avec retentissement radiculaire” ; 3. justification par un document précis comportant une description des tests effectués et le résultat. “L’affaire de Laon” TASS de Laon, 18 juin 1997 : “Selon le chapitre l du titre XIV de la NGAP, le bilan ostéo-articulaire, lorsqu’il est effectué pour des actes inscrits au titre XIV, ne peut être pratiqué que pour les actes de rééducation visés au chapitre III, articles 1 et 2, dont le coefficient est au moins égal à 6”. “Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la Caisse, les restrictions apportées par la Nomenclature au cumul du bilan avec d’autres actes ne concernent que ceux prévus précisément par le titre XIV, soit les actes de rééducation et de réadaptation fonctionnelle.” “Par conséquent, dès lors que, par ailleurs, les dispositions de l’article II B du titre I de la Nomenclature ont été respectées, c’est à tort que la CPAM a contesté les cotations pratiquées par le requérant et a notifié à celui-ci l’indu litigieux”. “En toute hypothèse, il ne saurait être question, en l’espèce, d’un détournement de la Nomenclature, dans la mesure où il n’a pas été contesté que la pratique du Docteur XXX était à la fois moins onéreuse qu’une facturation de consultation suivie, La Lettre du Rhumatologue - n° 256 - novembre 1999 V plusieurs jours après, d’une radiographie et d’actes thérapeutiques, et plus avantageuse pour le patient qui, ainsi, était dispensé d’effectuer plusieurs déplacements”. “Il sera donc fait droit à la demande du requérant” (le rhumatologue libéral poursuivi). “Le Tribunal a estimé pouvoir trancher le présent litige sans recourir à l’expertise sollicitée”. L’arrêt de la Cour de cassation du 12 février 1998 La Cour de cassation, sur le pourvoi formé par la CPAM de Lille dans une autre affaire, énonce pour postulat que le bilan ostéo-articulaire, acte de diagnostic, ne peut faire l’objet d’une cotation que lorsqu’il est effectué en vue de la réalisation d’actes de rééducation. Il ne nous est pas permis de commenter une décision de la Cour de cassation, mais on est en droit de s’interroger sur l’absence de motivation de l’arrêt. Ce jugement nous interpelle et plaide pour une réforme en profondeur de la Nomenclature intégrant la notion d’acte global. Nous avons trop vécu “le nez dans le guidon” d’une nomenclature obsolète. De nombreux confrères se sont émus de cette décision. Nous citerons le cas de ce confrère rhumatologue de la Guadeloupe disposant d’un équipement radiologique : “Devons-nous faire revenir les gens le lendemain ou le surlendemain pour répondre à la loi ? Comment dois-je faire avec les Marie-Galantais et les Désiradiens ? Doisje leur payer l’hôtel lorsqu’ils resteront la nuit en Guadeloupe ?”. Les parlementaires sont saisis... I E P R O F E S S I O N N E L L E Didronel® 400 mg : – traitement curatif de l’ostéoporose postménopausique avec au moins un tassement vertébral ; – prévention de la perte osseuse chez les patients nécessitant une corticothérapie prolongée supérieure à trois mois par voie générale et à une dose supérieure à 7,5 mg par jour d’équivalent prednisone (indication révisée en 1998) ; – prix : 137,90 F, 14 comprimés par cycle de trois mois ; – remboursé par la Sécurité sociale à 65 % ; – coût du traitement journalier (hors calcium) : 1,53 F. Le caractère post-ménopausique d’une fracture est parfois contesté par le médecin conseil : nous assistons à des discussions difficiles sur le caractère ancien, prédictif ou non d’une ostéoporose, de certaines fractures. Une cunéisation dorsale est-elle un tassement ? ! Fosamax® 10 mg : – traitement de l’ostéoporose post-ménopausique avérée ; – prix : 230,80 F, coût du traitement journalier : 8,24 F ; – remboursé par la Sécurité sociale à 65 % dans la seule indication du traitement de l’ostéoporose post-ménopausique avérée avec au moins une fracture ostéoporotique. On peut donc proposer “l’arbre de prescription” suivant... ! Femme ménopausée avec " une ostéoporose avérée (définition OMS, T-score > -2) : Fosamax® autorisé mais non remboursable, mention NR obligatoire ; " une ostéoporose post-ménopausique avérée avec au moins une fracture ostéoporotique : Fosamax® autorisé et remboursable ; " une ostéoporose post-ménopausique avec au moins un tassement vertébral : Fosamax® et Didronel® autorisés et remboursables. AMM ET OSTÉOPOROSE L’autorisation de mise sur le marché, ou AMM, définit les indications dans lesquelles un médicament peut être prescrit. L’autorisation de mise sur le marché n’implique pas automatiquement le remboursement. Le remboursement est une autre étape. Les ordonnances Juppé ont précisé qu’une spécialité prescrite hors AMM était, de fait, non remboursable. Ainsi... France n’a actuellement l’AMM dans le traitement de l’ostéoporose masculine. L’obtention de l’AMM pour le traitement de l’ostéoporose masculine passe par des résultats cliniques contrôlés qui ne sont pas disponibles pour l’instant. Un praticien peut, sous sa responsabilité, prescrire un bisphosphonate à un homme ostéoporotique, mais en indiquant préalablement “hors AMM, donc non remboursable”. Des contentieux de plus en plus fréquents aboutissent à la traduction de confrères devant les Comités médicaux régionaux pour des prescriptions de bisphosphonates à des hommes ayant un T-score à - 4 DS... ! Homme ou femme nécessitant une corticothérapie prolongée supérieure à trois mois par voie générale et à une dose supérieure à 7,5 mg/jour d’équivalent prednisone : Didronel® autorisé et remboursé. Les conséquences : L’ostéoporose masculine est, en France et en 1999, orpheline de traitements. Aucun bisphosphonate disponible en ! La Lettre du Rhumatologue - n° 256 - novembre 1999 Le secrétaire d’État à la Santé incite le corps médical à pratiquer une médecine de prévention. Il convient de relever, avec les pouvoirs publics, ce défi et d’intégrer dans les libellés d’AMM les situations à risque patent. Il est temps d’inclure, de façon explicite, les résultats de l’ostéodensitométrie dans les AMM. La communauté rhumatologique, s’entourant d’une validation rigoureuse de la densitométrie, est à même de définir ce qui relève du dépistage de masse et ce qui relève de l’indication thérapeutique reconnue (ITR). Tous ensemble, universitaires, libéraux, assureurs, industrie pharmaceutique et pouvoirs publics, nous devons nous engager dans la bataille thérapeutique de l’ostéoporose. Notre honneur de thérapeutes est de soigner, notre honneur de scientifiques est de définir des indications thérapeutiques validées. Le Conseil national de rhumatologie et le Syndicat national des médecins rhumatologues veulent aider la communauté rhumatologique à relever ce défi. P. Monod, P. Sichère, P. Lebrun, J.C. Hochard, C. Petrucci, B. Morand, Syndicat national des médecins rhumatologues, Metz 57