Une introduction à la topologie différentielle et
algébrique
Guillaume Lafon
11 août 2004
Table des matières
1 Qu’est-ce qu’une forme différentielle ? 2
1.1 Les formes différentielles “classiques” . . . . . . . . . . . . . . 2
1.2 Le lemme de Poincaré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.3 Les formes différentielles supérieures . . . . . . . . . . . . . . 4
1.4 Mélanges et algèbre extérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
2 La cohomologie de De Rham 6
2.1 Un peu d’algèbre pour commencer . . . . . . . . . . . . . . . 6
2.2 Définition et propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2.3 Quelques calculs explicites et conséquences spectaculaires . . 8
3 Un peu de topologie algébrique 8
3.1 Le groupe fondamental et ses propriétés . . . . . . . . . . . . 9
3.2 Encore de l’homologie ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1
Introduction
Le but de ce texte est de présenter quelques aspects amusants (enfin,
du moins, que je considère personnellement comme amusants) de la géomé-
trie différentielle et de la topologie algébrique, en partant des connaissances
qu’est censé avoir sur le sujet le taupin moyen (on rappellera donc beaucoup
de choses, ledit taupin étant comme chacun sait en règle générale enclin à
considérer que la géométrie différentielle est un sujet définitivement trop bar-
bare pour faire l’objet d’un sujet de concours). Ayant moi-même eu beaucoup
de réticence vis-à-vis de ce domaine quand j’étais en prépa, je voudrais par
ce texte montrer qu’on peut faire des choses fort belles en géométrie différen-
tielle et qui n’ont pas grand chose à voir avec les ignobles calculs de dérivées
partielles qu’on fait habituellement en Spé. Le point de vue sera fortement
algébrique et topologique, les purs analystes risquent d’être un peu déçus...
1 Qu’est-ce qu’une forme différentielle ?
1.1 Les formes différentielles “classiques
Le principal objet différentiel intéressant qu’on a l’occasion d’étudier en
Spé est la forme différentielle. Elle sera donc le point de départ de notre texte.
Le premier problème qui se pose est de définir correctement ce qu’est une
forme différentielle et surtout de comprendre ce que représente un tel objet.
La définition que l’on voit habituellement en prépa ressemble à la suivante :
Définition 1. Une forme différentielle ωsur un ouvert URnest une
expression formelle ω=Pn
i=1 aidxi, où les ai:URsont des fonctions de
classe C.
Cette définition est certes parfaitement correcte, mais présente à mon
goût l’inconvénient de faire intervenir les expressions “de physicien” dxi, qui
sont dangereuses car la notation n’est pas vraiment adaptée à la nature de
l’objet. Le problème vient du petit dqui intervient dans la notation et qui
tend à faire croire que des dérivées sont cachées derrière ce formalisme alors
que, provisoirement, il ne me semble pas opportun d’en faire intervenir.
Regardons les choses un peu différement : oublions cette notation dxi
pour retenir uniquement que les objets en question sont de simples formes
linéaires et forment une base de l’espace vectoriel des formes linéaires sur
Rn(en l’occurence la base duale de la base canonique de Rn, mais cela n’a
que peu d’importance). Notons les d’ailleurs liplutôt que dxi. Si je fais cela,
c’est tout simplement parce que le point important est que les liforment
une base de l’espace des formes linéaires, le choix de cette base étant en fait
arbitraire. Je vous laisse donc vous convaincre du point suivant :
Proposition 1. La définition 1 reste valable en remplaçant dxipar li, où
(l1,...,ln)est une base quelconque de L(Rn,R)
2
Les plus vifs d’entre vous auront maintenant compris mon objectif : l’ex-
pression Pailin’étant que l’expression dans la base lides coordonnées d’un
point de L(Rn,R), en notant ˜ωla fonction de Rndans L(Rn,R)dont les
fonctions coordonnées sont les ai(naturellement, ces dernières dépendent du
choix de la base li), la donnée de la forme différentielle ωest équivalente à
celle de la fonction ˜ω. C’est ce qui me pousse à identifier ces deux objets et
à introduire la nouvelle définition :
Définition 2. Une forme différentielle de classe Csur un ouvert URn
est une fonction ω:U→ L(Rn,R)de classe C.
On peut définir de même des formes différentielles de classe Cken rem-
plaçant les Cpar des Ckdans la définition, mais ce sont les formes Cqui
seront le plus intéressantes pour la suite.
Notons pour finir ce premier paragraphe que, si la nouvelle définition des
formes différentielles est plus pratique d’un point de vue algébrique, il est
évident que l’expression “physicienne” est indispensable pour les calculs, et
nous nous en servirons plus loin pour certaines démonstrations.
1.2 Le lemme de Poincaré
On va introduire une notation avant de faire deux ou trois autres rappels :
Définition 3. On note 1(U)l’espace vectoriel des formes différentielles
sur U(sans précisions, il s’agira des formes C, mais on peut très bien
prendre la même notation avec des formes Ck) et 0(U)l’espace vectoriel
des fonctions C(ou Ck) sur U(à valeurs dans R).
La raison de cette seconde notation deviendra rapidement limpide, mais
pour l’instant, notons que le fait de pouvoir définir une différentielle en tout
point de Upour une fonction Cfimplique l’existence d’une application
linéaire d: Ω0(U)1(U),f7→ (x7→ df(x)) (c’est un peu compliqué mais il
faut garder à l’esprit que 1est constitué de fonctions, elle-mêmes à valeurs
dans un espace de formes linéaires ; le fait que l’application soit linéaire
est une conséquence de la linéarité de la différentielle). Dans la notation
physicienne, cela s’écrit plus simplement d:f7→ df =Pf /∂xidxi. Le
taupin moyen sait que le noyau de l’application dest constitué des fonctions
constantes. Le point qui va nous intéresser pour la suite est la nature de
l’image de d, c’est-à-dire la détermination des différentielles exactes, celles
qui peuvent s’écrire sous la forme df pour une fonction Cf(on notera par
la suite l’ensemble des formes exactes B1(U). Le résultat le plus classique
sur cette question est le théorème suivant, abordé en classe de Spé :
Théorème 1. (lemme de Poincaré) Soit Uun ouvert étoilé de Rn, alors
B1(U)coincide avec les formes différentielles fermées, c’est-à-dire les formes
ω=Paidxiqui vérifient i, j, ai/∂xj=aj/∂xi
3
Le but du paragraphe suivant va être de généraliser les définitions des
formes différentielles pour exrpimer ce résultat plus joliment, puis de com-
prendre en quoi la géométrie de l’ouvert Uest reliée aux espaces de formes
différentielles.
1.3 Les formes différentielles supérieures
Le lemme de Poincaré peut s’exprimer de la façon suivante : Im(d) =
Ker(˜
d), où ˜
dest l’application qui, à une forme différentielle ω=Paidxi,
associe {ai/∂xjaj/∂xi}i<j . On peut formaliser cette observation en
introduisant la notion de différentielle d’ordre supérieur. Commençons par
le degré 2, les généralisations ensuite étant faciles :
Définition 4. Une différentielle Cd’ordre 2sur un ouvert URnest une
fonction ω:U→ L2(Rn,R)de classe C. On note 2(U)l’ensemble des
formes différentielles d’ordre 2.
L’espace L2(Rn,R)est celui des formes bilinéaires symétriques sur Rn,
qui est de dimension n(n1)
2. Le problème est maintenant d’obtenir une des-
cription intuitive de ce qu’est une forme différentielle d’ordre 2et de redéfinir
l’application ˜
den utilisant cet espace 2(U). On va le faire sous forme de
successions d’exercices corrigés :
Exercice 1. Soit l1, l2,...,lnune base de L(Rn,R). On note lilj(ça se
lit liextérieur lj), la forme bilinéaire qui, à un couple (x, y)de vecteurs dans
Rn, associe li(x)lj(y)lj(x)li(y).
1. Montrer que l’ensemble {lilj}i<j est une base de l’espace vectoriel
L2(Rn,R).
2. Montrer qu’une forme différentielle d’ordre 2s’identifie naturellement
à un objet de la forme P(i<j)ai,j lilj.
3. En posant, pour ω=Piaidliune forme différentielle, d1ω=Pidai
dli(c’est-à-dire, si on écrit dai=Pbi,jlj, ce qui est possible puisque les
ljforment une base de l’espace des formes linéaires, d1ω=Pi,j bi,j lj
li), montrer que d1ωne dépend pas du choix de la base l1,...,lnet que
d1s’identifie à la fonction ˜
ddéfinie précédemment. Constater que d1ω
est en fait une forme différentielle d’ordre 2.
4. Montrer que, pour une fonction fC, on a d1(df) = 0 (df étant une
forme différentielle, on peut lui appliquer la fonction d).
Pour résumer ce que nous venons de faire, on a en fait construit trois
espaces qui snt reliés entre eux par les applications det d1, ce qu’on peut
schématiser comme suit :
C(U, R)d
1(U)d1
2(U).
On peut continuer le processus via les définitions suivantes :
4
Définition 5. Une forme différentielle d’ordre psur un ouvert URnest
une fonction ω:U→ Lp(Rn,R)de classe C(l’espace Lp(Rn,R)étant
celui des formes n-linéaires alternées sur Rn). On note p(U)l’ensemble des
formes différentielles d’ordre p.
Remarque 1. Ceux d’entre vous qui ne dormaient pas au cours sur les
déterminants pourront faire la remarque suivante : la dimension de l’espace
Lp(Rn,R)vaut Cp
net en particulier, l’espace en question est vide dès que
p > n. Cela signifie qu’il n’ y a pas de formes différentielles d’ordre supérieur
àn.
Définition 6. Soit lune forme p-linéaire alternée et lune forme linéaire
sur Rn, définissons par analogie avec ce qui a été fait plus haut une forme
(p+ 1)-linéaire alternée ll(ce qu’on appellera le produit extérieur de l
et l). A un (p+ 1)-uplet de vecteurs (x1,...,xp, xp+1), on associe le réel
Pp+1
i=1 (1)il(x1,...,xi1, xi+1,...xp+1)l(xi). On définit ensuite le produit
extérieur d’une forme différentielle d’ordre pet d’une forme différentielle
d’ordre 1par linéarité à partir de cette formule. Ca peut paraitre assez com-
pliqué, mais c’est en fait la seule généralisation naturelle du produit extérieur
de deux formes différentielles d’ordre 1.
Proposition 2. Le produit extérieur est associatif, on peut donc définir sans
ambiguïté l’objet li1...likpour un sous-ensemble I={i1< i2< . . . < ik}
de {1,...,n}. Nous noterons lIla forme différentielle d’ordre kainsi définie.
L’ensemble des formes différentielles de type lIpour Ide cardinal kest
en fait une base de l’espace vectoriel Lk(Rn,R). Autrement dit, une forme
différentielle d’ordre ppeut aussi s’écrire comme ω=P|I|=paIlI, où aIest
une fonction C.
Définition 7. On peut désormais définir la différentielle d’une forme dif-
férentielle d’ordre ppar analogie au cas de l’ordre 1: on pose, si ω=
P|I|=paIlI,=PdaIlI(désormais, on utilisera toujours la lettre d
pour désigner la différentielle d’une forme différentielle, quel que soit son
ordre).
Proposition 3. La définition de la différentielle ne dépend pas du choix de
la base. De plus, pour une forme différentielle quelconque ω, on a d() = 0.
Voilà, le formalisme est désormais au point, ça peut paraître abstrait au
premier abord, mais le but de cette présentation n’est pas de faire des calculs
avec des formes différentielles (qui se prêtent pourtant fort bien au calcul, en
particulier, les formes différentielles sont des objets très pratiques pour les
calculs d’intégrales les plus divers), mais d’étudier la topologie de l’ouvert
Uà partir des renseignements donnés par les espaces p(U). En particulier,
la deuxième partie de la dernière proposition énoncée est fondamentale (je
rappelle que le fait qu’une forme différentielle d’ordre 1fermée soit exacte
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