us c u o c s Fo ocuFs ocus F F Buprénorphine haut dosage, l’âge de raison Florence Arnold Richez En 1996, les pouvoirs publics autorisaient la mise en vente de la buprénorphine haut dosage dans l’indication de traitement de substitution des patients héroïnomanes. Sept ans plus tard, on compte 80 000 patients traités par buprénorphine haut dosage, dont 85 % le sont par des médecins généralistes en ville. Sept ans plus tard – échéance classique des “crises” conjugales comme des mises à plat politiques – quel bilan en tirer ? Le compte-rendu de ce séminaire, qui s’est tenu à Biarritz les 4 et 5 avril derniers, organisé par les laboratoires Schering-Plough avec les interventions du Pr PhilippeJean Parquet (*) du Dr Jean-Pierre Daulouède (**) et du Dr Laurent Cattan (***), est très clair : ce traitement a prouvé son intérêt en termes de bénéfices pour la Santé Publique, pour l’individu, pour les professionnels qui se sont impliqués effectivement pour une partie d’entre eux. Mais qu’en est-il exactement du mésusage de la buprénorphine haut dosage et du nomadisme de certains patients ? Le développement des traitements de substitution par la méthadone, puis par la buprénorphine haut dosage, a tout à la fois contribué à la profonde modification des modes de représentation des conduites addictives et les a consacrés. “La stratégie de prise en charge de la toxicomanie était auparavant centrée sur le génie pharmacologique des molécules. Dans cette représentation, qui occultait la recherche du plaisir conduisant à la dépendance, point commun de toutes ces substances, le produit (*) Professeur à l’université de Lille, président du Conseil d’administration de l’OFDT. (**) Médecin psychiatre. Directeur du centre de soins en addictologie BIZIA, Médecin du Monde, centre hospitalier de la côte Basque, à Bayonne. (***) Médecin généraliste, président de l’Association nationale des généralistes pour la réflexion et l’étude de l’hépatite C. ANGREHC. Voir aussi l’article concernant : “La prise en charge des toxicomanes par les traitements de substitution dans les Hauts-de-Seine”, de B. Le Dieu de Ville, publié dans le Courrier des addictions 2003 ; 2, 5 : 52-9. était responsable de tout. Et la stratégie thérapeutique se cristallisait uniquement sur le sevrage, en négligeant de prendre en charge une véritable éducation à la santé”, exposait en “prologue” le Pr Philippe-Jean Pa rquet “À l’époque, l’intérêt s’était concentré sur une figure emblématique, celle du grand héroïnomane. Cette notion a dû être largement pondérée avec la description de populations de toxicomanes bien diversifiées, allant de l’usager nocif à celle de consommateurs sans problème. Parallèlement, on a glissé du concept de ‘toxicomane-délinquant’ à celui de ‘toxicomane-patient’, tout en faisant émerger la notion de vulnérabilité. Cette vision différente et plus graduelle a permis d’aboutir à la définition de micro-objectifs fragmentés et parfois contradictoires. Ces transformations ont conduit à légitimer des pratiques nouvelles, et c’est dans le cadre d’une stratégie devenue multifactorielle, autour de ‘toxicomanes-patients’, qu’est née la substitution.” Désormais l’important était de favoriser l’accès aux soins et de permettre le recours prag- 121 matique à des actions visant la réduction des risques et dommages encourus par les usagers de drogues. En quelques années, la notion de toxicomane-délinquant a donc fait place à la notion d’usager de drogue considéré comme un patient, ayant besoin d’une prise en charge médicale comme les autres patients, sans discrimination, en ville. “Les autorités ont estimé que les médecins généralistes seraient les mieux à même d’assurer la prise en charge des traitements de substitution avec la buprénorphine haut dosage en médecine de ville. Il s’agissait, en 1996, d’une stratégie innovante en France. Et nombre de questions se sont alors posées : les médecins sauraient-ils prendre en charge ces patients? Les malades allaient-ils adhérer à cette nouvelle offre de soin de leur toxicomanie ?”, résumait le Dr Laurent Cattan. Des bénéfices communautaires et individuels confirmés La réponse est clairement affirmative, même si le dispositif actuel et les pratiques professionnelles sont encore et toujours perfectibles. Les chiffres des décès et des interpellations en sont des indicateurs clés, tout comme les résultats principaux de nombreuses études, initiées par Schering-Plough, les associations de patients, les DDASS, l’Assurance Maladie (plus de 25 000 dossiers étudiés), l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies), l’Agence du médicament, les CEIP (Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance, Oppidum)… Premier avantage : le nombre des surdoses, évaluées à près de 500 par an en 1996, s’est spectaculairement abaissé à près de 70 par an à partir de 2000. Deuxième avantage, significatif également : les interpellations pour usage et revente d’héroïne ont également diminué, tandis que celles entraînées par l’usage ou la revente de cannabis et de cocaïne augmentaient. En ce qui concerne les études portant sur les prises en charge, toutes se sont accordées sur leur cohérence : les patients restaient dans le système de soins (68 % à deux ans, étude Spesub), la posologie évoluant autour d’une moyenne de 8 mg par jour (études Spesub en 1998, Oppidum et Anisse en 2000). Quant au bénéfice individuel que les patients ont manifestement retiré du traitement de substitution par rapport à la poursuite de leur consommation d’héroïne, les us c u o c s Fo ocuFs ocus F F études ont montré qu’une grande majorité d’entre eux avaient abandonné l’héroïne (étude Aides : 77 %). Même constat positif en ce qui concerne la réinsertion psychosociale. Ainsi, l’étude Subtares, réalisée dès la mise à disposition de la buprénorphine haut dosage, met en évidence une amélioration de la recherche de l’emploi et du logement, tout comme, plus récemment, l’étude Anisse : les patients sont mieux intégrés dans leur travail. Ils quittent le squat pour un logement stable et indépendant. Et ils reconnaissent une diminution de la délinquance et de la prostitution… Enfin, pour compléter ce bilan, des travaux se sont focalisés sur l’évolution de l’infection à VIH chez les patients : les séroconversions VIH ont diminué et, selon les chiffres de l’OFTD, la prévalence de l’infection à VIH a diminué de 1995 à 1997 (18,7 % en 1995 et 15,4 % en 1997). Toujours dans le cadre du sida, un travail réalisé à partir des données de la cohorte MANIF 2000 montre que la prise en charge par Subutex® facilite l’accès et la compliance aux traitements antirétroviraux. Les professionnels se sont impliqués Au début, l’étude Appropos a montré que 20 % des médecins généralistes prescrivaient de la buprénorphine haut dosage. On dispose aujourd’hui d’une autre source de données, celle de l’Assurance maladie, qui peut, grâce au codage des médicaments, mesurer combien de médecins assurent une prise en charge des patients par une substitution avec ce médicament : 23 % en Aquitaine, 25 % dans les Bouches-duRhône et 25 % en Picardie en 1999, puis 38 % dans cette même région en 2002… “Bien sûr, tous ne prennent pas en charge le même nombre de patients, et ce sont 11 % d’entre eux qui s’occupent de près de la moitié des patients ainsi traités”, corrigeait le Dr Laurent Cattan. “La grande majorité (70 %) travaillent en collaboration avec un réseau, dont une partie (30 %) dans un réseau formalisé”, précisait-il. Quant aux pharmaciens, ils ont été rapidement motivés et impliqués dans cette modalité de prise en charge : près de 65 % délivrent ce traitement, selon une étude menée par Schering-Plough. La réalité du mésusage : le problème des injecteurs “Détournement du système de soin avec revente et trafic, non-respect des modalités de prescription, association massive avec les benzodiazépines, le mésusage est identifié de façon quasi unanime à la pratique des injecteurs, à la lourdeur de leur comorbidité psychiatrique”, exposait ensuite le Dr Jean-Pierre Daulouède. Les sources très nombreuses – Aides, Oppidum, Assurance maladie, Spesub, Subtares, Anisse, les PES (programme échange de seringues) – convergent sur le pourcentage moyen de patients injecteurs suivis par les médecins généralistes : entre 15 et 20 %, avec un pourcentage plus élevé au début de la prise en charge (de 20 à 13 % dans l’étude Subtares, de 14 à 8 % après 1,5 an dans Spesub), ou au sein d’une population nettement plus marginale (40 % en 2001 des patients, dans une étude d’Aides). Ce pourcentage d’injecteurs reste très semblable selon que les patients sont traités par buprénorphine haut dosage (19 %) ou par méthadone (16 %). En revanche, on observe des différences dans les substances injectées : les patients sous buprénorphine haut dosage s’injectent ce médicament-là, alors que les patients sous méthadone s’injectent de la cocaïne, des benzodiazépines… et de l’héroïne. Ces injecteurs disent tous qu’ils sont toujours à la recherche d’un “effet-pic”, procuré par l’injection : “Un héroïnomane est habitué à passer ses journées avec une alternance de pics d’opiacés et de phases de manque, alors que le médicament en une prise par jour lui assure une stabilité neurobiologique tout au long de la journée.” Quant au nomadisme médical, redouté au démarrage de la prise en charge en ville des patients par ce traitement, les études de l’Assurance maladie montrent que 70 à 80 % des patients ont un prescripteur unique, ce qui constitue un indicateur objectif de la qualité de la prise en charge. Et les autres ? Selon une étude menée par Aides, certains usagers vivent totalement en dehors du système de soins, d’autres justifient l’achat de produits de substitution au marché noir par l’inadéquation de la posologie prescrite par leur médecin. Le Courrier des addictions (5), n° 3, juillet-août-septembre 2003 122 En miroir : les médecins prescripteurs et leurs patients Comment améliorer la prise en charge en ville, le confort de vie des patients, infléchir le détournement du médicament et son mésusage ? Pour le savoir, il fallait aller audelà de cette photographie de la prise en charge et de cet “état des lieux” chiffré, pour saisir plus finement l’origine des difficultés rencontrées, et par les médecins et par les patients : c’est l’objet que s’est fixé une étude Louis Harris en cours de publication, qui a inclus 460 médecins, analysé 2 547 questionnaires remplis par le médecin et 1 291 auto-questionnaires de patients envoyés directement par la poste. Dans 1 172 cas, on pouvait apparier, en miroir, fiche médecin et fiches patients. Première constatation : “Le patient toxicomane n’est pas plus opposant, peu adhérant au traitement, plus ‘infidèle’ qu’un autre souffrant d’une pathologie lourde chronique”, commentait le Dr Jean-Pierre Daulouède : La réalité de la dépression et des troubles psychiatriques des patients La dépression, l’un des points clés de l’enquête Louis Harris, reste difficile à évaluer avec rigueur : les médecins parlent de 40 % d’épisodes dépressifs au cours des derniers mois, dont 19 % de dépressions avérées ; 48 % des patients disent avoir souffert d'un épisode dépressif (échelle MINI) au cours du dernier mois. L’importance de la consommation de benzodiazépines constitue à l’évidence un énorme problème : dans cette étude, 60 % des patients suivis par un système de soins depuis plus de deux ans n’en prennent plus, mais 15 % consomment des benzodiazépines à demi-vie courte et 14 % des molécules à faible ou moyenne activité. Ces résultats reposent l’épineux problème du cadre de prescription de ces molécules et justifient sans doute un travail de réflexion plus poussé sur les comorbidités psychiatriques et sur le nécessaire accompagnement psychothérapeutique de certains patients. us FocusocuFs oc ocus F F Qui sont les injecteurs ? Pourquoi arrêtent-il d’injecter leur buprénorphine haut dosage ? Dans l’étude Louis-Harris, 17 % des patients interrogés disent s’être injecté le médicament au cours du dernier mois. En revanche, ils sont plus de 40 % à dire s’être injecté de la buprénorphine haut dosage au moins une fois dans leur vie. Ce sont d’anciens injecteurs par voie veineuse, qui ont souvent pris de la buprénorphine haut dosage de façon sauvage avant une prescription médicale. La recherche du bon dosage pourrait être une des raisons avancées dans le cas du nomadisme médical et pharmaceutique. Enfin, ils ont souffert d’épisodes dépressifs. La très grande fréquence des dépressions montre combien il est important que le généraliste puisse se tourner grâce à son réseau, vers le spécialiste psychiatre, le psychologue ou le Centre spécialisé aux soins des toxicomanes (CSST) pour une prise en charge psychothérapeutique. Nombre de patients, toutefois, arrêtent les injections grâce aux informations que leur donne le médecin sur la façon correcte de prendre de la buprénorphine haut dosage et sur les risques qu’ils encourent (veinite, hépatotoxicité, phlébite, abcès) : 16 % des patients injecteurs reconnaissent avoir cessé parce que leur médecin leur avait réexpliqué que le médicament se prenait en sublingual, et 36 % parce que leur généraliste les avait mis en garde contre les risques ; 10 % ont cessé lorsque celuici a augmenté la posologie et 21 % à cause de problèmes de santé liés à l’injection. en effet, 75 % des patients sont suivis par le même médecin depuis au moins deux ans, une “permanence” de la prise en charge due aussi à la nature même du traitement de substitution. Et avant qu’ils ne soient ainsi pris en charge ? Quatorze pour cent d’entre eux avaient en fait déjà commencé le traitement avec un autre médecin et 23 % y avaient déjà Brèv Brèv s Brèv es èv es r B s e e La révolution de l’utilisation de la buprénorphine haut dosage en ville aux États-Unis recouru en autoprescription “sauvage”. “Une entrée en matière pour une prise en charge plus cadrée par la suite”, commentait le Dr JeanPierre Daulouède. Dans cette étude, les patients disent prendre tous les jours en moyenne 7,8 mg de buprénorphine haut dosage et les médecins en prescrire en moyenne 7,7 mg, c’est-à-dire des L’utilisation de la buprénorphine haut dosage par les médecins de ville aux États-Unis est une révolution médicale, qui va permettre aux quatre cinquièmes des héroïnomanes américains actuellement non traités par la méthadone, et à une partie de ceux dont l’état est bien stabilisé par celle-ci, d’être pris en charge efficacement et en toute sécurité, déclare Glen R. Hanson, le directeur exécutif du Nida dans son éditorial du Nida Notes. Par ailleurs, il juge cette modalité de traitement moins stigmatisante car moins contraignante que celle à la méthadone. En effet, depuis octobre dernier, l’administration américaine (FDA) a, donné l’autorisation de prescription en ville de ce médicament de substitution à 2 000 médecins, déjà testé par 2 400 patients au cours de la dernière décade. Le “protocole” qui prévaut outre-Atlantique est de commencer par stabiliser les patients avec la buprénorphine haut dosage puis de les “passer” au suboxone, une combinaison de buprénorphine haut dosage et de naloxone, qui permet de réduire les risques de mésusage, et surtout l’injection de la buprénorphine haut dosage seule. Glen R.Hanson (Directeur exécutif du NIDA, États-Unis). Nida Notes, mars 2003, vol 17, n°5 : 3-4. posologies conformes à l’AMM et en accord avec les autres études qui évaluent la moyenne nationale à 8 mg par jour. L’enquête s’est penchée sur le mode de prise, en évaluant notamment les multiprises journalières et en précisant le profil des patients qui ne respectent pas la posologie journalière en prise unique, principe de base d’une prise en charge cohérente. Ces patients qui ont des prises multiples quotidiennes souffrent plus souvent de troubles anxieux que les autres. Ils consomment plus de benzodiazépines prescrites ou non. Ils ont un profil de toxicomanie plus prononcé et, en particulier, des associations à la cocaïne plus fréquentes. Ils suscitent plus facilement le soupçon de mésusage chez leur médecin. Enfin, ils ont moins souvent une délivrance quotidienne en pharmacie. L’enquête a aussi évalué l’importance des réseaux, condition d’optimisation du traitement, en se focalisant sur le duo médecinpharmacien : dans 46 % des cas, le médecin et le pharmacien ont formé un vrai réseau autour de leur patient, mais dans 35 % des cas, il n’y a pas eu de contacts. Quant aux patients, 85 % se disant satisfaits, ils sont 84 % à aborder les problèmes qui se présentent à eux avec leur médecin généraliste, puis avec leur pharmacien… Alcool et procréation médicalement assistée : mauvaise association On savait que la consommation d’alcool d’au moins six doses de boissons par semaine,provoquait des flux menstruels plus importants,une élévation du taux plasmatique d’estradiol, modifications hormonales susceptibles d’avoir un impact sur la procédure de procréation médicalement assistée. Cette étude récente qui a porté sur 221 couples ayant fait appel à ces techniques dans 26 centres américains a montré que pour une consommation de même importance, le “rendement” de la technique était nettement infléchi à la baisse : ainsi une consommation de plus d’un verre de boisson alcoolisée par jour (soit 12 g d’alcool pur), le nombre d’ovocytes recueillis par aspiration baissait de 13 %, et que le risque de ne pas voir la procédure se conclure par une grossesse était accru d’un facteur 2,86. Ce risque de ne pas mener une telle grossesse à son terme est quasi linéairement corrélé au volume d’alcool bu. En revanche, la consommation d’alcool par le père ne semble pas affecter sa propre fertilité ou le taux de succès de la PMA, apprécié par le nombre de grossesses initiées. Ce n’est pas le cas du nombre de grossesses menées à leur terme, qui est d’autant moins important que le père boit… et surtout de la bière ! Klonof-Cohen H et al. (États-Unis). Fertility & Sterility 2003 ; 79 : 330-9. e Brèv s Brè ves 123 F.A.R.