Le Courrier des addictions (5), n° 3, juillet-août-septembre 2003
études ont montré qu’une grande majorité
d’entre eux avaient abandonné l’héroïne
(étude Aides : 77 %).
Même constat positif en ce qui concerne la
réinsertion psychosociale.
Ainsi, l’étude Subtares, réalisée dès la mise
à disposition de la buprénorphine haut
dosage, met en évidence une amélioration
de la recherche de l’emploi et du logement,
tout comme, plus récemment, l’étude
Anisse : les patients sont mieux intégrés
dans leur travail. Ils quittent le squat pour
un logement stable et indépendant. Et ils
reconnaissent une diminution de la délin-
quance et de la prostitution…
Enfin, pour compléter ce bilan, des travaux
se sont focalisés sur l’évolution de l’infection
à VIH chez les patients : les séroconversions
VIH ont diminué et, selon les chiffres de
l’OFTD, la prévalence de l’infection à VIH
a diminué de 1995 à 1997 (18,7 % en 1995
et 15,4 % en 1997). Toujours dans le cadre
du sida, un travail réalisé à partir des don-
nées de la cohorte MANIF 2000 montre que
la prise en charge par Subutex®facilite l’ac-
cès et la compliance aux traitements antiré-
troviraux.
Les professionnels
se sont impliqués
Au début, l’étude Appropos a montré que
20 % des médecins généralistes prescri-
vaient de la buprénorphine haut dosage. On
dispose aujourd’hui d’une autre source de
données, celle de l’Assurance maladie, qui
peut, grâce au codage des médicaments,
mesurer combien de médecins assurent une
prise en charge des patients par une substi-
tution avec ce médicament : 23 % en
Aquitaine, 25 % dans les Bouches-du-
Rhône et 25 % en Picardie en 1999, puis
38 % dans cette même région en 2002…
“Bien sûr, tous ne prennent pas en charge le
même nombre de patients, et ce sont 11 %
d’entre eux qui s’occupent de près de la
moitié des patients ainsi traités”, corrigeait
le Dr Laurent Cattan. “La grande majorité
(70 %) travaillent en collaboration avec un
réseau, dont une partie (30 %) dans un
réseau formalisé”, précisait-il. Quant aux
pharmaciens, ils ont été rapidement moti-
vés et impliqués dans cette modalité de
prise en charge : près de 65 % délivrent ce
traitement, selon une étude menée par
Schering-Plough.
La réalité du mésusage :
le problème des injecteurs
“Détournement du système de soin avec
revente et trafic, non-respect des modali-
tés de prescription, association massive
avec les benzodiazépines, le mésusage est
identifié de façon quasi unanime à la pra-
tique des injecteurs, à la lourdeur de leur
comorbidité psychiatrique”, exposait ensuite
le Dr Jean-Pierre Daulouède. Les sources
très nombreuses – Aides, Oppidum, Assurance
maladie, Spesub, Subtares, Anisse, les
PES (programme échange de seringues) –
convergent sur le pourcentage moyen de
patients injecteurs suivis par les médecins
généralistes : entre 15 et 20 %, avec un
pourcentage plus élevé au début de la
prise en charge (de 20 à 13 % dans l’étude
Subtares, de 14 à 8 % après 1,5 an dans
Spesub), ou au sein d’une population net-
tement plus marginale (40 % en 2001 des
patients, dans une étude d’Aides). Ce
pourcentage d’injecteurs reste très sem-
blable selon que les patients sont traités
par buprénorphine haut dosage (19 %) ou
par méthadone (16 %). En revanche, on
observe des différences dans les sub-
stances injectées : les patients sous bupré-
norphine haut dosage s’injectent ce médi-
cament-là, alors que les patients sous
méthadone s’injectent de la cocaïne, des
benzodiazépines… et de l’héroïne. Ces
injecteurs disent tous qu’ils sont toujours
à la recherche d’un “effet-pic”, procuré
par l’injection : “Un héroïnomane est
habitué à passer ses journées avec une
alternance de pics d’opiacés et de phases
de manque, alors que le médicament en
une prise par jour lui assure une stabilité
neurobiologique tout au long de la journée.”
Quant au nomadisme médical, redouté au
démarrage de la prise en charge en ville des
patients par ce traitement, les études de
l’Assurance maladie montrent que 70 à
80 % des patients ont un prescripteur
unique, ce qui constitue un indicateur
objectif de la qualité de la prise en charge.
Et les autres ? Selon une étude menée par
Aides, certains usagers vivent totalement en
dehors du système de soins, d’autres justi-
fient l’achat de produits de substitution au
marché noir par l’inadéquation de la poso-
logie prescrite par leur médecin.
En miroir : les médecins
prescripteurs et leurs patients
Comment améliorer la prise en charge en
ville, le confort de vie des patients, inflé-
chir le détournement du médicament et son
mésusage ? Pour le savoir, il fallait aller au-
delà de cette photographie de la prise en
charge et de cet “état des lieux” chiffré,
pour saisir plus finement l’origine des dif-
ficultés rencontrées, et par les médecins et
par les patients : c’est l’objet que s’est fixé
une étude Louis Harris en cours de publi-
cation, qui a inclus 460 médecins, analysé
2547 questionnaires remplis par le méde-
cin et 1 291 auto-questionnaires de patients
envoyés directement par la poste. Dans
1172 cas, on pouvait apparier, en miroir,
fiche médecin et fiches patients.
Première constatation : “Le patient toxico-
mane n’est pas plus opposant, peu adhérant
au traitement, plus ‘infidèle’ qu’un autre
souffrant d’une pathologie lourde chronique”,
commentait le Dr Jean-Pierre Daulouède :
La réalité de la dépression
et des troubles psychiatriques
des patients
La dépression, l’un des points clés de
l’enquête Louis Harris, reste difficile à
évaluer avec rigueur : les médecins
parlent de 40 % d’épisodes dépressifs
au cours des derniers mois, dont 19 %
de dépressions avérées ; 48 % des
patients disent avoir souffert d'un épi-
sode dépressif (échelle MINI) au cours
du dernier mois.
L’importance de la consommation de
benzodiazépines constitue à l’évidence
un énorme problème : dans cette étude,
60 % des patients suivis par un système
de soins depuis plus de deux ans n’en
prennent plus, mais 15 % consomment
des benzodiazépines à demi-vie courte
et 14 % des molécules à faible ou
moyenne activité. Ces résultats repo-
sent l’épineux problème du cadre de
prescription de ces molécules et justi-
fient sans doute un travail de réflexion
plus poussé sur les comorbidités psy-
chiatriques et sur le nécessaire accom-
pagnement psychothérapeutique de
certains patients.