Dose quotidienne de buprénorphine haut dosage : que mesure-t-on ? obtient une différence importante entre dose prescrite (8 mg par jour par deux médecins différents), dose reçue par le patient (16 mg par jour) et dose effectivement consommée (0 mg par jour). Vincent Pradel(1,2), Joëlle Micallef(1,2), Xavier Thirion(1) La dose consommée La plupart des intervenants dans le domaine des traitements de substitution s’accordent à estimer que la posologie quotidienne moyenne de buprénorphine haut dosage utilisée en France se situe aux alentours de 8 mg par jour. Ce chiffre s’appuie sur des considérations générales : il est retenu pour l’évaluation du nombre de patients traités par buprénorphine haut dosage (1) et correspond à la “defined daily dose” (posologie standard définie par l’OMS pour le calcul du nombre de traitements par jour) pour la buprénorphine haut dosage utilisée comme traitement de substitution de la dépendance majeure aux opiacés. Il est surtout retrouvé dans de nombreuses études françaises de prescription de la buprénorphine haut dosage, dont la plus récente et la plus exhaustive vient d’être publiée (2). Cette cohérence apparente ne doit cependant pas nous faire oublier qu’il existe de grandes différences entre les doses moyennes et la réalité des pratiques du terrain. Les utilisateurs de buprénorphine haut dosage constituent en fait probablement trois populations distinctes : des utilisateurs occasionnels pour lesquels la notion de posologie quotidienne n’a pas de sens ; des utilisateurs “déviants”, minoritaires, mais avec une différence importante entre posologie prescrite, délivrée et consommée et enfin la majorité des utilisateurs, réguliers, pour lesquels ces trois doses sont comparables. Quelle dose ? Une des premières précautions à prendre lorsque l’on étudie les travaux réalisés sur l’utilisation d’un traitement comme la buprénorphine haut dosage consiste à com1. Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP), centre associé PACA-Corse, laboratoire de santé publique, EA3279, faculté de médecine, 27, boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille. 2. Centre de pharmacologie clinique et d’évaluation thérapeutique, CHU Timone adulte, 254, rue Saint-Pierre, 13005 Marseille. prendre comment les auteurs ont défini et mesuré la posologie quotidienne. En effet, selon les études, ce même terme (“la dose”) désigne en fait des concepts très différents : la posologie consommée, la posologie délivrée, la posologie prescrite. Prenons un exemple volontairement caricatural pour illustrer ces différences : Un “patient” détournant la buprénorphine haut dosage consulte le même jour deux médecins différents. Chaque médecin lui prescrit une dose de 8 mg par jour. En fait, ce “patient” n’est pas dépendant aux opiacés et revend la totalité de la buprénorphine haut dosage sur le marché de rue. Au total on 109 La dose effectivement consommée par le patient est celle présentant le plus d’intérêt d’un point de vue clinique. Mais elle est malheureusement la plus difficile à mesurer de façon fiable et la plus soumise aux biais. Le seul moyen d’obtenir une estimation de cette posologie est d’interroger le patient sur le dosage de buprénorphine haut dosage. En plus des biais classiques à ce type d’étude (mauvaise mémorisation par le patient, de la posologie prise notamment), la possibilité de revente et mésusage du produit, induit un biais de déclaration plus spécifique aux traitements susceptibles de détournement, comme la buprénorphine haut dosage. Le patient peut, en effet, déclarer une posologie inférieure à celle réellement consommée (en cas d’achat sur le marché de rue, polyprescription (3), falsification d’ordonnances) ou, au contraire, supérieure (en cas de revente sur le marché de rue par exemple). Des méthodes permettent de limiter ce biais (notamment la séparation des rôles d’enquêteur et de prescripteur et la garantie d’anonymat donnée au patient), sans toutefois l’éliminer. Plusieurs enquêtes, fondées sur ce principe, ont permis, entre autres, d’obtenir des données sur le recours au deal et l’utilisation de doses élevées : le biais de déclaration n’est donc pas absolu mais reste difficilement quantifiable (4, 5). Enfin, il est important de remarquer que les populations atteintes par ces enquêtes ne sont pas représentatives de l’ensemble des patients consommant de la buprénorphine haut dosage : Oppidum s’adresse principalement aux patients fréquentant les structures de soins de type CSST (4) alors que la majorité des patients sous buprénorphine haut dosage sont traités en médecine générale. De même l’enquête AIDES (5) s’adressait à une population très précarisée. Même lorsque l’étude cherche à être représentative, comme dans l’enquête SUBGEO (citée dans un compterendu de congrès) (6), comportant un questionnaire anonyme des patients sur leurs consommations, seuls les volontaires répondent à ce type d’enquête, ce qui peut induire un biais de sélection, les plus observants étant les plus susceptibles de répondre. Ce biais devrait être systématiquement contrôlé en comparant les populations des répondeurs et des non- répondeurs sur toutes les données disponibles. La quantité délivrée La quantité délivrée est celle que reçoit le patient en ayant recours à la voie légale, c’està-dire le traitement reçu en pharmacie (officines ou pharmacies hospitalières). Elle peut être supérieure à la dose consommée (en cas de revente, échange, don ou non-consommation de la quantité délivrée) ou inférieure (en cas de recours au marché de deal...). Elle peut être évaluée précisément grâce aux bases de remboursement de l’assurance maladie, disponibles depuis 1997. Celles-ci permettent de disposer de l’ensemble des délivrances de buprénorphine haut dosage en officine à des assurés du régime général sans avoir à interr oger les patients. Elle évite donc les deux biais majeurs de la dose consommée mentionnée plus haut : celui de déclaration et celui de la sélection de la population. De plus, cette population (les assurés du régime général) n’est pas sélectionnée sur la base du volontariat et représente en général plus de 80 % de la population totale. À partir de ces données, la méthode habituellement utilisée pour estimer la dose délivrée consiste à diviser la quantité totale délivrée à un patient (moins la dernière quantité délivrée) par la période de temps entre la première et la dernière délivrance observée. Cependant, cette méthode peut entraîner une sous-estimation des doses employées. Si un patient est traité pendant un mois à 8 mg par jour, ne consulte plus pendant 9 mois puis se fait prescrire 8 mg par jour pendant 1 mois, la posologie calculée par cette méthode sera de 0,8 mg par jour sur 10 mois. Il est donc nécessaire de prendre en compte les interruptions de traitement de certains patients lorsque l’on utilise les bases de données de l’assurance maladie. En effet, l’obligation de confidentialité (restreignant l’accès aux informations nominatives aux seuls praticiens conseils autorisés) rend difficile la réalisation d’enquêtes complémentaires qui permettraient de mieux connaître le contexte clinique de ces prescriptions. Une fois ces limites prises en compte, elle reste à ce jour la posologie la plus précise et la moins biaisée pour quantifier les traitements par buprénorphine haut dosage. Sa seule estimation au niveau national est récente (2 ), et retient une dose moyenne de 7,9 mg par jour (mais ne prenant pas en compte les interruptions de traitement). D’autres études à partir des données de l’assurance maladie sont également disponibles à un niveau local, parfois avec des méthodes permettant de prendre en compte les interru ptions de traitement (critères d’inclusion ou aménagement de la méthode de calcul). La posologie prescrite Enfin, la posologie prescrite par le médecin au patient peut être estimée en interr ogeant les prescripteurs (7) (avec des biais de sélection et de déclaration) ou à partir des bases de données de l’assurance maladie (8, 9). Elle devrait être équivalente à la dose délivrée, d’une part, parce que les vols et les falsifications d’ordonnances semblent peu fréquents pour la buprénorphine haut dosage (10) et, d’autre part, compte tenu des modalités de prescription de la buprénorphine haut dosage sur ordonnance sécurisée. Cependant, la polyprescription (3) peut, elle aussi, entraîner une différence importante entre posologie prescrite et délivrée. La difficulté dans ce type de comportement est qu’il est entièrement dépendant du temps : si un médecin prescrit 8 mg par jour de buprénorphine haut dosage pendant 6 mois à un patient et un autre la même dose pendant les 6 mois suivant au même patient, les doses prescrites par chaque médecin et délivrées au patient seront les mêmes. En revanche si ces deux médecins prescrivent en même temps au même patient, la quantité délivrée au patient (16 mg par jour) sera le double de celle prescrite par chacun des médecins (8 mg par jour, les quantités restant les mêmes mais étant délivrées au patient sur un temps plus court). Le second problème est que si les quantités consommées et délivrées sont calculées pour un patient donné, celles qui sont prescrites sont calculées pour un couple patient-prescripteur donné (9). Un même patient peut donc avoir plusieurs doses prescrites s’il a consulté plusieurs médecins. Pour les traitements par bu p r é n o rphine haut dosage, le phénomène de polyprescription (3) est souvent évoqué (souvent sous le terme de nomadisme), rarement mesuré. Il est quelquefois approché par le nombre de prescripteurs Le Courrier des addictions (6), n° 3, juillet-août-septembre 2004 110 de buprénorphine haut dosage par patient ce qui ne prend pas en compte leur succession dans le temps. Aussi, nous avons mis au point une méthode pour la mesurer à partir des bases de données de l’assurance maladie, en calculant pour chaque patient la différence entre la posologie prescrite (moyenne des doses prescrites par chacun des médecins consultés) et délivrée (11). La différence donne la dose polyprescrite. Dans cette étude menée dans les Bouches-du-Rhône de septembre 1999 à décembre 2000, la dose délivrée moyenne était de 13,0 mg par jour ( é c a rt-type : 12,2 mg par jour) tandis que la dose prescrite moyenne était de 10,8 mg par jour (écart-type : 7,6 mg par jour). Cette différence de 2,2 mg par jour était due à la polyprescription, qui était le fait d’un faible nombre de patients (24,5 % des patients avaient un écart entre quantité prescrite et quantité délivrée supérieure à 4 mg par jour). Une population homogène ? L’importante hétérogénéité des doses de bu p r é n o rphine haut dosage retrouvée dans les études sur les bases de données de l’assurance maladie, a amené certains auteurs (12, 13) à différencier trois sous-populations parmi les patients recevant de la buprénorphine haut dosage : les utilisateurs réguliers (ou “ration nels”), les “occasionnels” et les “déviants” (ou “non-rationnels”). • Le groupe le plus important est celui des patients réguliers : ils reçoivent régulièrement une posologie de buprénorphine haut dosage proche des moyennes observées dans les études, ont recours à un ou deux médecins pour leurs prescriptions. • Le groupe des utilisateurs occasionnels est le moins bien connu car ces patients présentent un nombre de délivrances trop faible pour permettre une estimation fiable des quantités et des doses délivrées. Ils sont, de ce fait, généralement dès le départ exclus de ces études. Ce problème est à rapprocher de celui des i n t e rruptions de traitement vu précédemment : certains utilisateurs de buprénorphine haut dosage ne bénéficient que d’une seule délivrance ou de quelques-unes très espacées dans le temps, incompatibles avec un traitement bien conduit par buprénorphine haut dosage. Plusieurs hypothèses non ex c l usives peuvent expliquer ce phénomène (tentatives de sevrages, consommations récréatives sans dépendance, “dépannage” lors de manque d’héroïne sans intention de substitution, incarcération, hospitalisation…) sans que l’on connaisse la part de chacune de ces situations. Il faut cependant garder à l’esprit que ces patients représentent une part importante des consommateurs de buprénorphine haut dosage retrouvés dans plusieurs études (environ 25 %) (11-13). • Le groupe des utilisateurs “déviants” ou irréguliers est celui qui rassemble les utilisateurs les plus suspects de détournement et de mésusage : la délivrance de fortes doses de buprénorphine haut dosage et la consultation de nombreux médecins font suspecter notamment un recours important à la polyprescription. Ce groupe est minoritaire (bien que les définitions varient beaucoup selon les auteurs) p a rmi les utilisateurs de buprénorphine haut dosage. Les quantités totales obtenues par ces utilisateurs sont loin d’être négligeables. Il est possible qu’une partie de ces utilisateurs ne soient, en fait, pas réellement des patients, mais uniquement des vendeurs de buprénorphine haut dosage sur le marché de deal. Les influences de ces trois groupes sur les posologies moyennes calculées par les études d’utilisation ne sont absolument pas comparables : les groupes “occasionnels” et “déviants” sont sous-représentés ou soumis à un biais maximum dans les études déclaratives. Si l’on interr oge les prescripteurs, les patients du groupe déviants ne présenteront pas nécessairement de doses prescrites anormalement élevées obtenues in fine par le recours à la polyprescription. L’étude des doses délivrées moyennes fondées sur les données de l’assurance maladie peut également prêter à confusion si l’on s’en tient à elles : les patients occasionnels qui font des interruptions de traitement importantes peuvent contribuer à diminuer le chiffre de la dose délivrée moyenne tandis que les patients “déviants” la feront peu augmenter en raison de leur fa i ble effectif. La répartition réelle des utilisateurs de buprén o rphine haut dosage parmi ces trois groupes n’est pas consensuelle. Elle dépend des définitions retenues, tous les utilisateurs du groupe “déviants” ne détournant pas forcément le produit. Le constat de doses moyennes aux alentours de 8 mg par jour (qu’elles soient consommées, délivrées ou prescrites, obtenues par enquête déclarative ou à partir de bases de données) ne doit donc pas être interprété comme une preuve de la bonne observance des traitements par buprén o rphine haut dosage dans la population : la dose moyenne est un indicateur caractérisant essentiellement le comportement du groupe régulier. Il est peu sensible à l’influence des mésusages et des détournements qui ne concernent qu’une faible part des utilisateurs de buprénorphine haut dosage. En conclusion La p o s o l og i e quotidienne n’est pas une notion évidente, notamment en ce qui concerne les traitements susceptibles de détourn ements. Lorsqu’elles rapportent des résultats en termes de posologies de traitement, les études sur la buprénorphine haut dosage devraient les assortir d’une définition rigoureuse de celle s qu’ils ont utilisées (prescrite, délivrée, consommée), d’une description précise des méthodes employées pour leur estimation et d’une discussion des limites inhérentes à ces méthodes. Si la posologie de 8 mg par jour a été récemment confi rmée au niveau national pour la quantité délivrée aux patients, c’est en fait la notion même de posologie moyenne (impliquant une population homogène) qui doit être remise en question. Références bibliographiques 1 . Emmanuelli J. Contribution à l'évaluation de la politique de réduction des risques: le système SIAMOIS. Bull Epidemiol Annu 1998;2:175-8. 2 . Claroux-Bellocq D, De Bailliencourt S, SaintJean F et al. Les traitements de substitution aux opiacés en France métropolitaine en 2000: les données du régime général de l'assurance maladie. Revue Médicale de l'Assurance Maladie 2003; 34(2):93-102. 3 . La polyprescription (consultation de plusieurs médecins sur une même période de temps) permet au patient d’obtenir une dose supérieure à la dose prescrite par chacun des médecins. La polyprescription devrait donc être distinguée du nomadisme médical (consultation de plusieurs médecins Les risques de la ponction biopsie hépatique La Revue Prescrire publie une synthèse collective des travaux réalisés sur les risques de cet examen diagnostique ou pronostique invasif, incontournable dans un certain nombre de cas d’hépatites C : des décès ont été rap p o rtés (4 pour 10 000), principalement dus à des hémorragies intra-périto- 111 sur des périodes de temps successives) qui ne permet pas d’obtenir une dose supérieure à la dose prescrite (d’après OFDT 1999 : Drogues et dépendances: Indicateurs et tendances, édition 1999. Paris, Observatoire français des drogues et des toxicomanies) Les deux termes sont cependant souvent confondus dans la littérature. 4 . Thirion X, Micallef J, Barrau K et al. Recent evolution in opiate dependence in France during generalisation of maintenance treatments. Drug Alcohol Depend 2001;61(3):281-5. 5 . AIDES. Attentes des usagers de drogue concernant les traitements de substitution: expérience, satisfaction, effets recherchés, effets redoutés. Calderon C, Soletti J, Gaigi H, Gui-chard A, Lert F. Paris: AIDES 2002:71 p. 6 . Arnold-Richez F, Parquet PJ, Daulouède JP, Cattan L. Buprénorphine haut dosage, l'âge de raison. Le Courrier des addictions 2003;5(3): 121-3. 7 . Fhima A, Henrion R, Lowenstein W, Charpak Y. (Suivi à 2 ans d'une cohorte de patients dépendants aux opiacés traités par buprénorphine haut dosage (Subutex®). Résul-tats de l'étude SPESUB. Ann Med Interne (Paris) 2001;152,suppl. 3:IS2636. 8 . Fumeau B, Malinvaud F, Mattern B et al. Subutex®: attention aux patients nomades et aux coprescriptions de benzodiazépines ! Rev Prat Med Gen 2000; 517:2133-7. 9 . Pradel V. Polyprescription de buprénorphine haut dosage (Subutex®) dans les Bouches-duRhône: les doses prescrites sont-elles respectées? Mémoire de DEA "Epidémiologie et Intervention en Santé Publique". Université Victor Segalen, Bordeaux 2, 2002. 1 0 . Llau ME, Lapeyre-Mestre M, Plas L et al. Forged medical prescriptions in a community pharmacy network in Midi-Pyrenees area: assessment of a falsification ratio. Eur J Clin Pharmacol 2002;57 (12):911-2. 1 1 . Pradel V, Thirion X, Ronfle E et al. Assessment of doctor-shopping for high dosage buprenorphine maintenance treatment in a French region: development of a new method for prescription database. Pharmacoepide-miol Drug Saf, sous presse, publié en ligne le 15 sept. 2003. 1 2 . Thirion X, Lapierre V, Micallef J et al. Buprenorphine prescription by general practitioners in a French region. 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