Dossier D ossier Introduction Introduction IP B. Cutuli* C e dossier sur les “carcinomes lobulaires in situ” (CLIS) ou plus largement sur les “néoplasies lobulaires” (NL) fait suite à celui publié en mars dernier sur les carcinomes canalaires in situ (CCIS) [voir Lettre du Sénologue n° 35]. Toutefois, alors que pour les CCIS, on dispose de très nombreuses données en ce qui concerne les modalités de diagnostic, les caractéristiques anatomopathologiques et les modalités thérapeutiques (y compris les résultats de cinq essais randomisés), il faut bien constater que depuis le meeting organisé à Londres le 1er février 2004 par l’Eusoma (European Society of Mastology) sur les CLIS, beaucoup d’incertitudes demeurent. En effet, il s’agit toujours d’une pathologie rare, faisant l’objet de différentes classifications anatomopathologiques, avec des modalités de diagnostic non spécifiques, et dont les données de la littérature sont très hétérogènes. On retrouve en effet, le plus souvent, de petites séries rétrospectives, incluant un mélange de lésions classées soit CLIS, soit NL, avec une proportion plus ou moins importante d’hyperplasies lobulaires atypiques (HLA). Les procédures chirurgicales sont très variables, allant de la simple biopsie (le plus souvent macrobiopsie 11 ou 8 Gauge, mais parfois microbiopsie 14 Gauge, avec, dans ce cas, une “fiabilité” diagnostique bien inférieure). Un autre problème très important concerne les modalités d’évaluation des “rechutes intramammaires” et de la survenue des cancers du sein controlatéraux après biopsie-exérèse (plus ou moins large, le plus souvent sans connaissance de l’extension exacte des foyers lésionnels et de leur sous-type). En effet, dans les différentes études, les patientes ayant eu un cancer controlatéral préalable (in situ ou invasif) sont parfois incluses ; de même, la proportion de femmes ayant eu des antécédents familiaux est variable. Or, on sait très bien que ces deux facteurs peuvent modifier de façon considérable le “risque” de survenue d’un cancer ultérieur. Enfin, les diverses études prennent le plus souvent en compte la survenue d’un cancer infiltrant (quel qu’en soit le type histologique), et bien plus rarement la survenue d’un CCIS ou d’un deuxième CLIS. Cela explique en partie l’hétérogénéité des résultats et les difficultés des comparaisons des séries. Dans ce dossier, seront donc traités différents aspects concernant ces lésions. Étant donné que les auteurs des divers chapitres sont tous de spécialités différentes, les mêmes données peuvent être interprétées (au vu aussi de leur rareté relative) de façon variable. Cela reflète les difficultés d’interprétation des données de la littérature à la lumière de la pratique quotidienne de chacun. Il semble également important de souligner la nécessité de l’évaluation multidisciplinaire systématique de ces cas difficiles, avec, en particulier, une confrontation très précise radio-histopathologique et une évaluation “globale” de la patiente en ce qui concerne ses autres facteurs de risque (exemple : antécédents familiaux, densité mammaire, densité osseuse, etc.). n Cancer lobulaire in situ : données historiques et épidémiologie Lobular carcinoma in situ: historic perspective and epidemiology IP B. Cutuli* L e terme de carcinome lobulaire in situ (CLIS) a été créé par Foote et Stuart en 1941, au Memorial Hospital de New York, pour décrire “a rare form of mammary cancer”. Il s’agissait d’une lésion ressemblant au carcinome lobulaire invasif (CLI), mais encore entouré par la membrane basale (1-3). Sa signification exacte a été longtemps débattue, variant entre *Service de radiothérapie-oncologie, polyclinique de Courlancy, Reims. simple “marqueur de risque” et véritable précurseur d’un cancer invasif (lobulaire ou canalaire). Le CLIS est une entité pathologique où une population uniforme de cellules rondes ou polygonales non cohésives envahit au moins la moitié d’une unité lobulaire du sein. La distinction avec une hyperplasie lobulaire atypique (HLA) est souvent très difficile, d’autant plus que les deux lésions coexistent souvent (4-6) et leur signification pronostique est similaire (6). Pour cette raison, Haagensen et Rosen, en 1978, avaient regroupé La Lettre du Sénologue - n ° 38 - octobre-novembre-décembre 2007 ces deux lésions sous le terme de néoplasie lobulaire (NL) (7). Plus récemment, l’équipe de Tavassoli et l’OMS (8) ont proposé une nouvelle classification en utilisant le terme de “lobular intraepithelial neoplasia” (LIN), avec trois catégories : LIN 1, 2 et 3. Cette dernière correspond aux lésions les plus agressives, incluant la variante pléiomorphe et celle avec nécrose. Les CLIS purs (sans carcinome canalaire in situ associé [CCIS]) sont rares. Ils représentent dans les différentes études de 0,5 à 3,8 % de tous les cancers mammaires (1, 9) et environ 10 à 15 % des carcinomes non invasifs. Déjà en 1987, Frykberg (10) notait que l’âge au diagnostic se situait entre 44 et 47 ans, soit une dizaine d’années plus tôt que pour les cancers invasifs. Pour cet auteur, plus de 90 % des femmes avec un CLIS n’étaient pas ménopausées. En 1993, le même auteur faisait état, parmi une série de 6 287 biopsies mammaires, d’une incidence de CLIS de 2,3 % et de CCIS de 6,9 % (11). Plusieurs autres auteurs ont rapporté l’incidence de CLIS à partir de prélèvements percutanés. À Houston, Middleton (12) retrouve parmi 2 237 biopsies réalisées entre 1995 et 2001, 35 (1,5 %) “néoplasies lobulaires” incluant 14 CLIS, 17 HLA et 4 NL. À New York, Liberman (13) retrouve, parmi 1 315 biopsies, 16 (1,2 %) CLIS. On peut noter des variations en fonction du type et du nombre de prélèvements. Ce sujet sera développé dans d’autres parties du dossier. En 1991, les données du registre SEER (Surveillance Epidemiology and End Results) de Détroit faisaient état d’une incidence de CLIS de 0,9/100 000 femmes en 1973-1974 versus 2,8/100 000 femmes pour les CCIS. En 1985, Bondeson (13) a évalué le taux de CLIS parmi 200 mammoplasties de réduction. Il n’a trouvé aucun cas parmi les femmes de moins de 30 ans, mais 7 CLIS parmi celles plus âgées, avec une incidence globale de 3,5 % (et de 8 % dans le groupe des patientes de plus de 40 ans). Dans les séries autopsiques, le taux de CLIS retrouvé est inférieur à 1 %, mais la méthodologie de ces études (âge des patientes, modalités de prélèvement) a été souvent critiquée (1). Une mise au point très précise à partir de neuf registres de la base SEER (qui représentent environ 11 % de la population américaine) sur la période 1978-1998 a été faite par Li en 2002 (9). L’augmentation de l’incidence en fonction des tranches d’âge est détaillée dans le tableau. Tout âge confondu, l’incidence est passée de 0,8/100 000 femmes par an en 1978-1980, à 2,83/100 000 femmes par an en 1987-1989 et à 3,2/100 000 femmes par an en 1996-1998. Cela correspond à une multiplication par quatre de l’incidence globale sur 20 ans, mais en réalité, l’augmentation est plus importante pour les femmes entre 50 et 59 ans (x 5,3) et 6069 ans (x 5,1). On note également des disparités d’incidence entre les neuf registres ayant collecté les données de cette étude. L’auteur suggère que cette augmentation de l’incidence, notable surtout chez les femmes de plus de 50 ans, puisse être due, comme cela a été constaté pour les cancers invasifs, à l’utilisation croissante du traitement hormonal substitutif (THS), mais également au développement du dépistage mammographique. Plus récemment, dans la Million Women Study (14), le risque relatif (RR) de CLIS observé chez les utilisatrices de THS versus les non-utilisatrices était de 2,82 (IC95 : 1,72-4,63), ce qui est le plus La Lettre du Sénologue - n ° 38 - octobre-novembre-décembre 2007 Dossier D ossier élevé parmi les formes histopathologiques de cancer mammaire n étudiées dans cette cohorte. Tableau. Variations de l’incidence des CLIS (taux/100 000 femmes par an) dans la base SEER américaine (1978-1998) (modifié d’après Li, 2002). Âge 1978-1980 1987-1989 1996-1998 3,4 8,3 7,2 50-59 2 9,1 11,5 60-69 1,1 6.4 8,1 40-49 Références bibliographiques 1. 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