D O S S I E R DOSSIER THÉMATIQUE CARCINOME CANALAIRE IN SITU (2 e partie) ◆ Aspect chirurgical J.P. Lefranc CARCINOME CANALAIRE IN SITU (I) ◆ Place de la radiothérapie A. Fourquet ◆ Revue critique de la littérature B. Cutuli Introduction ◆ TAM ou THS : le dilemme M. Namer, A. Lesur ● B. Cutuli* L e carcinome canalaire in situ (CCIS) pur (ou intracanalaire ou intragalactophorique) correspond à la première étape de la cancérisation mammaire. Par définition, il s’agit d’une prolifération de cellules tumorales sans atteinte de la membrane basale ni du tissu conjonctif, donc sans possibilité de dissémination lymphatique ou hématogène. Cette maladie, initialement locale, est donc théoriquement guérissable à 100 %. Son risque évolutif est représenté par la progression vers un cancer invasif. Dans les séries anciennes, les CCIS ne correspondaient qu’à 3 à 5 % de tous les cancers mammaires, mais, actuellement, avec le développement du dépistage mammographique (organisé ou individuel), ils représentent 10 à 15 % des cancers du sein et jusqu’à 25 % des lésions infracliniques (1, 2). On peut donc estimer qu’environ 3 500 CCIS sont actuellement découverts chaque année en France. De façon paradoxale, alors que, pour les cancers invasifs de petite taille, les indications thérapeutiques sont assez bien codifiées, de nombreuses incertitudes et divergences persistent en ce qui concerne les CCIS. Ceci est en partie dû aux difficultés du diagnostic radiologique et anatomopathologique. À l’heure actuelle, plus de 85 % des CCIS sont découverts à la mammographie, et, dans la très grande majorité des cas, sur un ou plusieurs foyers de microcalcifications (3). Toutefois, toutes les microcalcifications ne correspondent pas à des lésions malignes, et plusieurs classifications ont essayé d’établir des corrélations précises entre leur morphologie, leur extension, leur topographie et leur nombre (4). Les plus utilisées sont celle de Le Gal et celle de l’ACR (voir fiche, p. 27), qui inclut également la présence éventuelle d’autres images mammographiques (opacités, asymétries de densité, distorsions architecturales). Ceci implique une très bonne qualité du bilan mammographique, avec des clichés centrés et agrandis complémentaires (5, 6). Du point de vue anatomopathologique (voir article de B. Zafrani, p. 9), les difficultés sont encore plus nombreuses. Tout d’abord, la confirmation du diagnostic de CCIS implique la certitude de l’absence d’une zone de micro-invasion, qui est parfois très difficile à obtenir et nécessite le recours à des coupes sériées afin de ne pas méconnaître une infiltration focale de la basale, surtout en cas de lésions étendues. Par ailleurs, le diagnostic différentiel avec une hyperplasie canalaire atypique peut être également très difficile, ce qui a été confirmé lors de la relecture centralisée effectuée dans plusieurs séries, dont deux essais randomisés (7-11). D’autres difficultés concernent la détermination exacte de la taille de la lésion et surtout l’état des marges d’exérèse. En effet, le mode de croissance des CCIS n’est pas toujours uniforme mais, comme l’ont montré les travaux de Holland (12) et de Faverly (13), il peut être discontinu à l’intérieur d’un même segment mammaire incluant plusieurs canaux galactophoriques (présence de gaps de quelques millimètres entre ces diverses zones atteintes). Enfin, les classifications (descriptives et/ou à visée pronostique) des CCIS sont nombreuses et plus ou moins facilement reproductibles (voir article de R. Gilles, p. 13) (14, 15). Les anciens critères morphologiques ou architecturaux (type papillaire ou micropapillaire, cribriforme, massif, clinging et comédo) ont été progressivement remplacés par l’analyse du grade nucléaire et la quantification de la présence de nécrose. Il faut également noter que, dans environ un tiers des cas, les lésions sont de plusieurs types (mixtes), ce qui accentue les difficultés de classification. Il faut donc comprendre que l’analyse histologique des CCIS est particulièrement difficile et longue. Du point de vue thérapeutique (voir le n° 9), les CCIS ont été pendant longtemps traités uniquement par mastectomie, avec des taux de contrôle local de 97-99 % (16). Cette attitude était fondée sur l’ancienne notion de multicentricité*, alors qu’il s’agit de lésions unifocales ou multifocales (à l’intérieur d’un même segment ou quadrant). Cette attitude est apparue à beaucoup trop agressive et, dans un second temps, des tentatives de chirurgie conservatrice exclusive ont été faites. Toutefois, les caractéristiques de ces séries sont très hétérogènes, tant en termes de critères d’inclusion (formes infracliniques ou pas, taille lésionnelle maximale) que * Clinique Courlancy, Reims. * Plusieurs lésions dans plusieurs quadrants. 6 La Lettre du Sénologue - n° 8 - mai 2000 du point de vue thérapeutique (type de chirurgie plus ou moins étendue, durée du suivi). Ceci explique également que les taux de rechute locale varient de 3 à 63 %. Plusieurs auteurs ont donc essayé d’améliorer ces résultats par l’adjonction, comme pour les cancers infiltrants, d’une irradiation mammaire complémentaire (17). Ici aussi, les résultats sont assez hétérogènes, avec des taux de récidive locale variant de 2,7 % à 16,6 % (18-21). Ceci s’explique par les importantes différences dans les critères d’inclusion, les modalités thérapeutiques (étendue de l’exérèse, dose totale d’irradiation délivrée) et surtout les durées du suivi. Depuis ces dernières années, grâce à la diffusion progressive du dépistage organisé et individuel, les CCIS sont découverts dans plus de 90 % des cas à la mammographie. Le plus souvent, il s’agit de lésions de petite taille. Toutefois, il y a parfois des discordances entre l’étendue des microcalcifications et celle des lésions (surtout de bas grade) retrouvées par le pathologiste. De plus, pour ces lésions, l’examen anatomopathologique extemporané n’est, en règle générale, pas utilisé, de sorte qu’il est fréquemment nécessaire de procéder à une chirurgie en deux temps. Depuis peu, deux essais randomisés ont confirmé un bénéfice très significatif en termes de réduction du risque de rechute locale avec l’adjonction de l’irradiation mammaire après tumorectomie. L’essai américain B-17 du NSABP, qui a inclus environ 800 patientes, a été publié pour la première fois en 1993 (22). Dans cette étude, les patientes étaient randomisées entre chirurgie conservatrice seule et chirurgie conservatrice suivie d’une irradiation complémentaire de la glande mammaire à 50 Gy. Dans la première analyse, avec 43 mois de suivi médian, les taux de récidive locale étaient respectivement de 16,4 % et de 7 % pour les bras sans et avec radiothérapie (p = 0,001). Fait important, la différence était surtout notable pour les récidives locales de type invasif, c’est-à-dire celles pouvant affecter le pronostic vital à long terme. Les résultats de cet essai ont été actualisés en 1998 (23). Avec un recul médian de 90 mois, les taux de récidives locales sont respectivement de 26,8 % et 13,1 % sans et avec radiothérapie. Les taux sont de 13,4 % et 8,2 % pour les récidives non invasives (p = 0,007) et de 13,4 % et seulement 3,9 % pour les récidives invasives (p < 0,0001). Il y a six mois, les résultats ont été confirmés (avec 102 mois de recul moyen) pour 623 des 814 cas (77 %) qui ont bénéficié d’une relecture centralisée des prélèvements histologiques (24). Les taux de récidives locales sont respectivement de 31 % et 13 % sans et avec radiothérapie (p = 0,0001). Dans cette étude, de multiples paramètres histologiques ont été analysés en vue de retrouver des critères prédictifs de la récidive locale. Le seul facteur qui ressort en analyse multivariée est l’importance de la nécrose présente à l’intérieur du CCIS. L’état des marges a aussi une influence, mais sa valeur discriminante est plus faible, peut-être à cause du nombre important de cas où elle n’est pas précisée. L’essai 10853 de l’EORTC comparait également une chirurgie conservatrice exclusive à une chirurgie conservatrice suivie d’une irradiation complémentaire de la glande mammaire à la La Lettre du Sénologue - n° 8 - mai 2000 dose de 50 Gy. Il est à noter que les lésions incluses pouvaient mesurer jusqu’à 5 cm. Des résultats détaillés viennent d’être publiés (25). Mille dix patientes ont été incluses et, avec un recul de 51 mois, les taux de récidives locales sont de 16 % et 9 % sans et avec radiothérapie (p = 0,005), ce qui représente un taux de 38 % de réduction. Les récidives invasives représentent dans ces deux groupes respectivement 8 % et 4 % (p = 0,04), et les taux de métastases sont de 2 % et 1 % (p = NS). Une méta-analyse des résultats des différents traitements utilisés pour le CCIS a également été proposée par une équipe australienne (26). Les auteurs ont repris les articles en langue anglaise publiés sur Medline en recherchant les facteurs de risque de récidive locale. Les reculs moyens étaient de 80, 68 et 62 mois respectivement pour les groupes mastectomie, chirurgie conservatrice seule et chirurgie conservatrice avec radiothérapie. Pour ces trois catégories, les taux de récidives sont respectivement de 1,4 %, 22,5 % et 8,9 %. Une nouvelle approche montrant l’intérêt d’un traitement systémique est apparue avec la publication des résultats de l’essai B-24 du NSABP (27). Dans cette étude, 1 798 patientes ont été randomisées, 899 pour chaque bras, entre tumorectomie + radiothérapie et tumorectomie + radiothérapie et adjonction de tamoxifène (20 mg/j pendant 5 ans). Avec un recul médian de 74 mois, on observe une réduction des récidives locales dans le bras tamoxifène, avec un taux cumulé à 5 ans de 9,3 % versus 6 %. De même, on retrouve une réduction des cancers controlatéraux de 3,4 % à 2 %. De façon assez paradoxale, le diagnostic et le traitement des CCIS sont donc souvent plus complexes que ceux des cancers infiltrants. Cette notion doit toujours être présente à l’esprit et nécessite une information très précise des patientes, avec une approche diagnostique qui exige souvent une chirurgie en deux, voire trois temps. Il faut également indiquer clairement à la patiente les risques de récidive inhérents à chaque traitement. Il faut lui rappeler que la mastectomie offre un taux de contrôle local de presque 100 % et qu’elle peut être associée à une reconstruction ou en être suivie. Dans tous les cas, une décision multidisciplinaire est indispensable, avec une confrontation précise entre éléments radiologiques et histologiques, ceci afin de proposer la meilleure attitude thérapeutique. Il ne faut jamais perdre de vue que, théoriquement, ces patientes devraient toutes être guéries par un traitement optimal (28). ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Lagios M. Duct carcinoma in situ. Pathology and treatment. Surg Clin N Am 1990 ; 70 : 853-71. 2. Cady B. Duct carcinoma in situ. 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Fax : 05 56 42 44 12. 8 2nd International BCIRG Conference 26-28 juin 2000, Edmonton, Canada Renseignements et inscriptions : BCIRG Conference secretariat, Buksa Associates Inc., 11659 72 avenue, Edmonton Alberta T6G 0B9 Canada Tél. : (780) 436 0983. Fax : (780) 437 5984. E-mail : [email protected] R 19. Solin LJ, Fourquet A, Mc Cormick B et al. Salvage treatment for local recurrence following breast conserving surgery and definitive irradiation for ductal carcinoma in situ (intra-ductal carcinoma) of the breast. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1994 ; 1 : 3-9. 20. Vicini FA, Kestin LL, Goldstein NS, Chen PY, Pettinga J, Frazier RC, Martinez AA. Impact of young age on outcome in patients with ductal carcinoma in situ treated with breast conserving therapy. J Clin Oncol 2000 ; 18 : 296-306. 21. Van Zee KJ, Liberman L, Samli B, Tran KN, Mc Cormick B, Petrek JA et al. Long term follow-up of women with ductal carcinoma in situ treated with breast conserving surgery. The effect of age. 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