La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au n° 9 - vol. VII - novembre 2003
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TRIBUNE
C
es dix dernières années, de multiples études épidémio-
logiques ont montré que les migraineux étaient mal pris
en charge, ce qui a conduit à mieux informer les médecins
sur la migraine et ses traitements. Cependant, même si nous
prescrivons mieux, l’amélioration de la qualité de vie des migrai-
neux dépend aussi de leur observance de nos ordonnances. Dans
quelle mesure les migraineux respectent-ils nos prescriptions ?
S’il semble évident qu’un bon rapport efficacité/tolérance joue
un rôle prépondérant dans l’observance d’un traitement anti-
migraineux, d’autres facteurs, parfois irrationnels, entrent en
jeu : ce que les patients attendent des médicaments, ce qu’ils en
savent ou croient savoir, ce qu’ils craignent. Le choix des médi-
caments prescrits lors de la première consultation et les explica-
tions qui seront données par le praticien au patient jouent un rôle
essentiel dans la qualité de l’observance des médicaments et du
suivi, car un échec des traitements prescrits lors de cette consul-
tation conduit souvent le patient à se décourager très vite et à ne
pas revenir.
PEUT-ON D’EMBLÉE ADAPTER LE TRAITEMENT
ANTIMIGRAINEUX À CHAQUE PATIENT ?
Afin de mieux connaître les attentes des patients vis-à-vis des
traitements de crise de la migraine, plusieurs études ont été réa-
lisées avec des méthodologies variées. Elles sont le corollaire du
développement des triptans, qui se disputent actuellement le
marché de la crise migraineuse. Comme l’ont montré une méta-
analyse des essais cliniques contrôlés des triptans (1) et les essais
comparatifs directs, il existe des différences d’efficacité et de
tolérance entre ces molécules qui sont statistiquement modérées,
mais susceptibles d’être cliniquement pertinentes chez un indi-
vidu donné. Dans une étude américaine portant sur une popula-
tion représentative de migraineux, les patients ont été interrogés
sur les caractéristiques qu’ils jugeaient les plus importantes pour
un antimigraineux de crise (2). La disparition complète de la
douleur, la rapidité d’action, un taux bas de récurrence et une
bonne tolérance étaient classés comme les éléments essentiels.
Les études de préférence, qui portent principalement sur les trip-
tans, montrent que l’importance relative des priorités diffère
selon les patients, et n’est pas toujours la même chez un même
patient d’une crise à l’autre (3). Lorsque les crises sont sévères
et entraînent un fort handicap, la rapidité d’action est souvent
considérée comme plus importante que la tolérance, alors que
c’est l’inverse pour les crises modérées. Ces considérations nous
aident théoriquement, si l’on tient compte des différences entre
les triptans, à proposer lors de la première consultation celui qui
correspond le mieux aux souhaits de chaque patient. C’est sans
compter avec l’imprévisibilité de la réponse individuelle aux
traitements de crise, qui a été particulièrement bien démontrée
pour les triptans. L’inefficacité d’un triptan ou sa mauvaise tolé-
rance ne permet pas de présumer de la réponse à un autre trip-
tan, et dans la plupart des cas, il sera nécessaire de tester plu-
sieurs molécules avant de trouver celle qui convient le mieux à
un patient donné. Cette nécessité d’essais successifs doit être
clairement expliquée au patient dès la première consultation, ce
qui l’incitera à revenir en cas d’échec des premiers traitements
proposés.
MAUVAISE OBSERVANCE DES MÉDICAMENTS
ANTIMIGRAINEUX DE CRISE PRESCRITS
SUR ORDONNANCE : LE RÔLE ESSENTIEL
DE LA CRAINTE DES EFFETS INDÉSIRABLES
L’efficacité d’un traitement de crise, même si elle apparaît
comme un élément essentiel de l’observance des patients, n’est
cependant pas suffisante, et paradoxalement pas toujours néces-
saire. Considérons ce que l’on peut appeler le paradoxe des
médicaments antalgiques en vente libre. La plupart des migrai-
neux en consomment, et bien qu’ils puissent être efficaces en
particulier pour les crises modérées, on évalue à moins d’un tiers
les migraineux satisfaits de leur traitement. Pourtant, même insa-
tisfaits, les patients continuent à les utiliser, voire à les surcon-
sommer. En d’autres termes, ils prennent des médicaments peu
efficaces avec une bonne observance.
Cela amène à examiner le problème de l’observance des anti-
migraineux obtenus sur ordonnance. Celle-ci a été analysée
récemment dans une étude américaine portant sur 1 160 migrai-
neux définis selon les critères de l’IHS, et disposant de médi-
caments sur ordonnance pour leur migraine (4). La fréquence
moyenne des crises dans cette population était de 3,7 par mois,
et 86 % des sujets disaient souffrir de céphalées sévères ou extrê-
mement sévères. Un certain nombre de résultats de cette enquête
méritent que l’on s’y arrête :
– 50 % des crises survenues au cours des six derniers mois ont
été traitées avec des médicaments prescrits sur ordonnance, qui
ont été pris tôt dans 60 % des cas ;
* Service de neurologie, hôpital Lariboisière, Paris.
Que font les migraineux de nos prescriptions ?
De l’observance à l’irrationnel
H. Massiou*
La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au n° 9 - vol. VII - novembre 2003 13
– 55 % des patients interrogés ont aussi utilisé des médicaments
en vente libre pour traiter leurs céphalées, pas nécessairement de
façon concomitante aux médicaments sur ordonnance ;
– 27 % ont utilisé des médicaments en vente libre pour toutes
leurs crises ;
– 41 % les ont utilisés souvent.
Les principales raisons invoquées par les migraineux pour expli-
quer le retard de la prise d’un médicament sur ordonnance au
cours d’une crise étaient :
– des difficultés d’obtention du médicament (29 %) ;
– une quantité limitée de comprimés (22 %) ;
– des craintes vis-à-vis des effets indésirables (15 %).
Onze pour cent des patients n’ont pas acheté les médicaments
prescrits, 33 % en raison de leur coût élevé et 30 % à nouveau en
raison de craintes vis-à-vis des effets secondaires.
Deux tiers des patients interrogés ont ainsi retardé la prise d’un
médicament sur ordonnance lors d’une crise (37 % des crises
traitées) ou ne l’ont pas pris (44 % des crises non traitées) par
crainte des effets secondaires. Cette mauvaise observance a
pour résultat une baisse d’efficacité de ces médicaments et un
handicap plus important lors des crises (tableau I).
La crainte des effets indésirables est une notion complexe, qui
mêle la réalité, l’anxiété du patient, et ses a priori vis-à-vis des
médicaments (tableau II). Les migraineux demandent souvent,
en particulier lorsque l’on prescrit un traitement de crise spé-
cifique tel qu’un triptan : “Est-ce que ce médicament est fort ?”,
exprimant ainsi moins un souhait d’information sur son effica-
cité que la crainte des effets indésirables qu’il peut entraîner. La
plupart des patients ne connaissent pas la différence entre tolé-
rance et sécurité d’emploi d’un médicament, et redoutent des
effets secondaires graves. Certains patients n’essaieront pas le
médicament prescrit en raison de ce qu’ils ont lu ou entendu à son
sujet ; d’autres, qui l’ont essayé et l’ont bien toléré, continuent
néanmoins à s’inquiéter des risques liés à la prise du traitement.
COMMENT S’INFORMENT LES PATIENTS
La façon dont les patients sont informés au sujet des médicaments
joue un rôle essentiel dans leur attente vis-à-vis de celui-ci, et dans
la survenue et la perception des effets secondaires. Ils recueillent
ces informations auprès de leur entourage, dans les médias, dans
les notices accompagnant les médicaments et chez leurs prati-
ciens. Dans une étude hollandaise réalisée chez 185 femmes
souffrant de migraine menstruelle, 44 % ont demandé conseil à
des membres de la famille et 43 % à des amis ou collègues (5).
Les notices qui accompagnent les médicaments contiennent des
informations sur les effets indésirables, mais n’en précisent que
rarement la fréquence. Des recommandations de l’Union euro-
péenne (6) indiquent que la fréquence des effets indésirables
devrait être décrites dans ces notices par l’un des qualificatifs sui-
vants : très rare, rare, peu fréquent, fréquent, très fréquent. Quatre
enquêtes réalisées au Royaume-Uni chez plus de 750 sujets ont
eu pour objectif de comparer l’interprétation de ces qualificatifs
par les personnes interrogées avec les fréquences qui leur étaient
affectées dans les recommandations (7). Elles démontrent que
ces descriptions qualitatives conduisent à une surestimation
importante du risque d’effets indésirables. Ainsi, le qualificatif
de “très fréquent”, qui était supposé désigner une fréquence d’ef-
fets indésirables supérieure à 10 %, correspondait pour les
patients à une fréquence moyenne de 65 % (tableau III). Les
auteurs en concluent que, dans la mesure où les essais cliniques
portent sur des populations généralement insuffisantes pour
calculer avec certitude le taux des effets indésirables, il faudrait
fournir dans les notices des fourchettes correspondant au risque,
ce qui permettrait de donner des indications correctes sans pré-
cision excessive.
OBSERVANCE DES TRAITEMENTS
ANTIMIGRAINEUX DE FOND
Elle est vraisemblablement mauvaise, comme en témoigne une
étude réalisée avec un flacon de médicaments dont le bouchon
contenait un système électronique permettant de savoir à quel
Douleur plus intense : 60 %
Nécessité d’alitement : 59 %
Allongement de la durée de la céphalée : 59 %
Annulation d’activités sociales : 26 %
Baisse de performance au travail : 25 %
Absentéisme professionnel : 21 %
(d’après Gallagher et al. Headache 2003 ; 43 : 36-43)
Tableau I. Conséquences du retard ou de la non-prise des médicaments
sur prescription.
Comportements Patients (%)
Patients qui ont rapporté des EI au praticien 71
Patients qui ont discuté des EI des médicaments antimigraineux
prescrits avec leur praticien 69
Patients qui ont retardé ou évité la prise d’un médicament prescrit
par crainte des EI 67
Patients qui considèrent l’absence d’EI
comme une caractéristique importante 41
(d’après Gallagher et al. Headache 2003 ; 43 : 36-43)
Tableau II. Comportements indiquant des craintes vis-à-vis des effets
indésirables (EI).
Description qualitative Fréquences attribuées Fréquence moyenne (DS)
par l’Union Européenne estimée par les participants (n = 200)
Très fréquent > 10 % 65 % (24,2)
Fréquent 1-10 % 45 % (22,3)
Peu fréquent 0,1-1 % 18 % (13,3)
Rare 0,01-0,1 % 8 % (7,5)
Très rare < 0,01 % 4 % (6,7)
(d’après Berry et al. Lancet 2002 ; 359 : 853-4)
Tableau III. Fréquences attribuées par l’Union européenne aux descrip-
tions qualitatives de ses recommandations, comparées à l’estimation
des sujets interrogés.
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moment précis il était ouvert (8). Des différences considérables
sont apparues entre ce qui était prescrit, l’observance apparente
selon le compte des comprimés restants, et la vraie observance à
partir du recueil des données du système électronique. Par
exemple, certains patients faisaient état d’effets indésirables non
résolutifs, alors qu’ils avaient pris le médicament pas plus de trois
fois dans le mois. Dans une autre étude portant sur 874 patients
aux Pays-Bas (9), il a été constaté que plus de la moitié de la
population incluse qui prenait un traitement de fond l’avait arrêté
avant la fin du troisième mois.
Les raisons susceptibles de rendre compte de la mauvaise obser-
vance des traitements antimigraineux de fond sont leur efficacité
limitée, leur délai d’action souvent long, la fréquence des effets
indésirables, et souvent la faible motivation des patients. De plus,
l’attente des patients vis-à-vis des traitements de fond est sou-
vent excessive par rapport à ce que ceux-ci peuvent apporter ; il
n’est pas rare que les patients pensent que leurs crises vont dis-
paraître sous traitement de fond, ou que leur amélioration sera
définitive même après l’arrêt de celui-ci, ce qui est à l’origine de
bien des déceptions.
LE RÔLE ESSENTIEL DU PRATICIEN
DANS L’OBSERVANCE DES TRAITEMENTS
ANTIMIGRAINEUX PAR LE PATIENT
Il ressort de ces résultats que l’information que va donner le pra-
ticien au patient migraineux, en particulier lors de la première
consultation, va jouer un rôle déterminant dans l’observance des
traitements. Si l’on veut que le patient respecte l’ordonnance qui
va lui être remise, il doit être informé des effets indésirables
potentiels, de la façon d’utiliser le traitement, et de ce qu’il peut
en attendre en termes d’efficacité. On a vu que la crainte d’une
mauvaise tolérance joue un rôle capital dans l’observance.
L’exemple des triptans est particulièrement instructif. Il faut
expliquer que ces molécules sont généralement très bien tolérés
lorsqu’elles sont prescrites dans le respect de leurs contre-
indications, et si les patients sont informés que les symptômes
thoraciques ne sont pas le signe avant-coureur d’un problème
cardiaque grave, ils les acceptent bien mieux (10). Un commen-
taire concernant les notices contenues dans les médicaments,
avec une information sur les fréquences approximatives des
effets indésirables qui y sont indiqués, évitera souvent des
retards à la prise de ces traitements, comme ils l’ont été consta-
tés dans l’étude de Gallagher (4). Des informations concernant
la rapidité d’action des traitements de crise, la possibilité de
récurrence et la façon de la traiter éviteront également des aban-
dons de traitement et de suivi. Pour ce qui est des traitements de
fond, le patient doit savoir ce qu’il peut en attendre, et il est
inutile de prescrire un médicament dont les effets indésirables
sont jugés inacceptables d’emblée, comme cela peut être le cas
par exemple pour la prise de poids chez la jeune femme. À la fin
de cette première consultation, le patient doit savoir que si les
traitements qui ont été prescrits ne sont pas efficaces, d’autres
molécules lui seront proposées, et que les chances qu’il a d’être
amélioré sont élevées, sous réserve qu’il fasse preuve d’un peu
de patience. Ce programme de suivi est sans doute la meilleure
façon d’éviter que les patients se découragent et ne reviennent
pas : dans une étude réalisée par Lipton (2), 26 % des patients
qui avaient cessé de consulter depuis au moins un an indiquaient
comme raison qu’ils pensaient que leur médecin ne pouvait rien
pour eux. Au cours du suivi, la tenue d’un agenda des crises et
des prises médicamenteuses est un outil précieux pour évaluer
l’observance. Il permet de repérer des situations classiques de
mauvaise utilisation des traitements de crise ; c’est le cas par
exemple des patients qui utilisent toujours en première intention
un traitement non spécifique, et ont besoin ensuite dans la majo-
rité des cas, en traitements de secours, d’un médicament spéci-
fique. Le patient peut comprendre alors aisément, lors de l’exa-
men de son agenda avec le praticien, qu’il a tout intérêt à utiliser
le traitement spécifique en première intention, ce qui lui per-
mettra de consommer moins de médicaments, et avec une
meilleure efficacité. L’agenda permettra aussi de repérer les abus
médicamenteux. Il faut systématiquement s’enquérir de la satis-
faction des patients vis-à-vis des traitements, qu’il s’agisse
de l’efficacité et de la tolérance, afin de pouvoir affiner au fil
des consultations les traitements qui répondront le mieux aux
souhaits de chacun, ce qui est le meilleur garant d’une bonne
observance.
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Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne - Dépôt légal : à parution. © février 1997 - ALJAC S.A. Locataire gérant de Edimark SA.
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