Un aperc¸u de la philosophie de Ferdinand Gonseth
Damian R ¨
OSSLER
22 mars 2015
1 Esquisse biographique
FIGURE 1 – Ferdinand Gonseth vers 1930
Ferdinand Gonseth naˆ
ıt le 22 septembre 1890 `
a Sonvilier dans le Jura suisse. Il fait partie
d’une famille de huit enfants. Il passe son baccalaur´
eat `
a la Chaux-de-Fonds en 1909
puis ´
etudie les math´
ematiques et la physique `
a l’´
ecole polytechnique f´
ed´
erale de Z ¨
urich
(EPFZ). En 1919 il devient professeur de math´
ematiques `
a l’universit´
e de Berne, o `
u il
enseigne jusqu’`
a 1929. De 1930 `
a 1960, date `
a laquelle il prend sa retraite, il est professeur
de philosophie des sciences `
a l’EPFZ.
Institut de Math´
ematiques, Equipe Emile Picard, Universit´
e Paul Sabatier, 118 Route de Narbonne,
31062 Toulouse cedex 9, FRANCE, E-mail : r[email protected]
1
F. Gonseth est touch´
e`
a la fin de son adolescence par des graves probl`
emes de vue (un
d´
ecollement r´
etinien). Sa vue s’am´
eliora vers la fin de sa vie mais pendant la plus grande
partie de sa vie active, il fut presque aveugle. La plupart des livres dont il put prendre
connaissance lui furent lus `
a haute voix par son ´
epouse.
2 Bibliographie
2.1 Principaux ouvrages
Les fondements des math´ematiques. De la g´eom´etrie d’Euclide `a la relativit´e g´en´erale et `a l’intui-
tionisme de Brouwer. Blanchard, Paris (1926, r´
e´
ed. 1974).
Les math´ematiques et la r´ealit´e. Essai sur la m´ethode axiomatique. Alcan, Paris (1936) et Blan-
chard, Paris (1974).
Qu’est-ce que la logique ? Hermann, Paris (1937).
Philosophie math´ematique. Hermann, Paris (1939).
La g´eom´etrie et le probl`eme de l’espace. Le Griffon, Neuchˆ
atel (1945-55).
Le probl`eme du temps. Essai sur la m´ethodologie de la recherche. Le Griffon, Neuchˆ
atel (1964).
Le r´ef´erentiel, univers oblig´e de m´ediatisation. Lˆ
Age d’Homme, Lausanne (1975).
2.2 Articles choisis
Pr´esentation et d´efense de l’idon´eisme. Revue de th´
eologie et de philosophie 27 (1939).
Des math´ematiques `a la philosophie. Dialectica 93/4 (1955).
L’id´ee de dialectique aux entretiens de Z¨urich. Dialectica, vol. I(1) (1947).
2.3 Ouvrages sur F. Gonseth
La philosophie des sciences de F. Gonseth par E. Bertholet. L ˆ
Age d’homme (1968).
Ferdinand Gonseth. Pour une philosophie dialectique ouverte `a l’exp´erience par Eric ´
Emery.
Lˆ
Age d’homme (1985).
2
Espace et horizon de r´ealit´e. ´
ed. Marco Panza et Jean-Claude Pont. Masson (1992).
Pour un nouvel esprit philosophique d’apr`es l’oeuvre de Ferdinand Gonseth par P.-M. Pouget.
´
Editions de l’Aire, Vevey (1994).
3 Le point de d´epart du projet philosophique de la philo-
sophie ouvert de de l’idon´eisme
Le point de d´
epart de l’ouvrage de F. Gonseth Les math´
ematiques et la r´
ealit´
eest
une r´
eflexion sur le positivisme logique et le conceptualisme. Le positivisme logique se
r´
esume globalement pour lui aux th`
eses suivantes :
- La connaissance passe par un langage, qui a une structure formelle, ou logique fix´
ee a
priori.
- La donn´
ee des points de contact du langage avec la r´
ealit´
e, ie les r´
ef´
erents des mots,
sont liminaires `
a notre connaissance.
Le conceptualisme quant `
a lui, correspond `
a la th`
ese que la connaissance de la r´
ealit´
e
passe par l’appr´
ehension de concepts universels s´
epar´
es. On rappellera que la question
du statut des concepts universels est une question classique de la philosophie scolastique,
qui a ses racines dans les objections d’Aristote `
a la th´
eorie platonicienne de la participa-
tion aux id´
ees.
F. Gonseth met d’embl´
ee le positivisme et le conceptualisme sur le mˆ
eme plan et les qua-
lifie de pr´
e-critiques. Par pr´
e-critique il entend qu’ils correspondent `
a des mani`
eres
de penser ant´
erieures `
a la parution de la Critique de la Raison Pure de Kant. Les deux at-
titudes d´
enotent selon lui une attitude pr´
e-critique dans la mesure o`
u on suppose que la
connaissance a une composante qui ne d´
epend pas de l’exp´
erience : dans un cas, la struc-
ture logique du langage et dans l’autre cas le concept universel, qui pr´
eexiste, toujours
selon Gonseth, la r´
ealit´
e appr´
ehend´
ee.
Tout l’ouvrage les math´
ematiques et la r´
ealit´
e, et par del`
a toute l’oeuvre de Gon-
seth est travers´
e par la forte conviction que la connaissance abstraite ne peut jamais ˆ
etre
d´
ebarrass´
ee de ses origines exp´
erimentales. Il revient inlassablement sur ce point et il
lui tient particuli`
erement `
a coeur de montrer que les math´
ematiques n’´
echappent pas `
a
l’emprise de l’exp´
erimental. Dans la plus grande partie de son oeuvre, et surtout dans sa
monumentale monographie Le probl`
eme de l’espace , il s’est int´
eress´
e`
a la g´
eom´
etrie
qui est pour un terrain d’´
election pour illustrer ses vues. Cependant, une partie du livre
3
les math´
ematiques et la r´
ealit´
eest aussi consacr´
e`
a l’arithm´
etique et la logique. Il
s’est par ailleurs aussi int´
eress´
e, toujours avec le mˆ
eme souci, `
a la m´
ethodologie de la
physique (par ex. la colorim´
etrie ou la chronom´
etrie) et `
a l’´
ethique.
Il faut noter que Gonseth ne s’engage jamais dans une analyse d´
etaill´
ee de sa notion de
pr´
e-critique . Il fait cependant r´
ef´
erence au fait (....) que la d´
ecouverte des g´
eom´
etrie
non-euclidiennes ainsi que l’av´
enement de la relativit´
e einsteinienne ont mis en doute
l’id´
ee kantienne que le temps et l’espace sont des formes a priori de l’intuition. Il semble
qu’il veut conserver de la pens´
ee kantienne l’id´
ee que la connaissance est conditionn´
ee
d’une certaine mani`
ere et pour lui ce conditionnement est celui de l’intuitif, qui sur-
plombe n´
ecessairement toutes les phases de la connaissance. Dans le contexte du posi-
tivisme logique de l’´
ecole de Vienne et des nouvelles th´
eories physiques, il veut garder
vivant ce qu’il conc¸oit `
a tort ou `
a raison comme l’h´
eritage de la pens´
ee kantienne, qu’il
voit maintenant reculer apr`
es un si`
ecle de domination. Il ne s’int´
eresse cependant jamais
en d´
etail `
a cette derni`
ere et on peut douter que son interpr´
etation de Kant soit correcte.
Anim´
e de l’id´
ee que l’abstrait doit toujours r´
epondre `
a l’intuitif, il propose la philosophie
ouverte comme alternative `
a toutes les tentatives de munir la connaissance de structures
a priori. Il associe `
a la philosophie ouverte l’idon´
eisme, qu’il voit comme un br´
eviaire de
principes g´
en´
eraux qui doivent aider le philosophe ouvert `
a s’orienter.
Nous reviendrons plus tard sur l’articulation de l’´
epist´
emologie gonsethienne. Cette ar-
ticulation n’est pas encore tr`
es claire au d´
ebut de son oeuvre et ce n’est qu’apr`
es la publi-
cation du Probl`
eme de l’espace et son introduction de la notion d’horizon dialectique
que son ´
epist´
emologie se pr´
ecise.
Nous allons pr´
esenter quelques exemples pour en faire apparaˆ
ıtre les prol´
egom`
enes.
4 La g´eom´etrie euclidienne
Les textes de Gonseth se pr´
esentent souvent sous forme de dialogue entre des tenants de
vues divergentes. Par exemple, le livre Les math´
ematiques et la r´
ealit´
eest un dialogue
entre Idoine (qui repr´
esente bien s ˆ
ur les vues de l’auteur), Parfait (qui est une sorte de
positiviste logique) et Sceptique (qui est sceptique, ie qu’il pense que la connaissance
est impossible). Dans l’article Pr´
esentation et d´
efense de l’idon´
eisme , F. Gonseth se
donne mˆ
eme un opposant plus mal intentionn´
e, nomm´
e Advers. La forme du dialogue
est une autre mani`
ere d’insister sur l’ouverture de sa philosophie : elle doit toujours ˆ
etre
prˆ
ete `
a r´
eviser son point de vue si elle fait face `
a des objections justifi´
ees.
4
Une notion fondamentale dans la th´
eorie de la connaissance de F. Gonseth est la notion
de sch´
ema. Un sch´
ema est une approximation de la r´
ealit´
e, utile `
a un certain stade du
processus cognitif.
Voici un extrait des Math´
ematiques et la R´
ealit´
e, qui explique cette notion.
Supposez qu’on ait recouvert une feuille de papier de cases assez petites, dispos´
ees
comme celles d’un damier et peintes par exemple en bleu et en jaune. Placez-vous `
a une
certaine distance : la feuille vous paraˆ
ıtra d’un vert (grisˆ
atre) uniforme. Rapprochez-vous
peut `
a peu : il viendra un instant o `
u les deux couleurs fondues tout d’abord, reprendront
leur individualit´
e. Est-il vrai ou faux que la feuille soit verte ? Ou qu’elle soit bicolore ?
Voici notre r´
eponse. L’affirmation : la feuille est verte ! est vraie du point de vue ´
eloign´
e ;
fausse du point de vue rapproch´
e.
Vous me direz : Il y a pourtant une diff´
erence essentielle, le vert perc¸u n’´
etait qu’une com-
binaison du bleu et du jaune : en quelque sorte une synth`ese intuitive sch´ematique. Je vous
r´
epondrai : Le bleu et le jaune que nous percevons sont ´
egalement des synth`
eses intui-
tives plus ou moins comparables `
a celle qui vient de nous fournir justement un pr´
ecieux
exemple. Sous le signe de l’absolu, il n’est ni vrai ni faux que notre feuille soit verte ou
bicolore. Il ne s’agit dans les deux cas que d’apparences, que d’images plus ou moins
grossi`
erement fid`
eles.
Voici comment il conc¸oit le processus qui m`
ene `
a la formulation math´
ematique de la
g´
eom´
etrie euclidienne. On commence par sch´
ematiser les propri´
et´
es des segments et
points physiques que nous voyons : cette sch´
ematisation m`
ene `
a la notion de droites
et point indivisibles. Il insiste beaucoup sur le fait que l’introduction de l’indivisibilit´
e
est une approximation pratique et provisoire. Cette sch´
ematisation une fois accomplie,
on introduit les axiomes, qui r´
epondent encore une fois `
a une description physique som-
maire de notre intuition des droites et points dans le monde qui nous entoure. Le point
qui lui importe particuli`
erement est le fait qu’une d´
efinition ou un axiome perd toute sa
substance si on les s´
epare de leur origine exp´
erimentale. Dans les mots de F. Gonseth :
Si nous persistons `
a vouloir d´
efinir la droite par les axiomes, c’est tout au plus comme
relation logique que nous avons quelque chance d’y parvenir. Mais alors la d´
efinition ne
saisit plus rien de ce qui est en elle image et repr´
esentation id´
ealis´
ees : la droite dans la
pl´
enitude de son sens ´
echappe `
a l’´
etreinte des seuls axiomes.
et
Ainsi la notion de d´
efinition va s’´
evanouir dans l’ind´
etermin´
e lorsqu’on veut lui conf´
erer
une signification ind´
ependante du processus par lequel les notions vont se constituant.
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