77
Les migraineux sont-
ils des gens comme
les autres ?
Bonne question pour les
migraineux qui seront
nombreux à lire ces pages !
D’un côté, ils pourraient se flatter d’une
originalité qui les distingue du commun
des mortels ; de l’autre, ils s’inquiètent
peut-être de ce “défaut de fabrication”
sans service après-vente. Des études sur le
cortex cérébral, par exemple, en mesurant
la période de silence du cortex moteur des
migraineux après stimulation magnétique
transcrânienne, laissent penser qu’il exis-
terait une hyperexcitabilité corticale de
base, possible reflet d’un défaut d’inhibi-
tion qui serait soit le facteur favorisant des
crises (essentiellement avec aura), soit la
conséquence de crises répétées (1).
Pourtant, la plus récente d’entre elles (2),
qui s’était attachée à la forme la plus
“accompagnée” de migraine – la migraine
hémiplégique familiale (12 patients) – n’a
pas retrouvé ce défaut d’inhibition inter-
critique. Peut-être le déchaînement des
petites cellules grises du cortex n’est-il
donc pas la règle ?
En revanche, Siniatchin et al. (3), acharnés
à activer le cortex par des stimulations
auditives répétées, ont confirmé dans des
familles comportant un enfant migrai-
neux, que le cerveau migraineux ne parve-
nait pas à provoquer une habituation.
Contrairement aux adultes exempts, plus
on augmente l’intensité de la stimulation,
plus l’amplitude de la réponse corticale
N1-P2 croît. Normalement, aux fortes
intensités (100 dB, par exemple), l’ampli-
tude cesse de croître et a même tendance à
diminuer. Ce n’est pas le cas chez les
migraineux (figure 1), surtout les plus jeu-
nes. Cela pourrait correspondre à un
défaut de mécanisme adaptatif : mobilisa-
tion excessive des processus attentionnels
sur le plan cognitif et réduction de la
transmission sérotoninergique (mais aussi
dopaminergique et endorphinergique) sur
le plan biochimique.
Dernier argument en faveur d’un dysfonc-
tionnement permanent chez les migrai-
neux : la mesure du CGRP (calcitonin
gene-related peptid) dans la veine cubitale
s’avère notablement plus
élevée chez les patients
(crises avec ou sans aura)
que chez les témoins. On
savait que ce peptide
voyait son taux augmenter
dans la veine jugulaire
durant les crises, mainte-
nant, on sait, grâce à
Ashina et al. (4), qu’il est également aug-
menté en intercrise (figure 2). S’agit-il de
l’effet d’un contrôle vasculaire anormal
permanent ? La question reste posée. En
tout cas, tous ces arguments vont dans le
sens d’un dérèglement permanent de sys-
tèmes biochimiques chez le migraineux.
1. Aurora SK, Al-Sayeed F, Welch KM.
The cortical silent period is shortened in
migraine with aura. Cephalalgia 1999 ; 19 :
708-12.
2. Werhahn KJ, Wiseman K, Herzog J et al.
Motor cortex excitability in patients with aura
and hemiplegic migraine. Cephalalgia 2000 ;
20 : 45-50.
3. Siniatchin M, Kropp, Neumann M et al.
Intensity dependence of auditory evoked cortical
potentials in migraine families. Pain 2000 ; 85 :
247-54.
4. Ashina M, Bendtsen L, Jensen R et al.
Evidence for increased plasma levels of calcito-
nin gene-related peptid in migraine outside of
attacks. Pain 2000 ; 86 : 133-8.
* Service de neurologie,
hôpital intercommunal, Créteil.
Le domaine des céphalées et des algies de la face est
devenu une véritable sous-spécialité de la neurologie
avec ses revues et ses urgences propres.
Quelques informations venues du “mal de tête”.
bibli
o-op
i
n
i
on
Biblio-Opinion
Céphalées
P. Verstichel*
IV
N1
P2
8
10
12
14
16
18
20
22
24
26
28
70 dB 80 dB 90 dB 100 dB
Amplitude N1-P2
Enfants non migraineux
Enfants migraineux
Figure 1. En haut, potentiels évoqués auditifs
corticaux : ondes N1 et P2. En bas, amplitude
N1-P2 en fonction de l’amplitude en décibels
de la stimulation auditive lors des PEA.
30
20
40
50
60
70
80
Migraineux Non-migraineux
CGRP veine cubitale
Figure 2. Dosage du CGRP dans la veine
cubitale de patients migraineux en intercrise
et de témoins.
Synthèse
thématique
d’articles
commentés
Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 5, mai 2001
78
Algie vasculaire ophtalmique
Tout le monde connaît la sémiologie
typique de l’algie vasculaire de la face
(AVF) et de la migraine. Tout le monde
sait aussi que ces deux affections sont suf-
fisamment mal intentionnées pour refuser
régulièrement d’entrer dans le cadre nor-
matif de l’IHS. Elles n’hésitent pas en
effet à se tendre la main au-delà des bar-
rières strictes des règlements, pour s’as-
sembler sans pudeur et procréer par cette
union une sémiologie mixte et bâtarde,
propre à déjouer l’expertise des meilleurs
spécialistes. Ainsi n’est-il pas rare de voir
des douleurs céphaliques qu’on qualifie-
rait volontiers de migraineuses sur leur
caractère et leur durée, si elles ne tendaient
à se focaliser systématiquement autour de
l’œil, à demeurer désespérément unilatéra-
les et à s’accompagner chaque fois de
symptômes vasomoteurs. La tendance
mimétique de ces maladies se trouve illus-
trée par la description de Silberstein et al.
(5) de 6 patients souffrant d’une AVF a
priori typique, à l’exception d’une aura
prémonitoire. Celle-ci était visuelle dans
5 cas : échiquier noir et blanc avec scotome,
achromatopsie, flashs lumineux, éclairs
stroboscopiques noir et blanc ; et olfactive
dans 1 cas : mauvaise odeur d’agrumes.
Excepté dans 1 cas, ces auras ne surve-
naient jamais isolément. Leur durée était
de 5 à 120 minutes, débordant ou non sur
la période douloureuse. En bref, ces mani-
festations avaient les caractères d’auras
migraineuses. Deux conclusions peuvent
en être tirées. La première est que, si l’on
veut bien attribuer l’AVF à un dysfonc-
tionnement hypothalamique, l’aura signe
une participation associée du cortex (au
moins pour sa présentation visuelle) ; le
mécanisme physiopathologique en cause
demeure évidemment une énigme. La
seconde est que la classification de l’IHS
n’est plus adaptée pour de nombreux cas
de céphalées ou d’algies faciales, et sa
révision est nécessaire.
5. Silberstein SD, Nikman R, Rozen TD,
Young WB. Cluster headache with aura.
Neurology 2000 ; 54 : 219-21.
Et toujours un mélange
des genres
Pour continuer la série des accouplements
contre nature, Zuckerman et al. (6) décri-
vent trois patientes souffrant de deux
variétés différentes de douleur. L’une est
celle d’une hémicrânie paroxystique (HP),
l’autre d’une névralgie trigéminale dans le
territoire du V1 ou du V2, du même côté
que l’HP. D’où l’appellation de cette asso-
ciation syndromique : chronic paroxysmal
hemicrania-tic syndrome. L’association
entre l’AVF et le tic douloureux de la face
étant déjà connue, il n’est pas forcément
étonnant, si l’on considère que l’HP n’est
qu’une variété de l’AVF, qu’HP et névral-
gie du trijumeau puissent coexister. Le
SUNCT syndrome (short-lasting unilate-
ral neuralgiform headache with cunjuncti-
val injection and tearing) est un diagnostic
alternatif, mais la durée en est plus longue,
et surtout la douleur ne connaît pas de trai-
tement, alors que dans le syndrome ici
décrit, les douleurs peuvent être soulagées
soit par de l’indométacine seule, soit par
une association indométacine + carbama-
zépine, baclofène ou phénytoïne. Ce qui
paraît se produire est, en toute hypothè-
se, une connexion entre le système para-
sympathique et les structures du tronc
cérébral impliquées dans la névralgie du
V. L’autre hypothèse pourrait-elle être un
résultat totalement dû au hasard ?
6. Zuckerman E, Peres MFP, Kaup AO et
al. Chronic paroxysmal hemicrania-tic
syndrome. Neurology 2000 ; 54 : 1524-6.
Pour éviter la crise
C’est une toute petite série de 9 patients
seulement qui ouvre peut-être une nou-
velle porte (ou seulement un portillon)
dans le traitement préventif, bien délicat,
de l’AVF. Hering-Hanit et Gadoth (7) ont
traité ces patients au baclofène. Après
une semaine, 6 n’avaient plus du tout de
crise douloureuse ; 1 avait encore
quelques crises et a dû attendre la semai-
ne suivante pour en être soulagé ; 2 ont
vu leurs crises s’aggraver.
7. Hering-Hanit R, Gadoth N. Baclofen
in cluster headache. Headache 2000 ;
40 : 48-51.
Le sens de la vie
Ce sens de la vie ne nous vient pas de la
patrie des Monty Pythons mais de grosses
agglomérations du Michigan. Il s’agissait,
pour Breslau et al. (8), d’établir la relation
entre dépression et céphalées. La procédure
a fait intervenir les techniques du télémar-
keting : tirage au sort de numéros de télé-
phone, questionnaire téléphonique pour
déterminer la présence de céphalée migrai-
neuse ou non migraineuse, puis sélection de
patients et entretien (psychiatrique !) à
domicile pour évaluer l’existence d’une
dépression et, le cas échéant, sa relation
chronologique avec la céphalée. Résultat :
la migraine sort championne toutes catégo-
ries. La dépression s’associe à la migraine,
surtout avec aura, bien plus fréquemment
qu’avec n’importe quelle autre céphalée
sévère, ce qui confirme des études antérieu-
res (figure 3). Plus encore, si les migraineux
voient se développer, plus souvent que les
autres céphalalgiques, un épisode dépressif,
les dépressifs deviennent plus volontiers
migraineux que les non-dépressifs, consta-
tation qui fait suggérer aux auteurs que la
dépression n’est pas (ou pas seulement) la
réaction psychologique à l’expérience – ô
combien traumatisante – de la migraine !
mais que l’une et l’autre partagent une ori-
gine (biochimique ?) commune. À côté, les
patients souffrant de céphalées sévères non
migraineuses (dont plus de la moitié sont
des céphalées de tension) ont aussi davan-
tage de dépression, mais l’analyse statis-
bibli
o-op
i
n
i
on
Biblio-Opinion
79
tique subtile qui vise à déterminer à qui
revient le rôle de la poule ou de l’œuf mon-
tre que la dépression paraît être plutôt réac-
tionnelle à la douleur chronique.
Rappelons que d’autres études n’avaient
pas trouvé de relation entre céphalée de ten-
sion et dépression, mais elles n’avaient pas,
comme ici, tenu compte de la sévérité de la
céphalée.
8. Breslau N, Schultz LR, Stewaart WF et
al. Headache and major depression. Is the
association specific to migraine ? Neurology
2000 ; 54 : 308-13.
Des nouvelles du front
Il s’agit bien d’un front, non pas celui que
certains neurochirurgiens piaffent d’impa-
tience de trépaner, mais celui de la contro-
verse. Laquelle ? Un vieux serpent de mer,
celui de la décompression microvasculaire
pour traiter les névralgies “essentielles” du
trijumeau. Les Milanais (9) défenseurs de la
boucle, la petite, celle qui comprime le nerf,
avaient publié dans le Lancet, en 1999, des
résultats positifs de la décompression
microvasculaire dans 7 cas sur 15 de névral-
gie du V chez des patients atteints de SEP.
Parallèlement, la même équipe lombarde a
envoyé au JNNP ses résultats (évidemment
positifs) sur 250 décompressions au cours
de névralgies du V, incluant 10 SEP (10).
Principe technique simple (en passant les
détails) : 1) ouvrir la tête ; 2) refouler tous
les vaisseaux susceptibles d’entrer en
contact avec le nerf trijumeau ; 3) engainer
le nerf de téflon. Résultat : 75 % de guéri-
son, pas d’effet dans 15,3 % et efficacité
intermédiaire dans les cas restants. Les SEP
sont autant améliorées que les autres, étant
entendu que celles qui avaient des lésions
IRM du tronc ont préalablement été
exclues. Comme on n’est jamais prophète
en son pays, c’est du voisinage piémontais
(11) que vient la critique. En 1997, dans le
JNNP, ces auteurs s’étaient faits les contes-
tataires de la théorie de la boucle, sur des
arguments d’ailleurs bien connus, suggé-
rant même que le geste pouvait traumatiser
le nerf, d’où des récidives transitoires (et
accessoirement l’efficacité des réinterven-
tions). Dans le Lancet de mars 2000 (12) :
nouvelle contre-offensive des Turinois sur
le mode guérilla, reprochant aux Milanais
de proposer une explication en termes de
compression vasculaire chez les SEP, alors
que rien, et surtout pas les statistiques,
n’exclut finalement la responsabilité d’une
plaque à l’origine de la névralgie. De plus,
c’est exposer les patients à des complica-
tions chirurgicales éventuellement sérieu-
ses. De là, la réponse milanaise dans le
même numéro du Lancet, qui fait l’apolo-
gie de la technique chirurgicale et de l’ex-
périence des praticiens (13). Stérile tout
cela ? Il est vrai que la querelle transalpine
pouvait bien se faire in situ et en italien.
Après tout, la discussion sur ce sujet (dont
la péninsule italienne n’a pas l’exclusivité)
date déjà de 1934 et peut encore se pro-
longer un bon millénaire. Relevons quand
même, en considérant uniquement l’année
2000, qu’elle a produit 4 pages dans le
Lancet et 6 dans le JNNP. Cela dépend
sans doute du prix que l’on accorde à la
page imprimée dans une revue de langue
anglaise (notons au passage qu’un des
auteurs, passant de Turin à Milan, a changé
complètement d’opinion sur la question :
voir références). Nouveau point sur le
sujet l’année prochaine !
9. Broggi G, Ferroli P, Franzini A et al.
Role of microvascular decompression in
trigeminal neuralgia and multiple sclerosis.
Lancet 1999 ; 354 : 1878-9.
10. Broggi G, Ferroli P, Franzini A et al.
Microvascular decompression for trigeminal
neuralgia : comments on a serie of 250 cases,
including 10 patients with multiple sclerosis. J
Neurol Neurosur Pychiatry 2000 ; 68 : 59-64.
11. Canavero S, Bonicalzi V, Ferroli P. Can trau-
ma alone to the trigeminal root relieve trigemi-
nal neuralgia ? The case against the microvas-
cular compression hypothesis. J Neurol
Neurosurg Psychiatry 1997 ; 63 : 411-2.
12. Bonicalzi V, Canavero S. Role of microvas-
cular decompression in trigeminal neuralgia.
Lancet 2000 ; 355 : 928-9.
13. Broggi G, Ferroli P, Franzini A et al. Role of
microvascular decompression in trigeminal
neuralgia : reply. Lancet 2000 ; 355 : 929.
Une pile de rechange
Une histoire brève pour terminer sur le
trijumeau. Celle, rapportée par Cheshire
(14), d’une patiente atteinte d’un tic
douloureux de la face et qui, s’étant fait
traiter une incisive supérieure par un
amalgame dentaire, a connu la plus
déplorable aggravation de ses névral-
gies, surtout lors de la consommation
d’aliments acides comme des tomates.
La dent soignée était en effet devenue
une véritable batterie stimulant sans
pitié les racines trigéminées. Les métaux
des amalgames peuvent produire des
courants de plusieurs centaines de milli-
volts, constituant un environnement
extrêmement défavorable pour un nerf
hypersensible. Cette histoire a rappelé à
certains celle du poste à galène dentaire
de Wolinetz. Dans le cas présent, elle
s’est terminée par le remplacement de
l’amalgame, zone gâchette artificielle,
par de la porcelaine.
14. Cheshire WP. The shocking tooth
about trigeminal neuralgia. N Eng J Med
2000 ; 342 : 2003.
0
10
20
30
40
50 40,7 37
16
Migraine Céphalée
non-migraine Témoins
Figure 3. Pourcentage de patients ayant pré-
senté une dépression à un moment de leur vie
dans les trois populations étudiées.
bibli
o-op
i
n
i
on
Biblio-Opinion
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !