biblio-opinion Biblio-Opinion Synthèse thématique d’articles commentés Céphalées P. Verstichel* s’avère notablement plus élevée chez les patients e domaine des céphalées et des algies de la face est (crises avec ou sans aura) devenu une véritable sous-spécialité de la neurologie que chez les témoins. On avec ses revues et ses urgences propres. savait que ce peptide voyait son taux augmenter Quelques informations venues du “mal de tête”. Bonne question pour les dans la veine jugulaire migraineux qui seront durant les crises, maintenombreux à lire ces pages ! nant, on sait, grâce à D’un côté, ils pourraient se flatter d’une Ashina et al. (4), qu’il est également augintensités (100 dB, par exemple), l’amplioriginalité qui les distingue du commun menté en intercrise (figure 2). S’agit-il de tude cesse de croître et a même tendance à l’effet d’un contrôle vasculaire anormal des mortels ; de l’autre, ils s’inquiètent diminuer. Ce n’est pas le cas chez les permanent ? La question reste posée. En peut-être de ce “défaut de fabrication” migraineux (figure 1), surtout les plus jeutout cas, tous ces arguments vont dans le sans service après-vente. Des études sur le nes. Cela pourrait correspondre à un sens d’un dérèglement permanent de syscortex cérébral, par exemple, en mesurant défaut de mécanisme adaptatif : mobilisatèmes biochimiques chez le migraineux. la période de silence du cortex moteur des tion excessive des processus attentionnels migraineux après stimulation magnétique 1. Aurora SK, Al-Sayeed F, Welch KM. sur le plan cognitif et réduction de la The cortical silent period is shortened in transcrânienne, laissent penser qu’il existransmission sérotoninergique (mais aussi migraine with aura. Cephalalgia 1999 ; 19 : terait une hyperexcitabilité corticale de dopaminergique et endorphinergique) sur 708-12. base, possible reflet d’un défaut d’inhibile plan biochimique. 2. Werhahn KJ, Wiseman K, Herzog J et al. tion qui serait soit le facteur favorisant des Dernier argument en faveur d’un dysfoncMotor cortex excitability in patients with aura crises (essentiellement avec aura), soit la and hemiplegic migraine. Cephalalgia 2000 ; tionnement permanent chez les migrai20 : 45-50. conséquence de crises répétées (1). neux : la mesure du CGRP (calcitonin 3. Siniatchin M, Kropp, Neumann M et al. Pourtant, la plus récente d’entre elles (2), gene-related peptid) dans la veine cubitale Intensity dependence of auditory evoked cortical qui s’était attachée à la forme la plus potentials in migraine families. Pain 2000 ; 85 : “accompagnée” de migraine – la migraine 247-54. N1 hémiplégique familiale (12 patients) – n’a 4. Ashina M, Bendtsen L, Jensen R et al. pas retrouvé ce défaut d’inhibition interEvidence for increased plasma levels of calcitocritique. Peut-être le déchaînement des nin gene-related peptid in migraine outside of I V petites cellules grises du cortex n’est-il attacks. Pain 2000 ; 86 : 133-8. donc pas la règle ? P2 CGRP veine cubitale En revanche, Siniatchin et al. (3), acharnés 80 à activer le cortex par des stimulations Amplitude N1-P2 28 auditives répétées, ont confirmé dans des 70 26 24 familles comportant un enfant migraiEnfants non migraineux 22 60 Enfants migraineux 20 neux, que le cerveau migraineux ne parve18 50 nait pas à provoquer une habituation. 16 14 Contrairement aux adultes exempts, plus 40 12 10 on augmente l’intensité de la stimulation, 30 8 plus l’amplitude de la réponse corticale 70 dB 80 dB 90 dB 100 dB 20 N1-P2 croît. Normalement, aux fortes Migraineux Non-migraineux Les migraineux sontils des gens comme les autres ? * Service de neurologie, hôpital intercommunal, Créteil. L Figure 1. En haut, potentiels évoqués auditifs corticaux : ondes N1 et P2. En bas, amplitude N1-P2 en fonction de l’amplitude en décibels de la stimulation auditive lors des PEA. 77 Figure 2. Dosage du CGRP dans la veine cubitale de patients migraineux en intercrise et de témoins. biblio-opinion Biblio-Opinion Algie vasculaire ophtalmique Tout le monde connaît la sémiologie typique de l’algie vasculaire de la face (AVF) et de la migraine. Tout le monde sait aussi que ces deux affections sont suffisamment mal intentionnées pour refuser régulièrement d’entrer dans le cadre normatif de l’IHS. Elles n’hésitent pas en effet à se tendre la main au-delà des barrières strictes des règlements, pour s’assembler sans pudeur et procréer par cette union une sémiologie mixte et bâtarde, propre à déjouer l’expertise des meilleurs spécialistes. Ainsi n’est-il pas rare de voir des douleurs céphaliques qu’on qualifierait volontiers de migraineuses sur leur caractère et leur durée, si elles ne tendaient à se focaliser systématiquement autour de l’œil, à demeurer désespérément unilatérales et à s’accompagner chaque fois de symptômes vasomoteurs. La tendance mimétique de ces maladies se trouve illustrée par la description de Silberstein et al. (5) de 6 patients souffrant d’une AVF a priori typique, à l’exception d’une aura prémonitoire. Celle-ci était visuelle dans 5 cas : échiquier noir et blanc avec scotome, achromatopsie, flashs lumineux, éclairs stroboscopiques noir et blanc ; et olfactive dans 1 cas : mauvaise odeur d’agrumes. Excepté dans 1 cas, ces auras ne survenaient jamais isolément. Leur durée était de 5 à 120 minutes, débordant ou non sur la période douloureuse. En bref, ces manifestations avaient les caractères d’auras migraineuses. Deux conclusions peuvent en être tirées. La première est que, si l’on veut bien attribuer l’AVF à un dysfonctionnement hypothalamique, l’aura signe une participation associée du cortex (au moins pour sa présentation visuelle) ; le mécanisme physiopathologique en cause demeure évidemment une énigme. La seconde est que la classification de l’IHS n’est plus adaptée pour de nombreux cas de céphalées ou d’algies faciales, et sa révision est nécessaire. Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 5, mai 2001 5. Silberstein SD, Nikman R, Rozen TD, Young WB. Cluster headache with aura. Neurology 2000 ; 54 : 219-21. Et toujours un mélange des genres Pour continuer la série des accouplements contre nature, Zuckerman et al. (6) décrivent trois patientes souffrant de deux variétés différentes de douleur. L’une est celle d’une hémicrânie paroxystique (HP), l’autre d’une névralgie trigéminale dans le territoire du V1 ou du V2, du même côté que l’HP. D’où l’appellation de cette association syndromique : chronic paroxysmal hemicrania-tic syndrome. L’association entre l’AVF et le tic douloureux de la face étant déjà connue, il n’est pas forcément étonnant, si l’on considère que l’HP n’est qu’une variété de l’AVF, qu’HP et névralgie du trijumeau puissent coexister. Le SUNCT syndrome (short-lasting unilateral neuralgiform headache with cunjunctival injection and tearing) est un diagnostic alternatif, mais la durée en est plus longue, et surtout la douleur ne connaît pas de traitement, alors que dans le syndrome ici décrit, les douleurs peuvent être soulagées soit par de l’indométacine seule, soit par une association indométacine + carbamazépine, baclofène ou phénytoïne. Ce qui paraît se produire est, en toute hypothèse, une connexion entre le système parasympathique et les structures du tronc cérébral impliquées dans la névralgie du V. L’autre hypothèse pourrait-elle être un résultat totalement dû au hasard ? 6. Zuckerman E, Peres MFP, Kaup AO et al. Chronic paroxysmal hemicrania-tic syndrome. Neurology 2000 ; 54 : 1524-6. Pour éviter la crise C’est une toute petite série de 9 patients seulement qui ouvre peut-être une nouvelle porte (ou seulement un portillon) 78 dans le traitement préventif, bien délicat, de l’AVF. Hering-Hanit et Gadoth (7) ont traité ces patients au baclofène. Après une semaine, 6 n’avaient plus du tout de crise douloureuse ; 1 avait encore quelques crises et a dû attendre la semaine suivante pour en être soulagé ; 2 ont vu leurs crises s’aggraver. 7. Hering-Hanit R, Gadoth N. Baclofen in cluster headache. Headache 2000 ; 40 : 48-51. Le sens de la vie Ce sens de la vie ne nous vient pas de la patrie des Monty Pythons mais de grosses agglomérations du Michigan. Il s’agissait, pour Breslau et al. (8), d’établir la relation entre dépression et céphalées. La procédure a fait intervenir les techniques du télémarketing : tirage au sort de numéros de téléphone, questionnaire téléphonique pour déterminer la présence de céphalée migraineuse ou non migraineuse, puis sélection de patients et entretien (psychiatrique !) à domicile pour évaluer l’existence d’une dépression et, le cas échéant, sa relation chronologique avec la céphalée. Résultat : la migraine sort championne toutes catégories. La dépression s’associe à la migraine, surtout avec aura, bien plus fréquemment qu’avec n’importe quelle autre céphalée sévère, ce qui confirme des études antérieures (figure 3). Plus encore, si les migraineux voient se développer, plus souvent que les autres céphalalgiques, un épisode dépressif, les dépressifs deviennent plus volontiers migraineux que les non-dépressifs, constatation qui fait suggérer aux auteurs que la dépression n’est pas (ou pas seulement) la réaction psychologique à l’expérience – ô combien traumatisante – de la migraine ! mais que l’une et l’autre partagent une origine (biochimique ?) commune. À côté, les patients souffrant de céphalées sévères non migraineuses (dont plus de la moitié sont des céphalées de tension) ont aussi davantage de dépression, mais l’analyse statis- biblio-opinion Biblio-Opinion tique subtile qui vise à déterminer à qui revient le rôle de la poule ou de l’œuf montre que la dépression paraît être plutôt réactionnelle à la douleur chronique. Rappelons que d’autres études n’avaient pas trouvé de relation entre céphalée de tension et dépression, mais elles n’avaient pas, comme ici, tenu compte de la sévérité de la céphalée. 8. Breslau N, Schultz LR, Stewaart WF et al. Headache and major depression. Is the association specific to migraine ? Neurology 2000 ; 54 : 308-13. Des nouvelles du front Il s’agit bien d’un front, non pas celui que certains neurochirurgiens piaffent d’impatience de trépaner, mais celui de la controverse. Laquelle ? Un vieux serpent de mer, celui de la décompression microvasculaire pour traiter les névralgies “essentielles” du trijumeau. Les Milanais (9) défenseurs de la boucle, la petite, celle qui comprime le nerf, avaient publié dans le Lancet, en 1999, des résultats positifs de la décompression microvasculaire dans 7 cas sur 15 de névralgie du V chez des patients atteints de SEP. Parallèlement, la même équipe lombarde a envoyé au JNNP ses résultats (évidemment positifs) sur 250 décompressions au cours de névralgies du V, incluant 10 SEP (10). Principe technique simple (en passant les détails) : 1) ouvrir la tête ; 2) refouler tous les vaisseaux susceptibles d’entrer en contact avec le nerf trijumeau ; 3) engainer le nerf de téflon. Résultat : 75 % de guérison, pas d’effet dans 15,3 % et efficacité intermédiaire dans les cas restants. Les SEP sont autant améliorées que les autres, étant entendu que celles qui avaient des lésions IRM du tronc ont préalablement été exclues. Comme on n’est jamais prophète en son pays, c’est du voisinage piémontais (11) que vient la critique. En 1997, dans le JNNP, ces auteurs s’étaient faits les contestataires de la théorie de la boucle, sur des arguments d’ailleurs bien connus, suggé- 50 40,7 37 40 30 16 20 10 0 Migraine Céphalée non-migraine Témoins Figure 3. Pourcentage de patients ayant présenté une dépression à un moment de leur vie dans les trois populations étudiées. rant même que le geste pouvait traumatiser le nerf, d’où des récidives transitoires (et accessoirement l’efficacité des réinterventions). Dans le Lancet de mars 2000 (12) : nouvelle contre-offensive des Turinois sur le mode guérilla, reprochant aux Milanais de proposer une explication en termes de compression vasculaire chez les SEP, alors que rien, et surtout pas les statistiques, n’exclut finalement la responsabilité d’une plaque à l’origine de la névralgie. De plus, c’est exposer les patients à des complications chirurgicales éventuellement sérieuses. De là, la réponse milanaise dans le même numéro du Lancet, qui fait l’apologie de la technique chirurgicale et de l’expérience des praticiens (13). Stérile tout cela ? Il est vrai que la querelle transalpine pouvait bien se faire in situ et en italien. Après tout, la discussion sur ce sujet (dont la péninsule italienne n’a pas l’exclusivité) date déjà de 1934 et peut encore se prolonger un bon millénaire. Relevons quand même, en considérant uniquement l’année 2000, qu’elle a produit 4 pages dans le Lancet et 6 dans le JNNP. Cela dépend sans doute du prix que l’on accorde à la page imprimée dans une revue de langue anglaise (notons au passage qu’un des auteurs, passant de Turin à Milan, a changé complètement d’opinion sur la question : voir références). Nouveau point sur le sujet l’année prochaine ! 79 9. Broggi G, Ferroli P, Franzini A et al. Role of microvascular decompression in trigeminal neuralgia and multiple sclerosis. Lancet 1999 ; 354 : 1878-9. 10. Broggi G, Ferroli P, Franzini A et al. Microvascular decompression for trigeminal neuralgia : comments on a serie of 250 cases, including 10 patients with multiple sclerosis. J Neurol Neurosur Pychiatry 2000 ; 68 : 59-64. 11. Canavero S, Bonicalzi V, Ferroli P. Can trauma alone to the trigeminal root relieve trigeminal neuralgia ? The case against the microvascular compression hypothesis. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1997 ; 63 : 411-2. 12. Bonicalzi V, Canavero S. Role of microvascular decompression in trigeminal neuralgia. Lancet 2000 ; 355 : 928-9. 13. Broggi G, Ferroli P, Franzini A et al. Role of microvascular decompression in trigeminal neuralgia : reply. Lancet 2000 ; 355 : 929. Une pile de rechange Une histoire brève pour terminer sur le trijumeau. Celle, rapportée par Cheshire (14), d’une patiente atteinte d’un tic douloureux de la face et qui, s’étant fait traiter une incisive supérieure par un amalgame dentaire, a connu la plus déplorable aggravation de ses névralgies, surtout lors de la consommation d’aliments acides comme des tomates. La dent soignée était en effet devenue une véritable batterie stimulant sans pitié les racines trigéminées. Les métaux des amalgames peuvent produire des courants de plusieurs centaines de millivolts, constituant un environnement extrêmement défavorable pour un nerf hypersensible. Cette histoire a rappelé à certains celle du poste à galène dentaire de Wolinetz. Dans le cas présent, elle s’est terminée par le remplacement de l’amalgame, zone gâchette artificielle, par de la porcelaine. 14. Cheshire WP. The shocking tooth about trigeminal neuralgia. N Eng J Med 2000 ; 342 : 2003.