Analyse et commentaires
V. Dousset*, S. Auriacombe**
Effets à long terme de la maladie migraineuse
sur les fonctions cognitives
Long-term effects of migraine on cognitive function.
Gaist D, Pedersen L, Madsen C et al. Neurology 2005;64:600-7.
*Unité de traitement des douleurs chroniques, hôpital Pellegrin, Bordeaux.
** CMRR consultation mémoire, hôpital Pellegrin, Bordeaux.
ÉTAT DE LA QUESTION
Le concept de migraine-maladie progressive est actuellement
développé, en raison notamment de la publication récente
d’une étude sur les relations entre migraine et lésions céré-
brales infracliniques. Cette étude, même si elle présente des
limites méthodologiques, a confirmé l’existence d’une asso-
ciation entre migraine et lésions cérébrales infracliniques
[lésions au niveau de la fosse postérieure plus fréquentes chez
les migraineux, et lésions de la substance blanche profonde
plus fréquentes chez les femmes migraineuses] (1).
Concernant la relation entre migraine et cognition, certaines
études ont suggéré que la migraine avec et sans aura pourrait
avoir des effets délétères, à plus ou moins long terme, sur les
performances cognitives, renforçant l’hypothèse de migraine-
maladie progressive (2, 4, 6). D’autres études n’ont pas
confirmé ces résultats (3, 5). Des différences méthodologiques
expliquent cette hétérogénéité des résultats, notamment des
différences relatives au recrutement des patients (taille de
l’échantillon, population d’où sont issus les patients), aux pro-
cédures diagnostiques de la migraine ou aux tests cognitifs
utilisés. Il faut aussi noter que la plupart de ces études pèchent
par la taille limitée de leurs échantillons, et que ceux-ci sont
le plus souvent issus de consultations spécialisées (tableau).
Ces deux éléments représentent des biais potentiels impor-
tants. Les auteurs de cette étude ont essayé de pallier les
défauts méthodologiques des études précédentes en réalisant
une étude comparative “migraineux versus non-migraineux”
sur un large échantillon de jumeaux mono- ou dizygotes d’âge
moyen, issu de la population générale, et en utilisant les cri-
tères diagnostiques IHS de la migraine.
MÉTHODE
Les sujets ayant participé à l’étude sont issus d’une cohorte
plus vaste de jumeaux, la MADT (Middle Age Danish Twins
Survey),constituée par toutes les paires de jumeaux nés entre
1931 et 1952 et recensés par un registre. Ces jumeaux ont été
invités à participer à une étude très complète comportant de
nombreuses évaluations réalisées à domicile, dont un bilan
cognitif, comportant un test de fluence verbale, de mémoire
verbale, d’empan digital endroit et envers ainsi que le test
des codes de Wechsler (Digit Symbol),un test d’attention et
de vitesse. D’autres variables pouvant interférer sur les fonc-
tions cognitives ont été recueillies, notamment le niveau
d’études, la prise d’alcool, les traitements médicamenteux,
la dépression.
Au cours de ce bilan initial, deux questions visant à dépister
un maladie migraineuse ont été posées, l’une pour le dépis-
tage d’une maladie migraineuse commune (“Avez-vous déjà
eu des crises de migraine ?”), l’autre pour le dépistage de la
migraine avec aura visuelle (“Avez-vous déjà eu des troubles
visuels pendant 5 à 60 mn, suivis d’une céphalée ?”). Le bilan
cognitif et le dépistage de la migraine ont été réalisés sans
que les sujets et les examinateurs soient au courant de l’ob-
jectif principal de l’étude. Puis, si le dépistage pour la
migraine était positif, chaque patient était soumis à un ques-
tionnaire téléphonique neurologique visant à confirmer le
diagnostic de migraine au moyen des critères IHS. Pour
ANALYSE ET COMMENTAIRES
La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au vol. IX - n° 7 - septembre 2005 5
confirmer la validité des deux questions de dépistage, un
échantillon de 100 sujets ayant répondu négativement a par
la suite été réévalué cliniquement, montrant qu’un faible
nombre de sujets migraineux n’étaient pas diagnostiqués par
les deux questions de dépistage.
RÉSULTATS
Parmi 4 314 jumeaux participant à l’étude, 1 389 ont effecti-
vement répondu au questionnaire neurologique téléphonique.
Un diagnostic de migraine a été retenu pour 526 sujets, dont
347 migraines sans aura, 157 migraines avec aura et
85 désordres migraineux.
Concernant les fonctions cognitives, les scores cognitifs étaient
comparables chez les sujets migraineux et non migraineux, avec
seulement une tendance à des scores meilleurs chez les migrai-
neux, avec ou sans aura. La stratification sur l’âge et le sexe ne
changeait pas les résultats. Le nombre de crises, l’âge de début
de la migraine, la durée de l’évolution ne semblaient pas avoir
d’influence sur les performances cognitives. Cent trente-neuf
paires de jumeaux étaient discordantes pour la migraine
(61 monozygotes, 78 dizygotes). Or, les scores cognitifs étaient
comparables chez les migraineux et chez les non-migraineux,
bien que les jumeaux migraineux, dans ce sous-groupe, aient un
niveau d’études plus faible que leurs jumeaux non migraineux.
ANALYSE ET COMMENTAIRES
Pertinence des tests utilisés
Concernant la sensibilité de l’évaluation cognitive, les tests qui
ont été utilisés sont sensibles à de nombreuses atteintes cérébrales
débutantes corticales et sous-corticales, mais cela est surtout vrai
pour les personnes âgées. Il est possible que des tests plus diffi-
ciles, comme le PASAT, utilisé dans la sclérose en plaques, aient
été plus sensibles. Cependant, on n’observe même pas de ten-
dance à une altération cognitive chez les migraineux, mais plutôt
une tendance à avoir de meilleures performances ! Concernant
l’exhaustivité de l’évaluation cognitive, les tests utilisés ne cou-
vrent pas l’ensemble des fonctions cognitives. Il n’y a notamment
pas de tests visuo-spatiaux, dont on sait qu’ils détectent plus
particulièrement les atteintes corticales postérieures. Or, le
Tableau. Études ayant analysé la relation entre migraine et troubles cognitifs.
Auteur Année n Population Tests psychométriques Critères Principaux
migraine résultats
Hooker 1986 15 MSA Cs spécialisée 12 sous-tests IHS MSA et MA :
16 MA performances altérées
15 sujets contrôles par rapport au groupe
contrôle
Leijdekkers 1990 37 femmes Réunion de patients Weschler + NES2 IHS Pas de différence
migraineuses entre migraineux
dont 11 MA et sujets contrôles
34 sujets contrôles
Mulder 1999 20 MSA Étudiants Autotest : IHS MSA : pas de
10 MA NES2 différence avec
30 sujets le groupe contrôle
contrôles MA : performances
altérées pour
l’attention par rapport
au groupe contrôle
Jelicic 2000 99 migraineux, Population générale LDST IHS Pas d’influence de
1 768 non- (mais registre de VLT la migraine sur
migraineux membres de familles DRT les performances
de médecins) cognitives
Calandre 2002 60 patients Cs spécialisée Évaluation IHS Mémoire, attention
migraineux très complète : et vitesse visuo-
dont 10 MA 9 domaines évalués motrice altérées chez
30 sujets contrôles le migraineux
MSA : migraine sans aura. MA : migraine avec aura. NES2 : 2nd version of the neurobehavioural evaluation system. LDST : letter digit substitution test. VLT : verbal learning test. DRT : delayed recall task.
ANALYSE ET COMMENTAIRES
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La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au vol. IX - n° 7 - septembre 2005 7
dysfonctionnement des aires corticales postérieures a été tout
particulièrement démontré dans la maladie migraineuse…
Facteurs pouvant expliquer l’absence de différence
de performance sur les tests cognitifs
L’âge moyen de la population étudiée pourrait être un de ces
facteurs : les jumeaux étudiés sont jeunes (45 à 67ans), peut-être
trop jeunes pour qu’une atteinte cognitive puisse être mise en
évidence. Mais si l’on suit l’hypothèse neurodéveloppementale,
on pourrait voir assez tôt un retentissement cognitif, vers l’âge
de 40 ans. Par ailleurs, la réalisation de ces tests chez des
sujets plus âgés rendrait plus difficile l’attribution des pertur-
bations à la seule migraine, et non au déclin cognitif physio-
logique ou à des troubles démentiels.
La nature de l’échantillon (jumeaux) pourrait elle aussi avoir
une influence sur les résultats obtenus : on a évoqué la possi-
bilité que le niveau d’études de la population de jumeaux soit
inférieur à celui de la population générale. Cela n’a pas été
confirmé. En fait, cette population a comme principal avan-
tage de pouvoir réaliser des comparaisons intrapaires, ce qui
permet d’écarter l’intervention de biais, comme les effets de
l’environnement socio-économique durant l’enfance, sur les
fonctions cognitives.
En fait, les résultats de cette étude sont compatibles avec ceux
de la seule autre étude réalisée en population générale (5). Cette
dernière avait identifié au sein d’une cohorte 99sujets migraineux
d’âge moyen, dont les performances cognitives étaient compa-
rables à celles de sujets non migraineux issus de la même cohorte.
Le résultats de cette étude sont donc rassurants pour les
patients migraineux, ne retrouvant pas de lien entre migraine
et performances cognitives.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1.
Kruit MC, van Buchem MA, Hofman PA et al. Migraine as a risk factor for
subclinical brain lesions. JAMA 2004;4:493-4.
2.
Hooker WD, Raskin NH. Neuropsychological alterations in classic and
common migraine. Arch Neurol 1986;43:709-12.
3.
Leijdekers MLA, Passchier J, Goudsward P et al. Migraine patients cogni-
tively impaired? Headache 1990;30:352-8.
4.
Mulder EJCM, Linssen WHJP, Passchier J et al. Interictal and postictal
cognitive changes in migraine. Cephalalgia 1999;19:557-65.
5.
Jelicic M, van Boxtel MPJ, Houx PJ, Jolles J. Does migraine headache affect
cognitive function in the elderly? Report from the Maastricht Aging Study (MAAS).
Headache 2000;40:715-9.
6.
Calandre EP, Bembibre J, Arnedo ML, Becerra D. Cognitive disturbances and
regional cerebral blood flow abnormalities in migraine patients: their relationship
with the clinical manifestations of the illness. Cephalalgia 2002;22:291:302.
Bloc-notes
Formation théorique, 6 séances de deux jours de décembre à mai, et pratique –
dans un département de clinique, de biologie ou de pathologie neuromusculaire
– destinée à une meilleure évaluation et une prise en charge des personnes
atteintes de pathologies neuromusculaires et au développement de la recherche
clinique et biologique dans ce domaine.
Formation destinée aux médecins français ou étrangers, aux étudiants en médecine,
internes ayant validé leur 2ecycle, kinésithérapeutes diplômés, biologistes titulaires
d’une maîtrise.
Renseignements
Secrétariat DIU, Institut de myologie AFM.
Tél. : 01 42 16 58 66/01 42 16 58 63 – Fax : 01 45 70 86 92
Site : http://www.institut-myologie.org (rubrique “enseignement”)
Diplôme interuniversitaire
Myologie 2005-2006
(Paris-Marseille)
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Institut de myologie, bâtiment Babinski.
(Pr B. Eymard, M. Fardeau, J. Koenig [Paris],
Pr J. Pouget, J.F. Pellissier [Aix-Marseille])
Renseignements et inscriptions
BCA – 6, boulevard du Général-Leclerc – 92115 Clichy
Tél. : 01 41 06 67 70 – Fax : 01 41 06 67 79
V
V
23-24 novembre 2005
Centre universitaire méditerranéen,
65, Promenade des Anglais – 06000 Nice
Président du comité d’organisation :
Claude Desnuelle
Conférence de consensus
sur la prise en charge des personnes atteintes
de sclérose latérale amyotrophique
www.b-c-a.fr/sla
Bloc-notes
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