caux selon qu’ils relèvent d’une faute ou du risque (aléa). Ce
dernier, appelé aléa médical, relèverait de la solidarité nationale.
Une autre coupure est intervenue avec le scandale du sang conta-
miné et de l’hépatite C, dans les années 1980, puis de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob, à la fin des années 1990 (1). La loi DMOS
de décembre 1991 ouvre le droit à indemnisation des personnes
contaminées par le VIH à la suite d’une transfusion. En avril 1993,
le Conseil d’État (arrêt Bianchi) ouvre des possibilités d’indemni-
sation pour des victimes d’accidents thérapeutiques d’une extrême
gravité. On est passé de l’obligation de moyens à l’obligation de
(sécurité) de résultats !
Les infections nosocomiales :
un régime d’exception fondé sur la jurisprudence
Il semble que l’infection nosocomiale (IN), tout en s’inscrivant
dans l’évolution de la judiciarisation de la médecine, ait été traitée
“à part”. En fait, son histoire jurisprudentielle démarre dès 1960,
avec un premier arrêt du Conseil d’État condamnant l’Assistance
publique de Marseille pour le cas d’un enfant admis pour rougeole
en 1952 et mort de variole, transmise par son voisin de chambre… !
Tout se passe comme si l’évolution jurisprudentielle allait consi-
dérer, au cours des quatre décennies qui allaient suivre, que les
infections nosocomiales, comme la variole, étaient complète-
ment éradicables !
Dans le cas de cet enfant, il y avait clairement eu négligence (faute),
dont la preuve a été facilement apportée. Par la suite, il s’avérera
qu’il peut être très difficile pour la victime de démontrer la faute
d’un médecin ou d’un établissement de santé (ES). Une nouvelle
étape sera franchie en 1988 par le Conseil d’État (arrêt Cohen) qui
condamnera l’AP-HP à la suite d’une méningite postopératoire à
La Pitié-Salpêtrière (Paris). Aucune faute ne sera retrouvée, mais
le Conseil d’État estimera que la survenue d’une infection traduit
une faute dans l’organisation du service public hospitalier (8). C’est
le principe de la faute présumée. Il y a aussi renversement de la
charge de la preuve, l’ES ne pouvant s’exonérer qu’en démontrant
l’absence de faute, mission quasi impossible… En 1996, la Cour
de cassation (arrêt Bouchard) étend ce principe de la responsabi-
lité pour faute présumée aux établissements privés. Enfin, en 1999
et à l’occasion de trois arrêts rendus le 29 juin 1999, la Cour de
cassation décide que les ES privés et les médecins sont tenus à une
obligation de sécurité de résultats (8). Le patient doit apporter la
preuve de la nature nosocomiale de l’infection. L’ES est alors consi-
déré comme responsable et devra en réparer les conséquences dom-
mageables. Il ne pourra en être exonéré que s’il démontre une
“cause étrangère” – par exemple que l’infection est totalement
“étrangère” au séjour hospitalier et était de “force majeure” –
c’est-à-dire imprévisible et irrésistible [inévitable] (9). Cette juris-
prudence pour les ES privés rejoint, de fait, celle des ES publics
(arrêt Cohen de 1988), avec le concept de “faute présumée” (8).
C’est l’ensemble de cette jurisprudence qui inspirera la législation.
En effet, la loi des droits du malade du 4 mars 2002, qui précise
les modalités d’indemnisation des conséquences des “risques sani-
taires”, indique (article L.1142-1) que les ES sont responsables des
dommages résultant d’infections nosocomiales. Parmi les accidents
médicaux, l’IN apparaît donc, a priori, comme le seul “fautif”. Mais
l’idée de faute n’est-elle pas devenue une fiction vide de sens (2) ?
Pourquoi ce régime d’exception ?
Les IN seraient-elles toutes et toujours évitables ?
En 1996, le rapport de Claude Evin sur les droits de la personne
malade au Conseil économique et social, préconisant notamment
l’indemnisation de l’aléa thérapeutique par la solidarité nationale,
enclenche la genèse de la loi de 2002. Après de difficiles discus-
sions, liées en particulier au financement du dispositif, Bernard
Kouchner présente le projet de loi en septembre 2001. Adoptée en
première lecture par le Parlement en novembre, la loi relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé sera signée
le 4 mars 2002. Concernant les événements indésirables ou les acci-
dents médicaux, la loi a deux objectifs : l’obligation de signale-
ment à des fins d’alerte et de vigilance et les règles de réparation
des conséquences dommageables. Si l’accident est “fautif”, il
engage la responsabilité de l’ES et sera indemnisé par l’assureur ;
s’il n’y a pas eu de faute, mais simplement risque ou “aléa”, il relè-
vera d’un fonds de solidarité nationale : l’ONIAM (Office natio-
nal d’indemnisation des accidents médicaux). Ce sont les CRCI
(Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des
accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales) qui s’assurent de la réalité et de la gravité du pré-
judice, du lien de causalité avec un accident médical et statuent
sur sa nature “fautive versus aléa”. Ces risques sanitaires liés au
“fonctionnement du système de santé” sont distingués en accident
médical, affection iatrogène et infection nosocomiale (les “événe-
ments indésirables liés aux produits de santé” sont souvent traités
à part). Le projet de loi initial prévoyait que chacun d’entre eux
puisse être qualifié de fautif ou d’aléa, mais un amendement de
Claude Evin, validé en commission parlementaire, a conduit à sor-
tir l’IN de l’aléa (10). La raison en est la jurisprudence constante
de la Cour de cassation (et du Conseil d’État) sur la présomption
de faute et l’obligation de sécurité de résultats avec son corollaire :
l’indemnisation dans le cadre de la responsabilité pour faute (avec
une garantie d’indemnisation plus importante pour les victimes).
Il semble que les débats aient été très difficiles, à la fois en commis-
sion parlementaire, en commission des affaires sociales du Sénat
puis en commission mixte paritaire. Plusieurs versions seront pro-
posées, car le ministre, Bernard Kouchner, estimera que le texte
manquait de clarté… (10). Il convient de reconnaître qu’en
l’absence de définitions médicales et/ou épidémiologiques consen-
suelles des accidents médicaux et affections iatrogènes, qui peuvent
comprendre les IN (!), et en raison des “frontières” floues entre
accidents fautifs et aléas, le législateur a dû “tenter de se débrouil-
ler” seul… Le débat terminologique autour des accidents médi-
caux, des IN et de la iatrogénie reprendra d’ailleurs un an plus
tard, avec la rédaction de la loi de Santé publique du 9 août 2004
(puis celle de l’Assurance maladie du 13 août 2004) et avec des
variations des termes employés (“événements indésirables graves
liés à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’ac-
tions de prévention”… et, dans la liste des objectifs : “iatrogénie”,
qui englobe les IN) qui persistent encore à ce jour. Concernant la
responsabilité, les rédacteurs de la loi, ne disposant pas de références
ÉDITORIAL
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La Lettre du Pneumologue - Volume IX - no1 - janvier-février 2006